<511>tuteur, auquel il n'y aurait aucun reproche à faire, si ce n'est sa trop grande complaisance pour Diderot, qui l'a entraîné au delà des lois sages qu'il s'était prescrites. Vous voyez par là combien l'esprit humain est sujet à des séductions étranges, et que les plus sages se laissent quelquefois entraîner par ceux auxquels ils devraient imposer des lois. Voilà où les plus sages en sont réduits, ce qui diminue beaucoup, en ma façon d'envisager les choses, le mérite de notre espèce. Les plus sages font des fautes; à quoi ne sont pas réduits les plus ignorants! Tout ceci, mon cher frère, se ressent des réflexions d'un vieillard qui est presque mort au monde, et qui, dans le silence de toutes passions, raisonne sur ceux que les passions entraînent encore. Cela me fait souvenir du mot du maréchal de Broglie, gouverneur de Strasbourg, qui disait à de jeunes officiers débauchés de sa garnison : « Messieurs, faites comme moi, soyez sages. » Quelqu'un lui répondit : « Monsieur le maréchal, attendez que nous ayons atteint à votre âge. » Je suis, etc.
390. AU MÊME.
Le 17 octobre 1784.
Il est sûr que le monde est plongé dans un étrange chaos, en ce qui regarde la politique; mais ce ne sera pas nous Prussiens qui le débrouillerons; ce seront les deux cours impériales qui voudront chasser les Turcs de l'Europe, ou l'Empereur qui peut-être voudra attaquer les Hollandais, enfin quelque entreprise décisive qui force les autres potentats à se lier ensemble pour résister aux perturbateurs du repos public. L'impératrice de Russie commence à se montrer; mais, toujours affaissée par une sombre mélancolie, elle devient religieuse; l'on croit qu'il n'y aura plus de nouveau favori. Je regarde cela comme des nouvelles, et j'attends d'apprendre si son voyage de la Crimée aura lieu, ou si elle l'abandonne. Voilà ce qui nous éclairera le plus, et nous