<XXVI>Les sentiments du Roi n'étaient point partagés par le prince Henri, qui se tint toujours sur la réserve à son égard, et qui s'exprima souvent sur son compte d'une manière peu amicale, surtout depuis la mort du Prince de Prusse.f Il ne se donnait pas la peine de dissimuler la jalousie et même l'aversion qu'il éprouvait pour son auguste frère,g comme on peut s'en assurer en lisant la remarque qu'il écrivit au bas de la lettre autographe de Frédéric, du 14 décembre 1759,h ainsi que les notes plus que sévères qu'il fit au crayon, en 1788, à la marge de son exemplaire de l'Histoire de la guerre de sept ans.a Il faut peut-être chercher la source de cette animosité du prince dans un amour-propre mal satisfait, qui se sentit également blessé à l'avénement de Frédéric-Guillaume II. Le 4 juillet 1791, le prince Henri inaugura dans son jardin de Rheinsberg un monument en l'honneur de son frère Auguste-Guillaume et des officiers qui s'étaient distingués dans les trois guerres de Silésie. On remarque une notable partialité dans le choix des personnages qui y figurent, car il n'y est question ni de Frédéric, ni de quelques-uns de ses amis particuliers, tels que les généraux de Winterfeldt et de La Motte Fouqué.b Ce qui rend l'injustice du prince plus frappante encore, c'est que le Roi ne cessa jusqu'à sa mort d'avoir pour lui tous les égards que méritaient ses éminentes qualités et ses glorieux services.

La correspondance de Frédéric avec le prince Henri, commençant par la lettre de celui-ci, du 12 mai 1735, et continuée jusqu'au vendredi qui précéda la mort du Roi, est un vrai monument historique, aussi honorable pour le monarque que pour le prince. Elle est conservée aux Archives de l'État, et forme cinquante gros volumes manuscrits, dont le dernier renferme un grand nombre de lettres sans date. Les pièces dont cette correspondance se compose sont presque toutes autographes; il y en a beaucoup qui sont chiffrées; mais les minutes de celles-ci sont également de la main des deux illustres correspondants. Les lettres du Roi sont presque toutes écrites sur du papier à tranche dorée. Quoique rédigées pour la plupart fort à la hâte et souvent au milieu des plus vives angoisses, elles intéressent


f Voyez la Vie privée, politique et militaire du prince Henri, p. 240, 87 et suivantes.

g Voyez l'Essai sur la vie du marquis de Bouillé, p. 167.

h Voyez ci-dessous, p. 233.

a Cet exemplaire est maintenant conservé aux Archives de la maison royale.

b Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1791, no 81, et le Supplément du no 82.