<331>qui gouverne ce pays avec tant de gloire, et qui répand la splendeur de son règne dans toute l'Europe? Ce sont de ces objets qu'on ne trouverait pas en parcourant tout le monde connu. C'est le seul avantage que je vous envie là-bas, de pouvoir connaître ce puissant génie qui surpasse presque celui du fondateur de cet empire. Il n'y a plus moyen de féliciter l'Impératrice sur les succès de ses armes; il faudrait l'importuner trop souvent, de sorte que, en participant au succès de ses troupes en Bessarabie, sur le Pruth, à Bender, je l'admire et me tais.a Je ne puis guère vous mander des nouveautés d'ici, sinon qu'il paraît que la guerre entre l'Angleterre et l'Espagne est inévitable. Heureusement qu'ils se la feront sur mer, et que nous en serons les tranquilles spectateurs. Je vous envoie ci-joint encore quelques réflexions que ma solitude et ma vie recueillie me permettent de faire; ce sont des rêveries dans le goût de celles de l'abbé de Saint-Pierre, dont on disait qu'il rêvait en honnête citoyen de l'univers.b Je vous embrasse mille fois, mon cher frère, en faisant mille vœux pour votre santé, et vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
La grande affaire pour la politique consiste à ce que les Russes fassent une paix honnête avec les Turcs. Je crois que ces derniers digéreront la perte d'Asow, peut-être encore de quelques hordes indépendantes de Tartares, pourvu que les Russes ne s'y mêlent pas, ou ne s'avisent de vouloir avoir un hospodar de la Valachie de leur dépendance; c'est ce qui serait difficile à digérer aux Autrichiens, et que j'ai bien compris qu'ils ne souffriraient nullement. Pour ce qui regarde les affaires de Pologne, vous pouvez compter que tout le royaume est dans des dispositions aliénées des Russes, de sorte que si l'impératrice de Russie croit y avoir des partisans, elle se trompe très-fort. Il s'agit également de pacifier ces troubles. Si, à la paix, on impose des lois que les Polonais croiront ne pas devoir observer, ce sera à recommencer avec eux de trois mois en trois mois, et je dois ajouter à cette considération une autre qui est bien plus importante,
a Voyez t. XVIII, p. 269; t. XXIII, p. 303 et 418; t. XXV, p. 210.
b Voyez t. XXIV, p. 148, 249 et 544.