361. AU MÊME.
Silberberg, 4 mars 1779.
Mon cher frère,
Vous vous souviendrez, mon cher frère, que je vous ai dit à Berlin que nous ne pouvions rien désirer de mieux que d'obliger les Autrichiens à rendre leurs usurpations; cela tient à un objet de politique bien important, parce que si cet acte de violence leur était passé, ils se seraient arrogé une autorité despotique dans l'Empire, dont tôt ou tard nous aurions ressenti les funestes effets. Quoique cette restitution ne soit pas aussi entière qu'elle l'aurait été à souhaiter, néanmoins voilà pourtant le premier projet de l'ambition effrénée de l'Empereur de manqué, et nous gagnons le grand avantage que dans l'Empire l'on nous envisagera comme un contre-poids utile au despotisme autrichien. Ce qui regarde l'argent dépensé, il faut le remplacer par une bonne économie, en retranchant pour un temps tout ce qu'on pourra ménager en dépenses superflues; mais, en fait de campagnes, nous n'avons fait que des misères qui ne peuvent nous rendre ni méprisables ni respectables à nos ennemis. Voilà deux jours qu'un faquin d'Autrichien, nommé Wallis, vient avec seize bataillons attaquer notre poste de Neustadt, où commandait Winterfeldta avec le régiment de Prusse. Ce gueux a été chassé comme il le mérite; mais ni plus ni moins, il y a deux cent quarante maisons de brûlées, tant dans la ville que dans le faubourg. Je suis si aigri contre toute cette engeance autrichienne, que je perdrais la vie avec plaisir, si je pouvais seulement me bien venger d'eux. C'est le manque d'argent qui oblige ces misérables à faire la paix; mais ce ne sera, à le bien prendre, qu'une trêve. Je vous avoue que vos Russes sont d'étranges gens, et que bien heureux est celui qui n'a rien à démêler avec eux. Je suis, etc.
a Le colonel Charles-Louis de Winterfeldt, né en 1726, était commandeur du régiment de Prusse infanterie (t. IV, p. 161). Il devint général-major en 1781, et mourut en 1784.