IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SON FRÈRE LE PRINCE HENRI. (3 FÉVRIER 1737 - 28 JUIN 1786.)[Titelblatt]
<146><147>1. AU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 3 février 1737.
Mon très-cher frère,
Je vous suis infiniment obligé de votre souvenir, et des fromages que vous avez la bonté de m'envoyer. Je souhaiterais avoir quelque chose qui pût vous être agréable, afin de vous montrer, mon cher frère, que l'amitié que j'ai pour vous ne le cède en rien à celle que vous avez pour moi. Soyez-en bien persuadé, mon très-cher frère.
Je suis à jamais avec une sincère amitié,
Mon très-cher frère,
Votre très-fidèle frère et serviteur, Frederic.
>Mettez-moi, je vous prie, très-respectueusement aux pieds de la Reine, et assurez-la de ma part que personne ne peut lui être plus attaché que je le suis.
2. AU MÊME.
Remusberg, 24 septembre 1738.
Mon cher frère,
Je vous suis très-obligé de votre souvenir; c'est une marque que vous pensez encore aux absents. Nous ne les oublions pas, <148>de notre côté; ils nous sont trop chers, et ils nous tiennent trop à cœur.
Je voudrais, mon cher frère, que la verrerie ou les contrées de ces environs produisissent quelque chose digne de vous être envoyé. Si vous recevez quelque chose de fragile, je vous prierai de vous ressouvenir de moi.
Je suis avec bien de l'estime, etc.
3. AU MÊME.
(Rheinsberg) 5 novembre 1740.
Mon cher frère,
Votre lettre m'a été rendue, et les réflexions que vous faites sur les nouvelles qu'on débite m'ont été agréables. Continuez toujours à vous appliquer de raisonner avec justesse170-a et de bien faire votre devoir. Je suis très-sincèrement, mon cher frère, etc.
4. AU MÊME.
Quartier général de Herrendorf,
27 décembre 1740.
Mon cher frère,
C'est avec chagrin que je viens d'apprendre que vous commencez à vous relâcher, en préférant les divertissements aux études. <149>Si vous voulez me plaire, vous vous appliquerez avec plus d'assiduité aux affaires des belles-lettres, ce qui vous sera infiniment plus utile que toute autre chose. Je suis avec une tendre affection, mon cher frère, etc.171-a
Si vous voulez devenir quelque chose dans le monde, sachez distinguer les choses utiles des agréables, le solide du frivole; et que le plaisir ne vous empêche jamais de vous appliquer à des choses qui vous sont mille fois plus essentielles que la bagatelle. Pensez-y, je vous prie.171-b
5. AU MÊME.
Quartier général de Breslau, 4 janvier 1741.
Mon très-cher frère,
J'ai été ravi de trouver dans votre lettre des sentiments dignes d'un prince du sang qui, après s'être oublié, sait reprendre le bon chemin. Je me fie à vos promesses, étant persuadé que vous redresserez le passé par une ferme application à vos études. Celte conduite me causera du plaisir, et vous servira à faire votre bonheur. Je suis plus que jamais, mon cher frère, etc.
<150>6. DU PRINCE HENRI.
Le 11 mars 1741.
Mon très-cher frère,
Ne prenez pas en mauvaise part que par ces lignes je vous témoigne la joie que j'ai ressentie au sujet de la prise de la ville de Glogau. Je souhaite du fond de mon cœur que toutes les glorieuses entreprises de Votre Majesté réussissent de la même manière. Les gardes du corps et les gendarmes sont partis le 9. Il y avait beaucoup de monde qui regardait, et on avait de la peine à passer. Le même jour entrèrent les prisonniers, au nombre de deux cents, à ce qu'on dit.
J'espère, mon cher frère, de pouvoir bientôt vous assurer de bouche de mon attachement et du respect avec lesquels je suis,
Mon très-cher frère,
Votre très-fidèle frère et serviteur, Henri.
7. AU PRINCE HENRI.
Breslau, 21 mars 1745.
Mon cher frère,
Je suis bien aise de voir les sentiments d'amitié que vous avez pour moi. Je vous prie de me les continuer, car je me flatte de les mériter par la façon dont je vous aime. Patientez-vous à Berlin, cher Henri, car il n'y a pas grand' chose à faire ici, qu'à pourvoir aux arrangements des magasins, des hôpitaux, etc. Il y a des maladies à Neisse, et j'aime mieux vous laisser tous deux à Berlin jusqu'au temps où l'armée s'assemblera que de m'exposer à vous perdre malheureusement et mal à propos par quelque maladie. Adieu, mon cher; faites mes respects à la Reine, mes compliments au grand Guillaume, mes amitiés à Amélie, mes <151>tendresses à Sophie, et dites-vous à vous-même que je vous aime de tout mon cœur.
Donnez-moi des nouvelles de Jordan,173-a et écrivez-moi des bagatelles.
8. AU MÊME.
Neisse, 28 mars 1745.
Mon cher Henri,
J'ai reçu votre lettre, qui m'a bien fait du plaisir. Mandez-moi toutes les balivernes qui viennent à votre connaissance; elles amusent plus que les choses sérieuses, dont j'ai tout mon soûl. Mandez-moi dans toutes vos lettres comment se porte notre chère mère, et comment va la santé de Jordan. Adieu, mon cher; quoique les opérations soient encore éloignées, je ne manque ni d'embarras, de souci, ni d'inquiétude. Aimez-moi toujours, et soyez persuadé que l'absence ni rien au monde n'effacera le cher Henri de mon cœur.
9. AU MÊME.
Neisse, 4 avril 1745.
Mon cher Henri,
Je suis bien aise d'apprendre par vous que la Reine-mère jouit d'une parfaite santé, et qu'elle est contente. Ce m'est une satisfaction de savoir également que vous vous divertissez bien. Continuez sur ce ton, et prenez patience. Vous m'écrivez que les gardes et les gardes du corps vont bientôt se mettre en marche; <152>mais, mon cher, vous ne distinguez pas qu'il faut quatre semaines pour qu'ils arrivent, et qu'il ne vous faut que quatre jours. Malgré toute votre ambition et votre bonne volonté, vous avez pensé mourir en Bohême, et ma présence vous a été entièrement inutile. Je vous aime de tout mon cœur; mais je ne veux pas exposer inutilement la vie d'un frère qui m'est cher. Si le bien de l'État et votre propre gloire le demandent, à la bonne heure; c'est alors votre vocation; mais il ne faut point que ce soit mal à propos. Soyez donc tranquille, mon cher Henri, et attendez qu'il soit temps de venir ici. Adieu; n'oubliez pas le vieux frère, et soyez persuadé que jusqu'à sa mort il vous aimera tendrement.
10. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 18 avril 1745.
Mon très-cher frère,
La Reine-mère est arrivée ici en très-bonne santé. Ce fut le 15 qu'elle arriva à Oranienbourg. Elle s'y est plu infiniment, et elle est de la meilleure humeur du monde. Hier elle est arrivée ici; elle couche dans le même appartement où vous avez couché autrefois; ma sœur Amélie couche dans la chambre de lit de la reine régnante, et la princesse dans la chambre bleue attenante. La maison plaît infiniment à la Reine, et elle trouve ce séjour-ci charmant. Tout le monde tâche à l'amuser de son mieux; Pöllnitz y contribue beaucoup, étant aussi de très-bonne humeur. La Reine a souhaité voir la cour de Mirow, et je crois qu'ils viendront demain au soir ici. Mercredi elle retournera à Oranienbourg, et jeudi à Berlin. Mon frère et moi, nous partirons samedi; nous nous réjouissons beaucoup du prochain bonheur de vous revoir, et moi en particulier de pouvoir vous assurer de l'attachement inviolable avec lequel je serai toute ma vie, mon très-cher frère, etc.
<153>11. AU PRINCE HENRI.
(1746.)
Mon cher frère,
Nous n'avons nul reproche à nous faire, nous avons la même froideur les uns envers les autres; et puisque vous le voulez ainsi, j'en suis content. Il n'y a que mon entremise pour vos amours qui vous adoucisse quelquefois envers moi, lorsque vous en avez besoin. D'ailleurs, le peu d'amitié que vous me témoignez dans toutes les occasions ne m'excite pas à faire de nouveaux efforts de tendresse en faveur d'un frère qui a si peu de retour pour moi. Voilà tout ce que j'ai à vous dire pour cette fois, vous assurant que je suis, mon cher frère, etc.
12. AU MÊME.
(1746.)
Mon cher frère,
Votre plume éloquente vous dit des choses merveilleuses. Apparemment vous y entendez finesse; pour moi, j'avoue franchement ma bêtise, mais je n'y comprends rien. Il faut, si vous m'aimez, que votre amitié soit métaphysique, car je n'ai jamais vu aimer les gens de la sorte, sans les regarder, sans leur parler, sans leur donner le moindre signe d'affection. Heureux sont les gens que vous aimez, je veux le croire. Si vous me mettez de ce nombre, je puis vous assurer que je vis dans une ignorance profonde des sentiments que vous avez pour moi. Je ne connais que votre éloignement, votre tiédeur, et la plus parfaite indifférence qui fût jamais.
Je suis, monsieur mon frère, etc.
<154>13. AU MÊME.
(1746.)
Mon cher frère,
Je vois par votre lettre que vous souhaitez que je m'explique envers vous sur les raisons de mécontentement que vous m'avez données. Vous savez avec quel soin j'ai recherché votre amitié; que je n'ai épargné ni caresses, ni ce qui se peut appeler des avances, pour gagner votre cœur. Vous savez que j'ai fait pour votre établissement tout ce que mes facultés me permettaient de faire. Mais, malgré cette cordialité et tout ce que mes procédés ont eu de plus affectueux, je n'ai pu gagner votre amitié. Vous avez eu de la confiance en moi lorsque l'histoire177-a de vos amours vous obligeait à recourir à moi, comme le seul capable de vous satisfaire; mais dans aucune autre occasion vous ne m'avez témoigné la moindre confiance. Au contraire, je n'ai vu dans votre conduite qu'une froideur extrême; vous n'avez pas vécu avec moi comme avec un frère, mais comme avec un inconnu. J'ai enfin perdu la patience, et j'ai moulé ma conduite sur la vôtre. Comment pouvez-vous prétendre que mon amitié s'échauffe, lorsque la vôtre est froide à glacer? J'ai été d'autant plus sensible au peu de retour que vous me témoignez, que les liens du sang ne m'attachent pas plus à vous que ceux de l'inclination. Vous ne pouvez pas condamner ma conduite sans condamner la vôtre; c'est un miroir qui vous représente fidèlement l'image de vos extrêmes froideurs. Il ne dépend que de vous de les faire cesser, et pour vous montrer que je ne demande que votre amitié et votre confiance, je fais volontiers un pas en avant, et je vous envoie les plans que vous me demandez, vous assurant que, malgré votre réserve et l'extrême éloignement que vous me témoignez, je sens que je suis votre frère, et que vous avez infiniment plus de part à mon cœur que je n'en ai au vôtre.
<155>14. AU MÊME.
(1746.)
Mon cher frère,
Assurément je ne m'attendais pas à recevoir une lettre de vous; mais depuis six mois entiers que vous trouvez à propos de bouder avec moi, que vous vivez dans la même maison sans me voir et me parler que lorsque la bienséance vous empêche absolument de vous en dispenser, rien ne me doit plus surprendre. J'étais encore moins préparé au projet que vous formez. Je ne condamne point l'envie que vous avez de vous instruire; mais il me semble que le peu d'application que vous avez à notre militaire ne doit pas promettre de grandes espérances pour ce que vous feriez en campagne. D'ailleurs, le militaire étranger est si différent du nôtre, qu'il n'y a rien à apprendre pour vous, sans compter que, dans la situation présente de l'Europe, je ne puis vous envoyer à aucune des deux armées178-a sans marquer une prédilection qu'il ne me convient point de témoigner. A toutes ces raisons j'en pourrais ajouter une autre, qui est peut-être la plus forte : c'est que je sens toujours que je suis votre frère, malgré l'extrême tiédeur que vous me marquez, et que je ne crois pas que votre vie doive être prodiguée, si ce n'est pour le salut de la patrie. Je ne puis donc en aucun sens consentir au projet que vous avez formé; mais je vous prie cependant, si vous pouvez vous vaincre à ce point, de me rendre votre amitié; sinon, il faudra continuer à vivre avec vous comme le médecin Horch vit avec sa femme.
Je suis, mon cher frère, etc.
<156>15. AU MÊME.
(Juillet 1749.)
Monsieur,
J'ai trouvé à propos de mettre de la règle dans votre régiment,179-a à cause qu'il se perdait. Je ne vous suis pas comptable de mes actions. Si j'ai fait des changements, c'est qu'ils étaient à propos. Vous auriez besoin d'en faire beaucoup dans votre conduite; mais je compte de m'expliquer une autre fois sur cette matière. Voilà tout ce que j'ai à vous dire pour le présent. Je suis, monsieur mon frère, votre bon frère,
Federic.
16. AU MÊME.
(1749.)MON CHER FRÈRE,
Depuis les dernières marques de vivacité que vous m'avez données, j'agirais bien imprudemment, si je vous perdais de vue. Je vous avoue tout naturellement que je me suis proposé de ne vous point abandonner à vous-même avant que je ne vous voie un caractère fixe et assuré; c'est pourquoi, quand même je vous aurais donné le régiment de Kleist180-a (que le général Meyerinck avait reçu il y a deux mois passés), je l'aurais fait incessamment changer de garnison, et le dessein pour lequel vous le demandiez ne vous aurait pas réussi. Mais d'ailleurs est-ce à vous d'avoir si <157>mauvaise opinion du régiment que vous avez?180-b Ne voyez-vous point que j'y fais entrer nombre de gens du pays, et que, en le disciplinant encore dans la garnison, il deviendra tout aussi bon qu'un vieux régiment? Si vous aimiez véritablement le service, vous vous feriez un point d'honneur de le mettre sur ce pied; mais, à ce qu'il me paraît, vous ne vous servez du nom de militaire que de prétexte pour parvenir à vos petits desseins. Quant à la maison de Berlin que je fais bâtir,180-c elle ne sera pas faite sitôt, et vous n'y entrerez que dans le temps que vous pourrez en jouir sensément. Je crains fort que ma lettre ne vous fera monter la moutarde au nez; mais j'aime mieux vous dire les choses naturellement que de dissimuler avec vous. Je ne vous en aime pas moins pour cela; mais il ne faut plus que de pareilles scènes comme était la dernière arrivent, et si vous voulez que je prenne confiance en vous, il faut que je puisse être sûr et certain que vous savez vous conduire. Vous assurant que je suis avec tendresse, mon cher frère, etc.
17. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 28 juin 1752.
Mon très-cher frère,
Si quelque chose me reste à désirer après les bontés et grâces que vous avez eues pour moi, c'est de vous donner des preuves de ma reconnaissance.181-a Je souhaiterais que vous pussiez lire au fond de mon cœur; vous y verriez gravés les sentiments les plus tendres et respectueux. Tant que je vivrai, mes soins et mes désirs se borneront à me rendre digne de ces soins généreux que vous avez eus pour moi, et de vous marquer partout l'empresse<158>ment, la soumission et le respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.
18. AU PRINCE HENRI.
Le 2 (novembre 1753).
Mon cher frère,
Je suis charmé de vous voir penser si sagement sur vos propres intérêts. Il est sûr, mon cher frère, qu'une économie modérée, qui évite autant la prodigalité que la lésine, est une vertu nécessaire à tout homme, quelque riche qu'il soit, qui ne veut pas se déranger. La dot de la princesse vous est toujours sûre, et, dans un besoin que vous ni moi ne saurions prévoir aujourd'hui, et qui cependant se trouve dans la possibilité des événements, vous pourrez vous en servir, et cela vous sera alors d'autant plus agréable, que vous vous devrez cette ressource à vous-même. Vous recevrez une lettre de moi, par laquelle vous verrez que la compagnie de Roi est vacante dans votre régiment; j'attends à vous avoir parlé pour disposer de la compagnie, en vous assurant, mon cher frère, que je suis, etc.
19. AU MÊME.
Potsdam, 8 novembre 1753.
Mon très-cher frère,
J'ai été charmé de voir, par la lettre qu'il vous a plu me faire le 5 de ce mois, que vous avez été content des arrangements qui ont été faits pour vous faire avoir la dot de la princesse votre épouse en entier et sans aucun rabais; mais, par une affection <159>tout à fait fraternelle, je ne puis vous cacher que j'ai été un peu surpris de ce que vous en destinez une partie pour abolir quelques dettes. J'ai cru que comme depuis peu de temps elles ont toutes été payées, il ne vous en restait absolument plus. Si un conseil qui part de l'amitié très-sincère que j'ai toujours pour vous peut trouver lieu, vous garderez cette somme en entier, et tâcherez de régler votre maison de façon que vos revenus y puissent subvenir; car si vous touchez une fois à cet argent, dans peu de temps il sera évanoui, et vous ne saurez plus où il est resté. Si donc, mon cher frère, vous voulez suivre l'avis que mon affection pour vous a fait naître, vous tâcherez de placer cette somme pour en tirer parti, et éviterez de contracter de nouvelles dettes, comme cela est fort possible avec les revenus que vous avez. Je me flatte que vous voudrez bien déférer à un conseil qui ne part que de l'amitié et de l'affection avec laquelle je serai toujours, mon très-cher frère, etc.183-a
Vous irez à l'hôpital, mon cher frère, si vous continuez à manger votre bien et à faire des dettes. Dépense faite, j'ai calculé qu'il vous reste par an vingt-sept mille écus pour vos menus plaisirs. Cette somme, me semble, devrait vous satisfaire, et vous en pourriez payer toute dépense extraordinaire.183-b
20. AU MÊME.
Ce 1er (août 1755).
Mon cher frère,
Je vous suis fort obligé de la part que vous daignez prendre à ma maladresse. Je suis tombé de cheval,183-c aussi mauvais écuyer <160>que saint Paul,183-d mais je ne me suis pas encore converti de même. Il ne me reste de ma chute qu'une physionomie chiffonnée, et faite plutôt pour le carnaval que pour l'usage ordinaire de la vie. Je vous embrasse, en vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
Mille amitiés à madame.
21. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 25 juin 1756.
Mon très-cher frère,
En conséquence de vos ordres, je me rendrai à Potsdam vers le temps que vous me l'ordonnez, et je reçois avec reconnaissance l'avis que vous avez la grâce de me donner.
Je suis convaincu de votre prévoyance, et l'expérience me prouve que par elle vous parerez à tous les événements. Pardonnez-moi, mon très-cher frère, cette réflexion; je n'ai pas la présomption de vouloir pénétrer vos desseins, mais j'ose vous assurer que, quelles que soient vos vues, personne ne peut prendre un intérêt aussi vif à leur réussite que je le fais. C'est une suite du tendre attachement, du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.
<161>22. AU PRINCE HENRI.
Königsbrück, 19 (novembre 1757).
Mon cher frère,
Je vous remercie de toutes les bonnes nouvelles que vous me mandez de chez vous.185-a J'espère que vous communiquerez au prince Ferdinand les avis que vous avez reçus du duc de Richelieu.185-b Je souhaiterais de vous donner d'aussi bonnes nouvelles d'ici; mais malheureusement je suis obligé de vous dire qu'hier j'appris la nouvelle que Schweidnitz s'est rendu. Je ne saurais vous dire des détails, mais il n'y a eu ni brèche, ni rien. Vous savez ma façon de penser; ainsi vous jugerez de tout ce qui se passe dans ma tête, sans que j'aie besoin de m'expliquer là-dessus. Je ne me laisserai cependant point distraire de mon projet, et arrive ce qui pourra, je ferai tous les plus grands efforts pour remettre les choses. Vous avez très-bien fait d'endoctriner le sieur de Mailly;185-c je souhaite, plus que je ne l'espère, qu'il réussisse. Faites, je vous prie, faire mes compliments à Seydlitz,185-d et ayez les plus grands soins pour votre personne. N'oubliez rien de tout ce que je vous ai si souvent dit quand nous nous sommes entretenus de l'avenir; car soyez persuadé que vous ne me reverrez que victorieux.185-e Écrivez au maréchal Keith que nos gens <162>m'ont la mine d'aller à Görlitz. Voilà tout ce que j'y comprends jusqu'à présent; mais Finck186-a écrit que Loudon est revenu à Freyberg, ce dont je crois que le maréchal doit être instruit. Adieu, mon cher frère; je suis avec une parfaite et sincère amitié, etc.
On me mande de Dresde que la reine de Pologne était morte d'un catarrhe suffocatif. Cela ne nous fait ni froid ni chaud.
23. AU MÊME.
Parchwitz, 30 novembre 1757.
Mon très-cher frère,
Vous ne sauriez croire en quel état d'horreur et de confusion j'ai trouvé les affaires de ce pays-ci quand j'y suis entré. A mon arrivée, je vous faisais part des bruits qui couraient le pays d'une victoire complète que le prince de Bevern avait eue sur l'armée ennemie près de Breslau; quoique je n'eusse encore aucune nouvelle directe de ce prince, ces bruits n'étaient pas sans fondement. L'armée autrichienne avait attaqué le prince de Bevern dans son poste; les troupes s'étaient bien défendues; on avait repoussé à différentes fois l'ennemi avec une perte immense. Le général Zieten avait battu entièrement l'aile droite de l'ennemi sous les ordres de Nadasdy; l'aile gauche de l'ennemi tint de Baireuth, du 17 septembre 1757. Si l'on veut se faire une juste idée de la résolution que Frédéric avait formée de ne pas survivre à la ruine de sa patrie, il faut lire, dans notre t. XXV, p. 353 et suivantes, l'Instruction secrète pour le comte Finck de Finckenstein, Berlin, 10 janvier 1757. mieux. Celle de l'armée du prince de Bevern, sons les ordres de Lestwitz, plia; l'ennemi se replia sur Neumarkt, tandis qu'en même temps le prince de Bevern se retira, et passa, la nuit, avec toute l'armée <163>par Breslau et l'Oder, en sorte que l'ennemi, voyant le champ de bataille vide, prit la résolution d'y retourner et de s'attribuer une victoire qui était au prince de Bevern, s'il avait osé rester campé en deçà de Breslau et de l'Oder. Le 24, ce prince sort à quatre heures du matin, accompagné d'aucun officier ni escorte, mais d'un seul palefrenier, hors de son camp, pour aller reconnaître, à ce qu'il marque, au clair de la lune, la position de l'ennemi, qui n'était pas là, hormis quelques détachements de pandours sous les ordres du général Bekil Seyare, et vient à un des avant-postes de celui-ci, consistant d'un bas-officier et quelques Croates, qui le font prisonnier. Le général Kyau se charge du commandement de l'armée, marche, en abandonnant Breslau, où, par mon ordre, le général Lestwitz s'était jeté, qui trouva les désordres et les horreurs dans la ville au point qu'il la rend à l'ennemi sans coup férir, croyant avoir tout fait en faisant une capitulation pour en faire sortir la garnison à condition de ne plus servir durant cette guerre contre la reine de Hongrie.
Voilà, mon cher frère, un précis de la situation dans laquelle j'ai trouvé, après la perte de Schweidnitz, et en entrant dans ce pays-ci, les affaires. Tous ces malheurs ne m'ont point abattu. Je marche mon droit chemin vers ici, selon le plan que je m'étais formé. Je joindrai demain le corps d'armée ci-devant sous les ordres du prince de Bevern, à présent sous ceux du général Zieten; quand cela sera ensemble, cela composera une armée au delà de trente-six mille hommes combattants, avec laquelle j'irai droit à l'armée autrichienne pour la combattre, qui, après ses pertes au siége de Schweidnitz, qui vont au delà de huit mille hommes, et surtout par celle de la bataille susdite, qu'on compte au delà de vingt-quatre mille hommes, et après d'autres pertes considérables qu'elle a eues par une campagne extrêmement rude, ne doit plus être composée que de trente-neuf mille hommes. Si la fortune seconde mon entreprise, ce qu'il faut qu'il se déclare entre ci et le 6 de décembre, et à quelle fin je me munirai d'une grosse forte artillerie de Glogau, outre celle que j'ai avec moi et celle que Zieten m'amène, je reprendrai Breslau et Schweidnitz, et redresserai tout dans ce pays-ci; mais ce sera aussi tout ce que je pourrai faire pour finir une fois la campagne. Ayez la <164>bonté d'informer le maréchal de Keith de ce que dessus, afin qu'il puisse s'en orienter et prendre ses mesures.188-a
S'il plaît au ciel, tout se redressera, mais avec grand' peine.188-b
24. AU MÊME.
Parchwitz, 1er décembre 1757.
Mon cher frère,
Je m'en rapporte à mon chiffre pour ce qui regarde nos affaires. J'ajoute qu'aujourd'hui toute mon armée sera rassemblée et en ordre de bataille. Par ce que contiennent les listes, nous sommes trente-neuf mille hommes. Vous pouvez être sûr que l'ennemi a perdu, de son aveu, vingt-quatre mille hommes à la dernière bataille. J'ai tout lieu de bien augurer de ce que nous allons entreprendre;
............... Mais pour être approuvés,
De semblables desseins veulent être achevés.188-c
Attendez donc en patience ce que le sort en décidera.
Vous me parlez de ce commis des vivres; il faut l'échanger contre le Landrath Grävenitz, que les Français retiennent à Lünebourg, pour délivrer ce pauvre diable.
Vous pouvez bien croire que je suis extrêmement occupé ici; ainsi je ne vous en dis pas davantage, sinon que je me réjouis de votre convalescence, et que je vous prie de faire mes amitiés à Seydlitz, étant avec toute l'estime et la plus tendre amitié, mon cher frère, etc.
Je suis ici, depuis le 28, à attendre les autres; j'ai fait depuis <165>le 12, départ de Leipzig, quarante-deux milles d'Allemagne avec les troupes.
Vous avez très-bien fait par rapport à la réponse que vous avez faite aux états de la Priegnitz et de la Vieille-Marche, et il faut espérer que dans peu la marche des Hanovriens fera changer la face des affaires. Le corps de Bevern, sous les ordres du général Zieten, me joint aujourd'hui ici. Nous ferons demain jour de repos; le lendemain j'irai marcher droit à l'ennemi pour l'attaquer dans son poste derrière Lissa, ce qui se fera le 4 ou le 5, ou le 6 de ce mois. Nous l'attaquerons avec autant de vigueur que de prudence et de disposition, et je me flatte que, sous l'assistance du ciel, nous le battrons. Je me vois forcé de l'entreprendre, au risque de ce qui en pourra arriver. J'ai cependant bonne espérance que cela réussira à mon gré, quoique non pas sans peine ni hasard. Si la bataille sera à nous, je reprendrai incessamment Breslau, que le commandant a rendu sans coup férir à l'ennemi. Je tâcherai après de reprendre Schweidnitz. Voilà beaucoup de nouvelle besogne jusqu'au commencement de janvier, et, avant que de nettoyer la Silésie des ennemis qui l'infestent, il faut que tout cela aille bien et heureusement, après quoi les troupes ont un très-grand besoin de repos assuré189-a .....
25. AU MÊME.
Lissa, 5 décembre (1757).
Mon cher cœur, aujourd'hui, un mois du jour de votre gloire, j'ai été assez heureux de traiter les Autrichiens ici de même. Je crois que nous avons huit mille prisonniers, prodigieusement de canons et de drapeaux. Ferdinand se porte à merveille; point de général de tué. Notre perte en tout va à deux mille hommes. <166>J'ai attaqué à une heure avec ma droite, et il est sept heures que j'arrive ici. Demain je les poursuis à Breslau. J'ai tourné tout à fait leur aimée, en masquant ma marche et leur cachant mon mouvement. J'ai refusé ma gauche, et cela a réussi à merveille. Demain je marche à Breslau. Adieu, mon cœur; je vous embrasse.
26. DU PRINCE HENRI.
Leipzig, 10 décembre 1757.
Mon très-cher frère,
Vous avez vaincu, mon très-cher frère, les plus fiers ennemis que nous ayons. Vous pouvez juger de l'excès de ma joie; l'honneur des troupes, le bien de l'État et votre gloire, c'est à quoi je suis le plus intimement attaché. L'ancienne réputation de vos troupes reprend ses droits sur nos ennemis, et l'État, qui se trouvait dans une situation bien triste, peut tout espérer du succès que vous avez eu et de celui que, sans doute, vous aurez encore. J'espère apprendre bientôt que vous êtes entré à Breslau, et que la Silésie est entièrement délivrée de nos ennemis ....
27. AU PRINCE HENRI.
(Dürgoy) ce 18 (décembre 1757).
Mon cher frère,
Il serait inutile de vous dire toute la peine et les embarras que j'ai trouvés ici. Imaginez-vous que Breslau a une garnison de dix mille hommes bien portants, que j'ai été obligé de faire venir de l'artillerie, par des chemins horribles, de Brieg et de Neisse, que, malgré la gelée et les neiges, nous avons fait nos parallèles, <167>que nous les avons à trois cents pas du fossé, qu'ils nous ont démonté une batterie, et qu'enfin, sans beaucoup de constance, nous aurions manqué notre coup. Mais à présent nous avons une brèche, aujourd'hui trente-deux pièces en batterie, les sapes à cent cinquante pas du fossé, le feu de l'ennemi éteint, une sortie vigoureusement repoussée cette nuit. Le commandant a déjà demandé à capituler, et je crois que demain ou après-demain la chose sera sûrement faite, et réussira à notre honneur. L'ennemi a quitté la Silésie; il n'y a plus que Buccow et Pathay à chasser; Zieten et Fouqué sont à leurs trousses. Dès que Breslau sera rendu, je marcherai aux montagnes pour établir les quartiers, après quoi je compte prendre à Breslau un repos dont ma santé chancelante a grand besoin. Je n'ai eu que du chagrin et des angoisses depuis huit mois, et à force d'inquiétudes et d'agitations la machine s'use. Je vous remercie de tout mon cœur de la tendre part que vous prenez à ma situation. Mon page m'a assuré que vous êtes tout à fait rétabli. Si le prince Ferdinand chasse les Français du pays de Hanovre, et que tout se tranquillise de votre côté, j'espère de vous revoir dans ce pays, que je n'ose quitter à présent, ayant cent arrangements à y faire, et ne m'osant absenter, de crainte qu'on n'y fasse des sottises. Adieu, mon cher frère; je suis avec la plus haute estime et la plus parfaite amitié, etc.
28. AU MÊME.
Breslau, 22 décembre 1757.
Mon cher frère,
Comme je crois devoir satisfaire votre curiosité et le tendre intérêt que vous prenez à l'État et à la gloire de l'armée, je puis, à présent que je suis positivement instruit de tout, vous accuser au juste le détail de nos avantages. La perte de l'ennemi à la bataille consiste en six mille et quelques cents morts, enterrés par les paysans de Leuthen, de Lissa et de Gohlau; dix-huit mille <168>trois cent cinquante prisonniers, dont douze cents sont morts, depuis, de leurs blessures; cinq mille quatre cent cinquante de coupés, qui ont jeté leurs armes, et se sont sauvés en Pologne; cent vingt-trois canons, trois cent vingt-sept officiers, et à peu près seize cents hommes qui leur sont désertés sur la route de Trautenau. Total de leur perte : trente et un mille quatre cents. Nous avons pris dans la ville, selon le billet ci-joint,192-a sept cent quinze officiers; onze mille hommes portant les armes, consistant en quatre cent vingt cuirassiers et dragons, trois cents hussards, quatre mille trois cents Croates, Ogulins de la Save et Licaniens, et douze bataillons, cinq mille hommes, cinq mille blessés et malades; ce qui fait monter le total de leur perte à quarante-sept mille sept cent sept hommes. Nous avons pris ici douze drapeaux, qui font, avec ceux de la bataille, soixante-trois; cent soixante-dix artilleurs et dix-sept pièces de vingt-quatre, dix obusiers, six mortiers et huit pièces de trois livres qu'ils ont menés ici; leur caisse de guerre consistant en soixante-trois mille florins; et vingt-deux de nos canons, qu'ils avaient pris sur le prince de Bevern. Fouqué, qui nettoie les montagnes, leur a fait, à ce qu'il m'écrit, un grand nombre de prisonniers, entre autres, le général Schreyer des hussards. Demain nous marchons sur Liegnitz, qu'ils ont accommodé, et qu'ils évacueront ou que nous prendrons encore. Je les tiens bloqués par ma cavalerie. Il me sera impossible de prendre Schweidnitz, vu la rigueur de la saison; nous avons déjà tenté l'impossible pour réussir ici, ayant poussé nos sapes à cent pas du fossé, en travaillant dans la terre gelée d'un pied et couverte de quatre pouces de neige. Werner a chassé Simbschön de Neustadt, et leur a enlevé un petit magasin. En un mot, la fortune m'est revenue; mais envoyez-moi les meilleurs ciseaux que vous pourrez trouver, pour que je lui coupe les ailes. Ayez la bonté de communiquer toutes ces nouvelles au cher Seydlitz, qui, j'en suis sûr, y prend une part sincère. Ajoutez de ma part que je lui défends de sortir avant que ses plaies soient guéries, et qu'il ne doit point monter à cheval sans en avoir la permission de la Faculté.
Je suis malade de la colique depuis huit jours; je n'ai ni som<169>meil ni appétit; mais je supporte et maladies et fatigues gaîment, puisque, grâces au ciel, les affaires vont bien. J'ajoute à ma longue lettre des extraits de lettres d'officiers interceptées, par lesquelles vous jugerez que je ne fais point le fanfaron, et que tout ce que je vous écris est simple et conforme à la plus exacte vérité. J'ai oublié de vous parler de nos pertes; nous avons eu positivement neuf cent trente morts et trois mille neuf cents blessés à la bataille; le siége nous coûte les capitaines Schweinichen et Weyher de Charles, et trente hommes, les compagnies franches y comprises. Adieu, mon cher frère; j'espère que vous serez content de moi, et que je vous enrôlerai dans la bande des généraux audacieux et entreprenants, ce que je souhaite de tout mon cœur pour le bien de l'État, étant, etc.
Vous pouvez communiquer ces particularités au maréchal Keith, à ma sœur de Baireuth, et à qui vous le jugerez à propos. Il ne sera pas mauvais de les faire parvenir à vos officiers français, pour que cela passe en France par leur canal, et qu'on y apprenne la vérité.
29. AU MÊME.
(Breslau) 14 janvier 1758.
.... Mes deux nièces194-a sont arrivées ici; la joie qu'en a eue mon frère Ferdinand a pensé lui causer une récidive; il en prit hier des transports au cerveau. J'ai obligé ma nièce à faire la malade, et je viens de chez lui, et l'ai trouvé beaucoup mieux qu'hier. C'est le meilleur enfant du monde; jusque dans son délire, il a les rêves d'un honnête homme. J'ai ici le comte Finck, Knyp<170>hausen194-b et d'Argens;194-c je suis aise de pouvoir jouir, du moins pendant quelque temps, d'une société douce, pour perdre ce que cette terrible campagne pouvait avoir répandu de sauvage dans les mœurs ....
30. AU MÊME.
Breslau, 16 (janvier 1758).
.... Nous sommes ici très-tranquilles dans nos quartiers. Si vous pouviez lever cinq cents hussards,195-a ce serait un grand bien; mais comment les armerez-vous, et d'où prendrez-vous les officiers? En tout cas, ayez la bonté de m'envoyer l'état de ce que vous voulez lever, pour que je pourvoie au payement. Je me repose d'ailleurs si fort sur votre capacité, que je n'ai pas la moindre inquiétude pour votre besogne, vous donnant carte blanche de faire tout ce que vous croirez utile pour le bien de l'État. Adieu, mon cher frère; je suis avec une parfaite tendresse, etc.
Voici une lettre pour Baireuth.
31. AU MÊME.
(Breslau) ce 24 (janvier 1758).
.... Je vous rends mille grâces des choses obligeantes que vous me dites pour mon jour de naissance.195-b Si l'année dans laquelle <171>j'entre devait être aussi cruelle que celle qui est finie, je souhaite que cela soit la dernière de ma vie. Ma sœur Amélie est arrivée ici, ce qui m'a fait grand plaisir; elle aura la complaisance de rester une huitaine de jours ici. Mon frère Ferdinand est hors de cour et de procès, entièrement rétabli; il n'attend que le retour des forces. Voilà, mon cher frère, tout ce que pour le présent je puis vous mander d'ici. Je me recommande à la continuation de votre précieuse amitié, étant avec une très-haute estime et une parfaite tendresse, etc.
32. DU PRINCE HENRI.
Liebenbourg, 8 mars 1758.
.... Vous voulez, mon très-cher frère, me confier le commandement de l'armée en Saxe. Je m'estimerai heureux, si je puis remplir vos intentions. Si l'empressement suffisait, j'oserais me promettre des succès heureux. Au reste, j'attends que vous vouliez me faire connaître en quoi je puis satisfaire à la confiance que vous me témoignez.196-a Je vous supplie de m'accorder la permission de faire un tour à Berlin, afin de jeter un coup d'œil sur mes affaires domestiques. Je ne me servirai de cette permission que lorsque j'y pourrai aller avec sûreté et sans rien négliger. Je suis avec le plus profond respect et l'attachement le plus inviolable, mon très-cher frère, etc.
<172>33. AU PRINCE HENRI.
Grüssau, 5 (avril 1758).
.... Vous saurez sans doute que les Français ont abandonné Wésel. Quels coïons, mon cher frère! Revenez des préjugés favorables que vous aviez pour eux à Erfurt. Leurs officiers ont un jargon militaire qui en impose; mais ce sont des perroquets qui ont appris à siffler une marche, et qui n'en savent pas davantage. J'espère que vous en conviendrez à présent, et que vous voyez que tous les hommes, quels qu'ils soient, font des sottises, et que ceux qui valent le mieux font les moins grossières. Voilà, mon cher frère, le propre de l'humanité. La carrière de la sagesse est plus bornée que l'on ne pense; la perfection ne se trouve en aucun genre; l'on tourne alentour, on en approche, mais on ne l'atteint jamais. Vous me donnerez au diable avec ma morale; je ne saurais qu'y faire. Ce sont des vérités humiliantes pour l'humanité, qui n'en restent pas moins vraies, mais qui n'empêchent pas d'agir comme si nous étions parfaits. Adieu, mon cher frère; je vous embrasse. Ne m'oubliez pas, aimez-moi un peu, et soyez sûr de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
34. AU MÊME.
Camp de Prossnitz, 25 juin 1758.
J'ai reçu une très-triste et fâcheuse nouvelle de Berlin, la mort de mon frère, à laquelle je ne m'attendais aucunement. J'en suis d'autant plus affligé, que je l'ai toujours tendrement aimé, et que j'ai pris tous les chagrins qu'il m'a donnés comme une suite de sa faiblesse à suivre de mauvais conseils, et comme un effet de son tempérament colère, dont il n'était pas toujours le maître; et, faisant réflexion à son bon cœur et à ses autres bonnes qua<173>lités, j'ai supporté avec douceur beaucoup de choses, dans sa conduite, qui étaient très-irrégulières, et par lesquelles il a manqué à ce qu'il me devait. Je sais la tendresse que vous avez eue pour lui; j'espère que, après avoir donné à l'amitié et à la nature les premiers mouvements de votre douleur, vous ferez tous les efforts dont une âme forte est capable, non pas pour effacer de votre souvenir un frère dont l'empreinte doit sans cesse vivre dans votre cœur et le mien, mais pour modérer l'excès d'une affliction qui pourrait vous être funeste. Pensez, je vous prie, qu'en moins d'une année je viens de perdre une mère que j'adorais et un frère que j'ai toujours tendrement aimé; dans la situation critique où je me trouve, ne me causez pas de nouvelles afflictions par le mal que le chagrin vous pourrait faire, et usez de votre raison et de la philosophie comme des seuls remèdes pour nous rendre supportables les maux pour lesquels il n'y en a point. Pensez à l'État et à notre patrie, qui serait peut-être exposée aux plus grands malheurs, si, dans le cours de cette terrible guerre, nos neveux tombaient en tutelle; pensez enfin que tous les hommes sont mortels, et que nos liaisons les plus tendres, nos attachements les plus forts, ne nous garantissent pas de la loi commune qui est imposée à notre espèce, et que, après tout, notre vie est si courte, qu'elle ne nous laisse pas même le temps de nous affliger, et que, en pleurant les autres, nous pouvons croire sans nous tromper que dans peu on nous pleurera à notre tour.198-a Enfin, mon cher frère, je ne veux ni ne puis m'étendre sur le triste sujet de cette lettre; je crains pour vous, je vous souhaite longue vie et bonne santé, et je souhaite en même temps que la multitude de vos occupations et la gloire que vous acquerrez vous servent à vous distraire d'objets qui ne peuvent que vous percer le cœur, vous affliger et vous abattre, étant avec une parfaite tendresse et estime, etc.
<174>35. DU PRINCE HENRI.
Camp de Tschopa, 8 juillet 1758.
Mon très-cher frère,
Dans l'agitation où je me trouve depuis la mort de mon frère, il m'aurait été impossible de vous écrire sur un sujet qui me fait tant souffrir, si je n'avais reçu la lettre que vous avez daigné m'écrire le 25 du mois passé. Le sentiment qui m'anime est plus puissant que ma raison. Je n'ai devant mes yeux que le triste objet d'un frère que j'ai tendrement aimé, ses derniers jours, et sa mort. Quoique la vie soit remplie de disgrâces et de vicissitudes, et que je n'aie pas été exempt d'en souffrir, celle-ci cependant est la plus terrible et cruelle que j'éprouve. Si, durant le peu de temps que je dois passer à vivre, j'ai encore quelque bonheur à espérer, que ce soit celui de rendre la vie douce et heureuse à tous ceux à la satisfaction desquels je puis contribuer; comme ce bonheur dépend de vous, ainsi je vous le demande, comme l'unique consolation que je puis recevoir. Au reste j'avoue que, peu touché de mes intérêts, et sans être aucunement susceptible au plaisir que la vanité inspire, je ne suis que mon devoir et le peu de lumières que la nature m'a données en partage, pendant que j'occuperai l'emploi que vous m'avez confié. Si je m'égare avec ces guides, je serai malheureux, à la vérité, mais sans avoir de reproche à me faire. Je dois cependant vous assurer que je n'ai rien négligé à mes occupations, pendant que je suis navré de chagrin et de tristesse. Vous devez bien juger que, peu sensible au plaisir de vivre, les occasions pour perdre la vie ne me toucheront pas, et qu'ainsi mon affliction ne nuira pas à vos intérêts, et ne m'abattra point. Ceci ne m'empêche pas de trouver que ceux qui vivent le plus éloignés de la société des hommes sont plus heureux que les princes. Après cet exposé de ma triste situation, il ne me reste qu'à vous supplier de m'accorder toujours vos bontés, étant avec le plus respectueux attachement, mon très-cher frère, etc.
<175>36. DU MÊME.
Camp de Tschopa, 4 juillet 1758.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu par ma sœur Amélie la copie d'une Disposition200-a que feu mon frère a faite peu avant que de mourir. Elle m'envoie en même temps une lettre cachetée de mon frère, dans laquelle j'ai trouvé cette même Disposition, écrite de sa propre main, adressée à moi, et, au cas que je ne lui survécusse point, à mon frère Ferdinand. Je n'ignore pas que sans votre protection je n'ai aucun droit pour remplir les intentions de mon frère; je réclame donc votre assistance, afin de pouvoir satisfaire au dernier engagement que mon frère exige de moi. La bonté de son cœur, la tendresse pour ses enfants, et l'amitié envers sa famille, sont les principes par lesquels il a disposé de son bien; je regarde, pour moi, le devoir de lui satisfaire comme sacré; les sentiments que mon cœur a eus pour lui pendant sa vie, et que je lui conserverai éternellement après sa mort, sont les seuls que je consulte dans cette triste nécessité qui me force à me mêler de ses affaires domestiques. Je n'ai aucun doute que vous n'entriez dans des vues aussi équitables, et que vous voudrez bien me faire savoir vos intentions là-dessus.
Je suis avec le plus profond respect et l'attachement le plus inviolable, mon très-cher frère, etc.
<176>37. AU PRINCE HENRI.
(Opotschna) ce 19 (juillet 1758).
Mon cher frère,
Il est sûr que c'est se tromper très-fort que de vouloir trouver un bonheur parfait dans ce monde, ainsi que tout ce qui s'appelle perfection; vous devez donc vous y attendre aussi peu que tout autre mortel. Les malheurs de la vie ont tous des ressources, hors la mort des personnes qui nous sont chères. On vint dire à une femme spartiate que son fils avait été tué à la bataille de Marathon; elle répondit à celui qui lui apportait cette triste nouvelle : « J'ai su, en le mettant au monde, qu'il n'était pas immortel; »201-a et voilà ce que l'on doit penser en pareil cas, et, dans toutes les pertes que nous faisons, que nos affections s'attachent à des objets mortels, que nos biens ne sont qu'une jouissance précaire et incertaine, en un mot, qu'il n'y a rien de stable ni d'assuré dans cette vie. Mais, mon cher frère, après avoir fait ces réflexions, il ne faut pas devenir misanthrope. Tout homme qui vit en société doit tâcher de se rendre utile à cette société; principalement un prince comme vous doit penser qu il ne peut renoncer au monde qu'en le quittant tout à fait. Tout ce que je puis vous conseiller, c'est de faire tous les efforts sur vous pour vous distraire et détourner vos yeux d'un objet douloureux qui ne fera qu'aigrir vos peines sans vous soulager. Je sens la force des premières impressions; il n'est point de constance qui n'y succombe; mais, cela fait, il faut pourtant prendre le dessus sur soi-même. Vous avez perdu un frère; mais il vous reste toute une famille qui vous aime, et vous devez vous conserver pour elle. Faites donc, je vous prie, tout ce que vous pourrez imaginer de mieux, non pour vous consoler, mais pour vous étourdir. Je suis véritablement en peine pour vous, et je crains bien que ce chagrin n'altère vos jours, et ne ruine entièrement le peu de santé que vous avez. Je ne vous écris rien d'affaires, parce que mon gri<177>moire202-a en sera d'ailleurs assez rempli. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous savez de ma sœur de Baireuth; il y a longtemps que je n'ai pas de ses nouvelles. Je suis avec une parfaite tendresse, mon cher frère, etc.
38. AU MÊME.
Quartier d'Opotschna, 20 juillet 1758.
Mon cher frère,
Vous voyez que mes lettres changent selon les nouvelles qui me viennent. Ce que je vous mande, mon cher frère, doit être une opération de vitesse. Quant à nous, je crois que peut-être dans peu de jours nous aurons une affaire aux environs de Chlum. Je viens de recevoir encore des nouvelles de Berlin. Quelquefois mes affaires m'étourdissent sur nos malheurs communs; mais tout d'un coup, quand cela me revient à l'esprit, mon cœur saigne, et je deviens d'une mélancolie horrible. Chaque lettre de mes sœurs, la vue du régiment, tout me rend d'une sensibilité affreuse. Je suis avec cette estime que vous me connaissez, etc.
39. DU PRINCE HENRI.
Camp de Tschopa, 28 juillet 1758.
Mon très-cher frère,
J'attendrai l'hiver pour ensuite vous faire souvenir de la Disposition que feu mon frère a faite. Je n'ai aucun intérêt qui m'en <178>puisse faire souhaiter l'exécution; mais l'amitié et le devoir m'obligent à vous faire des instances à ce sujet, et je n'aurais aucun reproche à me faire lorsque je céderais à votre volonté.
J'ai gémi à l'occasion de la mésintelligence qui a été entre vous et mon frère. Le souvenir que vous m'en donnez aggrave mes peines; mais le respect et la douleur m'imposent le silence, de sorte que je ne puis rien répondre sur ce sujet. Ma sensibilité durera, tandis que mon frère repose à l'abri de l'infortune. S'il vivait encore, je retrancherais volontiers de mes jours pour effacer le nombre de ceux où vous avez été fâché contre lui. Mais il n'est plus temps. Je supporterai avec patience mon malheur. Cependant, si la constance peut rendre l'homme maître de ses actions, elle ne doit pas étouffer le sentiment; et tandis que l'on peut renoncer au bonheur et à l'agrément de la vie, on sent toujours qu'il est dur d'en être privé, et il n'y aurait d'ailleurs point de vertu à se passer des choses indifférentes.
Ma sœur de Baireuth a été à l'extrémité. Elle ne peut pas écrire. Je crains qu'elle ne relèvera pas de cette maladie. Elle ignore encore la mort de mon frère, et l'on appréhende avec raison que cette nouvelle fera évanouir le peu d'espérance que l'on a de son rétablissement.
Agréez que j'ajoute encore les sentiments de respect et d'attachement avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.
40. AU PRINCE HENRI.
Klenny, près de Skalitz, 3 août 1758.
Mon cher frère,
Nous avons assez d'ennemis étrangers sans vouloir nous déchirer dans notre famille. J'espère que vous rendez assez justice à mes sentiments pour ne me pas regarder comme un frère ou comme un parent dénaturé. Il s'agit à présent, mon cher frère, de conserver l'État, et de faire usage de tous les moyens imagi<179>nables pour nous défendre contre nos ennemis. Ce que vous me dites de ma sœur de Baireuth me fait trembler; c'est, après notre digne mère, ce que j'ai le plus tendrement chéri dans le monde; c'est une sœur qui a mon cœur et toute ma confiance, et dont le caractère ne pourrait être payé par toutes les couronnes de l'univers. J'ai, depuis ma tendre jeunesse, été élevé avec elle; ainsi vous pouvez compter qu'il règne entre nous deux ces liens indissolubles de la tendresse et de l'attachement pour la vie que toutes les autres liaisons et la disproportion de l'âge ne cimentent jamais. Veuille le ciel que je périsse avant elle, et que ce dernier coup ne m'ôte pas la vie sans que cependant je la perde réellement! Si je vous parlais, je vous dirais mille choses que je ne puis confier à la plume, pour vous informer en gros de ce qui se passe ici.205-a Vous saurez que, jusqu'à présent, je n'ai rien perdu, et que, vu les circonstances où je suis, les affaires de mon armée vont aussi bien que cela se peut. Vous direz que ce n'est pas le tout; j'en conviens.205-b Enfin, mon cher frère, voici un terrible temps d'épreuve pour notre pauvre famille et pour tout ce qui est prussien. Si cela dure, il faudra se munir d'un cœur d'acier pour y résister. Mais, malgré tout ce que je sens, je fais bonne mine à mauvais jeu, et je tâche, autant qu'il est en moi, de ne point décourager des gens qu'il faut mener avec l'espérance et une noble confiance en eux-mêmes. Je n'ose pas poursuivre les matières que j'entame, et, de crainte d'en trop dire, je me renferme dans les assurances de la tendre amitié et de la haute estime avec laquelle je suis, mon cher frère, etc.
Si vous le pouvez, je vous conjure de faire dire de ma part à ma chère sœur de Baireuth tout ce que l'amitié la plus vive et la plus tendre pourra vous inspirer.
<180>41. AU MÊME.
Grüssau, 10 août 1758.
Mon très-cher frère,
Je vous prie de me garder le secret le plus absolu sur tout ce que cette lettre comprend, qui n'est que pour votre direction seule.
Je marche demain contre les Russes. Comme les événements de la guerre peuvent produire toutes sortes d'accidents, et qu'il peut m'arriver facilement d'être tué, j'ai cru de mon devoir de vous mettre au fait de mes mesures, d'autant plus que vous êtes le tuteur de notre neveu, avec une autorité illimitée.
1o Si je suis tué, il faut sur-le-champ que toutes les armées prêtent le serment de fidélité à mon neveu.
2o Il faut continuer d'agir avec tant d'activité, que l'ennemi ne s'aperçoive d'aucun changement dans le commandement.
3o Voici le plan que j'ai actuellement : de battre les Russes à plate couture, s'il est possible; de renvoyer sur-le-champ Dohna contre les Suédois, et, pour moi, de retourner avec mon corps, soit contre la Lusace, si l'ennemi voulait pénétrer de ce côté-là, soit de rejoindre l'armée, et de détacher six ou sept mille hommes en Haute-Silésie, pour rechasser de Ville, qui l'infeste; pour vous, de vous laisser agir selon que l'occasion se présente, votre plus grande attention devant se porter sur les projets de l'ennemi, qu'il faut toujours déranger avant qu'il parvienne à les mettre à maturité.
Pour ce qui regarde les finances, je crois devoir vous informer que tous ces dérangements qui viennent d'arriver en dernier lieu, surtout ceux que je prévois encore, m'ont obligé d'accepter les subsides anglais, qui ne seront payables que dans le mois d'octobre.
Pour la politique, il est certain que si nous soutenons bien cette campagne, l'ennemi, las, fatigué et épuisé par la guerre, sera le premier à désirer la paix; je me flatte que l'on y parviendra pendant le cours de cet hiver. Voilà tout ce que je puis vous dire des affaires, en gros; quant au détail, ce sera à vous à vous <181>mettre incessamment au fait de tout; mais si, incontinent après ma mort, l'on montre de l'impatience et un désir trop violent pour la paix, ce sera le moyen de l'avoir mauvaise, et d'être obligé de recevoir la loi de ceux que nous aurons vaincus.
Je dois ajouter à tout ceci mon itinéraire, pour que vous sachiez où je serai, et en quel lieu vous pourrez me trouver. Le 13, je serai à Liegnitz; le 14, entre Lüben et Rauden; le 15, repos; le 16, vers Grünberg; le 17, à ce village que je vous ai écrit,207-a où je veux passer l'Oder; le 18, les ponts se feront; le 19, le passage; le 20, jonction avec Dohna; et du 20 au 25, j'espère d'engager une affaire entre Méseritz et Posen.
Voilà tout ce que je suis en état de vous dire jusqu'à présent. Vous serez incessamment informé du succès de cette opération.
Je suis, etc.207-b
42. AU MÊME.
(Plothow) ce 17 (août 1758).
Mon cher frère,
J'ai reçu une lettre de ma sœur, avec des nouvelles de sa santé qui ne mettent guère l'esprit en repos.208-a Vous pouvez juger de l'impression que tant d'appréhensions doivent jeter dans mon esprit. Enfin, mon cher frère, nous n'avons que des pertes à regretter et des pertes à craindre. Cela et les affaires qui me passent actuellement par les mains ne me mettent pas à mon aise, ni en état de faire la belle conversation. Mon frère Ferdinand a été assez mal, mais il est hors de tout danger. Quant aux affaires, je <182>vous renvoie à mon grimoire, vous priant d'être bien persuadé de la tendre amitié et de la considération avec laquelle je suis, etc.
J'ai oublié de vous dire que je n'ai pas pensé à faire revenir M. de Mailly; je lui écris même qu'il n'a qu'à rester chez lui. Pour ce qui regarde Mittrowsky,208-b il dépendra de vous de le relâcher sur sa parole.
43. AU MÊME.
Près de Tamsel, 25 (août 1758).
Mon cher frère,
J'ai tourné les Russes toute cette matinée; je les ai attaqués à neuf heures; nous sommes restés dans un feu épouvantable jusqu'à sept heures du soir. La bataille du poste de Quartschen fut gagnée à deux heures, après quoi nous avons été sur le point d'être battus totalement; et par trois succès différents, où je n'ai pas toujours trouvé tout le secours possible dans l'infanterie, je les ai battus. Je suis très-content de la cavalerie. Je ne sais ni la perte de l'ennemi, ni la mienne. Nous avons trois lieutenants-généraux. On me dit dans ce moment que Fermor s'est rendu; je ne l'assure pas. Pour les canons et le reste du détail, je me réserve à vous le faire quand je le saurai. Adieu, cher frère; je suis accablé; je vous embrasse de tout mon cœur.
<183>44. AU MÊME.
Tamsel, 30 août 1758.209-a
Mon très-cher frère,
J'ai bien reçu votre lettre du 27 de ce mois, et vous pouvez compter que les avantages qui nous reviennent de la victoire remportée sur les Russes sont encore beaucoup plus considérables que nous ne les avons crus d'abord. La bataille a été fort meurtrière pour l'ennemi, car on a trouvé au delà de vingt mille hommes de ses troupes étendus sur le champ de bataille. Nous avons six généraux de prisonniers, avec soixante-treize autres officiers, et au delà de deux mille soldats, sans compter cent trois pièces d'artillerie, vingt-quatre drapeaux et étendards, et une paire de timbales, qui nous sont tombés entre les mains. Vous ferez chanter le Te Deum dans votre armée en action de grâces de la journée de Zorndorf ....
J'espère de vous donner dans peu quelques nouvelles plus intéressantes.
45. AU MÊME.
Blumberg, 1er septembre 1758.
Mon cher frère,
Je ne m'étonne pas que le chasseur vous ait fait une description très-confuse de la bataille du 25; pour moi, j'ai eu peine à en concevoir tous les détails. Il s'y est passé tant de choses inouïes, qu'on doit avoir beaucoup de difficulté à combiner tant de différents faits. Vous serez informé de tout; mais ce qui est très-vrai et ce qui paraît incroyable, c'est que l'ennemi a eu vingt-six mille morts sur la place; que nous avons deux mille de ses prisonniers; qu'il traîne encore dix mille blessés avec lui; qu'il a <184>été, le jour de l'action, quatre-vingt mille hommes, et moi trente-sept mille; que huit mille hommes commandés par un Romanzoff et Soltykoff se sont retirés de Schwedt, Stargard et Soldin, avec Fermor, à Landsberg; que dans peu de jours il n'y aura plus de Russes dans le pays. Quant aux détails, j'ai la carte du lieu, je sais toutes les circonstances; mais des raisons que vous approuverez en temps et lieu m'empêchent de vous en faire tous les détails. Bref, les Autrichiens sont de tous nos ennemis ceux qui entendent le mieux la guerre, les Russes les plus féroces, et les Français les plus légers. Je ne saurais vous faire une idée de toutes les barbaries que ces infâmes commettent, et les cheveux m'en dressent à la tête; ils égorgent des femmes et des enfants, ils mutilent les membres des malheureux qu'ils attrapent; ils pillent, ils brûlent; enfin ce sont des horreurs qu'un cœur sensible ne supporte qu'avec la plus cruelle amertume. Si le terrain n'était pas aussi difficile dans ces contrées, j'aurais pu mettre une fin plus prompte à tant de calamités; mais les considérations qui m'arrêtent sont valables, et je me flatte que nos malheurs tirent à leur fin. Voilà, mon cher frère, tout ce que je puis vous dire à présent pour satisfaire votre curiosité. Ma cavalerie a fait des merveilles et des prodiges; mon infanterie que j'ai amenée de Silésie, de même. Je vous embrasse de tout mon cœur, vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
46. AU MÊME.
Elsterwerda, 8 septembre 1758.
Mon cher frère,
Vous voyez que nous n'avons pas tardé de vous secourir; cela n'aurait pas été cependant aussitôt, si les Russes ne se fussent retirés le 2. Je les ai encore suivis jusqu'à un petit mille de Landsberg, où j'ai laissé mon armée dans les forêts. Comme ce pays n'est pas propre pour la poursuite ni pour rien, j'ai laissé la <185>besogne des Russes à Dohna, et je suis accouru à votre secours. Dans sept jours nous avons fait vingt-quatre milles d'Allemagne, et nous sommes, je vous assure, en état de combattre et de bien combattre, pourvu que la grosse Excellence de Kolin veuille y prêter le collet. J'ai parlé sur mon passage à ma sœur Amélie, qui m'a chargé de vous faire mille amitiés; comme il est très-problématique, jusqu'à présent, si nous pourrons nous voir ou non, j'ai toutefois voulu m'acquitter de ma commission. Je vous embrasse, mon cher frère, bien tendrement, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse et estime, etc.
Voici une lettre pour le margrave de Baireuth.
47. AU MÊME.
Gross-Döbritz, 10 (septembre 1758).
Mon cher frère,
J'ai aujourd'hui reçu toutes vos lettres; mais les chasseurs, au lieu de prendre le chemin le plus court, ont pris de grands détours, ce qui me les a fait tenir plus tard. Veuille le ciel que Daun passe la rivière, et qu'il ait ordre de tenter quelque chose! Ce serait mon salut. J'envoie Wensen212-a à Dresde, pour que je trouve la munition qui me sera nécessaire. Il en faut beaucoup, parce que malheureusement nos coïons, dans le milieu de l'action, disent qu'ils n'ont point de poudre; ils la tirent mal à propos pour s'en défaire, de sorte que dans toutes les actions, à présent, j'ai un Pulverwagen213-a derrière chaque bataillon.
Vous me dites que votre terrain est trop étendu; occupez bien la première ligne, et si l'ennemi passe la rivière,213-b j'aurai soin de la seconde et de la réserve.
<186>Je dînerai demain chez vous, à Dresde, si vous le voulez bien. Je n'amènerai que Seydlitz avec moi, et si vous pouvez en sûreté vous absenter du camp pour deux heures, je vous prie de venir à Dresde, mais de prendre en même temps de si bonnes mesures, que vous soyez d'heure en heure informé des moindres mouvements des ennemis. Mon camp de toute l'armée sera demain à un quart de mille de Kaditz. Adieu, mon cher frère; je me réjouis véritablement de vous revoir, et vous prie d'être persuadé de la parfaite tendresse avec laquelle je suis, etc.
48. AU MÊME.
(Gross-)Döbritz, 10 septembre 1758.
Mon très-cher frère,
J'ai eu le plaisir de recevoir toutes vos lettres. Je marcherai demain vers Dresde à un mille de la ville, pour couvrir ma marche et empêcher que l'ennemi ne devine mon dessein. Je viendrai à midi à Dresde avec Seydlitz; si rien ne vous en empêche, venez-y aussi; nous pourrons dîner tous trois ensemble et, cela fait, aller et vaquer chacun de son côté à sa besogne. L'on s'explique mieux dans un quart d'heure de conversation que dans six pages d'écriture. Si vous avez un quartier à Dresde, j'y viendrai, et nous serons tous deux tout seuls. Je serai charmé de vous revoir, cela me fera un sensible plaisir; mais ne partez qu'à onze heures de votre camp. Adieu, cher frère.
<187>49. AU MÊME.
Ce 11 (12 septembre 1758).
.... Je vous rends mille grâces de l'agréable journée que vous m'avez fait passer hier. Excepté le moment où j'ai vu ma sœur Amélie, il ne m'est rien arrivé depuis six mois qui m'ait fait autant de plaisir. Ne doutez point, mon cher frère, de la tendre amitié et de la haute estime avec laquelle je suis jusqu'au tombeau, mon cher frère, etc.
50. AU MÊME.
(Schönfeld) ce 19 (septembre 1758).
.... Les Suédois ont eu une émeute dans leur armée; les Dalécarliens n'ont pas voulu attaquer un poste où il y avait de mes troupes. Hamilton les a voulu décimer, sur quoi beaucoup de régiments ont pris les armes; ils ont forcé les prisons, et sont parvenus à retirer et sauver les coupables. Depuis ce temps, il y a plus de douze de leurs officiers qui se sont entre-coupé la gorge. L'équité naturelle ne règne donc plus de nos temps que chez les Dalécarles, et ces gens, tout rustres qu'ils sont, font la leçon des procédés à l'Europe. Eh quoi! ces nations policées, ces peuples éclairés par la philosophie, ces hommes mous et efféminés sont plus durs, plus injustes et plus féroces que les barbares mêmes! Dans quel temps vivons-nous, mon cher frère! Les proscriptions des triumvirs, la guerre de trente ans n'a rien fourni de plus affreux, de plus cruel que la guerre que nous avons à soutenir. L'on force nos parents, que dis-je? notre propre sang215-a à se déclarer contre nous. La méchanceté de nos <188>ennemis est parvenue à son comble. Quand verrons-nous la fin de tant de perfidies, d'horreurs, de trahisons, de meurtres, d'embrasements, de dévastations et de cruautés? Mais je m'arrête là; il n'est pas temps de déplorer nos malheurs, il ne faut songer qu'à y apporter un prompt remède. Nous y ferons ce que nous pourrons, et, quoi qu'il arrive, ne doutez jamais des sentiments de tendresse et de haute estime avec lesquels je suis, mon cher frère, etc.
51. AU MÊME.
(Schönfeld) ce 20 (septembre 1758).
Mon très-cher frère,
Il suffit de ne nous être pas trompés dans notre projet pour déranger les subsistances de l'ennemi. Il faudra continuer sur ce plan, et à la longue cela mènera à quelque chose. La diversion des Turcs215-b est une espérance éloignée qui ne guérirait pas notre mal présent. Les lettres de Baireuth216-a me mettent au désespoir. Je suis bien malheureux depuis deux ans; il ne faut plus qu'une catastrophe là-bas pour m'achever de peindre. Il m'est impossible de vous en dire davantage; mon cœur est serré et trop attendri pour vous dire autre chose, sinon, mon cher frère, que je vous embrasse cordialement.
<189>52. AU MÊME.
(Schönfeld) ce 21 (septembre 1758).
Mon cher frère,
Nous nous sommes partagé l'Elbe; vous avez la rive gauche, moi la droite; il ne nous reste qu'à suivre notre projet. Vous ne pouvez pas tenter des choses impossibles; mais je m'en repose sur vous des faisables. Il n'y a rien de nouveau de ce côté.
Ne m'ôtez pas, je vous en conjure, l'espérance, qui est la seule ressource des malheureux. Pensez que je suis né et élevé avec ma sœur de Baireuth, que ces premiers attachements sont indissolubles, qu'entre nous jamais la plus vive tendresse n'a reçu la moindre altération, que nous avons des corps séparés, mais que nous n'avons qu'une âme.216-b Pensez que, après avoir essuyé tant d'espèces de malheurs capables de me dégoûter de la vie, il ne me reste plus que celui que j'appréhende pour me la rendre insupportable. Voilà, mon cher frère, le fond de mon cœur, et je ne vous peins qu'une partie des idées lugubres qui y règnent. Mes pensées sont si noires aujourd'hui, que vous ne trouverez pas mauvais que je les renferme dans moi-même. Vous assurant de la parfaite tendresse avec laquelle je suis, mon cher frère, etc.
53. AU MÊME.
(Rammenau) 1er octobre 1758.
Mon cher frère,
Vous faites à merveille de faire enlever des magasins à l'ennemi et de lui rendre la subsistance difficile. C'est à peu près tout ce que vous et moi pouvons faire dans les circonstances présentes. On dit qu'il y a une centaine de hussards sur nos frontières, du côté de Mittenwalde. Si vous pouviez envoyer quatre-vingts ou <190>cent hommes de ce côté-là, cela rétablirait toute la communication. Pour ce que vous me dites, mon cher frère, de ce que vous souffrez, je n'en doute pas un moment. Je l'éprouve par moi-même, et je vous assure que si ce n'était le point d'honneur, il y a longtemps que j'aurais exécuté ce que je vous ai souvent dit l'année passée.217-a Ce que l'on nous a écrit des mouvements des Turcs se confirme journellement par quantité d'avis différents; mais vous m'entendez. Enfin, Job et moi nous sommes obligés d'exercer notre patience;217-b en attendant, la vie s'écoule, et après avoir tout vu et tout considéré, ce n'a été qu'embarras, peines, soucis, afflictions. Était-ce la peine de naître? Adieu, mon cher frère. Je ne veux pas noircir davantage votre imagination, et je crois que vous l'avez assez triste, sans que mon chagrin se mêle au vôtre pour l'augmenter. Je vous embrasse cordialement, vous assurant de la tendresse infinie et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.
54. AU MÊME.
(Rammenau) 2 octobre 1758.
.... Je reçois, le ciel en soit loué! des lettres de Baireuth qui me rendent l'espérance. Voilà, mon cher frère, un rayon de soleil à travers un épais nuage. Je vous avoue que l'espérance me fait plaisir, et que si je n'y trouve pas une consolation parfaite, du moins je jouis de l'illusion tant qu'elle dure. Je suis avec bien de la tendresse, mon cher frère, etc.
<191>55. AU MÊME.
Bautzen, 8 (octobre 1758).
Mon cher frère,
Vous pouvez compter que Daun avec toute son armée est entre Hochkirch et Löbau; le prince de Durlach est du côté de Reichenbach, et Loudon à Hochkirch même; de sorte que vous n'avez plus rien à appréhender de ce côté-là. Vous n'avez que les cercles, que je vous abandonne. Le général de Ville s'est retiré du pays de Glatz sur Patschkau. Voilà toutes mes nouvelles. Le maréchal Keith me joindra demain, et après-demain je ferai ce que je pourrai pour resserrer l'ennemi et l'obliger à finir le plus tôt possible celte campagne. Daun a fait défendre sous peine des verges aux soldats de parler des Turcs. L'on assure qu'ils se renforcent à Belgrad. Ma santé, à laquelle vous daignez vous intéresser, va un peu mieux; mais il est bien difficile de se bien porter lorsque l'esprit sent du mal-être, et se trouve dans une agitation continuelle. Adieu, mon cher frère. Dès qu'il y aura quelque chose qui en vaudra la peine, je vous le manderai incontinent. Vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, etc.
56. AU MÊME.
(Rodewitz) ce 10 (octobre 1758).
Mon cher frère,
Si j'avais le don de prophétie, je vous expliquerais très-clairement tout ce qui se fait et se fera; mais je ne suis qu'un pauvre diable dont les idées sont bornées aux rapports de mes sens. Si j'ose hasarder mes conjectures, j'ose assurer d'avance que nos affaires iront bien, et qu'avec cinq ou six marches nous dérangerons tous les projets de Daun. Je fonde mon assurance sur la témérité qu'il a eue de mettre toute son armée en détachements. <192>Je vois en esprit que nous retournons à Dresde, et ce sera là probablement que la campagne cessera ....
57. AU MÊME.
Hochkirch, 11 (octobre 1758).
Mon cher frère,
Nous avons marché hier; on a fait cinquante prisonniers des cuirassiers autrichiens, et notre arrière-garde a pris un major, trois officiers et vingt hussards. Si Retzow avait exécuté mes ordres, et occupé en même temps cette montagne que nous avions garnie au Weissenberg l'année passée, il est incontestable que Daun était sur-le-champ obligé de décamper; mais comme je n'ai point été obéi dans cette occasion, je n'ai pu réussir comme je l'avais désiré. Cependant l'armée ennemie est à présent tout à fait séparée de celle des cercles, et le reste de la campagne s'écoulera à fourrager de part et d'autre la Lusace. Aujourd'hui le maréchal Keith me joindra, et je verrai de quel côté je pourrai tourner l'ennemi, sans cependant donner au hasard plus que la prudence ne me le permettra. Adieu, cher frère; je suis, etc.
58. AU MÊME.
Camp près de Bautzen, 14 octobre 1758.
Mon très-cher frère,
J'ai le chagrin de vous écrire que l'ennemi, m'ayant attaqué aujourd'hui de grand matin dans ces environs, j'ai été obligé de me retirer à une demi-lieue, sur Bautzen. Je vous mande ce que <193>dessus, pour que vous sachiez ma position actuelle, dans laquelle je tâcherai de me maintenir ici vis-à-vis de l'ennemi, et même de l'attaquer de nouveau, s'il y a moyen. Il faudra voir ce que vous pourrez me fournir en artillerie, et des munitions, s'il m'en faut. Je suis avec amitié et tendresse, etc.221-a
Le prince François de Brunswic et le maréchal Keith sont au nombre des morts; le prince Maurice d'Anhalt221-b est blessé.221-c
59. AU MÊME.
(Doberschütz) 15 octobre 1758.
Mon cher frère,
L'affaire d'hier n'aurait pas mal tourné, si j'avais eu huit bataillons de plus; mais le manque de troupes m'a forcé de me retirer. Ma grande perte consiste en canons; il en manque cinquante et un des gros. La cavalerie a très-bien fait son devoir. Retzow est survenu à propos pour nous couvrir la retraite. Je me suis campé ici, à trois quarts de mille de Hochkirch.221-d J'y tiendrai bon, et, s'il le faut, j'attaquerai l'ennemi. C'est, à la vérité, un grand malheur qui m'est arrivé; mais il faut le réparer avec fermeté et courage. Je ne doute pas que vous ne réussissiez à chasser Hadik, et que cela n'oblige les cercles à se retirer. Mon homme aura envoyé hier un courrier à Vienne, dont je crois qu'il faudra attendre le retour pour savoir comment se terminera cette campagne. Je crois que vous pouvez garder l'argenterie de Bamberg222-a jusqu'à la fin de la campagne, où nous <194>pourrons penser à notre aise à ce que nous avons à faire. Adieu, cher frère; plaignez les malheureux, et souvenez-vous de ce que je vous ai dit si souvent il y a une année. Je suis, etc.
60. AU MÊME.
Doberschütz, 15 octobre 1758.
Mon très-cher frère,
Je suis obligé de vous parler franchement; je me vois obligé de forcer la marche en Silésie, pour ne point voir perdre toute cette province. J'ai beaucoup des régiments découragés, sur lesquels je ne saurais pas trop me fier. Je vous prie, lorsque votre expédition de Freyberg sera achevée, de m'envoyer cinq ou six bataillons, mais point de Silésiens, avec une dizaine de canons de douze livres, que vous pourrez remplacer de Magdebourg. Dès que je verrai que je n'ai plus besoin de ces bataillons, je vous les renverrai. Si ce n'était pas la plus grande nécessité qui m'y oblige, je ne vous les demanderais pas. Je suis, etc.222-b
61. AU MÊME.
Jauernick, 4 (novembre 1758).
.... Mon pauvre Ferdinand a repris la fièvre chaude; j'en suis au désespoir; mais le nombre de nos malheurs émousse à la fin la sensibilité, et je crois que le ciel accablerait la terre, et que la terre s'affaisserait sous mes pieds, sans que j'y fisse attention. Adieu, cher frère; je vous embrasse bien tendrement.
<195>62. AU MÊME.
Schweidnitz, 9 novembre 1758.
.... Voilà de meilleures nouvelles du cher Ferdinand. Je me flatte à présent que nous n'avons rien à craindre pour lui. Voilà cinq jours que je n'ai pas eu une heure de repos. Je suis si fatigué, que je vous fais mille excuses de ne vous en pas dire davantage. Vous priant de me croire avec les sentiments de la plus parfaite tendresse, mon cher frère, etc.
63. AU MÊME.
Cottbus, 12 (décembre 1758).
Mon cher frère,
J'ai vu nos deux neveux à Torgau,224-a et je dois vous dire que j'ai trouvé l'aîné fort changé à son avantage, et le cadet charmant.
Je ne vous parle ni des chemins, ni des chevaux, mais certes cette traite ne fait pas un voyage de plaisir. J'ai oublié de vous dire, mon cher frère, qu'il serait bon de faire enlever le vieux Seckendorff; on pourrait le mener tout de suite à Magdebourg. C'est l'artisan de tous les projets dangereux de nos ennemis; il est actuellement à leur service, et si ce n'est autre chose, cela facilitera la rançon du prince Maurice.224-b Adieu, cher frère; je vous <196>embrasse. Je pars dans l'instant pour Sprottau. J ai été hier quatorze heures en chemin; je me prépare pour autant aujourd'hui; mais n'importe. Soyez persuadé de la parfaite estime avec laquelle je suis, etc.
64. AU MÊME.
Breslau, 18 décembre 1758.
.... Soyez sûr que tout se retire d'ici vers Prague; je ne puis vous rendre raison de ce mouvement, mais il en doit avoir une. Peut-être que si vous combinez cet avis avec les nouvelles que vous recevez de vos frontières, vous pourrez parvenir à découvrir le but de l'ennemi. Il se peut que ce soient des arrangements intérieurs; mais le plus sûr est de ne s'y point fier, et de suivie le bon père Canaye, qui dit : Vigilant, vigilant, mes frères.225-a
<197>65. AU MÊME.
Breslau, 11 janvier 1759.
Mon cher frère,
Je regrette beaucoup la perte de Mayr225-b dans son genre, puisque c'était un homme dont on aurait encore pu tirer un grand profit. Je ne sais comment le remplacer. Il y a un Colignon qui s'est offert; on peut l'essayer, mais pour trouver un homme aussi capable que le défunt, je crois qu'en fouillant trois armées on ne l'attraperait pas ....
66. AU MÊME.
Landeshut, 16 mai 1759.
Mon cher frère,
Je ne saurais qu'applaudir à vos succès,226-a qui sont une suite de votre prévoyance et des fautes que l'ennemi a faites. Vous voyez, mon cher frère, qu'avec de bonnes dispositions on surmonte bien des difficultés, et que peu d'entreprises sont impossibles dans le monde. Veuille le ciel couronner la fin de vos opérations, pour qu'elles répondent à ces beaux commencements! Autant que j'en puis juger dans l'éloignement où je suis, vous n'aurez point de bataille. Pourvu que vous ayez les magasins, peu importe que ces gueux tiennent ou s'enfuient; vous aurez toujours la gloire d'avoir jeté des fondements solides pour les succès de notre campagne. L'Europe apprendra à vous connaître non seulement comme un prince aimable, mais encore comme un homme qui sait conduire la guerre, et qui doit se faire respecter. C'est ce qui, malgré mes autres chagrins, ne laisse pas de me faire un <198>sensible plaisir, et ce qui était fort à désirer pour l'avantage de l'État, surtout pour celui des pauvres orphelins qui me sont confiés. Continuez, mon cher frère, comme vous avez commencé; vous ne pourrez pas accroître, à la vérité, l'estime et l'amitié que j'ai pour vous; cependant, si je n'étais qu'un simple citoyen, je voudrais vous témoigner ma reconnaissance des bons et éclatants services que vous rendez à la patrie. Je suis avec tous les sentiments du plus sincère attachement, mon cher frère, etc.
67. AU MÊME.
Müllrose, 6 août 1759.
Mon cher frère,
Je vois par votre lettre que tout reste tranquille de votre côté.227-a Il me semble que si de Ville se retire de Trautenau, vous n'aurez besoin que de laisser à Landeshut un corps proportionné à celui de Jahnus, qui sans doute y restera, et d'attirer à vous Fouqué avec quatorze bataillons et le régiment de Baireuth. Si de Ville veut marcher en Saxe, il faudra penser vers ce temps à s'opposer à lui, à Hadik et à l'armée de l'Empire; mais si Fouqué lui a pris beaucoup de tentes, cela donnera du temps, et nous aurons fini ici avant que ceux-là soient préparés. Wedell me joint aujourd'hui; je marche demain à Lebus et Wulkow. Les Russes sont tous de l'autre côté de l'Oder; cela allonge mon expédition, et retardera le moment décisif de quelques jours. Vous pouvez juger que je fais du mauvais sang pendant ce temps-là; mais il n'est pas question de moi dans tout ceci; il s'agit de l'État, et je le sauverai, ou j'y périrai. J'ai tout plein d'arrangements à faire; vous concevez quel train il faut pour rassembler, former les corps, les canons, le bagage, et mettre tout cela dans l'ordre convenable; j'aurai à travailler jusqu'à ce soir. Adieu, mon cher frère; daignez me continuer votre amitié, et soyez persuadé de <199>la tendresse et de tous les sentiments d'estime avec lesquels je suis, etc.
Vous aurez la bonté de faire faire un feu de réjouissance pour le gain de la bataille de Minden.
68. AU MÊME.
Lebus, 16 août 1759.
Nous sommes venus camper à Lebus. L'ennemi a fait des pertes considérables. La bataille228-a aurait été gagnée, si l'infanterie n'avait pas plié tout d'un coup. Le prince de Würtemberg et Seydlitz blessés, la cavalerie a disparu du champ de bataille. Nos chevaux de canon ont été tués, ce qui fait que nous en avons beaucoup perdu. Je fais revenir de l'artillerie de Berlin; enfin je fais l'impossible pour soutenir l'État chancelant. Nous n'avons pas au delà de deux mille cinq cents morts, mais au delà de dix mille blessés, dont sûrement six mille reviendront en peu de temps. Vous ne pouvez rien faire dans tout ceci. J'espère que le prince Ferdinand me délivrera de l'armée de l'Empire. Le moment que je vous annonçais notre malheur, tout paraissait désespéré;228-b ce n'est pas que le danger ne soit encore très-grand, mais comptez que tant que j'aurai les yeux ouverts, je soutiendrai l'État comme c'est mon devoir. Un étui que j'ai eu dans la poche m'a garanti la jambe d'un coup de cartouche qui a écrasé l'étui.229-a <200>Nous sommes tous déchirés; il n'y a presque personne qui n'ait deux ou trois coups de feu dans les habits ou dans le chapeau. Nous sacrifierions volontiers notre garde-robe, si ce n'était que cela. L'ennemi s'est un peu éloigné de Francfort, et campe dans les bois, entre l'Oder et le chemin de Reppen. Représentez-vous, dans celte cruelle crise, tout ce que souffre mon esprit, et vous jugerez facilement que le tourment des damnés n'en approche pas. Heureux les morts! ils sont à l'abri des chagrins et de toutes les inquiétudes.
69. AU MÊME.
Fürstenwalde, 24 août (1759).
Vous saurez l'échec qui nous est arrivé. Je suis ici, à Fürstenwalde. J'ai trente-trois mille hommes encore. Les Russes et Loudon campent de ce côté-ci de Francfort, et se sont retranchés sur les vignes. Hadik est à Müllrose; il a un détachement à Beeskow. Ils attendent que Daun les joigne pour marcher à Berlin. Si vous voyez que Daun marche à Guben, il faudra que par des marches forcées vous me joigniez par Beeskow, où j'enverrai un détachement pour vous faciliter le passage. Si Daun change de projet, et se tourne vers la Silésie, je pourrai lui rendre les vivres et les convois impraticables; mais, autant que j'en puis juger, il y a apparence que Daun, par vanité et pour avoir l'honneur de m'écraser, joindra les Russes à Francfort.
Vous aurez la bonté de donner cinquante ducats au porteur, et vous le garderez chez vous.
<201>70. AU MÊME.
Sophienthal, 24 octobre 1759.
.... Depuis que vous avez passé l'Elbe, mon cher frère, vous n'êtes plus le même; Finck230-a vous a rempli l'esprit d'idées noires. Je vous prie, pour l'amour de Dieu, de penser d'une façon différente et avec plus de nerf; car, si vous voulez que je vous parle franchement, je n'approuve point ce trou de Torgau, qui ne vous convient pas; tout cela ne souffle ni froid ni chaud. Je vous avertis encore d'une chose ....
71. AU MÊME.
Glogau, 2 novembre 1759.
.... Je déclare Gersdorff général-major, et je vous félicite des exploits qui vous couvrent de gloire.230-b Tout, mon cher frère, ne réussit jamais selon nos vœux, et, surtout dans la guerre, on remarque que la fortune s'attribue un empire que la prévoyance et la valeur ne sauraient lui arracher. Je commence à me remettre; je volerai à vous sur les ailes de l'amour de la patrie et du devoir; mais vous ne verrez arriver qu'un squelette rempli de bonne volonté. Mon âme fera aller mon corps cacochyme et faible; toutefois je ferai tout ce que le peu de forces que j'ai me permettront d'entreprendre. Vous recevrez encore une lettre avant mon arrivée. L'avant-garde de Hülsen est aujourd'hui à Spremberg; dans quatre jours il sera à une marche de Torgau. Je vous embrasse.
<202>72. AU MÊME.
Glogau, 5 novembre 1759.
.... Je partirai d'ici après-demain, et j'aime mieux me rendre estropié et boiteux à mon devoir que d'y manquer. Je me flatte de ne vous plus trouver à Torgau, mais d'être obligé de vous suivre. Vous pourrez désormais envoyer les courriers par la Lusace, où tout sera tranquille pour un temps, et où le grand corps avec lequel je marche imprimera de l'attention à l'ennemi. Je me souviens de Philippe II, auquel ses généraux écrivirent de ne point venir dans l'armée comme un bagage à charge, mais pour y être utile. Je mène au moins un renfort avec moi, pour que personne n'ait à se plaindre. Je vous embrasse de tout mon cœur.
73. AU MÊME.
Spremberg, 10 novembre 1759.
.... Après avoir tout bien examiné, mon cher frère, je trouve que je profite six bons milles en marchant sur Elsterwerda et Merschwitz, ce qui n'est pas une bagatelle pour un goutteux et pour des troupes harassées par de très-fortes marches. J'ai écrit à Torgau, pour que mes grenadiers, mon bagage, et tout ce qui tient à ma maison, me joignent à Elsterwerda. Si Daun ne court pas bien vite, de quoi je doute, je vous joindrai sûrement, le 14, quelque part entre Meissen et Wilsdruf, où je suppose que vous serez alors. Mon petit corps ne sera à charge à personne; nous avons du pain jusqu'au 21, et nous nous en pourvoirons encore jusqu'au 30 de ce mois. Je pars incessamment pour un village qui est entre Senftenberg et Ruhland; demain je serai de bonne heure à Elsterwerda. Ne trouvez-vous pas que j'arrive chez vous comme Pompée? Lucullus avait presque réduit Mithridate, lorsque l'autre arriva, et lui ravit l'honneur de cette expédition;232-a <203>mais je suis plus juste que cet orgueilleux Romain, et bien loin de rogner de votre réputation, je voudrais pouvoir accroître votre gloire et y contribuer moi-même.232-b Adieu, cher frère; je vous embrasse.
74. AU MÊME.
(Freyberg) ce 14 (décembre 1759).
Mon cher frère,
Je ne puis qu'approuver les mesures que vous avez prises; il faut soulager le soldat autant que cela dépend de nous. La neige est tombée ici en si grande abondance, qu'elle met des barrières insurmontables à l'acharnement cruel de cette guerre. Si cela continue, personne ne pourra avancer. J'ai des nouvelles si incertaines, que je n'ose pas vous les communiquer; cependant j'ose vous assurer qu'il sera impossible à l'ennemi de se maintenir en force en Saxe depuis la chute des neiges; la nécessité, plus forte que le conseil de guerre de Vienne, les obligera à quitter la partie. Il n'y a rien de plus simple que de s'impatienter dans la situation où nous nous trouvons; mais cela ne sert de rien, et il n'en faut pas moins avoir patience. J'attends votre réponse sur ma lettre de ce matin, et je suis, etc.233-a
<204>75. AU MÊME.
(Pretzschendorf) 1er janvier 1760.
Mon cher frère,
Je fais mille vœux pour votre prospérité, conservation et agrément, et je souhaite que l'année dans laquelle nous entrons soit à toute la nation plus favorable que la précédente.
L'ennemi a reçu hier un renfort d'infanterie et de cavalerie; il a actuellement vingt-huit bataillons et cinquante escadrons dans son poste. Il n'y a donc rien à faire, et nous allons retomber clans les plus cruels embarras. On prétend que Daun veut faire une campagne d'hiver; on dit que les cercles doivent retourner en Bohême. Si cela est, il les fera marcher du côté du Basberg et sur Tschopa, pour me débusquer de Freyberg; de là le corps de Hadik, joint aux cercles, tirera vers Leipzig, Beck vers Torgau, et la grosse masse de l'armée nous serrera par devant. Jugez de la fin de cette manœuvre, et quelle affreuse catastrophe se prépare. Les lettres de la France sont toutes favorables à la paix; mais il ne nous suffit pas qu'elle se fasse, il faut encore qu'elle soit prompte, ou c'est moutarde après dîner. Je me propose de consommer ici tous les fourrages des environs, et de me retirer ensuite à Freyberg; nos alliés s'en iront, et alors notre situation empirera considérablement. J'ai donné rendez-vous à la finance; j'irai un jour à Nossen, pour arranger ce que je pourrai pendant ce court espace, et établir le peu d'ordre dans les affaires qu'il me sera possible d'y mettre. Mon cœur est navré de chagrin, et ce qui me décourage le plus, c'est que je suis à bout de tous mes moyens, et que je ne trouve plus de ressources.
Je ne devrais pas vous attrister le jour du nouvel an, mais vous dérober ce tableau funeste, qui cependant est si présent à tous les yeux, qu'on ne saurait se le voiler. Enfin, mon cher frère, le passé, le présent et l'avenir me paraissent également affligeants, et je ne cesse de me répéter que, étant homme, il faut subir le sort des humains.235-a Je suis, etc.
<205>76. AU MÊME.
(Freyberg) 19 janvier 1760.
.... Mon neveu235-b viendra demain chez vous;235-c il est aimable au possible, et je ne doute point qu'il n'obtienne vos suffrages. C'est un caractère admirable, avec une raison de quarante ans, qu'on est étonné de trouver dans un aussi jeune homme ....
77. AU MÊME.
(Freyberg) 24 janvier 1760.
Mon cher frère,
Je vous remercie bien sincèrement des souhaits que vous me faites, et je suis très-persuadé que si mon sort dépendait de votre volonté, il serait heureux; mais, mon cher frère, je crains toujours que le hasard n'en ordonne autrement. J'ai une lettre de Vienne, interceptée par le prince Ferdinand, qui marque que Daun avait beaucoup de peine de subsister en Saxe, et qu'il se pourrait bien encore qu'il se retirât en Bohême; que l'on se flattait à Vienne du secours des Russes pour cette campagne, et que, par cette raison, on refuserait d'envoyer des ministres au congrès; que l'on tâcherait également de dissuader les Français de la paix. La lettre est du comte Choiseul au duc,236-a et il la finit en disant que s'il avait un conseil à donner à la France, ce serait de faire la paix, sans quoi elle aurait lieu de s'en repentir. Il y est dit encore que Daun ne commencerait ses opérations qu'après <206>les fontes des neiges. Ce que je vous ai marqué hier des Français n'est pas une nouvelle de gazette; ce sont des insinuations qui m'ont été faites, et dont j'ai profité avec chaleur pour porter l'Angleterre à l'accommodation proposée; j'y ai dépêché deux courriers de suite, et je me flatte, par les intelligences que j'ai là-bas, de réussir. Si cela arrive, ce sera un coup sanglant pour les Autrichiens, et nous sortirons d'affaire; sinon, ou il faut se pendre, ou périr l'épée à la main. Quel que soit mon sort, je conserverai jusqu'au dernier soupir pour vous la reconnaissance de toute l'amitié que vous m'avez témoignée et de tous les services que vous avez rendus à l'État. Si nous ne réussissons pas, si le grand nombre nous accable, nous aurons le sort d'un voyageur qu'une troupe de brigands assassine en chemin, et d'autres princes qui auront été aussi malheureux que nous. Enfin, mon cher frère, on ne saurait se donner plus de peine que je m'en donne pour reformer l'armée, pour arranger les finances et les magasins, et pour amener les esprits à la paix; et si je ne réussis pas, il faut l'attribuer à la fortune, qui depuis quelque temps a pris à tâche de persécuter ma vieillesse.
Tout est tranquille dans ces cantons. Je doute que Beck s'aventure fort loin dans cette saison; ce n'est pas un temps favorable aux opérations militaires; il poussera peut-être jusqu'à Bautzen, mais ce sera tout.
Je vous embrasse bien tendrement, en vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, mon cher frère, etc.
78. DU PRINCE HENRI.
Unckersdorf, 25 janvier 1760.
Mon très-cher frère,
Vous me témoignez bien gracieusement vos bontés par la lettre que vous avez daigné m'écrire hier. Je n'ai aucun droit pour les mériter que le sincère intérêt que je prends à votre situation; <207>c'est ce sentiment qui me porte à souhaiter qu'une guerre si pernicieuse finisse. L'espoir que vous me donnez à l'égard de la France me remplit du même contentement que cette espérance vous donne. J'avoue franchement, comme j'ai déjà eu l'honneur de le faire, que la plus grande honte, et de tous les malheurs le plus grand, serait la perte de l'État. L'importance du sujet ne me permet pas de dissimuler mes sentiments lorsque j'ai l'honneur de vous écrire, et j'aime mieux avoir trop de franchise que de voiler ce que j'entrevois sur cet objet, persuadé que tout homme qui vous est attaché pense à ce sujet comme moi. Tout est tranquille ici, et je n'ai rien de nouveau dont je puisse avoir l'honneur de vous entretenir.
Je suis, etc.
79. AU PRINCE HENRI.
Camp de Meissen, 24 mai 1760.
.... Si donc vous voulez bien faire réflexion aux manœuvres de M. Daun, vous conviendrez que voici déjà deux de ses plans de campagne de dérangés, sans qu'il y ait eu de mouvement de ma part, hors celui de votre marche en Silésie, et cela me fait espérer pour l'avenir.
Je pourrais vous appliquer, mon cher frère, ces vers de la Henriade :238-a
Et son nom, qui du trône est le plus ferme appui,
Semait encor la crainte, et combattait pour lui.
80. DU PRINCE HENRI.
Sagan, 27 mai 1760.
.... Aux deux vers que vous avez daigné m'adresser je prends la liberté de répliquer par deux que j'ai tirés d'une Épître sur la Gloire et l'Intérêt238-b qui vous sera connue :
Les frivoles faveurs que fait la renommée
Sont quelques grains d'encens qui s'en vont en fumée.
Je suis avec le plus respectueux attachement, etc.
81. AU PRINCE HENRI.
Gross-Döbritz, 26 juin 1760.
Mon cher frère,
Hier j'avais le cœur239-a déchiré par une239-a de passions, pour me trouver en état de vous écrire une lettre sensée; aujourd'hui que je viens un peu à moi-même, je vous communique mes réflexions. Après le malheur qui vient d'arriver à Fouqué,239-b sûrement Loudon ne peut avoir d'autre dessein que sur Breslau .... On voit dans tous ces événements un enchaînement de fatalités qui se suivent, et l'opiniâtreté de la fortune à me persécuter. Il me prend des impatiences de me pendre, comme aux amants de revoir leurs maîtresses absentes; mais il faut pousser le cinquième acte jusqu'au dénoûment. Vous n'avez rien à appréhender ni de Lacy, ni de Daun; je vous en tiendrai bon compte, et je vous communiquerai fidèlement de quoi il sera question.
<209>82. AU MÊME.
Gross-Döbritz, 29 juin 1760.
.... Je reconnais tout l'embarras où vous êtes dans la situation où les choses sont là-bas;239-c mais imaginez-vous toute l'étendue de l'embarras où je suis ici. Si je m'éloigne d'ici, j'expose le corps de Hülsen; si je reste, je ne saurais donner aucun secours à la Silésie, où tout ira sens dessus dessous. Ainsi je suis forcé de prendre un parti; autant que je m'en rompe la tête, il est difficile d'en prendre un qui soit bon. Voilà pourquoi je serai obligé d'agir au hasard; il ne me reste aucun autre moyen. On me donne des espérances au sujet d'un secours; mais je n'en vois aucun effet, et dans la situation pressante où je suis, il me faut de l'effet.
Je joins ci-clos les nouvelles ....
83. AU MÊME.
Quartier général de Grünau, 15 juillet 1760.
Mon très-cher frère,
Je viens de recevoir vos lettres du 5 et du 9 de ce mois. Vous demandez mon avis, si dans les circonstances présentes vous devez engager une bataille avec les Russes, ou non; sur quoi je ne saurais vous répondre autrement, sinon que, si les Russes viennent en deux corps, vous devez tâcher, sans balancer, d'en attaquer un, savoir, selon que les occasions convenables se présenteront, et, s'il est possible, quand il sera en marche; mais si <210>toute l'armée russe vient dans un seul corps, alors vous ferez mieux de prendre un bon camp et de vous poster devant eux, à peu près entre Crossen et Glogau, où il faut que l'armée ennemie passe, si elle veut marcher sur Glogau.
Quant à moi, ma situation ici est encore très-embarrassante; je viens d'avoir pris un bon parti en assiégeant Dresde; mais je vois que, d'un autre côté, il me faudra faire encore bien d'autres choses au delà. Selon mes derniers avis, Daun est aux frontières de la Silésie, près de Bunzlau, et Loudon en marche pour se joindre avec les Russes aux environs de Glogau. Si je pousse Lacy et l'armée de l'Empire, ils se laisseront mener jusqu'à Prague, ce qui ne me conduirait à rien; si je suis Daun en Silésie, cela ne me mènerait encore à rien, ou à très-peu de chose; si je puis prendre le parti, après avoir pris Dresde, de marcher pour me joindre à vous, afin d'aller conjointement contre les Russes, ce serait un des meilleurs partis. Mais il faut qu'alors j'abandonne la Saxe, en laissant derrière moi une armée ennemie de trente mille hommes, qui reprendra Dresde, s'emparera de Torgau et de Wittenberg, avec ce que j'ai de magasins, et ira tout droit à Berlin. Me voilà ainsi dans le plus grand embarras du monde où jamais l'on saurait être. Je crois donc que le seul parti qui me reste à choisir, après avoir fait avec Dresde, c'est241-a de marcher vers Zittau et sur Trautenau, pour couper par là Daun de ses magasins et de toute communication avec la Bohême, ce qui l'obligerait d'abandonner la Silésie pour revenir en Bohême. J'avoue que mon embarras est grand; tous les partis que je saurais prendre sont sujets à de grands inconvénients, entre lesquels il n'en est point un des moindres de marcher avec tous mes bagages, et de mener avec moi les magasins pour ma subsistance. Mais comme il faut que je prenne absolument mon parti, il ne me reste que de prendre, entre tous les partis mal assurés, celui qui est le moins mal assuré.
Le temps n'a pas voulu permettre encore que toutes les lettres chiffrées que j'ai reçues aujourd'hui de la Silésie soient déjà déchiffrées. Je les lirai demain, et songerai alors sur le parti que je dois prendre, et qui me paraîtra le moins incertain et le moins <211>mal assuré. Dès que je me serai déterminé là-dessus, je ne manquerai pas de vous l'écrire. Je suis, etc.
84. AU MÊME.
Quartier général de Leubnitz, 23 juillet 1760.
Mon très-cher frère,
J'ai bien reçu votre lettre du 20 de ce mois. Plût à Dieu que les vœux que vous faites pour la prompte réduction de Dresde auraient été exaucés! Mais il faut malheureusement que je vous dise que ce coup m'a manqué.242-a Je vous dirai selon la plus exacte vérité ce qui en a été la cause, savoir, qu'en premier lieu mon artillerie m'y a mal secondé, et qu'en second lieu mon artillerie de siége m'arriva trop tard de Torgau, par la nonchalance et les mauvaises dispositions qu'avaient faites ceux à qui j'avais donné la commission pour son transport, de sorte que cette artillerie ne m'arriva que trois jours après que je me fus rendu maître de la Pirnaische Vorstadt. Là-dessus Daun s'est retourné avec toute son armée, qu'il a fortifiée encore de quelques détachements des corps de Loudon et de Beck; ce qui m'obligea de retirer mes postes du Weissen Hirsch et des Fischhäuser,242-b et par conséquent aussi le corps sous les ordres du prince de Holstein, qui campait à Nauendorf. Je n'ai pas eu assez de troupes pour me soutenir des deux côtés de la rivière contre un ennemi voisin et trop supérieur en nombre; ainsi j'ai mieux aimé de retirer de bonne grâce mes détachements que de hasarder d'être battu en détail. Voilà ce qui a été la cause que Daun est devenu maître de la ville de Dresde au delà de l'Elbe. Hier matin, encore avant le lever du soleil, il a voulu attaquer notre poste dans la Pirnaische <212>Vorstadt; mais j'ai retiré mon artillerie de siége et presque tous mes canons des différents postes susdits que nous avions occupés. L'ennemi sortit de la ville avec seize bataillons; si les dispositions que j'avais faites à ce sujet avaient été exécutées, l'ennemi aurait bien perdu quatre mille jusqu'à cinq mille hommes; nonobstant cela il a été vivement repoussé et culbuté dans la ville, et nous lui avons pris le général Nugent, quelques officiers, et jusqu'à deux cents hommes prisonniers, en sorte que cette affaire lui a coûté au delà de mille hommes. Mais comme Daun a fait construire deux ponts de bateaux sur l'Elbe, et qu'il a campé son armée auprès de ce qu'on dit les Scheunen, il n'a pas été praticable que j'eusse pu continuer le siége. D'ailleurs, toute ma munition de l'artillerie de siége a été consommée jusqu'à six cents coups encore.
Lacy campe avec son corps de Gross-Sedlitz jusqu'à Dohna, le défilé devant soi, l'armée de l'Empire derrière Maxen. Vous verrez par là qu'il m'est impossible d'entreprendre quelque chose contre l'ennemi. De l'Altstadt Dresde, jusqu'à la troisième partie en a été réduite en cendres contre mon intention et ordres, qui étaient de ménager la ville, mais de faire jouer l'artillerie contre les ouvrages de fortification. Je ne doute pas que mon ministre comte de Finckenstein, que j'ai fait informer des circonstances qui ont occasionné cet incendie, ne vous en aura fait communication.
Quant à vos arrangements, dont votre lettre m'instruit, je ne saurais que les applaudir parfaitement et approuver absolument vos idées. Selon mes lettres du 9 de ce mois, le terme de l'ouverture de la campagne des Russes ne doit être qu'au 27, ce que vous saurez mieux et avec plus d'exactitude que moi ici.
Contre les Russes il ne vous faudra que des camps forts et bons; au cas que vous ne trouviez pas de votre convenance de les attaquer vous-même, ils ne vous attaqueront pas, ce dont vous sauriez être presque tout à fait assuré; mais si vous croyez en quelque façon de réussir contre Loudon ou contre Beck, je ne saurais que de le bien approuver. Dans le cas que vous ayez du succès en Silésie, vous aurez alors, le cas l'exigeant, la liberté (et je vous autorise par la présente à cela) de vous faire joindre <213>d'une partie des garnisons des forteresses qui seront alors le moins exposées, pour en fortifier votre infanterie, soit de Neisse, soit de Schweidnitz, soit de Breslau, selon que les circonstances le permettront. Je vous communique à la suite de celle-ci une relation que je viens de recevoir de Cottbus; vous en verrez qu'avant que Daun ait marché vers la Silésie, Loudon, affaibli par toutes les pertes en hommes qu'il a essuyées, n'a eu, tout compté, que trente mille hommes à peu près. A présent que Daun en a beaucoup retiré, je crois qu'en décomptant les troupes absentes, que Loudon a envoyées vers Glatz et en d'autres contrées de la Silésie, il ne pourra vous opposer au delà de quinze mille hommes. Vous ferez réflexion encore sur ce qui vous conviendra le plus, ou d'agir contre Loudon avant le temps que les Russes sauraient avancer, ou de choisir mieux votre moment et temps à cela, ou au temps où les Russes commenceront à se mettre en marche pour lui approcher.
Il y a quarante canons à Breslau, pièces de campagne, dont vous pourrez disposer selon le besoin. Nous nous attendons ici à de petits combats; peut-être cela en viendra-t-il à quelque chose de plus. Adieu, cher frère; je fais la vedette ici de trois côtés.244-a
85. AU MÊME.
Quartier général de Leubnitz,
25 juillet 1760.
Mon très-cher frère,
Par la lettre du 22 de ce mois que je viens de recevoir de vous, je vois que nos embarras s'augmentent d'un jour à l'autre. Je ne saurais vous écrire rien de positif sur ce que vous aurez à faire; mais je crois que peut-être vous saurez vous avancer jusqu'à Karge, où vous ne serez pas aussi éloigné, et plus à portée <214>de la Silésie. En attendant, ne prenez point cela comme un ordre de ma part, car, encore une fois, je ne saurais rien vous prescrire en ceci, et ne saurais pas même savoir ce qui s'est passé dans vos contrées pendant l'intervalle du temps que ma lettre passe à vous parvenir. Ici je puis envisager mon projet sur Dresde autant que tout à fait manqué. Je n'ai rien à appréhender pour une bataille qu'on me livrera. Vous connaissez Daun, qui n'aime pas de donner des batailles du jour au lendemain; tout au contraire, pour l'y porter, il faut qu'on se serve de bien de l'industrie et des détours. Mon projet principal à présent est de repasser à l'autre rive de l'Elbe, et de voir alors où et comment je pourrai marcher vers la Silésie.245-a Il est bientôt dit de repasser l'Elbe : mais vous pourrez à peine vous représenter, mon cher frère, à combien de difficultés cela sera sujet; aussi serai-je obligé de me servir de beaucoup de ruses pour y parvenir de bonne manière. Un autre embarras que j'aurai alors, et ce qui me donnera bien des inquiétudes, ce sera par rapport à la Marche de Brandebourg; nonobstant cela, je serai obligé de prendre ma résolution, et comme la Silésie est actuellement la province la plus exposée, le plus pressé pour moi sera de penser à sa défense. Vous aurez la bonté de communiquer cela au ministre de Schlabrendorff,246-a quoique sous le sceau du dernier secret, et que je tâcherai d'y venir du côté de Haynau, ou autour de Jauer, ou aux environs, selon les circonstances qui se présenteront alors; pour le temps quand je pourrai proprement exécuter cela, vous vous représentez bien que je ne le saurais pas fixer. Le pas le plus difficile à faire, ce sera de repasser l'Elbe; tout le reste ira facilement. Dans la situation où nous nous trouvons, moi et vous, mon cher frère, il faut indispensablement que les choses parviennent à une affaire décisive, soit de votre, soit de ma part. Nous ne saurions absolument plus éviter de combattre, ce que je vous prie de vous imprimer en tête, et qu'il est d'une nécessité absolue que les <215>choses parviennent à quelque affaire décisive; sinon, nous sécherons sur pied, nous nous consumerons nous-mêmes, et à la fin les choses empireront bien au delà de ce qu'elles sont à présent. Ainsi tenons-nous cela pour dit, et n'évitons pas les occasions propres à nous y conduire; en temporisant, nous risquons notre perte certaine. J'aurais pris pour une faveur de la fortune si j'avais pu mener ici les choses à une bataille avec Daun. J'aurais eu au moins le corps de Hülsen avec moi, qu'il me faudra quitter à présent, pour le laisser ici. Mais imprimez-vous bien qu'il faudra que je combatte avec Daun, soit au passage de l'Elbe, soit quand je voudrai entrer en Silésie. Soyez assuré que cela ne saura pas se démêler sans ceci, et je me rendrais responsable devant tout le monde honnête, si je voulais rester ici les bras croisés, tandis que tous mes États sont exposés aux plus éminents périls. Je suis avec toute la considération la plus distinguée et avec bien de l'attachement, etc.
86. DU PRINCE HENRI.
Lissa, 5 août 1760.
Mon très-cher frère,
Breslau est délivré pour ce moment. Loudon s'est retiré avec précipitation sur Canth et Zobten, après avoir bombardé et réduit une partie de la ville, particulièrement votre palais, en cendres. J'ai eu le bonheur que l'ennemi a abandonné le camp de Parchwitz, retranché comme une forteresse, et où247-a un corps aurait pu se défendre, mais qui était préparé pour les Russes. Je passerai l'Oder vraisemblablement demain. Je dépends des nouvelles que je reçois, ayant deux armées entre lesquelles je me trouve. Si j'ai du bonheur dans cette situation, et si l'ennemi, pour le coup, ne profite pas de sa supériorité, j'en serai très-fort étonné. J'ai fait tout ce qui m'a été humainement possible; nous <216>avons fait force de marches, et Loudon a été surpris; sans quoi il aurait pris le camp de Parchwitz, où je défie de passer ensuite à qui que ce soit. Mais j'avoue que si j'avais prévu les difficultés que je trouve dans cette campagne, et celles que je prévois encore, je vous aurais prié de me dispenser d'un emploi que je regarde quasi comme impossible à remplir.
87. AU PRINCE HENRI.
Camp de Hohendorf sur la Katzbach. 9 août 1760.
Il n'est pas difficile, mon cher frère, de trouver des gens qui servent l'État dans les temps aisés et fortunés; de bons citoyens sont ceux qui servent l'État dans un temps de crise et de malheur. La réputation solide s'établit à exécuter des choses difficiles; plus elles le sont, et plus elles honorent. Je ne crois donc pas que ce soit votre sérieux, ce que vous m'écrivez. Il est sûr que ni vous ni moi ne saurions être responsables des événements dans la situation présente; mais dès que nous avons fait tout ce que nous pouvons, notre propre conscience et le public nous rendra justice.
Quant à la position présente de mes affaires, vous saurez que j'ai occupé Liegnitz comme un poste; je suis marché aujourd'hui sur Goldberg, et en même temps que Daun, Loudon y est aussi venu de Reichenberg, et Beck après sa retraite de Bunzlau. Selon toutes les apparences, ces affaires ici se décideront en peu de jours; nous combattrons pour l'honneur et pour la patrie; tout le monde fera l'impossible pour réussir. La supériorité du nombre ne m'effraye point; mais, malgré toutes ces circonstances, je ne réponds pas de l'événement. Si Daun ne fait aucun mouvement demain, je marcherai du côté de Jauer, et franchirai le chemin de Schweidnitz, pour en tirer mes pains et mes vivres.248-a J'ai <217>tout lieu de présumer que nous les battions avant que cela arrive. Si nous sommes heureux, vous l'apprendrez bien vite; si les choses tournent mal, vous ne le saurez que trop tôt. Vous avez très-bien fait de donner de grosses récompenses à Werner. Si votre argent est fini, vous n'avez qu'à demander vingt mille écus en mon nom au ministre de Schlabrendorff, et de lui dire en même temps que c'est ma volonté. Je souhaite que vous soyez dans peu obligé d'en demander. Publiez là-bas que je vous envoie un corps de dix mille hommes. Demain je ferai courir des bruits que vous me fournirez tout autant. Adieu, mon très-cher frère.
88. DU PRINCE HENRI.
Strenz, 25 août 1760.
.... Voilà, mon très-cher frère, ce que je puis vous dire à l'égard de l'armée. Je suis très-mortifié de vous parler ensuite de mon sujet, et de vous dire que j'ai fait tous mes efforts pour me soutenir jusqu'ici pendant la campagne; ce que j'ai souffert par la grande faiblesse des nerfs, par les douleurs de rhumatisme, n'est pas concevable. J'ai eu ensuite des fièvres éphémères, et, ces derniers jours-ci, je me suis traîné à peine. C'est un misérable sujet de vous entretenir de moi après les affaires si importantes qui vous occupent; mais c'est que je me trouve réduit à vous en parler, ne pouvant plus résister à tant de maux. Je compte d'aller à Breslau,249-a où je ne désespère pas de me remettre, peut-être dans <218>peu, et de vous donner encore des preuves de l'attachement et de la tendresse respectueuse avec lesquels je suis, etc.
89. AU PRINCE HENRI.
Bunzelwitz, 7 octobre 1760.
Mon cher frère,
Pour vous répondre à la lettre que je viens de recevoir de vous, il faut bien que je vous dise que, vu ma situation, vaincre ou mourir est ma devise; tous les autres partis sont bons dans les autres occasions, mais non pas dans celle-ci. Je ne sais pas précisément de quel côté nous irons; les circonstances décideront de nos marches et de nos entreprises. Lacy est en Lusace, Daun y marche; peut-être qu'il se passera quelque chose dans ces contrées. Je suis si occupé des affaires dans ce moment, qu'il m'est impossible de pouvoir vous en dire davantage. Soyez assuré, je vous en prie, de la sincérité des sentiments d'amitié et d'estime avec lesquels je suis à jamais, etc.
90. AU MÊME.
Torgau, 4 novembre 1760.
Mon très-cher frère,
Je puis avoir la satisfaction de vous mander que le maréchal Daun, après s'être fait joindre par le général Lacy, a enfin tenu ferme près de Torgau. Je suis marché à lui par Eilenbourg, pour l'attaquer. Je trouvai l'armée autrichienne, sa droite s'étendant vers Grosswig, sa gauche du côté de Zinna, et son infanterie occupant des hauteurs fort avantageuses le long du chemin <219>qui mène à Leipzig. J'attaquai l'ennemi le 3 de ce mois dans cette position. Le combat a été rude et opiniâtre. Il commença à deux heures, et ne finit qu'à neuf heures et un quart du soir. L'armée ennemie profita de la nuit pour passer sur trois ponts qu'elle avait, vers Torgau, sur l'Elbe, et s'est retirée du côté de Dresde. L'obscurité de la nuit nous a empêchés de nous procurer de plus grands avantages sur l'ennemi, qui a perdu par cette bataille au delà de vingt et jusqu'à vingt-cinq mille hommes en morts, blessés, pris et égarés. Nous avons fait prisonniers de guerre à l'ennemi quatre généraux, passé deux cents officiers, et au delà de sept mille soldats. On nous amène encore de moment à autre des prisonniers de guerre. L'ennemi a laissé entre nos mains quarante canons et une trentaine de drapeaux. Le maréchal Daun se trouve au nombre des blessés avec d'autres généraux autrichiens. Le général Ried et le général Walther de l'artillerie doivent être au nombre des morts.
Voilà, mon cher frère, tout le détail que je saurais vous marquer jusqu'à présent de cette affaire. Je suis, comme vous le jugez, fort occupé présentement. Je m'en rapporte donc à la relation détaillée que j'en ferai publier, et que j'aurai soin de vous faire parvenir en peu.251-a Nous n'avons aucun général des nôtres de mort. Les lieutenants-généraux de Bülow et le comte de Finckenstein ont été faits prisonniers de guerre. Je suis persuadé de la part sensible que vous prenez à l'avantage considérable que nous avons remporté sur l'ennemi, et je suis, etc.
91. AU MÊME.
Meissen, 12 novembre 1760.
Mon très-cher frère,
Je viens de recevoir la lettre que vous m'avez faite du 8 de ce mois. Attaché comme je vous connais à mes intérêts, ainsi qu'à <220>ceux de l'État, je suis parfaitement persuadé de la part sincère que vous prenez à l'avantage considérable que j'ai remporté en dernier lieu sur la grande armée des Autrichiens sous Daun. Il est vrai, je vous l'avoue, que dans la lettre que je vous avais faite précédemment, j'avais un peu grossi le nombre de ce que l'ennemi avait perdu à cette occasion, quand je l'avais mis à vingt-cinq mille hommes. Ce n'était point pour vous en imposer; mais comme les chemins de Glogau étaient alors mal sûrs encore par les partis russes, j'avais mis ce nombre exprès, pour que, au cas que cette lettre tombât entre les mains de l'ennemi, il en fût d'autant plus frappé. Mais sur quoi vous pouvez compter sûrement quant au nombre, c'est au delà de vingt mille hommes que les Autrichiens ont perdus à cette journée, inclusivement treize généraux, qui sont morts, blessés ou pris prisonniers. Outre cela, nous avons d'eux actuellement cinquante canons, parmi lesquels il y a un grand mortier et trois obusiers, et le nombre de leurs officiers prisonniers va effectivement à présent à deux cent trente-cinq, inclusivement quatre généraux et au delà de six mille bas officiers et soldats de pris. A mon approche à Meissen, ils en ont d'abord retiré leur garnison, tout comme ils l'avaient fait à Torgau. Daun, qui avait pris sa retraite au delà de l'Elbe, où il s'est joint à Beck, a repassé l'Elbe de ce côté-ci, à Dresde, où ils campent derrière le Grand-Jardin, et il n'y a qu'un petit corps qui campe encore au Plauenschen Grund. J'ai avancé mes postes jusqu'en avant de Wilsdruf. J'ai fait canonner, l'autre jour, ce qu'il y avait de l'ennemi au Plauenschen Grund, qui se retira d'abord sur son armée. L'armée de l'Empire est marchée, d'abord après la bataille, vers la Franconie, ainsi que le duc de Würtemberg l'a également fait avec son corps. Il y a de l'apparence qu'ils abandonneront la ville de Dresde, et tous mes avis sont jusqu'à présent qu'ils en retirent leur artillerie et canons de fonte, qu'ils envoient en Bohême avec leur gros bagage. Leur boulangerie a été établie à Pirna, et les magasins qu'ils ont à Dresde sont très-peu considérables. Je ne saurais vous dire précisément ce qui arrivera avec Dresde; mais s'ils l'abandonnent, selon les apparences, il faut présumer que l'armée passera en Bohême, et qu'ils tiendront peut-être des postes à Gieshübel, <221>Gottleube, Stolpen, et peut-être Marienberg. Il faut que cela se développe bientôt. J'ai déjà ordonné à mon ministre de Finck de vous envoyer quelques exemplaires de la relation imprimée de la bataille de Torgau; en voici une que je vous envoie préalablement par écrit. Soyez au reste persuadé de la véritable estime et des sentiments d'amitié avec lesquels je suis, etc.
92. AU MÊME.
Unckersdorf, 15 novembre 1760.
Mon très-cher frère,
Je vous remercie de la part que vous prenez à la victoire que nous avons remportée le 3. Ses avantages consistent plutôt dans les malheurs dont ils nous préservent que dans les grands succès qui pourraient s'ensuivre. J'étais instruit que le maréchal Daun avait des ordres de sa cour de se soutenir à Torgau et dans la Saxe, et de tout risquer pour s'y maintenir; je savais même qu'il avait des ordres de m'attaquer, s'il le pouvait. Il ne me restait que deux partis : l'un de passer la Mulde, et d'occuper cette partie qui est entre la Mulde et la Pleisse. En ce cas, je laissais la Marche ouverte; l'ennemi aurait poussé ses postes jusqu'à la Mulde, et se serait mis derrière l'Elbe. Ils avaient compris dans ces projets de porter les Russes à laisser au moins quelques troupes dans l'Électorat et dans la Poméranie, de sorte que j'aurais été coupé de la Marche, de la Poméranie et de la Silésie. Ce sont ces raisons qui m'ont obligé de tenter le hasard, assuré que si je battais les Autrichiens, les Russes se retireraient d'un côté, les cercles de l'autre, et que je pourrais du moins parvenir à procurer aux troupes une position supportable pour les quartiers d'hiver. C'est ce qui est arrivé. Nous avons poussé l'ennemi jusqu'au fond de Plauen. Vous connaissez cette situation, et vous savez que, quand même elle ne serait occupée que par des ra<222>moneurs de cheminées, il serait impossible de les en déloger. Je ne sais quels arrangements l'ennemi prendra. Si les désirs des officiers et des troupes prévalent à Vienne, tout s'en ira en Bohême, parce que tous sont excédés des fatigues qu'ils ont souffertes l'hiver dernier. Si l'intérêt politique prévaut, comme il y a grande apparence, l'armée sera obligée de soutenir sa position. J'ai pris mes arrangements d'avance sur tous les cas. J'entreprendrai tout ce que la prudence me permettra, cependant sans rien hasarder. Je me mettrai dans une telle situation, que, si l'occasion se présente de faire quelque bon coup, je sois en état d'en profiter; mais il ne faut pas qu'on exige de moi des miracles, car je vous déclare net que je n'en sais point faire. Je crois que vous avez à présent la relation que j'ai donnée des détails de la bataille. Il y en a beaucoup que j'ai supprimés, à cause que toutes choses ne sont pas bonnes à dire. Il n'y a aucun de nos généraux de blessé dangereusement. Nous avons cependant fait quelques pertes : votre régiment derechef a beaucoup souffert; le second bataillon de Kalckstein, et en général les grenadiers; mon troisième bataillon n'a pas été épargné non plus; de la cavalerie, les régiments de Baireuth et de Spaen surtout ont fait merveille, et n'ont presque pas fait de pertes. L'emplacement de l'ennemi et la manière dont la bataille s'est engagée était telle, qu'elle n'a pas permis que la cavalerie de notre droite ait pu donner; aussi n'a-t-elle presque point souffert. Vous serez fort étonné que je vous dise que c'est au régiment de Maurice que je suis redevable du gain de la bataille; cependant cela est très-vrai. Je ne crois pas que de mémoire d'homme on ait un exemple d'une canonnade comme celle de cette journée-là; cela surpasse ce que l'on en peut dire; deux tonnerres poussés l'un contre l'autre par des vents contraires ne font pas un bruit plus effroyable. Une des singularités de ce combat que je ne dois point omettre, c'est que nos charges ont continué, malgré l'obscurité, jusqu'à neuf heures et un quart; que, dans la nuit, nous avons été presque pêle-mêle avec les Autrichiens, à nous faire réciproquement des prisonniers les uns aux autres; que toute cette confusion et ce désordre a duré jusqu'au lendemain matin; que l'on a trouvé une grande quantité de pri<223>sonniers dans les bois, et même derrière nos lignes, qui, nous ayant crus Autrichiens, y étaient restés paisiblement. Le duc d'Aremberg, le général Walther, qui commande l'artillerie, Buccow et Ried sont morts de leurs blessures. Outre Daun, les Autrichiens ont encore huit généraux de blessés. Cette aventure ne leur serait pas arrivée, s'ils avaient eu du terrain pour se mettre au large; mais se trouvant entamés par devant et par derrière, ce fut force à eux de tenir bon. Je ne veux point vous ennuyer par un récit des détails que la voix publique pourra vous apprendre. Je suis, etc.
Ma contusion n'a pas été dangereuse; ma pelisse et mon habit doublé de velours m'ont probablement sauvé la vie.255-a J'ai cependant eu deux pages et trois chevaux de blessés; presque personne de mes officiers aides de camp n'est échappé sans quelques marques. Le brave Anhalt256-a des grenadiers est tué.256-b
93. AU MÊME.
Neustadt (près de Meissen), 23 novembre 1760.
.... Je crois, mon cher frère, que j'ai rencontré juste sur ce que j'ai auguré de notre situation. Enfin, le prince Ferdinand va s'évertuer de son côté; il commence à comprendre qu'il ne doit plus souffrir les Français à Göttingue. Cela est tard, mais pourvu que la fortune le seconde, il faut espérer que ses opérations pourront produire de grandes suites. Vous me demandez des nouvelles de ma santé; ma pelisse m'a sauvé la vie, dont je lui ai peu d'obligation. J'ai eu pendant huit jours des douleurs à la poitrine, qui se sont passées entièrement, et il semble que le ciel <224>ne me prolonge la vie que pour me réserver aux plus dures épreuves; mais il faut que chacun subisse son sort. Vous ne me dites rien de votre santé; il est pourtant à présumer qu'elle est remise. Je vous prie de m'en donner des nouvelles. Hülsen a chassé les cercles de Zwickau; j'attends son retour à Freyberg pour repasser la Triebsche. Meissen, Nossen et Freyberg feront les têtes de nos quartiers. Ces contrées où nous sommes ressemblent au désert de la Thébaïde; nous ne voyons que désolations. Daun fait passer beaucoup de troupes en Bohême; si cela continue, je me flatte que nous aurons quelque repos.
94. AU MÊME.
(Nieder-Kunzendorf) 24 mai 1761.
Mon cher frère,
Je ne puis rien vous apprendre de nos hautes prouesses, car nous n'en avons point fait; nous sommes à nous examiner de loin, et à peine y a-t-il tous les huit jours un cheval de hussard de blessé. J'ai eu beaucoup à trotter pour mettre mes différents campements en règle; à présent tout est bien établi, et nous n'avons pas grand' chose à faire. Schwerin257-a est fort en colère contre la reine de Hongrie et contre Daun; il dit qu'ils se sont moqués de lui avec leur cartel. Il s'en est aperçu un peu tard, le pauvre garçon; il dit qu'il trouve le monde plus méchant qu'il ne l'avait cru. Il me semble qu'on n'a pas besoin d'avoir quarante-cinq ans pour s'en apercevoir, et que cette réflexion doit se présenter à tous ceux qui entrent dans le monde un an après qu'ils sortent du collége. Schwerin doit se consoler par le proverbe qui dit que les fruits tardifs sont les meilleurs. Je crois que quand Seydlitz pourra gagner le dessus sur son hypocondrie, il se portera aussi bien qu'autrefois; mais une femme et beau<225>coup de bien, pour quiconque a passé sa vie sans opulence, changent la façon de penser des hommes, et j'en ai vu trop d'exemples pour n'en être point convaincu.
Je ne sais, mais je ferais presque un pari que les Français feront leur paix à la fin de juin ou au commencement de juillet, et que vers l'automne, nous et toutes les parties belligérantes, chacun s'en ira chez soi planter ses choux et cultiver son jardin.258-a Ne pensez pas cependant, mon cher frère, que j'aie exalté mon âme; j'ai fait ce que j'ai pu pour y réussir, mais je n'ai pas été assez heureux d'atteindre à ce comble d'enthousiasme.
Zastrow a de nouveaux prophètes; l'un pronostique la paix, l'autre une bataille avec les Russes, un troisième une bataille avec les Autrichiens. Vous n'avez que le choix des choses possibles avec eux, car il faut bien que de tant de choses si différentes il y en ait une qui arrive. J'ai demandé à Zastrow si ses diseurs de bonne aventure ne lui avaient point pronostiqué quelle serait l'issue de son mariage? Il a été, pour le coup, assez sage pour ne les point interroger sur des matières si délicates. Il a une maison à Schweidnitz, grande comme votre chambre de Schlettau, où il veut établir tout son ménage; un vieux corps de garde délabré lui sert de cuisine, et il prétend que les soubrettes de madame campent à côté de la maison. Je lui ai fait quelques remontrances sur ce beau projet, qui entraînerait la plus grande dépravation de mœurs après soi, exposant la vertu de ses chambrières au rapt, au viol et à toutes les entreprises d'une luxure effrénée contre la pudeur. Je ne sais à quel point mes remontrances l'affecteront; mais, quoi qu'il arrive, j'en ai la conscience nette, et ce sera à lui à penser au reste.
Il y a à Sehweidnitz le fils d'un major autrichien, Italien de naissance, qui, à l'âge de onze ans, passe pour un prodige. Il a une grande barbe; on dit que Priape n'est rien en comparaison de lui, et qu'il a toute la force et la vigueur d'un homme fait. Cette réputation étonnante a attiré à Schweidnitz le pèlerinage de toutes les femmes des environs, qui sont venues pour voir ce prodige, et qui peut-être auraient volontiers passé à l'expérience, <226>si la tutelle du père et de la mère de cet enfant ne s'y était opposée. Du reste les prodigalités de la nature ne se sont bornées qu'aux seules parties mâles du jeune homme, et ceux qui le connaissent disent que sa tête est aussi mal partagée que sa virilité l'est avantageusement.
Voilà, mon cher frère, toutes les nouvelles de ce canton; j'aimerais bien n'en avoir pas d'autres à vous donner que des bagatelles, mais dans six semaines d'ici je crains bien qu'il n'en soit pas de même; je vous prie cependant de me croire, etc.
95. AU MÊME.
Pülzen, 8 juillet 1761.
.... J'ai quitté le plus beau des palais possibles et le plus savant des barons;259-a je me trouve ici sans baron, sans Cunégonde259-b et sans docteur Pangloss.259-b Ce sera, selon toute apparence, avec Loudon que nous examinerons la question du tout est bien, et qu'elle se décidera par des arguments qui me feraient pencher à croire que tout n'est pas bien dans ce misérable monde que nous habitons. Je vous prie d'être persuadé de ma tendre amitié.
<227>96. AU MÊME.
Giessmannsdorf, 27 juillet 1761.
Mon cher frère,
Le genre humain vous doit une statue pour la belle apologie que vous en faites; il n'y manque que la persuasion, et j'en reviens, mon cher frère, à mon opinion, que les meilleurs des humains, ce sont les moins vicieux. J'ai, par mon expérience, appris à connaître cette espèce à deux pieds, sans plumes, et si vous ne supposez pas que je suis tombé entre la canaille la plus fieffée, il faut que vous conveniez que les bons caractères sont plus rares que les conjonctions des planètes et l'apparition des comètes. Ne pensez pas cependant que l'amour naisse de la tendresse; si je ne me trompe, je le crois produit par l'instinct des sens, par le besoin de la nature. Le sentiment se mêle, je ne sais comment, à la nécessité d'aimer qui nous presse, et dont cependant une volupté brutale est l'objet. C'est une nécessité dans l'adolescence, c'est coutume dans l'âge avancé. Ne m'accusez pas cependant d'une morale trop austère, car je regarde l'amour comme la faiblesse la plus aimable et la plus excusable des hommes. Vous m'envoyez dans les cabanes des pauvres chercher la vertu; mais les hommes qui les habitent sont-ils sans passions? Voilà ce qui mène à une vertu parfaite, et ce qu'on trouve aussi peu dans les chaumières que dans les palais. Enfin, mon cher frère, relisez, s'il vous plaît, les Maximes de La Rochefoucauld;260-a il plaidera ma cause plus éloquemment que je ne le pourrais faire. Peut-être croirez-vous que M. Loudon me rend grognard et fâcheux; je ne disconviens pas qu'il en pourrait être quelque chose, et que si nous l'avions bien battu, je m'adoucirais pour le genre humain. Nous avons quatre-vingt-trois jours à passer, qui seront difficiles et pénibles; je les compte sur le bout des doigts, je sue et je travaille. Il est naturel de prendre part à ce qui nous touche intimement; aussi dit-on d'un général que lorsqu'il avait un bon quartier, il s'écriait : Voilà l'armée bien campée! Tout <228>le monde en fait à peu près autant. Je ne l'approuve pas, mais cela est inhérent à l'homme; pourvu qu'on ait un cœur et de la sensibilité, il faut pardonner le reste. Je souhaite, mon cher frère, que vous en fassiez autant, vous priant de me croire avec une parfaite amitié, etc.
97. AU MÊME.
Gross-Nossen, 3 octobre 1761.
Mon très-cher frère,
Je ne saurais tarder de vous avertir du cas triste qui vient de m'arriver ici; nous venons de perdre d'une manière à peine croyable la ville de Schweidnitz, que Loudon a surprise, l'ayant attaquée la nuit du 1er de ce mois, d'assaut, en sept différents endroits à la fois, et forcée, l'épée à la main, dans un temps de deux à trois heures, sans tirer un coup de canon contre la ville et sans y jeter une bombe. On veut me persuader que la garnison s'était défendue assez valeureusement, et que l'ennemi avait perdu beaucoup de monde, mais que, ne se souciant pas de sa perte, et relevant toujours les assaillants avec de nouvelles troupes, la garnison avait été forcée.261-a Voilà cependant des circonstances que je ne saurais vous garantir, n'ayant pas des nouvelles sûres sur cela.
Vous jugerez vous-même de la perplexité où je dois me trouver de ce qu'un événement si extraordinaire et presque incroyable a dû arriver, tandis qu'à peine j'avais quitté mon camp de Pülzen, et que j'avais fait une marche à Siegroth. Cependant, comme le malheur est fait, et qu'il ne me reste présentement qu'à songer aux moyens de le corriger, je n'attends que le retour du général de Platen avec son corps, après son expédition faite et finie <229>en Poméranie; je calcule qu'il pourra me joindre le 20 de ce mois à peu près, et ce sera alors que je tâcherai de redresser ce désastre et de remettre en ordre ici tout ce qui s'est dérangé par là. Vous aviserez par là vous-même que, par cet empêchement inattendu, je ne saurais être aussitôt en Saxe que je l'avais médité et que je vous l'avais marqué. Je vous renouvelle les assurances de la considération et de l'amitié parfaite avec laquelle je suis, etc.
98. AU MÊME.
Gross-Nossen, 5 octobre 1761.
Mon cher frère,
Vous aurez appris le malheur qui m'est arrivé à Schweidnitz. Cela est inconcevable quand on connaît la place; l'ennemi y a mis presque toute son infanterie; il doit y avoir fait une grande perte. Zastrow et la garnison doivent avoir fait en très-braves gens; mais Loudon s'est servi d'hommes comme de fascines pour se frayer le passage. Cela est bien dur pour moi, sans que j'entre dans les raisons que j'ai de redresser un malheur dont je crois que vous comprendrez et les conséquences, et les suites; ainsi je ne vous en dis rien. C'est une besogne très-difficile; mais tel est mon sort dans cette guerre, d'avoir les plus grandes difficultés à vaincre. Je crois que Platen aura été le 29 ou le 30 à Colberg, et, selon ce qu'écrit le prince de Bevern, Romanzoff se préparait à son départ. Platen sera obligé de revenir ici aussi vile qu'il en est parti; vous en comprendrez la raison. Je vous prie de faire ce que vous pourrez pour que vos nouveaux bataillons prennent forme; je suis ici occupé de tant de choses, et encore si embarrassé d'objets pressants, qu'il m'est impossible de pourvoir à rien avant d'avoir les bras plus libres que je ne les ai. Je vous prie de suppléer à tout ce qu'il faut en mon absence. Si je me remets sur pied, après ce qui m'est arrivé, et que les affaires se <230>redressent ici, je viendrai également en Saxe,263-a mais plus tard. Il y a eu quelques-unes de vos lettres de perdues.
Beck est aussi auprès de Loudon, et dix régiments des Russes.
99. AU MÊME.
Strehlen, 8 octobre 1761.
Mon cher frère,
Je doute beaucoup que Loudon ait détaché pour la Saxe; j'ai compté ses bataillons le 28, et il n'y en avait pas un à redire. Lui, Draskovics, Brentano, Jahnus et Bethlen en ont soixante-seize; ajoutez-y quatorze russes, cela fait quatre-vingt-dix. Depuis la prise de Schweidnitz, j'ai tous les jours des nouvelles, mais aucunes qui fassent mention de détachements. La raison de mon départ de Schweidnitz était principalement pour ménager le magasin, qui m'aurait manqué tout court, et la difficulté d'amener des convois d'ailleurs à travers un essaim de Cosaques, de hussards et de troupes légères. La ville a été prise d'assaut en moins de deux heures; je n'en étais éloigné que d'une marche. Après ce coup, il faudra une armée pour chaque forteresse. Je ne puis point remettre les affaires dans cette province, à moins du secours de Platen. Un exprès venu de Colberg, et qui en est parti le 2, prétend qu'après la jonction de Platen au prince de Würtemberg il avait entendu, en revenant ici, un feu comme celui de deux armées qui se livrent bataille, et que le feu allait en s'éloignant de Colberg. Vous pouvez penser si cela me tranquillise, et si j'attends en tremblant les nouvelles de ce qui s'est passé. Peut-être que ce n'a été qu'une affaire d'arrière-garde; je le souhaite. Buturlin attend peut-être le succès de cet événement pour se déterminer, soit pour la Vistule, soit pour l'Oder. <231>Si tout va bien en Poméranie, j'espère que peut-être il y aura moyen de redresser les affaires de Silésie. Pour les vivres de la Saxe, c'est une bagatelle que d'y amasser des magasins et tout ce qui est nécessaire; si les choses vont bien ici, et que j'y puisse venir, vous n'avez qu'à me dire ce qu'il vous faut, et je me fais fort de vous le procurer. J'y subsisterais, s'il le fallait, avec votre armée et la mienne; mais ces coquins du directoire de la guerre vous trompent, parce qu'ils sont tous corrompus par les Saxons. Ce n'est pas entre Meissen et Torgau qu'il faut prendre les vivres, mais cet hiver on les tirera de Freyberg, de Chemnitz, du Voigtland, de Leipzig et de la Thuringe. J'en parle par connaissance de cause, et vous pouvez vous en fier à ma parole. Mes troupes, si je puis y aller, feront vivre les vôtres toute l'année prochaine, et les payeront ....
100. AU MÊME.
Strehlen, 16 novembre 1761.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu votre lettre du 11 de ce mois, sur laquelle j'ai la satisfaction de vous dire que Platen pourra être parti hier ou aujourd'hui pour la Saxe. Il doit y passer l'hiver avec tout son corps; il serait presque impossible de le nourrir ici; mais comme j'ai perdu ici tout cet automne, trop faible pour entreprendre, et ayant été obligé de faire de grands détachements en Poméranie, il faut rouvrir ici, l'année prochaine, une campagne précoce, pour ravoir Schweidnitz. Loudon tient encore le poste de Kunzendorf; quand même je l'en chasserais, en courant les plus grands hasards, avant que Platen arrive ici, il n'y aura plus moyen de faire des siéges. Nos peines seraient donc perdues. J'envoie par cette raison Platen en Saxe. Il faudra que vous tâchiez de resserrer les ennemis près de Dresde autant que vous le pourrez, car plus nous occuperons de pays, plus nous aurons de <232>subsistances, de recrues et d'argent, trois choses sans lesquelles on ne fait pas la guerre. J'enverrai Flesch265-a là-bas, avec toutes les instructions, au commissariat. Le prince de Würtemberg et la ville265-b sont sauvés pour cette année. On m'écrit que Buturlin et Fermor sont partis; reste Berg et Romanzoff. Il faut espérer qu'ils ne s'arrêteront pas plus longtemps, et qu'au moins l'on pourra respirer quelques mois. Chi ha tempo ha vita.
101. AU MÊME.
Breslau, 23 décembre 1761.
Mon très-cher frère,
Je viens de recevoir votre lettre du 19 de ce mois, et je suis bien aise que Daun ait la bonté de vous laisser en repos jusqu'à présent. C'est certainement une grande sottise de sa part. Le général Platen pourra s'étendre avec ses côtés du côté de la Thuringe et de la Saale. Il faudra certainement chasser quelques-uns de nos ennemis des endroits d'où ils peuvent rendre la subsistance la plus difficile, pour former nos amas, afin qu'il n'y ait aucun empêchement physique à lamas des subsistances. J'enverrai dans quelques jours Anhalt266-a en Saxe, tant pour arranger ce qui regarde la livraison des recrues, l'augmentation de l'armée, que les livraisons. Il vous rendra compte de toutes mes idées, et j'espère que vous commencerez à croire que je ne me repais ni de sottises, ni de chimères. Les Autrichiens ont fait leur réduction, faute de pouvoir payer le corps de Czernichew; ainsi, en comptant celui-là, leur armée demeure aussi forte qu'elle l'a été. L'épuisement de leurs finances est si grand, que je ne crois pas qu'ils pourront finir la campagne prochaine, pour <233>peu que les affaires nous réussissent. Il en est de même de Colberg. La prise de cette ville me mettrait la corde au cou, si un autre événement266-b ne rendait ce malheur passager et facile à réparer.
Je vous remercie de la part que vous prenez à l'aventure que l'ennemi m'avait préparée. Le danger n'était pas aussi réel qu'il le paraît de loin. Le dessein que l'ennemi avait formé témoignait plus la volonté de nuire que son intelligence militaire. Le traître267-a qui leur avait suppédité ce projet s'est sauvé. Voilà le dénoûment qu'a eu l'aventure. J'espère de vous donner dans quelques jours des nouvelles plus intéressantes.267-b
102. DU PRINCE HENRI.
Hoff, 5 janvier 1762.
Mon très-cher frère,
Le major Anhalt m'a remis la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. Il m'a rendu compte de l'objet de vos espérances et des mesures que vous prendrez en conséquence. Je vous enverrai incessamment le détail que vous me demandez, pour former ce qui manque à un attirail complet de siége, et je serai ravi si la situation permet qu'on s'en serve. Après avoir demandé au major Anhalt tout ce qui est relatif à la diversion que vous supposez de la part de vos alliés, j'ai voulu savoir vos intentions sur les arrangements que vous prendrez, au cas que, contre votre attente, les alliés ne fissent pas les démarches que vous souhaitez; à quoi il n'a pu me répondre. Mais il est toujours plus difficile de se conduire dans des cas que vos ennemis <234>ne soient pas obligés par une diversion à détacher des troupes, car lorsque cette dernière circonstance arrivera, et que d'ailleurs les arrangements seront pris, tout s'agencera de soi-même; mais si l'on n'est pas préparé aux mesures dans les fâcheux événements qu'on prévoit, ils peuvent devenir par là plus nuisibles encore. C'est donc pourquoi je vous prie instamment de me faire part des mesures que vous prendrez, dans la supposition que tout reste dans la situation présente ....
103. AU PRINCE HENRI.
Breslau, 9 janvier 1762.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu votre lettre du 5 de ce mois. La question que vous me faites est impossible à répondre; si tout secours venait à nous manquer, malgré l'espérance que nous avons, je vous avoue que je ne vois pas ce qui pourra éloigner ou conjurer notre perte. Cependant, puisque vous voulez que je vous dise ce que je puis imaginer de mieux dans une aussi grande extrémité, ce serait de rassembler toutes nos forces, et d'aller alternativement avec toute cette masse sur le corps des ennemis. Voilà ce qu'il y a de mieux. Cela n'est pas suffisant, et j'entends déjà tous les obstacles et les inconvénients que vous allez m'objecter. Mais pensez-y vous-même; après tout, périr en détail ou périr en masse, n'est-ce pas la même chose? Cependant pourquoi mon avis vaut mieux que le reste, c'est que si avec notre masse on avait bien accablé une des trois armées, on aurait meilleur marché des deux autres, et qu'alors on pourrait se remettre en différentes armées. Pensez-y bien; je ne vois que cela, et ne me confie là-dessus qu'à vous seul. Je suis, etc.
<235>104. DU PRINCE HENRI.
Hoff, 16 janvier 1762.
Vous avez eu la bonté de me répondre, au sujet de la campagne prochaine, que votre intention était de rassembler toutes vos forces et de les porter toutes d'un côté, lâchant d'écraser une armée pour chercher ensuite l'ennemi d'autre part. Je suis entièrement de votre sentiment, mon très-cher frère, si entre ci et la campagne prochaine aucun événement de la part de vos alliés n'arrive, qui vous tire d'affaire, et que tout secours étranger vous manque, que, alors, tel plan de campagne que vous ferez, il sera toujours également sujet à de grandes vicissitudes, et ne pourra pas, suivant les vues humaines, vous mettre à l'abri de voir la catastrophe la plus triste et la plus malheureuse. La résolution que vous êtes, en ce cas, intentionné de prendre me paraît une des plus désespérées. En assemblant toutes vos forces dans une armée, vous ne pouvez subsister; les provinces abandonnées seront occupées par l'ennemi, et les magasins y établis lui tomberont en partage. Si même ensuite, après quelques succès heureux, on retournait dans l'une ou l'autre province, la misère de tout le pays ne permettrait nulle part de pouvoir se nourrir, et les magasins n'y subsisteraient plus; on serait obligé d'en sortir aussitôt que rentré. L'expérience, d'ailleurs, nous a appris qu'on n'écrase pas sitôt une armée, et, de plus, lorsque avec toutes vos forces vous marcherez vers l'une ou l'autre armée ennemie, celle que vous rechercherez se retirera dans un des postes connus, et qui sont en grand nombre dans toutes les provinces où la guerre s'est faite depuis six ans. Je conviens de tous les inconvénients qui résultent en opposant des armées à toutes les armées ennemies; mais comme il s'agit de périr, il est seulement nécessaire de savoir quelle est la mort la plus lente; et si le terme est éloigné, il donne par conséquent quelque espérance qu'il arrivera quelque événement imprévu, et à cet égard-là, je crois pour sûr qu'on arrêtera les ennemis plus longtemps en leur opposant du monde que si on leur laissait la liberté d'agir, et qu'on se mette ensemble pour courir sur une armée. Un médecin <236>habile tâche de traîner son malade, s'il ne le peut guérir, afin que, lorsqu'il meurt, il ait au moins la consolation que ce soit suivant la règle de Galien et les préceptes d'Hippocrate; et je pense en conséquence que des corps opposés aux ennemis les arrêteraient du moins, et c'est tout ce qu'on peut faire et espérer ....
105. AU PRINCE HENRI.
Breslau, 20 janvier 1762.
Je viens de recevoir votre lettre du 16 de ce mois. Vous savez qu'il y a deux médecins dans Molière, le médecin Tant-pis et le médecin Tant-mieux,270-a et qu'il est impossible que ces deux-là soient du même sentiment. J'ai un malade à traiter, qui a une fièvre violente; dans un cas désespéré, je lui ordonne de l'émétique, et vous voulez lui donner des anodins. Mais comme nous n'en sommes pas encore à cette extrémité, je vous prie de penser bien sérieusement à tout ce qu'Anhalt vous a dit. Je ne vous parle point de la situation où je me trouve ici, ni de tout ce que j'ai à appréhender. J'espère me soutenir jusqu'au mois de mars, où certainement les choses changeront.
106. AU MÊME.
Breslau, 19 janvier 1762.
Mon cher frère,
Je n'ai pas voulu vous laisser ignorer l'importante nouvelle que je viens de recevoir, dans ce moment, de la mort de l'impératrice de Russie, qui est arrivée le 5 de ce mois.
<237>Je ne saurais vous dire encore les suites de cet événement, et il faudra que nous patientions une quinzaine de jours, pour voir où cela nous mènera, et quel train les affaires prendront à la suite; mais ce que je m'en flatte fort, c'est que cela ne tournera pas du tout mal pour nous. Je suis, etc.
107. AU MÊME.
Breslau, 31 janvier 1762.
Mon très-cher frère,
J'ai à vous mander la bonne nouvelle que Czernichew part avec ses Russes pour la Pologne. Nous n'avons plus, pour cette fois, rien à craindre de ces gens-là. Voilà, grâce au ciel, notre dos libre. Je ne puis point entrer en de plus grands détails, de sorte que, dès à présent, tous les corps qui avaient l'œil sur Berlin n'ont plus besoin d'y penser, et que, si vous en aviez besoin, vous pourriez les employer ailleurs. Ce grand événement fera que les Autrichiens se tourneront tout à fait du côté des Français, et je crois que vous devez tâcher de vous en informer autant qu'il dépendra de vous; car certainement il ne reste d'autre parti aux Français. Ce grand événement entraînera infailliblement les Suédois. Ainsi voilà toutes ces troupes de Poméranie et de Mecklenbourg qui retournent à ma disposition. Bénissons le ciel de cet événement, qui promet des suites encore meilleures.
Je suis avec l'estime et l'amitié la plus parfaite, etc.
J'espère que ces nouvelles vous rendront de bonne humeur.
<238>108. AU MÊME.
Breslau, 2 février 1762.
J'ai reçu votre lettre du 29 du mois passé. Vous avez pris le meilleur parti qu'il y avait à prendre. Si l'impératrice de Russie n'était pas morte, le projet de nos ennemis était sûrement d'agir en Saxe; mais à présent je crois qu'il n'y a rien à craindre, et qu'il ne s'agira que d'un peu plus ou moins de terrain pour nos quartiers, et je ne crois pas qu'il convienne à présent de se casser la tête pour des bagatelles, d'autant plus que nous allons être incessamment délivrés des Russes, et que mes lettres de Constantinople me font tout espérer pour le printemps. Une sultane est accouchée d'un fils, et, selon ce que j'en puis juger, nos affaires iront bien là-bas. Ainsi patience, mon cher frère, en attendant que notre moment arrive; conservons-nous pour ce moment-là, c'est le grand objet que nous devons avoir. Je suis, etc.
109. AU MÊME.
Breslau, 9 février 1762.
.... Quant à mes affaires à Pétersbourg, je viens d'en recevoir les nouvelles les plus satisfaisantes des bonnes intentions de l'empereur régnant à mon égard. J'ai pris aussi toutes mes mesures là-dessus pour cultiver ces sentiments autant qu'il dépendra de moi; mais j'ose en augurer si bien, que, après un intervalle de quatre semaines, je pourrai savoir au juste de quelle façon tout cela s'arrangera à mes désirs. Si nous convenons une fois avec la Russie, une conséquence nécessaire en sera que la Suède s'arrangera aussi avec moi, sur quoi j'ai également pris mes mesures; ce qui ne manquera pas de déranger extrêmement tous les projets de nos ennemis, pourvu que nous tenions ferme contre eux ....
<239>110. AU MÊME.
Breslau, 18 février 1762.
Mon très-cher frère,
Votre lettre du 14 de ce mois m'est parvenue. Les affaires en Russie prennent un très-bon train. J'y ai envoyé Goltz pour complimenter l'Empereur; il est muni de tout. L'Empereur l'attend avec impatience pour faire sa paix. Il m'a demandé l'ordre, de sorte que vous pouvez conclure de tout ceci que tout ira bien; et, selon les lettres de Keith273-a et de Hordt,273-b nous pouvons nous flatter que, le mois de mars, nous serons débarrassés des Russes et des Suédois. Les détails seraient trop longs à vous en faire, mais cela me parait presque certain. Goltz pourra être le 25 à Pétersbourg. Je vous envoie les nouvelles de Constantinople qui viennent de Varsovie, par lesquelles vous verrez que les choses deviennent très-sérieuses, et que ces gens se préparent à faire une bonne diversion. Mes lettres disent que Nadasdy aura le commandement en Hongrie. Les lettres que j'attends directement de Constantinople ne peuvent arriver que vers la fin de ce mois ou au commencement du mois prochain; il faut les attendre. Ce que vous me dites des magasins de Saxe est très-juste. Les troupes de Czernichew partiront sûrement, mais je ne saurais vous marquer le jour. Keith écrit de Pétersbourg qu'on leur en a donné l'ordre ....
111. DU PRINCE HENRI.
Hoff, 22 février 1762.
Mon très-cher frère,
Un est bien plus sensible aux maux d'autrui lorsqu'ils sont analogues aux nôtres; vous pouvez donc juger que, avec tout l'in<240>térêt que je prends à votre santé, j'ai encore celui de partager vos peines par les épreuves que j'en fais. Je souhaite que votre santé, qui se rétablit, s'affermisse entièrement pour l'été et pour toujours.
La comédie allemande n'est pas un spectacle digne de vous; je ne m'étonne nullement que vous ne la fréquentiez pas; le théâtre allemand est bien éloigné encore d'atteindre à cette perfection où la plupart des autres nations sont arrivées, et les platitudes d'un Hanswurst n'attireraient guère votre attention dans un temps où les objets les plus agréables auraient de la peine même à vous distraire des grandes occupations que vous avez. En général, le grand spectacle du monde offre assez de quoi occuper un esprit qui pense. Heureux tous ceux qui peuvent contempler les vicissitudes des choses humaines sans se trouver engagés dans le tourbillon qui bouleverse, altère, et se joue des hommes ....
112. AU PRINCE HENRI.
Breslau, 14 mars 1762.
.... Quant à l'article des livraisons et de toutes ces choses-là, la grande raison pour laquelle cela ne prend pas un aussi bon train qu'il le faudrait, c'est que vous occupez trop peu de terrain, et que vous êtes trop serré; il sera impossible de vous pourvoir de tout avant que vous ayez gagné plus de pays. Si je pouvais être trois semaines en Saxe, je crois que je parviendrais à vous arranger en tout; mais comme il m'est impossible de m'éloigner d'ici deux pas, je vous enverrai Anhalt avec des ordres aux généraux pour les obliger à leur devoir. Je ne vous parle pas des difficultés qu'il me faut surmonter ici, quoiqu'elles soient très-considérables. II faut regarder notre situation comme une suite de la malheureuse campagne passée, et s'aider comme l'on pourra ....
<241>113. LE PRINCE HENRI A M. EICHEL.
Hoff, 26 mars 1762.
Monsieur,
Vous êtes instruit sur les lettres du 14 et du 16 que le Roi m'a écrites; vous savez de plus que le major Anhalt, que le Roi envoie, doit arriver incessamment. Si les ordres dont il est chargé répondent aux lettres que j'ai reçues du Roi, je me trouverai dans un fâcheux compromis, duquel je suis résolu de me tirer par une retraite volontaire. Ma santé abîmée, les chagrins que j'ai essuyés, les fatigues et les peines de la guerre, me font peu regretter l'emploi que le Roi m'a confié. J'attends de vos soins que, si le cas arrive que j'écrive au Roi pour quitter une charge qui ne m'honore plus, et que je serais très-résolu, dans ce cas, de ne pas garder (si je fais tant une fois que de m'en démettre), vous tâcherez pourtant alors de faire qu'on observe la décence que l'on garde partout ailleurs pour ceux qui ont servi l'État. Je n'ai pas une haute opinion de mes services; mais je ne me trompe pas peut-être quand je réfléchis qu'il serait plus honteux pour le Roi que pour moi, s'il me faisait endurer toutes sortes de chagrins lorsque je serai en retraite. Je suis avec la plus grande estime, monsieur, votre très-affectionné ami.
114. LE PRINCE HENRI A FRÉDÉRIC.
Hoff, 30 mars 1762.
.... Vos lettres précédentes, sur lesquelles j'ai voulu garder le silence, et ce dernier manque d'affection, me font bien connaître à quelle fortune j'ai sacrifié ces six années de campagne ....
<242>115. AU PRINCE HENRI.
(Breslau) 3 avril 1762.
Mon cher frère,
Nous avons eu ici Czernichew avec toute sa généralité. Ils ont passé l'Oder, et les voilà bien séparés des Autrichiens. Ils ne sont guère contents de leurs anciens alliés, et semblent fort satisfaits des ordres qu'ils ont reçus de se séparer d'eux. Le neveu277-a est arrivé ici. Il semble avoir une santé fort robuste; cependant nous le ménagerons, et tâcherons de la lui conserver. Il est fort crû, et ressemble de jour en jour davantage au prince François277-b ....
116. AU MÊME.
Breslau, 3 avril 1762.
.... Épargnez, monseigneur, votre colère et votre indignation à votre serviteur. Vous qui prêchez l'indulgence, ayez-en quelqu'une pour les personnes qui n'ont aucune intention de vous offenser ou de vous manquer de respect, et daignez recevoir avec plus de bénignité les humbles représentations que les conjonctures me forcent quelquefois de vous faire.
<243>117. AU MÊME.
Breslau, 15 avril 1762.
Mon très-cher frère,
Vous jugerez vous-même de la surprise où j'ai été en voyant ce que votre lettre du 11 de ce mois comprend, à laquelle vous ne devez pas vous attendre à une autre réponse de ma part, sinon que je ne donnerai jamais mon agrément à ce que vous y dites de votre résolution prise, de laquelle votre honneur, votre réputation et votre devoir envers l'État vous doivent faire revenir de vous-même, d'autant plus que les conjonctures présentes ne permettent point que vous quittiez l'armée confiée à vos soins. Ainsi je continuerai encore à vous écrire pour vous communiquer mes nouvelles, mais non pas pour entrer dans un autre sujet. Je suis avec ces sentiments d'amitié et d'estime que vous me connaissez, etc.
118. DU PRINCE HENRI.
Hoff, 18 avril 1762.
Mon très-cher frère,
Agréez les représentations que je vous fais encore sur le même sujet pour lequel vous n'avez pas daigné me répondre. Ma sensibilité est trop grande pour me voir priver sans émotion de la faveur de votre amitié dans un temps où j'en ai tant besoin. Croyez-vous qu'on renonce au commandement d'une armée sans de bonnes raisons? Et qu'aurai-je de mieux pendant toute ma vie? Quelle carrière ai-je devant moi, quel agrément, quel bonheur à espérer? Rien. La médiocrité sera mon partage; il dépendra de vous d'adoucir mon sort par vos bontés, et de vous souvenir que j'ai tout fait pour les mériter. C'est du moins <244>l'unique chose qui me restera, de laquelle je pourrai tirer ma gloire aux yeux du monde entier. Je suis, etc.
119. AU PRINCE HENRI.
Breslau, 21 avril 1762.
Mon très-cher frère,
La lettre que vous venez de me faire, du 18, me fait bien de la peine. Personne ne connaît mieux que vous la situation où je me trouve actuellement encore. Dans d'autres moments, je ne serais point contraire à vos désirs, conformément à mon inclination et à la tendresse que j'ai pour vous; mais dans les circonstances présentes, pleines d'embarras pour moi, vous les augmentez encore. Représentez-vous, je vous prie, si je me prêtais à votre demande pour confier au général Seydlitz le commandement de votre armée, quelle serait l'harmonie parmi les généraux, dont il y en a qui sont ses anciens, sans m'étendre sur d'autres inconvénients qui en arriveraient. D'ailleurs, je ne vois pas tout à fait comment les fatigues, pendant la campagne passée de votre armée, auront pu tant affaiblir votre santé jusqu'à vouloir prendre le dessein de l'abandonner, vu que les choses se sont passées assez tranquillement là, par les efforts que l'ennemi a faits ici. Je souhaiterais plutôt que votre armée trouvât des occasions favorables pour agir vivement pendant la campagne qui vient, ce qui dépendra cependant de la tournure que les choses prendront .... Toutes les apparences sont que vous trouverez les conjonctures favorables à faire des expéditions éclatantes et plus distinguées, que vous n'avez pas pu trouver l'occasion de faire pendant toute cette guerre-ci ....
<245>120. AU MÊME.
Breslau, 22 avril 1762.
Mon cher frère,
J'ai appris, par le peu d'expérience que j'ai dans le monde, que la sincérité réussit souvent mal, et que le silence y est préférable. Voilà pourquoi je ne vous écris que ce que absolument la nécessité des affaires m'oblige de vous mander, et que vous ne trouverez point mauvais, et qu'au contraire votre vivacité me saura gré de ma patience, que vous mettez à d'étranges épreuves. Je suis, etc.
121. AU MÊME.
Quartier de Bettlern, 20 mai 1762.
Mon très-cher frère,
J'ai enfin la satisfaction de vous annoncer la conclusion de mon traité de paix avec la Russie. Mon capitaine et adjudant le comte de Schwerin est arrivé ici aujourd'hui, et m'en a apporté l'instrument signé de la main de l'Empereur. Il m'apprend en même temps qu'on a publié cette paix à Pétersbourg avec beaucoup de solennités, et qu'on a fait une décharge de plusieurs pièces de canon. A l'ordinaire, on n'observe pas, dans des cas semblables, les mêmes cérémonies chez nous, et on se borne à une simple publication; mais comme c'est un événement qui me fait un plaisir infini, je veux aussi faire une exception à la règle, et faire éclater, par des marques publiques, la joie que j'en ressens. Mon intention est donc que vous ordonniez un Te Deum dans votre armée, et qu'à cette occasion vous fassiez faire une décharge générale de votre artillerie. Vous donnerez en même temps une fête à laquelle vous inviterez quelques généraux, et porterez les santés de l'empereur de Russie et d'autres personnes distinguées <246>de la cour, au bruit d'une décharge de tant de canons que vous jugerez convenable; mais vous aurez aussi soin, après cela, de faire insérer dans les gazettes un petit détail de cette fête, et de ne pas oublier d'y faire également mention du nombre des canons qu'on a tirés à cette occasion.
P. S. .... L'empereur de Russie s'est engagé de me donner un corps auxiliaire, contre les Autrichiens, de dix-huit mille hommes, c'est-à-dire, de vingt bataillons à huit cents hommes, de deux régiments de cavalerie et de mille Cosaques. Ces régiments ont aussi effectivement leur ordre d'être au plus tard en quinze jours ou plus tôt ici. Voilà ce qui obligera Daun de rassembler tout ce qu'il y a de troupes en Saxe; sinon, vous patienterez seulement quatre semaines encore, où je lui donnerai tant à faire par des diversions, qu'il sera bien nécessité de quitter absolument la Silésie pour se replier vers la Moravie. Si Daun retire à soi beaucoup de régiments de la Saxe, rien ne vous empêchera alors de prendre Dresde et de passer outre en Bohême, droit vers Prague. Il serait d'autant mieux si vous pouviez vous rendre maître de cette place; de cette façon, nous nous prêterons les bras l'un l'autre dans nos opérations, et parviendrons à notre but, pour obliger les Autrichiens à accepter la paix de nous.
122. AU MÊME.
Bettlern, 31 mai 1762.
Mon très-cher frère,
J'ai bien reçu la vôtre du 26 de ce mois, et je vois qu'il faut vous faire une idée de la situation générale des choses, et entrer en quelque détail de mon projet, afin que vous en combiniez mieux les parties. J'ai ici quatre-vingt-deux mille hommes contre moi; je n'en ai que soixante-seize mille. Ce ne serait pas ce qui m'embarrasserait; mais une suite de nos malheurs passés a donné <247>aux ennemis la facilité d'occuper tous les postes avantageux. A moins de vouloir hasarder étourdiment sa fortune, il ne faut pas penser à les attaquer. Restent les diversions. Voilà donc sur quoi mon plan se fonde. Werner partira dans quelques jours pour se joindre à vingt-six mille Tartares que le Kan m'envoie, et ce corps doit agir en Hongrie pour faire diversion. Le Kan le suit immédiatement avec cent mille hommes. Vous conviendrez qu'il faut de nécessité que Daun détache au moins trente mille hommes pour s'y opposer; alors j'envoie le prince de Bevern avec douze mille hommes à Cosel, qui fera mine de pénétrer en Moravie. Il faudra donc de nécessité que Daun détache au moins dix mille hommes contre lui; c'est alors que je marcherai aux montagnes, et que, avec le secours des Russes, je serai assez fort pour le chasser de la Silésie et reprendre Schweidnitz. Dans tout ce que je viens de vous dire, je n'articule pas un mot de la grande armée turque qui agira contre les Autrichiens. Il leur faudra détacher au moins cinquante mille hommes contre les Turcs seuls, sans compter ce qu'il leur faut nécessairement opposer à Werner. Soyez sûr que soixante mille hommes est peu. Toute l'armée ennemie, avec les cercles, fait, selon mon calcul, cent vingt mille hommes; décomptez-en soixante mille pour la Hongrie, reste à soixante mille. Or, couvrir avec ce nombre la Bohême, la Moravie, la Saxe et la Silésie, cela est impossible. Ainsi, si l'on ne vous oppose que vingt mille hommes, vous qui en avez cinquante mille bien comptés, vous en viendrez à bout. Dès que nous serons en Moravie, je pourrai détacher selon le besoin, mais pas plus tôt. Quand même les Autrichiens auraient dessein de jeter vingt mille hommes à Prague, soyez sûr que je saurais leur en faire perdre l'envie. Je ne crains dans la suite pour vos opérations que des diversions de la part des Français; eux seuls peuvent vous faire manquer Prague, sans quoi je n'y vois aucune difficulté. Six semaines plus tôt ou plus tard n'entrent point en ligne de compte; pourvu qu'on prenne son moment, et que la chose réussisse, le reste n'y fait rien.
<248>123. AU MÊME.
Bettlern, 4 juin 1762.
.... Le margrave284-a est encore mal; il y a quelque espérance de son rétablissement. Son corps est dans un épuisement total pour s'être servi, cet hiver, de remèdes qui ont fait faire à son tempérament des efforts au-dessus de son âge et de sa compétence. Nous avons ici le comte Woronzow, qui va en ambassade en Angleterre; c'est un joli homme; il a vu toute l'Europe, il est modeste, et raisonne bien de tout. Il a été, l'année passée, ministre de sa cour à Vienne, et m'a conté des anecdotes curieuses de cette cour, mais que je ne puis vous écrire; aussi bien serait-ce un almanach de l'an passé, qui ne pourrait servir à l'année courante. Mon neveu commence à s'éveiller; il a beaucoup de douceur, il ne manque point d'esprit; il n'y a qu'une grande timidité qui le rend circonspect. Mais j'espère beaucoup et je me flatte que cette campagne lui fera du bien pour l'esprit et le corps.284-b
124. AU MÊME.
Bettlern, 28 juin 1762.
.... Tout vient à point à qui peut attendre; un peu de patience, et l'ennemi sera d'une façon ou d'autre obligé à détacher de la Saxe. Les Cosaques sont arrivés avant-hier, et le corps de troupes viendra le 30; et alors tout se mettra en train incessamment. Goltz doit recevoir les Tartares actuellement, et j'attends à chaque moment des nouvelles de là-bas. Ne vous imaginez pas que je puisse fournir par milliers des chevaux, des hommes et des armes; je dois à Berlin trois millions aux livranciers, et j'ai déjà payé, cet hiver, dix-huit cent mille écus pour des chevaux. Il faut que <249>les officiers fassent mieux leur devoir, et que l'on ait plus l'œil à la conservation des corps, sans quoi, quelque argent que j'eusse, l'armée serait un tonneau des Danaïdes dont tout s'écoulerait, quelque peine qu'on se donnât pour le remplir ....
Le pauvre margrave est mort; je le regrette du fond de mon cœur; c'était un bien honnête homme, bon patriote, et mon bon et ancien ami.285-a
125. AU MÊME.
Seitendorf, 13 juillet 1762.
Mon très-cher frère,
Ce qui a arrêté la conclusion de l'alliance avec la Porte a été la nouvelle subite de ma paix avec les Russes. J'ai enfin disposé l'empereur de Russie de faire déclarer à la Porte qu'il ne se mêlerait pas de la guerre qu'elle pourrait faire aux Autrichiens, et je moyenne un accommodement entre la Russie et le kan des Tartares, touchant un certain fort nommé Sainte-Élisabeth. Cette négociation, où il a toujours fallu aux courriers six semaines ou deux mois pour aller et revenir, a arrêté la conclusion de l'alliance. Hier je reçois un courrier de Constantinople avec la déclaration du grand vizir que, dès que l'empereur de Russie se sera expliqué (ce qui doit déjà être fait), ils signeront le traité, et déclareront tout de suite la guerre à l'Impératrice-Reine. Je crois donc qu'au mois de septembre leurs opérations commenceront, et il vaut mieux tard que jamais.286-a Je dois vous dire encore que je vous ferai avoir cinq cents Cosaques du corps de M. Romanzoff. Vous pourrez les employer en Lusace, ou, si vous voulez, contre les cercles. L'Empereur m'a demandé le général Belling nommément, que je dois lui envoyer, s'il entreprend la guerre. Vous comprenez que je n'ai pu le refuser. Je <250>compte que vous pourrez le garder durant tout le mois d'août, en l'envoyant avec deux bataillons, et gardant le troisième. Vers ce temps, les Turcs se déclareront, et je vous enverrai un régiment de hussards à sa place.
126. AU MÊME.
Seitendorf, 17 juillet 1762.
.... Ma devise est : Festina lente. Je chemine lentement, mon cher frère; mais j'ai un homme encore plus lent et immobile vis-à-vis de moi, et je n'ai pas la foi assez vive pour transporter des canons, des montagnes, et surtout le maréchal Daun. Ayez donc encore un peu de patience; j'espère bien, mais je n'ose rien promettre.
127. AU MÊME.
Seitendorf, 18 juillet 1762.
Mon très-cher frère,
Je vous donne la triste nouvelle du détrônement de l'empereur de Russie.287-a Czernichew a déjà reçu l'ordre de se séparer de mon armée; il faudra attendre de meilleures déclarations de la Russie. Vous garderez en attendant287-b ....
Vous pouvez juger de l'embarras cruel où je me trouve tout au milieu de mes opérations, qui avaient toute l'apparence de <251>prendre une heureuse tournure. Il faut à présent attendre les premières nouvelles que nous aurons, et qui pourront nous donner quelques éclaircissements sur l'avenir.287-c
128. AU MÊME.
Quartier de Dittmannsdorf,
30 juillet 1762.
Mon cher frère,
Les lettres qui ont suivi celle que je vous ai faite le 18 de ce mois, au sujet de la révolution arrivée à Pétersbourg, vous doivent déjà avoir tranquillisé sur les premières appréhensions que naturellement un événement de cette sorte devait tout d'abord produire sur chacun, avant qu'on eût des notions ultérieures des circonstances qui l'accompagnaient. Grâce à Dieu, tout ce dont cet événement paraissait nous menacer est passé, et en conséquence d'une nouvelle dépêche que je viens de recevoir aujourd'hui matin du sieur de Goltz, l'Impératrice m'a fait réitérer les plus fortes assurances que le changement survenu dans cet empire-là ne porterait coup en aucune façon à la paix nouvellement conclue, mais qu'au contraire ce traité serait regardé comme sacré dans tous ses points; que d'ailleurs les ordres étaient effectivement donnés pour le rappel des troupes russes de Prusse et de Poméranie dans l'empire, et qu'ainsi l'évacuation de tous mes États se ferait dans peu. Je ne saurais entrer dans le détail des circonstances qui ont motivé les généraux russes à user de la façon dont ils ont agi en Prusse et en Poméranie après les premières nouvelles de la révolution qui nous donnèrent l'alarme; elles sont trop amples pour les détailler ici, et en partie fondées sur des conjectures que je ne saurais vous donner comme tout à fait certaines. Mais ce que je vous marque de l'état de mes affaires à Pétersbourg est sûr, et vous pouvez compter que la paix <252>avec la Russie sera observée, que la bonne intelligence entre moi et cette cour sera permanente, que la ville de Berlin n'aura rien à craindre, et que tout ce que les troupes russes tenaient occupé de mes provinces sera évacué dans peu par elles. Ainsi, mon cher frère, restez ferme dans les mesures que vous avez prises, sans en altérer ni changer aucun point, et sans vous en laisser détourner par quoi que ce puisse être ....
129. AU MÊME.
Dittmannsdorf, 4 août 1762.
.... Je reçois dans ce moment une dépêche de Constantinople qui porte que le traité est signé, que les Turcs m'assisteront de toutes leurs forces, et porteront tout de suite la guerre en Hongrie. Je fais partir sur-le-champ la ratification du traité. J'espère donc que cela fera dans peu de temps une forte impression sur la cour de Vienne, que vous prendrez alors sûrement Dresde, et moi Schweidnitz, que, selon les circonstances, vous pourrez peut-être encore prendre Prague, si la garnison n'en est pas trop nombreuse, du moins prendre des quartiers d'hiver en Bohême, et moi en Moravie. Cela fera la paix, mon cher frère; mais nous ne l'aurons que vers le printemps qui vient ....
130. AU MÊME.
Péterswaldau, 19 août 1762.
Mon très-cher frère,
Je vous ai marqué notre petite bataille;289-a mais voici une nouvelle à laquelle vous ne vous attendrez pas. La nuit du 17 au 18, <253>Daun s'est retiré avec toute l'armée à Wartha. Aujourd'hui, s'entend cette nuit, il est parti avec une colonne, prenant de Silberberg par Neurode le chemin de Braunau, l'autre,289-b celui de la Moravie. Son armée était forte de cinquante-cinq bataillons et de cent treize escadrons.
Vous jugez bien que ce n'est pas nous qui l'avons fait fuir; il faut donc que les nouvelles de la Turquie aient donné lieu à cet événement, qui assurément n'est point dans l'ordre naturel des choses. Peut-être vous apercevrez-vous bientôt de quelque chose d'approchant en Saxe.
131. AU MÊME.
Péterswaldau, 9 septembre 1762.
Mon cher frère,
Notre siége avance de façon qu'il doit finir bientôt; il le serait déjà, si de certains empêchements n'avaient retardé les travaux, comme, par exemple, des sources d'eau qui ont obligé les mineurs à faire de nouveaux rameaux, ce qui nous a fait perdre deux jours. Mais je puis vous dire à présent avec certitude que j'espère de vous dépêcher le 12 un courrier avec la nouvelle de la reddition de la place.290-a Le maréchal Daun est toujours à Scharfeneck, Loudon à Wüstengiersdorf, et Beck à Wartha.
<254>Notre neveu est allé aujourd'hui assister à un fourrage. Il commence à s'éveiller; mais nous ne sommes que des pygmées en comparaison de lui. Imaginez-vous le prince François, mais plus grand encore; voilà comme il est à présent.
J'ai reçu, ces jours passés, un beau présent de M. Krassnakoff, que ni vous ni moi ne connaissons; il consiste en deux dromadaires chargés d'une lente tartare, et en deux chevaux cosaques. Les dromadaires ont attiré ici une foule prodigieuse, excitée par la curiosité de voir ces singuliers animaux. Un empereur qui serait venu ici en personne n'aurait pas été plus considéré; le camp, le peuple, la noblesse, filles, femmes, enfants, tout est accouru; on n'a parlé huit jours que des dromadaires, à un point qu'ils auraient donné de l'envie à tous ceux qui veulent faire du bruit, et qui veulent que leur nom soit dans la bouche de tout le monde. Je suis tout glorieux de mon équipage asiatique, et je ne doute point qu'il n'ait un succès prodigieux partout où il passera. Je crois, mon cher frère, que cela ne vous touche guère, et que vous apprendriez avec plus de plaisir la retraite du prince de Stolberg, et mieux encore celle de Serbelloni. Je voudrais par des sortiléges vous la procurer, si cette belle science était aussi réelle que nos ignorants d'aïeux l'ont cru. Il faudra voir ce que le temps amènera, et si le ciel n'inspirera pas à nos ennemis l'envie de faire une grosse balourdise, une insigne sottise qui nous débarrasse d'eux. Je le souhaite de tout mon cœur pour vous, pour moi, et pour tout le peuple. Ainsi soit-il!
Adieu, mon cher frère; vous serez insruit de tout ce qui se passera ici, ou de ce que je puis prévoir ou conjecturer. Je vous prie de me conserver votre amitié, et d'être persuadé de la tendresse et de la parfaite estime avec laquelle je suis, etc.
<255>132. AU MÊME.
Péterswaldau, 12 septembre 1762.
Je vais, mon cher frère, vous mettre sous les yeux un tableau général de la situation présente où nous nous trouvons. Il vous suffira d'y jeter un coup d'œil pour comprendre la raison du peu de projets que je puis former. Je crains que vous n'ayez eu raison de ne pas vous attendre à une diversion de la part des Turcs; les dernières lettres que j'ai reçues de Constantinople font évanouir le peu d'espérance qui me restait de ce côté-là. Cela m'oblige à renoncer au projet de la Moravie, parce que je ne pourrais pas m'y soutenir, à cause que les Autrichiens ont fait marcher sept mille Hongrois dans le pays de Teschen, et que, si je les laissais derrière moi, ils me couperaient les vivres, qu'il faudrait tirer de Cosel, sans compter qu'un autre corps ennemi se tiendrait dans les montagnes de Johannesberg; de sorte que, par deux corps différents, les munitions de bouche seraient harcelées. Pour éviter ce mal, il faudrait laisser un grand corps dans la Haute-Silésie, ce qui affaiblirait si fort l'armée principale, qu'elle ferait une misérable pointe, qu'elle ne pourrait s'y soutenir, et serait obligée de revenir sur ses pas hiverner en Haute-Silésie; or, la campagne précédente a si fort ruiné le pays, que le plus grand inconvénient qui m'arrête est celui de ne pouvoir faire subsister les troupes. Il faut donc de nécessité se retourner d'un autre côté.
Le siége de Schweidnitz sera, s'il plaît à Dieu, bientôt achevé; voilà un grand pas de fait vers la paix. Mais le comté de Glatz est un sujet de discorde qui pourrait la rompre, ou du moins la retarder. Ce comté est entouré d'ouvrages, toutes les gorges et entrées sont fortifiées jusqu'aux dents; et quand même nous pourrions y entrer, le siége de Schweidnitz a consumé la plus grande partie de nos munitions, ce qui nous empêcherait également de reprendre la forteresse de Glatz. Toutefois, en reprenant Dresde, nous aurions un équivalent; et, pour ravoir cet électorat, on serait bien obligé de nous rendre et Glatz, et le pays de Clèves, et Gueldre. Voilà donc pourquoi je regarde la <256>prise de Dresde comme le coup le plus important pour nous, parce qu'il mènerait à une bonne paix, dont, selon les apparences, on pourrait convenir l'hiver prochain.
J'attends donc la réduction de Schweidnitz, pour voir quels mouvements le maréchal Daun fera; en attendant, je lui donnerai toutes les inquiétudes que je pourrai, et cela de tous côtés, pour voir ce qu'il conviendra le mieux de faire; et alors, si des raisons valables ne m'en empêchent pas, je me propose de marcher avec trente bataillons et soixante-dix escadrons en Saxe, droit à Dresde. Si je puis y arriver avant Daun, j'espère que nous ferons décamper Hadik, et que vous pourrez assiéger Dresde; je couvrirais le siége du côté de Weissig, et tout irait à merveille. Daun, qui ne s'est pas battu pour Schweidnitz, ne se battra pas pour Dresde, et, la ville prise, je partagerais mes troupes, une partie en Lusace, et l'autre en Thuringe. Il ne s'agit que de faire venir de la farine à Torgau; je fourragerai, et me tirerai bien d'affaire du reste; car si je n'envoie que quinze bataillons, et si Daun y va, je ne puis prendre d'ici que quinze autres bataillons, et je serais si fort en détachements, que je n'aurais point de masse pour m'opposer à l'ennemi.
Vous comprenez cela très-naturellement, et que, pouvant prévoir le mouvement que le maréchal Daun fera, il serait très-inconsidéré de ma part de manquer aux précautions que je dois prendre. Je vous prie de me dire sur ceci votre sentiment. Quant à Loudon, nous n'avons rien à craindre de lui; il commande le cordon qui couvre l'armée de Daun; celui-ci est à Scharfeneck avec trente-trois bataillons et soixante-dix escadrons; il se tient là pour tourner ou vers la Moravie, ou vers la Saxe, selon qu'il le jugera à propos. C'est donc sur l'arrangement des ennemis que je fonde mes conjectures, et que j'établis mon projet. Je voudrais volontiers faire mieux; mais je ne vois dans les circonstances présentes aucune opération préférable à celle-là, quelque difficile qu'elle soit ....
<257>133. AU MÊME.
Péterswaldau, 19 septembre 1762.
.... Notre siége ennuie tout le monde, mon cher frère; on me persécute pour en apprendre la fin. Je ne reçois pas une lettre de Berlin qui ne contienne un article sur ce chapitre.294-a Cependant je n'y sais d'autres moyens que la patience; on fait tout ce qui est possible, mais je ne saurais empêcher l'ennemi de se défendre, et Gribeauval lutte d'habileté contre Lefebvre. Cependant bientôt, bientôt, nous en verrons la fin. Il fait ici un temps du mois de décembre; les saisons sont aussi déréglées que la politique de l'Europe. Finalement, mon cher frère, il faut pousser le temps avec les épaules. Les jours se succèdent, et enfin nous attraperons celui qui mettra fin à nos travaux et à nos peines.
Adieu; je vous embrasse de tout mon cœur.
134. DU PRINCE HENRI.
Freyberg, 29 octobre 1762.
Mon très-cher frère,
C'est un bonheur pour moi de vous apprendre l'agréable nouvelle que votre armée a remporté aujourd'hui un avantage considérable sur l'armée combinée des Autrichiens et de l'Empire. Je suis marché hier au soir; j'ai trouvé l'armée ennemie en marchant par Wegfurth, laissant le Spittelwald à gauche, pour tomber sur la hauteur de Saint-Michel. J'ai fait deux attaques et deux fausses; l'ennemi a fait une résistance opiniâtre, mais la valeur soutenue de vos troupes a prévalu, et après un feu de trois heures, l'ennemi a été obligé de céder partout. J'ignore le nombre des prisonniers, mais cela doit passer les quatre mille; l'armée de l'Empire n'a quasi rien perdu; tout l'effort est tombé <258>sur les Autrichiens. Nous avons quantité de canons et de drapeaux. Le lieutenant-général Roth, de l'armée de l'Empire, se trouve au nombre des prisonniers. Je compte que nous avons perdu environ deux à trois mille hommes, parmi lesquels il n'y a aucun officier de marque.
Le lieutenant-général de Seydlitz a rendu les plus grands services; les généraux Belling et Kleist ont fait de leur mieux.
Toute l'infanterie a fait merveille; il n'y a pas un bataillon qui ait plié. Mon aide de camp,295-a qui vous présentera ma lettre, a été chargé d'aider à conduire l'attaque par le Spittelwald; si, en cette considération, vous vouliez avoir la bonté de l'avancer, j'aurais de très-humbles grâces à vous rendre.
J'ai bien des officiers pour lesquels je vous prierai, qui se sont distingués et comportés avec courage.
Vous me permettrez que je fasse payer ceux qui ont pris les drapeaux et les canons.
L'ennemi se retire vers Dresde et Dippoldiswalda. J'envoie cette nuit à leurs trousses. J'attendrai les nouvelles que je recevrai, pour me conformer en conséquence. Mon aide de camp est au fait de tout, et pourra vous rendre compte de tout ce que vous pourrez désirer savoir relativement aux circonstances présentes.296-a
L'ennemi n'a rien détaché de l'autre côté de l'Elbe. Ils ont voulu m'attaquer comme demain, mais à cette heure ils n'y pen<259>seront guère. Le général Wied passera demain, je crois, l'Elbe; cela viendrait fort à propos pour moi.
Je suis avec tout l'attachement, mon très-cher frère, etc.
135. AU PRINCE HENRI.
Löwenberg, 2 novembre 1762.
Mon cher frère,
L'arrivée de Kalckreuth avec votre lettre, mon cher frère, m'a rajeuni de vingt ans; hier j'en avais soixante, aujourd'hui dix-huit. Je bénis le ciel de ce qu'il vous a conservé en bonne santé, et que les choses se soient si heureusement passées. Vous avez pris le bon parti de prévenir ceux qui voulaient vous attaquer, et par vos bonnes et solides dispositions vous avez vaincu toutes les difficultés d'un poste fort et d'une vigoureuse résistance. C'est un service si important que vous rendez à l'État, que je ne saurais assez vous marquer ma reconnaissance, et me réserve de le faire en personne.
Kalckreuth vous rendra compte de tous les mouvements que je fais faire de mon côté pour faciliter, autant qu'il dépend de moi, vos opérations; et comme je les lui répéterai encore, il vous les dira de bouche. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est tout ce qui dépend de moi pour contribuer à faire tourner la tête à Hadik, à qui elle tourne facilement. J'ai ordonné des réjouissances, qui se feront depuis Lauban jusqu'à Frankenstein et Neisse, pour célébrer votre victoire, et rendre avec plus de raison la pareille aux Autrichiens, qui nous ont donné cette désagréable sérénade le 26 du mois passé.297-a Si le bonheur favorise nos vues sur Dresde, nous aurons indubitablement la paix ou cet hiver, ou ce prin<260>temps, et nous sortirons honorablement d'une conjoncture difficile et périlleuse où nous nous sommes trouvés souvent à deux pas de notre entière destruction. Par ceci vous aurez seul la gloire d'avoir porté le dernier coup à l'obstination autrichienne, et d'avoir jeté les premiers fondements de la félicité publique, qui sera une suite de la paix.
Je ne veux point arrêter Kalckreuth davantage. Vous avez bien fait de faire distribuer les récompenses promises. J'ai encore quelques petites bagatelles dont je puis disposer, et j'attendrai sur ceux que vous me direz s'être le plus distingués, pour leur en témoigner ma reconnaissance. Adieu, mon cher frère; je suis avec tous les sentiments d'amitié, de tendresse et de reconnaissance, etc.
136. AU MÊME.
Sprottau, 4 (novembre 1762).
Mon cher frère,
Le peu de pertes que vous avez fait à votre action me réjouit infiniment; c'est faire les choses galamment, et ne point arroser vos lauriers de nos larmes. Vos lieutenants seront capitaines, comme vous le désirez, et j'assemblerai de croix tout ce qu'on en pourra trouver à Berlin, pour que vous puissiez les distribuer à ceux qui se sont le plus distingués ou par leur valeur, ou par leur intelligence, ou par leur zèle. Mon croc est très-mal fourni de matières à gratifications; je pourrais donner des prébendes in partibus infidelium; cependant je ferai ce qui sera possible, pour témoigner à ceux qui l'ont mérité ma bonne volonté et ma reconnaissance. Je vous ai annoncé un détachement de Caramelli; mais comme cela se trouve faux, je le révoque, et vous envoie une lettre de Lentulus où vous verrez que c'est un bruit sans fondement. Les Saxons et les Autrichiens en feront sûrement courir de cette espèce le plus qu'ils pourront. Toutefois j'ai bien des <261>raisons de croire que Daun ne détachera rien. Cela serait si long à détailler, que je vous prie de vous en rapporter sur ma bonne foi. Toutes nos montagnes ont retenti hier du bruit de votre victoire; pour rendre la chose plus touchante, les canons ont tiré à boulets aux endroits où nos postes sont à portée de l'ennemi. La galanterie ne sera pas de leur goût; mais c'est un rendu, et vous m'avez fait grand plaisir de me fournir sitôt l'occasion de m'acquitter envers eux. Adieu, mon cher frère; je vous prie d'être persuadé de l'estime, de la tendresse et de la reconnaissance avec laquelle je suis, etc.
137. DU PRINCE HENRI.
Freyberg, 19 novembre 1762.
Mon très-cher frère,
Votre neveu est arrivé, en m'assurant de votre gracieux souvenir. J'ai eu le plaisir de l'embrasser, en songeant à la reconnaissance que je vous dois. J'avoue que j'aurais pu le rencontrer et passer devant lui sans me douter que je lui appartienne de si près; sa taille énorme, le changement qui s'est fait dans toute sa personne, m'a fait sentir que le temps a un cruel empire sur les hommes. Je l'ai trouvé, en le jugeant par comparaison du passé, fort libre et dégagé, poli et attentif; il avoue qu'il doit cela aux soins que vous avez bien voulu vous donner pour lui pendant le cours de cette dernière campagne, et cet aveu ajoute beaucoup à l'amitié qu'il m'inspire ....
<262>138. AU PRINCE HENRI.
Meissen, 20 novembre 1762.
Mon cher frère,
Je suis bien aise de ce que vous soyez content de notre neveu; il faut le dégourdir encore davantage; plus on lui fait voir, plus on l'amuse, et mieux c'est. Si vous pouvez le faire danser, c'est, je crois, le plus grand plaisir que vous pourrez lui faire; mais je crois que Freyberg ne fournira guère de sujets à la danse.
Les Autrichiens ont demandé à faire une convention pour l'hiver. On est convenu de nommer un lieutenant-général de chaque part; j'ai chargé Krockow de cette commission, eux Ried. Voulez-vous bien faire expédier un passe-port pour le général Ried, et l'envoyer à Krockow, pour que, après-demain, jour de l'entrevue, on puisse le faire délivrer à Ried? Cette convention une fois conclue, rien n'empêchera que les troupes n'entrent d'abord dans leurs quartiers. La souplesse que les Autrichiens témoignent en cette occasion est une suite de la bonne leçon que vous leur avez donnée à Freyberg, et l'on sera obligé de recourir à vous pour donner des leçons de politesse à la fierté dédaigneuse de nos ennemis. Je vous communiquerai tous les points dont les commissaires sont convenus; au moins jouirons-nous d'un repos solide durant l'hiver. Adieu, mon cher frère; je souhaite que votre santé aille toujours en augmentant, et que vous n'oubliiez pas celui qui est avec une sincère tendresse, mon cher frère, etc.
139. DU PRINCE HENRI.
Freyberg, 23 novembre 1762.
Mon très-cher frère,
Quoique ma reconnaissance ne trouve point de mots pour s'exprimer, je dois pourtant vous assurer que je suis sensiblement <263>touché pour la bonté que vous avez eue de m'accorder le plaisir de voir notre neveu ici. Il pense vous rendre compte des différents terrains qu'il a vus. Il a été voir les mines, c'est-à-dire tout ce qui se fait sur terre, car je n'aurais osé lui conseiller de descendre sous terre. Toutes les bonnes qualités que son cœur et son esprit renferment se développeront entre vos mains, et je suis très-assuré qu'il vous donnera toujours davantage sujet d'être content de lui ....
140. DU MÊME.
Freyberg, 28 novembre 1762.
Mon très-cher frère,
Si je consultais le sentiment qui m'anime, j'irais tout de suite vous remercier de bouche pour la donation que vous avez eu la grâce de m'envoyer.301-a Le présent que vous me faites là est très-considérable; je ne dissimule pas que les besoins de la vie me rendent sensible aux choses qui les procurent, mais je puis avec vérité vous dire que mon plus grand plaisir consiste d'avoir une preuve certaine de votre satisfaction. Il n'y a aucune proposition qui puisse m'être plus agréable que celle que vous daignez me faire en me permettant d'oser vous faire ma cour à Leipzig, après avoir été privé de cet honneur pendant plusieurs années. J'en profiterai avec tout l'empressement. Je compte de me rendre d'ici à une couple de jours à Dahlen, maison qui appartient au comte de Bünau, à distance égale de Leipzig, de Meissen et de Torgau. Si vous vouliez agréer que j'osasse, pour une couple de semaines, faire un tour à Berlin pour arranger mes affaires domestiques, je retournerais ensuite par Magdebourg; cependant <264>je ne suis pas si fort pressé, et j'aimerais mieux avant tout de vous faire ma cour pendant quelque temps. C'est uniquement pour que je puisse m'arranger sur la résolution que vous voudrez prendre que j'anticipe à vous écrire à ce sujet. Je suis, etc.
141. AU PRINCE HENRI.
Leipzig, 14 janvier 1763.
Mon cher frère,
Je me suis bien douté que vous ne trouveriez pas Berlin comme autrefois. La suite de nos calamités doit à la fin se faire ressentir à un pays pauvre, naturellement stérile, et dont on force la fécondité à force d'industrie et de travaux. Cependant je ferai ce que je pourrai pour remédier à la disette autant que mes petits moyens me le permettent. D'ailleurs, mon cher frère, vous n'avez aucun lieu de vous inquiéter de tous les bruits qu'on publie au sujet de Wésel et de Gueldre; quand même les Autrichiens s'en mettraient en possession, cela ne dérangerait en rien nos affaires. Nous aurons la paix à la fin de février ou au commencement de mars, et au commencement d'avril chacun se trouvera chez soi comme en 56. Les cercles vont se séparer incessamment des Autrichiens; cela devient indifférent à présent, vu la tournure que les choses ont prise. Quoi qu'il en soit, il est toujours bon qu'on sorte les tisons du brasier pour en amortir la flamme. Je souhaite que vous vous amusiez bien à Berlin; pour moi, qui n'apprends que par mes neveux comme on se divertit à Leipzig, je n'entends parler que de bals et redoutes, et, pour vous en donner une idée, une madame Frideric, ci-devant jardinière à Seidlitz, à présent femme d'un officier de hussards francs, est une des principales héroïnes de ces fêtes. Faites prier dans les églises de Berlin que le ciel préserve nos jeunes gens du danger qu'ils y courent. Adieu, mon cher frère; n'oubliez pas un vieux frère que la guerre, la politique et les finances font donner <265>au diable, et qui, tant qu'il végétera dans ce monde-ci, sera avec la plus tendre amitié et la plus parfaite estime, etc.
142. AU MÊME.
Leipzig, 25 janvier 1763.
Mon cher frère,
Rien ne peut m'être plus agréable que la part obligeante que vous prenez à mon existence. Je deviens bien vieux, mon cher frère; dans peu je serai inutile au monde et à charge à moi-même. C'est le sort de toutes les créatures de dépérir avec l'âge; mais il ne faut cependant pas abuser du privilége de radoter.
Vous me parlez toujours de notre négociation d'un ton comme si vous y mettiez peu de confiance. Il est très-sûr que le chapitre des événements est inépuisable; il est sûr qu'il peut arriver tout plein de choses que l'esprit borné des hommes ne saurait prévoir. Mais, suivant le cours ordinaire et les degrés de probabilité suffisants pour fonder des espérances, je crois que notre paix sera faite avant que le mois de février soit entièrement écoulé. J'y mets ce terme pour l'envoi de différents courriers qui sont indispensables, parce que, mon cher frère, quelque hâté que l'on soit, il y a de certaines choses qui se font mal, si elles se font avec précipitation, et qui demandent de la maturité et de la réflexion. Une paix comme celle-ci constate l'état de deux peuples. Durant le cours de la paix, il y a tant de discussions entre les voisins, que, si l'on ne s'accorde sur les principales, on fournit des aliments d'une nouvelle guerre au premier esprit inquiet qui en veut profiter. Ayez donc encore un peu de patience, et j'espère que je pourrai vous donner des nouvelles que ce grand ouvrage a été heureusement conclu. Je suis, etc.
<266>143. AU MÊME.
Leipzig, 2 février 1763.
Mon cher frère,
Je croirais vous manquer, si je ne vous donnais pas le premier la bonne nouvelle que la paix est faite. Nous sommes d'accord sur tout, on signera le traité la semaine prochaine, et ainsi se terminera cette cruelle guerre, qui a tant coûté de sang, de soucis et de pertes. Vous connaissez trop ma façon de penser pour croire que j'aie signé ma honte ou quelque chose de préjudiciable aux avantages de la postérité. Je crois que nous avons fait la meilleure paix que possible dans les circonstances où nous nous trouvons. Cela fait, je renverrai incessamment les régiments de la Westphalie, du Rhin et de la Prusse; mais ceux de la Marche et de la Poméranie seront obligés d'attendre ici jusqu'à ce que les rivières soient ouvertes, et que l'on puisse procéder aux transports des magasins, de sorte que je donne encore tout le mois de mars avant l'entier retour des troupes. Je me presse de vous rendre tout ceci à la chaude, persuadé de la part que vous y prenez, en vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
144. AU MÊME.
(Leipzig) 9 février 1763.
Mon cher frère,
Nous sommes, comme je vous l'ai mandé, d'accord avec nos ennemis sur toutes les conditions de la paix. Pour moi, je souhaiterais que, au lieu de préliminaires, on signât d'abord le traité. Cela a exigé l'envoi d'un courrier qui reviendra le 13 ou le 14, de sorte que vous pouvez compter que, ce jour, les préliminaires sûrement et peut-être le traité définitif sera signé. Les conditions sont une restitution in integrum, de toute part, sur le pied où <267>nous étions avant la guerre. Par complaisance et pour adoucir les esprits, j'ai promis ma voix à l'archiduc Joseph pour le faire empereur. Voilà la substance de la négociation. Il y a bien des articles pour le commerce et autres choses, mais qui ne sont d'aucune importance. Le dessous des cartes a été plus compliqué; un corps de Turcs de cent dix mille hommes sur les frontières de la Hongrie, la paix séparée des princes de l'Empire, et une convention conclue avec les Français pour les provinces du Rhin, a fort accéléré la négociation. Voilà donc une affaire terminée, après d'horribles agitations et périls. Les ratifications ne pourront être échangées que le 25; ainsi les troupes ne rentreront entièrement dans le pays qu'au commencement d'avril. Je souhaite que vous ayez pu vous occuper d'objets agréables à Rheinsberg. Je crains bien qu'il y aura eu quelque petite chose à redire; mon tour viendra, et je m'y prépare. Cependant j'ai pris mes mesures de façon que je compte tout réparer, et cela, promptement. Je mets déjà la main à l'œuvre, et j'espère que dans une année il y paraîtra. J'ai encore beaucoup à travailler, ce qui m'oblige d'abréger cet entretien; ce ne sera pas cependant sans vous assurer de toute la tendresse avec laquelle je suis, etc.
145. AU MÊME.
(Leipzig) 14 février 1763.
Mon cher frère,
Je n'ai jamais douté de la part que vous prenez à l'heureux événement de la paix, et je vous remercie, mon cher frère, des vœux obligeants que vous faites en ma faveur. Nous attendons ici la nouvelle de la signature incessamment; les Autrichiens sont convenus de convertir l'acte des préliminaires en paix définitive. Les ratifications pourront donc en être échangées vers le 25 de ce mois, après quoi s'en fera la publication générale. Je ne pourrai être de retour à Berlin que dans six semaines au plus tôt, parce <268>que j'ai beaucoup à faire ici pour la marche des régiments, pour régler les transports par eau, et autres choses semblables; ensuite je m'en vais en Silésie, où il y a bien des arrangements à prendre. Je veux y finir toutes mes affaires, pour ne point être obligé d'y revenir avant l'année 64. Tout cela, mon cher frère, me traînera jusqu'au mois d'avril; ensuite un nouveau travail succédera à celui-là, pour régler et rétablir tant la Marche que le Magdebourg et Halberstadt; et puis il faudra bien faire un tour en Poméranie, et puis un autre dans le pays de Clèves. Tout cela est un charmant délassement dont, je vous assure, je me passerais bien, si cela dépendait de moi. Toutes nos monnaies seront remises sur un meilleur pied au mois de juin; je paye toutes les dettes de l'État entre ci et ce temps-là; après, je puis mourir quand il me plaira. Adieu, mon cher frère; je vous embrasse, en vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
146. AU MÊME.
Dahlen, 19 février 1763.
Mon cher frère,
Vous serez surpris de la date de ma lettre. Je suis venu ici, puisque je commence à retirer les troupes, et que cependant je dois me trouver à portée d'être informé tant des mouvements de nos anciens ennemis que pour donner les ordres nécessaires. Les ratifications arriveront, à ce que l'on croit, le 27; alors on publiera la paix partout. Je viens de Meissen, où le Prince électoral m'a fait complimenter; je l'ai fait recomplimenter à mon tour. Il m'a demandé une entrevue; je le verrai à Moritzbourg, en prenant le chemin de la Silésie. Le roi de Pologne a été fort mal; il est tant soit peu mieux. Le premier ouvrage de sa convalescence a été d'ordonner de nouveaux impôts. Quel homme! Oui, mon cher frère, toutes nos monnaies seront changées entre ci et le mois de juin, et, l'année 64, je suis presque sûr de les rétablir <269>entièrement sur l'ancien taux. J'ai pris ici une infinité d'arrangements avantageux aux provinces, de sorte que j'espère dans deux années qu'il ne paraîtra plus la moindre trace de la guerre. Le pays se repeuplera d'abord de soixante-quatre mille hommes, sans compter les goujats et valets d'armée, et j'ai tant de magasins de reste, qu'il y a quantité de blé destiné pour les semailles, et d'autre pour abaisser les prix exorbitants. Je ne vous marque ceci que vaguement; mais tout est déjà réglé et distribué.
Pour moi, mon cher frère, je n'ai personnellement aucun regret que la paix s'est faite comme vous le savez. Si l'État avait acquis quelque province de plus, ç'aurait été un bien sans doute; mais comme cela n'a pas dépendu de moi, mais de la fortune, cette idée ne trouble en aucune manière ma tranquillité. Si je répare bien les malheurs de la guerre, j'aurai été bon à quelque chose, et c'est où se borne mon ambition. Conservez-moi votre précieuse amitié, et soyez persuadé de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
147. AU MÊME.
(Dahlen) 24 février 1763.
Mon cher frère,
Je pense bien comme vous sur la conduite du roi de Pologne; à peine nos troupes ont-elles quitté les villes, que les commissaires saxons y sont entrés avec des assignations et des ordres de payer.308-a Cette conduite inhumaine est certainement avantageuse pour nous, car la misère de ces peuples en obligera beaucoup à se réfugier ailleurs. D'ailleurs, la conduite du roi de Pologne est si bizarre, qu'il se brouille aussi mal à propos que possible avec la cour de Russie.309-a Tout ce qui est un mal pour lui devient en ce moment un bien pour nous. Nous avons des nouvelles de <270>Vienne qui portent que la nouvelle de la paix y a été reçue avec de vraies démonstrations de joie; les ratifications arriveront en deux jours, et cette affaire sera finie. Le comte Kaunitz et sa souveraine sont excessivement dégoûtés de la guerre; à en juger par les procédés, je crois qu'à présent au moins ils désirent sincèrement de vivre en bonne intelligence avec nous. Cependant il ne faut pas oublier la fable du chat et des souris; le chat demeure chat, quoi qu'il fasse.
Je crois que le Prince et la Princesse électorale ont de bonnes intentions, qui cependant ne prévaudront pas contre le gouvernement de Brühl, tant qu'il durera. Il est bien difficile aux hommes, mon cher frère, de porter un jugement de l'avenir; le chapitre des événements est trop vaste; néanmoins j'entrevois que cette paix pourra durer le peu de jours qui me restent à vivre, car toutes les puissances sont épuisées. S'il y a une nouvelle guerre, il y a apparence qu'elle se fera entre la France et l'Angleterre; il n'y a qu'à ne se point allier avec ces peuples et les laisser faire. Que nous importe la merluche et le Cap-Breton?309-b
Je suis assez content dans ce moment de la Russie, et mon sentiment est qu'il faut rester comme nous sommes, en nous ressouvenant du proverbe de l'empereur Auguste : Festina lente.
Cependant j'emploie tout ce temps-ci à faire des arrangements domestiques, et il n'y a plus aucun doute que, dès cette année, la plus grande partie des provinces sera remise; l'année prochaine, il ne faut plus qu'il reste nulle part des traces de la guerre. C'est mon devoir, mon cher frère, de travailler dans cette occasion; si de ma vie je puis rendre quelque service à l'État, c'est de le relever à présent de la subversion, et, s'il est possible encore, de corriger les abus et de mettre la réforme où elle est nécessaire. Ce projet est vaste, et embrasse beaucoup de branches; mais si le ciel m'accorde quelques jours de vie, je le conduirai à sa perfection; sinon, j'en laisserai les traces, que les autres pourront suivre, s'ils le trouvent à propos. Je suis, etc.
<271>148. AU MÊME.
Dahlen, 26 février 1763.
Mon cher frère,
Vous n'avez pas besoin de me remercier à l'égard des quartiers d'hiver;310-a c'est la moindre attention que je vous devais, car certainement les travaux de votre dernière campagne n'ont pas peu contribué à rendre plus souple et plus pacifique la cour de Vienne. Nous attendons à tout moment la ratification des préliminaires; il me revient même de tous les côtés que les Autrichiens vont rondement dans l'exécution des articles de la paix qui les regardent.
En allant en Silésie, je ferai pour vous, mon cher frère, et pour mon frère Ferdinand, le métier de contrôleur de vos finances; les revenus que vous tirez tous deux de ces terres311-a sont trop nécessaires pour qu'on les néglige, et je vous rendrai compte de ma commission à Berlin. Je suis, etc.
149. AU MÊME.
Torgau, 14 (mars 1763).
Mon cher frère,
Je profite du départ de mon neveu pour vous répondre à votre lettre. J'ai replié les troupes jusqu'ici, et après-demain je verrai <272>la Princesse royale,311-b et de là je partirai pour la Silésie. Mon neveu a vu aujourd'hui le champ de bataille qui, passé deux ans, m'a fait passer de mauvais quarts d'heure. J'ai tout plein d'affaires à finir ici, ce qui m'oblige d'abréger ma lettre, en vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
150. AU MÊME.
Potsdam, 1er mai 1763.
Mon cher frère,
Je souhaite que le vin de Hongrie vous fasse plaisir, et que vous puissiez le vider, mon cher frère, jouissant d'une parfaite santé. A présent que vous aurez le temps de prendre des remèdes, j'espère que vous vous remettrez doucement; cependant je crois que vous ne devrez votre entière guérison qu'à quelque accès de goutte qui chassera les matières scorbutiques et rhumatiques de vos membres, en la fixant en quelque jointure. Je crains bien que vous n'approuverez pas mes souhaits; cependant je crois que c'est la meilleure manière de se défendre que d'obliger l'ennemi d'attaquer les parties externes, en l'éloignant le plus que l'on peut des parties nobles; et la goutte est un héritage de nos pères, qu'il faut que nous prenions comme une partie de leur succession. Je suis à présent au point de finir tout mon ouvrage, et je compte d'aller à Sans-Souci pour y profiter de la belle saison. Faites-moi la justice de me croire avec toute la tendresse et l'estime possible, etc.
<273>151. AU MÊME.
(Sans-Souci) ce 9 (mai 1763).
Mon cher frère,
Il manque à mes Mémoires votre campagne en Saxe de l'an 1761. Ayez la bonté de me faire faire un extrait de votre journal, et de me l'envoyer; je vous en aurai une obligation infinie. Je souhaite que l'état de votre santé se fortifie à présent, et que vous soyez aussi heureux et bien portant que mon cœur le désire. Vous assurant de la tendresse parfaite avec laquelle je suis, etc.
152. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 9 mai 1763.
Mon très-cher frère,
J'aurai l'honneur d'obéir à vos ordres, et de vous envoyer incessamment le précis des deux campagnes en Saxe, de 1761 et de 1762; je ne vous demande qu'une couple de jours, afin que je puisse faire quelques recherches parmi mes papiers sur ces objets que vous ordonnez d'avoir.
Je compte dans une huitaine de jours de partir pour Rheinsberg, pour y jouir du souvenir de vos bontés, que ce séjour me rappellera bien vivement; aussi ma santé se trouvera bien mieux à la campagne qu'en ville, où l'air enfermé n'est pas le plus sain. Je fais des vœux pour votre santé, et vous prie d'être assuré que mon bonheur dépend toujours de votre bienveillance, qui est l'unique objet de mes recherches, étant toujours avec l'attachement le plus sincère, etc.
<274>153. AU PRINCE HENRI.
(Sans-Souci) ce 12 (mai 1763).
Mon cher frère,
Je vous rends mille grâces de l'abrégé de votre journal que vous avez la bonté de m'envoyer; j'en ferai un usage qui, je me flatte, ne vous sera pas désagréable. Vous me parlez, mon cher frère, de votre voyage de Rheinsberg; il ne dépend que de vous de le faire quand vous le jugerez à propos. C'est à présent réellement le temps où la campagne est la plus belle, où, chaque jour, on voit fleurir et éclore, et les progrès de toutes les productions de la nature qui semblent s'empresser à l'envi pour orner les paysages et la terre qui les nourrit. Je vous en parle avec extase, parce que voici huit jours que je jouis de ce spectacle charmant ici, à Sans-Souci. L'arrivée de ma sœur314-a me rappelle aujourd'hui en ville; il faudra ensuite aller en Poméranie, et puis au pays de Clèves; mais, cela fait, j'espère que pour le reste de l'année je pourrai être tranquille. Je suis avec la plus tendre estime, etc.
154. AU MÊME.
(Berlin, 20 mai 1763.)
Mon cher frère,
J'ai fait payer hier soixante-six mille écus que je devais pour votre palais, de sorte que toute la boiserie intérieure et la grille de fer seront achevées. Le Kriegesrath Westphal a aussi reçu de moi vingt-six mille sept cents écus, dont vous pouvez disposer pour les meubles. Je vous dois encore trois mille trois cents écus, que j'acquitterai vers la Trinité. Je pars dans ce moment pour <275>Schwedt et Colberg. Adieu, mon cher frère; je vous embrasse tendrement.
155. AU MÊME.
Berlin, 26 (mai 1763).
Mon cher frère,
A mon retour de Colberg, je trouve ici votre lettre, et je suis charmé que l'intention de vous obliger vous fasse plaisir. J'ai trouvé ma pauvre sœur de Schwedt ni bien ni mal, mais dans un état qui menace toujours de sa perte.
J'ai parcouru les endroits les plus ruinés par la guerre, et j'ai fait ce qui dépendait de moi pour les remettre; quoique certaines contrées aient beaucoup souffert, le mal n'est pas aussi grand que l'exagération l'a fait, et je me flatte que dans deux ans la province sera plus peuplée et en meilleur ordre qu'elle ne l'a été avant la guerre. La Nouvelle-Marche est en plein travail; tout se remue, et chacun met la main à l'œuvre. Je ne m'en suis pas tenu là; j'ai commencé un nouvel établissement où nous placerons six mille familles; c'est entre Driesen, Landsberg et Cüstrin.315-a J'ai vu tout l'établissement de Freyenwalde, qui est superbe. J'ai été chez le comte Podewils,315-b d'où je reviens aujourd'hui. Je pars le 6 pour Wésel, où il y aura un chaos différent à débrouiller, et à mon retour je passerai chez ma sœur de Brunswic. Voilà, mon cher frère, ce qui me reste d'ouvrage avant que je puisse penser à me reposer; mais le devoir et l'utilité publique doivent l'emporter sur les intérêts particuliers. Je vous embrasse <276>de tout mon cœur, en vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, etc.
156. AU MÊME.
Potsdam, 27 juin 1763.
Mon cher frère,
Je viens de recevoir votre lettre à mon retour. Je suis chargé, mon cher frère, de vous faire de grands compliments de la part de ma sœur de Brunswic. J'ai enrôlé ses deux fils,316-a qui passent ici au service. C'est une vraie trouvaille; ces enfants sont charmants, pleins d'honneur et d'ambition; l'un d'eux, c'est le même qui a sauvé Brunswic et fait évacuer Wolfenbüttel. Oserais-je vous prier, si vous le pouvez sans vous incommoder, de m'envoyer la relation de votre dernière campagne? Cela me ferait un très-grand plaisir, et vous ajouteriez cette obligation à celles que je vous ai déjà, étant avec la plus parfaite estime et tendresse, etc.
157. AU MÊME.
Sans-Souci, 5 juillet 1763.
Mon cher frère,
Voici un nouvel embarras. Buddenbrock317-a demande à se retirer de mon neveu,317-a et je ne sais qui placer près de lui. Je vous prie de penser à quelqu'un, car vous savez qu'il est très-difficile de trouver quelqu'un de propre à être auprès de cet enfant. Il est <277>si aimable, que ce serait un meurtre de le mettre en mauvaises mains. J'ai encore quelques affaires à régler à Berlin, que j'expédierai à Charlottenbourg, après quoi je viendrai ici recevoir ma sœur de Schwedt, qui passera une huitaine de jours chez moi. La saison est si belle, qu'elle doit favoriser la cure dont vous vous servez. Je souhaite, mon cher frère, que les effets vous soient les plus heureux, vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, mon cher frère, etc.
158. AU MÊME.
(Sans-Souci) ce 11 (juillet 1763).
Mon cher frère,
Je crois que des officiers que vous avez proposés auprès de mon neveu le plus convenable serait le vieux Meinike,317-b et, au cas qu'il le refuse, Blumenthal.318-a Je verrai comment je parviendrai à ajuster cette affaire; il ne s'agit que de savoir s'ils accepteront.
J'ai engagé un peintre habile pour travailler à votre maison, à Berlin; il doit faire les plafonds de la salle et de la galerie. Ayez la bonté de me dire les sujets qui vous feraient le plus de plaisir pour ces plafonds; il pourra d'abord commencer celui de la salle, qu'il pourra finir vers l'hiver. J'attends sur cela, mon cher frère, ce qu'il vous plaira de me marquer, pour le mettre tout de suite à l'ouvrage.
Je vais après-demain à Charlottenbourg, pour achever de constater le tableau général des finances pour cette année, et y finir toutes les affaires relatives à l'armée et à l'artillerie, ainsi que l'économie générale, dont Wartenberg est chargé.318-b Ma sœur <278>Amélie va beaucoup mieux; je suis persuadé que vous y prenez part. D'Alembert est ici;318-c je ne sais s'il restera, ou s'il ne se fixera pas ici; c'est un homme de beaucoup de savoir et de connaissances. Je suis avec la plus parfaite tendresse, etc.
159. AU MÊME.
Charlottenbourg, 16 (juillet 1763).
Mon cher frère,
Puisque vous ne voulez pas décider des plafonds de votre salon, je tâcherai de m'en acquitter de mon mieux; nous ferons quelque repas des dieux dans la salle, et, dans le plafond de la galerie, nous y mettrons Apollon conduisant son char, accompagné des Heures, précédé par l'Aurore, avec des génies qui répandent des fleurs. Le peintre qui y doit travailler s'appelle Guglielmi;319-a c'est lui qui a fait les plafonds à Schönbrunn, et, selon le dire des connaisseurs, le plus habile qu'il y ait à présent en Italie.
Je souhaite, mon cher frère, que les eaux vous fassent tout le bien que je désire. Il est sûr qu'il ne faut point travailler durant le temps qu'on les prend, parce qu'elles montent à la tête. Il n'y a rien qui presse pour les mémoires que je vous ai prié de m'envoyer. Je serais au désespoir qu'ils altérassent, par le soin que vous y donnez, le moins du monde votre santé.
Mon frère Ferdinand me mande aujourd'hui que ma sœur a commencé les eaux, et que les médecins promettent des merveilles de cette cure. J'en suis enchanté, car je voudrais, si cela dépendait de moi, ne rien perdre pendant ma vie de ce qui nous reste de la famille.
D'Alembert est ici. Je ne saurais vous dire encore avec certitude s'il acceptera la place de président de l'Académie, ou ce <279>qui en arrivera. Le vieux baron ressuscité319-b a fait un pèlerinage ici. Nous avons entendu hier dans la chapelle le beau Te Deum de Graun;319-c il y avait beaucoup de monde. J'ai encore des comptes à revoir et à rectifier; cela dure depuis quatre grands mois. Je vous avoue que ce n'est pas un amusement pour lequel je me sente la moindre prédilection; mais il faut en passer par là pour éviter un embrouillement total dans les finances. Il faut encore pourvoir la ville de Berlin de bois pour cet hiver. Enfin j'espère de finir tout cela vers le 19 de ce mois, et après je fais bien des vœux de ne plus revoir de comptes que l'année prochaine. Portez-vous bien, amusez-vous, mon cher frère, et comptez sur la tendresse avec laquelle je suis, etc.
160. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 20 juillet 1763.
Mon très-cher frère,
C'est une grâce que vous me faites d'avoir la bonté de choisir le sujet des plafonds que vous daignez me donner, et pour laquelle vous voudrez agréer les sentiments de ma reconnaissance. Je n'abuserai pas de votre indulgence, mon très-cher frère, et j'espère dans peu vous envoyer les mémoires que vous avez ordonné d'avoir; dans cinq ou six jours j'aurai fini de prendre les eaux, et je ne tarderai pas à vous obéir. Ma sœur Amélie revient de loin, si elle se rétablit. On m'a écrit que sa maladie était plus dangereuse qu'on ne l'a cru ici; ses poumons sont attaqués, mais les médecins de là-bas lui donnent de grandes espérances; l'intérêt que vous prenez à elle doit lui rendre la vie plus chère.
<280>Je me rappelle d'avoir entendu au dôme de Berlin une musique d'église de la composition de Graun; je ne sais si c'est la même que vous avez fait exécuter à Charlottenbourg. Celle dont je parle est très-belle, et ne peut être comparée qu'au Stabat mater du Pergolèse, lequel me paraît un morceau de musique achevé. Cependant ceux qui ont écouté le Miséréré chanté à Rome préfèrent cette musique à toute autre; mais il faudrait être en Italie pour en juger. On avait écrit dans les gazettes que d'Alembert devait y aller pour recueillir sur les antiquités toutes les connaissances qu'il faut avoir, et qu'on ne peut acquérir que sur les lieux mêmes; il est très-certain que de tous les pays à voir, c'est celui qui mérite le plus d'être connu. Les monuments respectables, entourés par les habitants d'aujourd'hui, forment un contraste qui donne lieu à bien des réflexions pour une âme pensante; la beauté du pays, le théâtre des guerres anciennes et modernes, forme encore un tableau sur lequel l'imagination peut travailler. Ce pays réunit des beautés et des curiosités qu'on ne trouve dans aucun autre, et, par tant d'endroits, mérite bien la curiosité qui attire les voyageurs.
Mais j'abuse de votre patience par mes raisonnements frivoles; je vous supplie de les agréer en faveur du sentiment qui les accompagne : c'est celui du tendre attachement avec lequel je ne cesserai d'être, etc.
161. AU PRINCE HENRI.
Potsdam, 23 juillet 1763.
Mon cher frère,
Je viens d'achever, grâce au ciel, tout mon ouvrage de finances, après quatre grands mois de travail; à présent l'ordre est remis partout, et les choses commencent à reprendre leur train ordinaire. J'ai presque pris une aversion pour les calculs et pour les comptes, après les désagréables détails qu'il a fallu revoir. J'ai<281>merais autant avoir fait de l'algèbre; mais comme cela est fini, n'en parlons plus.
Les nouvelles de Vienne marquent que la cour est dans les plus grandes inquiétudes du côté de la Porte; le sultan mériterait d'être fessé, s'il commençait la guerre à présent. Mes lettres de Constantinople n'annoncent aucune rupture; je crois que ces cent mille Turcs qui depuis dix-huit mois sont aux frontières de la Hongrie inquiètent la reine de Hongrie. Le roi de Pologne est à Teplitz avec une nombreuse suite; les Saxons jusqu'ici ne prennent des arrangements pour rien. Le roi de France court à la chasse à Compiègne; le roi d'Angleterre se gratte les c.... Que béni soit le ciel, mon cher frère, que je n'aie que des coïonneries à vous écrire! Ceci vaut mieux que des projets de campagne en réserve pour trois ou quatre cas désespérés dans lesquels on prévoyait qu'on pourrait se trouver.
M. Guglielmi fait ses esquisses, et se prépare à décorer vos plafonds. M. d'Alembert veut voir l'Italie. Notre neveu exerce; moi, je me repose, et vous souhaite à Rheinsberg tous les contentements que vous pouvez désirer, étant avec une parfaite tendresse, etc.
162. AU MÊME.
Potsdam, 30 juillet 1763.
Mon cher frère,
Je vous ai des obligations infinies de la relation de votre campagne que vous avez la bonté de m'envoyer. Je l'ai lue et relue avec plaisir, et la conserverai précieusement. J'ai à présent ici ma sœur de Schwedt et ses filles, que je tâche d'amuser de mon mieux. Ma sœur et moi nous nous entretenons du vieux temps, comme à peu près les vieux lieutenants-colonels français se parlent de leurs anciens faits d'armes; mais tout cela n'est plus qu'un songe. Il y a des événements de ces temps dont j'ai été témoin, qui me paraissent presque fabuleux, et qui cependant sont <282>très-réels. Nous avons ici madame de Pannwitz et mademoiselle de Knesebeck.323-a J'ai entendu chanter mes nièces, qui s'en acquittent fort joliment.323-b Il leur faut un bal; je suis bien embarrassé pour l'arranger. Nous manquons de dames; il faudra peut-être faire mettre dans les Intelligences323-c que quiconque a envie de danser vienne à telle heure se rendre au lieu marqué. On dit Brühl fort mal; il a l'hydropisie, et l'on prétend que ce M. de Goltz323-d qui est à Berlin pourrait bien lui succéder, ce, je crois, de quoi vous et moi nous nous soucions le moins. Ne doutez pas, mon cher frère, des sentiments de la parfaite estime et de la tendresse avec lesquels je suis, etc.
163. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 10 septembre 1763.
Mon très-cher frère,
Privé depuis longtemps du bonheur de vous faire ma cour en personne, je me serais du moins donné la satisfaction de vous écrire plus souvent; mais la stérilité des matières dans un endroit écarté comme celui-ci, jointe à quelques incommodités, lesquelles ne m'ont point, à la vérité, empêché de sortir, mais elles influent trop sur mon humeur, ces raisons, dis-je, seront suffisantes pour vous prouver que la discrétion seule m'a retenu de vous adresser mes lettres, par l'appréhension que j'avais qu'elles ne vous seraient pas agréables. Je voudrais beaucoup que les sujets sur lesquels j'ai à vous entretenir le pussent être. Le premier, à ce que j'augure, sera sur un faiseur de projets; j'en juge ainsi parce que celui qui m'écrit la lettre ci-jointe de Genève, en m'adressant pour vous le paquet que j'ai l'honneur de vous re<283>mettre, m'est absolument inconnu; si vous daignez jeter un coup d'œil sur l'objet de ses recherches, vous verrez certainement d'abord si mes soupçons sont fondés.
L'autre sujet qui me donne l'agrément de vous écrire me donne encore l'agrément de vous demander votre assistance; c'est en laveur d'un gentilhomme que ma sœur de Baireuth, dans son voyage en Italie, prit avec elle pour le faire élever. Le père est consul dans une petite ville d'Italie, et se nomme Paléologue; il prétend descendre du dernier des empereurs qui portaient ce nom. Feu ma sœur a fait prendre beaucoup de soin du jeune Paléologue, lequel a, à cette heure, vingt et un ans. Sa physionomie n'est pas prévenante. Il a refusé d'être placé comme officier dans les troupes autrichiennes; le margrave de Baireuth à cette heure régnant a refusé de lui donner de l'emploi à cause de la religion catholique, contre laquelle il pourrait se sentir quelque aversion sans la faire tomber sur ceux qui la professent. Ma nièce la margrave de Baireuth a, par considération pour feu ma sœur, entretenu le jeune Paléologue jusqu'aujourd'hui; mais croyant que je pourrais vous le présenter, elle me l'envoie, et elle espère que l'amitié que vous avez eue pour feu ma sœur s'étendra sur ceux qu'elle a protégés, et que vous daignerez donner une place d'enseigne au jeune Paléologue. En tout cas, je vous supplie de m'apprendre ce que j'en dois faire.
Vous m'avez permis d'oser en agir librement avec vous; c'est en conséquence de quoi je suis obligé de vous avouer que j'ai un grand désir de vous faire ma cour; si cela vous agrée, et que vous ayez des bontés pour moi, je vous prie de me dire où et quand je pourrais avoir ce bonheur. Vous me permettrez bien ensuite de revenir ici, n'étant attaché à rien à Berlin. Le souvenir du passé m'afflige beaucoup, et la vie qu'on y mène me paraissant assez insipide, c'est pourquoi je vous avoue franchement que je n'aime pas à y être. Cela n'empêche pas que je me conformerai en tout à vos volontés, et que je me trouverai heureux de vous en donner des preuves sûres, même aux dépens de mon inclination. Je suis, etc.
<284>164. AU PRINCE HENRI.
Le 13 septembre 1763.
Mon cher frère,
Une lettre d'un fou de Suisse est arrivée fort à propos pour me procurer celle, mon cher frère, que vous me faites le plaisir de m'écrire. Je crois que ce M. Planta a dressé sa lettre aux Petites-Maisons; il m'envoie son portrait, un projet de campagne qu'il a fait pour M. de Broglie, une satire impertinente de Versailles, et tout cela comme une recommandation pour lui faire obtenir dans ce service quelque bonne place. Je me suis contenté de lui marquer qu'en temps de paix on ne pouvait pas faire des passe-droits à des officiers qui avaient bien servi, et que je ne doutais pas que son mérite ne lui fît trouver de l'emploi ailleurs. En voilà assez pour ce Planta. Quant à votre Paléologue, mon cher frère, je m'en chargerai volontiers, pourvu que je sache à quelle sauce le mettre; s'il est bête, il faut le fourrer dans le clergé de Silésie et en faire un chanoine; s'il est bon à mieux que cela, je tâcherai de lui trouver une place comme je pourrai. J'en viens à présent à la partie de votre lettre qui m'a fait le plus de plaisir, puisqu'elle me fait espérer le plaisir de vous revoir. Je suis ici à ma vigne retiré. Si vous voulez, par complaisance, vous ennuyer dans ma retraite, je vous avoue que cela me fera plaisir. C'est le cas où se trouvait le vieux maréchal de Schulenbourg à Venise. Il allait aux assemblées, où un vieux barcarolo qui le conduisait lui disait quelquefois : « Monseigneur, ne voulons-nous pas nous retirer? Il me semble que nous ennuyons ces gens-ci. » L'autre lui répliquait : « Ils m'amusent; restons. »326-a Vous serez toujours le maître de vous en retourner à Rheinsberg lorsque vous le voudrez; puis je pourrai vous montrer des esquisses de vos plafonds, que Guglielmi a croquées. J'ai été à Berlin pour me débarrasser du corps diplomatique, ministres arrivés, ministres partant, ministres négociant; j'ai profité du temps pour prendre des arrangements pour la manufacture de porcelaine que <285>j'ai achetée de Gotzkowsky.326-b Toute l'entreprise sera arrangée au mois de juin; cinq cent sept personnes, ouvriers, y trouvent à être employées; c'est une suite des prodigieuses banqueroutes d'Amsterdam et de Hambourg.326-c J'ai sauvé de nos marchands tout ce qui était sauvable, et, Dieu merci, à présent tout cela est passé. Le mal dont on se ressent encore est que tout le commerce de change est interrompu, et que l'on ne peut payer ni recevoir de l'argent nulle part. J'ai dîné chez mon frère Ferdinand, dans sa nouvelle maison,326-d qui est très-bien arrangée; il se porte assez bien. Les nouvelles que l'on a de Spa font espérer l'entière convalescence de ma sœur, ce qui me fait beaucoup de plaisir. Je vous attends donc, mon cher frère, avec impatience. Tout ce que je puis vous promettre est un bon visage d'hôte, et la satisfaction de vous assurer de vive voix de la tendresse et considération avec lesquelles je suis, etc.
165. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 15 septembre 1763.
Mon très-cher frère,
Avant de vous assurer de bouche de mes devoirs, j'ai encore de sincères remercîments à vous présenter pour la gracieuse lettre que vous m'avez écrite. Mon impatience à vous faire ma cour ne sera pas retardée au delà du 19 au soir; tous les endroits où je saurai vous trouver me seront agréables. Ce n'est ni Potsdam ni la vigne que je vais voir; c'est votre personne que je cherche, et je suis très-content d'avoir ce bonheur à attendre pour lundi. Vous disposerez du comte Paléologue; j'aurai l'honneur de vous <286>entretenir à son sujet, et je le laisserai ici jusqu'au temps où je saurai quelles sont vos volontés à son égard. Je suis, etc.
166. DU MÊME.
Rheinsberg, 1er octobre 1763.
Mon très-cher frère,
Je suis arrivé ici encore tout occupé du souvenir récent d'avoir eu le bonheur de vous faire ma cour à Potsdam. Je suis pénétré par les bontés que vous m'avez témoignées, et je regarderai toujours comme les moments les plus gracieux de ma vie ceux où je pourrai vous donner des preuves de mon attachement. Mes nouvelles d'ici ne sont pas autrement intéressantes; les campagnards annoncent un hiver précoce, et je crains bien que, pour le coup, ils n'aient raison. Le chancelier Woronzow, qui se réfugie en Italie, n'en ressentira pas les effets; il arriva à Berlin le même soir que vous en êtes parti.328-a Les femmes de Berlin parlent beaucoup de sa fille; sa beauté a été célébrée avant son arrivée, et elles craignent avec raison qu'une étrangère n'ait plus d'appas qu'aucune d'elles. Il faut avouer que l'ambition se glisse partout, et embrasse tous les objets. Celle d'une femme est d'être belle et de plaire; ce privilége ne leur est cependant accordé que par la nature, et lorsqu'il leur manque, elles ont recours à l'artifice, et c'est le blanc et le rouge. Les hommes ont cet avantage d'avoir des objets plus nobles de leur ambition. Quant à moi, j'aurai toujours celle d'être empressé à vous témoigner les tendres sentiments et le respect avec lesquels je suis, etc.
<287>167. AU PRINCE HENRI.
Potsdam, 5 octobre 1763.
Mon cher frère,
Je serais charmé si le séjour que vous avez fait ici ne vous eût point ennuyé; je n'ai cependant pu vous procurer aucun divertissement, car la vie que je mène est bien simple et unie. Je prends la liberté de vous envoyer quelques fruits; je souhaite qu'ils vous fassent plaisir. J'ai ici mes deux neveux, dont je suis enchanté. Non, on n'élève pas mieux les jeunes gens que ces enfants le sont. Je suis sûr qu'ils auront votre approbation, et de tous ceux qui les verront. Conservez-moi votre précieuse amitié, mon cher frère, et soyez persuadé de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
168. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 7 octobre 1763.
Mon très-cher frère,
Les fruits que vous accompagnez d'une lettre gracieuse me donnent l'agrément de vous parler de ma reconnaissance. J'ai été heureux d'être témoin de la vie simple et unie que vous menez, et je le suis toujours lorsque je reçois les preuves de la continuation de vos bontés pour moi. Mes deux neveux de Brunswic doivent se trouver très-heureux d'avoir votre approbation; c'est certainement un objet de la plus grande émulation pour eux, et s'il leur manque quelque chose, l'envie de vous plaire le leur fera bientôt acquérir.
Je n'ai pas trouvé de ces grandes vitres à la française de faites; j'eus l'honneur de vous en parler; mais dans une couple de jours j'en aurai, et les adresserai à l'inspecteur de vos bâtiments, pour voir si les échantillons sont tels que vous les voulez. C'est la seule utilité dont je vous puis être dans ces cantons, et <288>je serai très-satisfait, si vous êtes content des épreuves que j'enverrai.
Je compte profiter de l'agrément que vous m'avez accordé de voir ma sœur de Schwedt et les établissements entre Landsberg et Driesen. Je commencerai mon voyage le 16, et serai dans huit ou dix jours de retour. Je suis, etc.
169. AU PRINCE HENRI.
Potsdam, 9 octobre 1763.
Mon cher frère,
Je souhaite, mon cher frère, que vous vous amusiez bien pendant votre petit voyage. Ma sœur de Schwedt a été incommodée, mais elle va mieux à présent. Ma sœur Amélie m'écrit qu'elle est assez contente de l'effet des eaux qu'elle a prises, et qu'elle a bonne espérance de se rétablir tout à fait l'année prochaine.
Voilà le roi de Pologne qui s'est laissé mourir comme un sot; je vous avoue que je n'aime pas les gens qui font tout à contre-temps. J'espère cependant que cette élection se passera sans qu'il en résulte de nouveaux troubles. J'ai un chagrin domestique; mon pauvre chien va mourir, et, pour m'en consoler, je me dis que si la mort n'épargne pas les têtes couronnées, la pauvre Alcmène ne peut pas s'attendre à un meilleur sort. Je vous embrasse mille fois, mon cher frère, en vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, etc.
<289>170. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 13 octobre 1763.
Mon très-cher frère,
On vient de m'apprendre que vous avez fait des arrangements en ma faveur, à l'égard des dettes que le feu margrave Charles avait contractées sur les terres que vous avez eu la générosité de me donner. Je ressens vivement toutes les obligations que je vous dois, et si vous pouviez lire dans mon cœur, vous y trouveriez gravés les sentiments de ma reconnaissance.
J'ai vu ici la famille de Strélitz. Le Duc331-a paraît avoir un caractère doux et honnête. La demoiselle Zeltern, toujours fille de soixante ans, paraît aussi sémillante qu'elle croyait l'être il y a vingt ans. C'est bien la cour la plus heureuse de l'Europe; la politique ne trouble pas leur repos; je crois qu'on y ignore parfaitement la mort du roi de Pologne; du moins est-il certain qu'ils ne s'inquiéteront que peu comment l'intérêt de la succession sera terminé. Le comte de Brühl, à en croire les gazettes, suivra bientôt son maître. Je crois qu'il a peu pensé pendant sa vie quel sentiment il prendrait lorsqu'il faudra quitter son palais et sa garde-robe; ce sera un triste congé pour une âme aussi peu philosophe que la sienne.
Je compte, après mon retour, vous mander l'histoire de mon voyage, lequel ne sera pas autrement intéressant; mais il me procurera toujours l'avantage de me rappeler à votre souvenir, et de vous renouveler les assurances du respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
<290>171. AU PRINCE HENRI.
Le 22 octobre 1763.
Mon cher frère,
Je trouve le duc de Strélitz bien heureux de ce qu'il laisse aller le monde comme il plaît au hasard. Je crois, mon cher frère, qu'il agit sagement, et qu'il a profité d'Épicure, qui exige que son sage ne se mêle point des affaires de la république.332-a Pour vous donner cependant des nouvelles, vous saurez que la nouvelle cour de Saxe a congédié Brühl avec une pension de quarante-quatre mille écus. Le pauvre homme!332-b Il y a apparence que le bruit ne sera qu'en Pologne, où la mort du Roi vaut aux palatins une aubaine de quelques millions, et que le reste de l'Europe demeurera tranquille, et ce n'en sera que mieux. Notre mamamouchi332-c est arrivé à Breslau, et on l'attend à Berlin vers le milieu de novembre. Le prince héréditaire de Brunswic viendra faire un tour ici, où je tâcherai de l'amuser de mon mieux. Voilà, mon cher frère, tout ce que me fournit la Saxe, la Prusse et le Brunswic; et si vous voulez quelque nouvelle de la Hesse, je pense que vous apprendrez sans surprise que le Landgrave va se mettre au rang des candidats qui aspirent au royaume de Pologne. Je vous crois à présent à Schwedt, ainsi je ne vous envoie pas de fruits; mais dès que je saurai votre retour, je prendrai la liberté de vous en envoyer une petite provision, en vous assurant de toute la tendresse avec laquelle je suis, etc.
<291>172. AU MÊME.
Sans-Souci, 26 octobre 1763.
Mon cher frère,
J'ai été fort fâché d'apprendre votre indisposition. Je souhaite de tout mon cœur que vous vous portiez mieux. Dans l'incertitude où je suis du lieu de votre séjour, je ne vous envoie point de fruits, car je suppose, mon cher frère, que vous vous trouvez à présent auprès de ma sœur de Schwedt. J'ai des nouvelles très-bonnes de ma sœur Amélie; elle m'écrit elle-même que sa santé se remettait journellement. Vous saurez sans doute que Brühl a son congé, et qu'il se relire avec quarante mille écus de pension. Le pauvre homme! Le prince héréditaire de Brunswic est attendu dimanche ici; je m'en réjouis, car je l'aime et l'estime. Notre mamamouchi sera le 3 de novembre à Weissensee, de sorte qu'il ne pourra avoir son audience que vers le 12 ou 13 du même mois. Je vous notifie en même temps que je suis devenu le tailleur du vieux baron, qui m'a ordonné des habits pour la réception du circoncis.333-a Voilà tout ce que contient la gazelle de Sans-Souci, car je ne compte pas parmi les nouvelles l'amitié et la tendresse avec lesquelles je suis, etc.
173. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 26 octobre 1763.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu la lettre du 22 que vous avez daigné m'écrire. Je suis bien sensible à la bonté que vous avez de me donner des nouvelles du grand monde. Je ne vous apprendrai rien d'intéressant d'ici, et ce n'est que pour remettre sous vos yeux les sentiments de ma reconnaissance que je me donne l'honneur de vous <292>écrire. Je me porte un peu mieux depuis quelques jours; je compte me faire saigner; les remèdes de Purgon et de Diafoirus, dans le Malade imaginaire, sont les seuls qui peuvent aider, saignée et purgation. J'ai parlé à un médecin de Ruppin, nommé Feldmann, disciple de Boerhaave, chez lequel il a étudié; il m'a dit que vous le connaissiez, et que vous aviez eu, du temps passé, de longs entretiens avec lui. C'est un homme qui traite la médecine sans charlatanerie, et qui convient que les limites en sont très-bornées. Après avoir contenté l'envie que j'ai de me rappeler à votre souvenir, il me reste encore de vous prier d'être assuré que rien n'égale l'attachement avec lequel je suis, etc.
174. DU MÊME.
Rheinsberg, 30 octobre 1763.
J'ai eu l'honneur de vous mander que j'avais remis mon voyage pour Schwedt jusqu'à un autre temps. Les incommodités que je ressens m'empêchent à cette heure de penser à ce voyage. Je veux employer tous mes soins pour fortifier ma santé, afin que, si vous passez la fin de décembre à Berlin, je puisse profiter sans interruption du bonheur de vous faire ma cour.
Si le baron avait toujours eu un grand maître de sa garde-robe comme vous daignez vouloir l'être en ce cas, il aurait été très-bien vêtu pendant sa vie. Je crois pourtant que pour satisfaire à tous ses goûts il faudrait des étoffes de tout pays, et un très-grand fonds pour rendre la garde-robe aussi riche qu'il la voudrait.
Il est bien juste que je vous présente le fruit le plus rare de mon jardin; je n'ose espérer que le goût vous paraîtra assez bon, mais c'est uniquement pour sa singularité que je me donne l'honneur de vous l'offrir. Feu le comte Neale335-a m'en a donné la plante; <293>c'est une nèfle de l'Amérique; les fruits ont un goût, quoique imparfait, des nazarelles.335-b
Daignez être assuré que rien n'approche du sentiment rempli d'attachement avec lequel je suis, etc.
175. AU PRINCE HENRI.
Le 3 novembre 1763.
Mon cher frère,
Je vous rends mille grâces de vos deux lettres, et du fruit rare de votre jardin que vous avez eu la bonté de m'envoyer : mais je regrette fort que votre santé ne soit pas encore remise. A tout hasard je vous envoie un petit tribut de ma vigne. Si vous n'en mangez pas, peut-être que cela fera plaisir à la princesse. J'ai ici le Prince héréditaire, qui est venu me voir avant d'entreprendre son voyage d'Angleterre. Le mamamouchi est arrivé, ce qui met tout Berlin en combustion. Cela me soumet à une cérémonie dont je me passerais volontiers, si cela dépendait de moi, d'autant plus qu'elle est fort dispendieuse. Je vous embrasse mille fois, en vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
176. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 10 novembre 1763.
Les fruits que vous avez daigné m'envoyer m'ont causé la satisfaction la plus grande, comme tout ce qui me sert de preuve <294>de votre gracieux souvenir sera toujours un objet de bonheur pour moi.
Vous aurez à cette heure terminé la journée où vous avez été assujetti au cérémonial, et le Turc aura été vu et contemplé de tout Berlin. Je crois que Pöllnitz, pendant tous ces jours, a été l'homme le plus heureux du royaume; il respire dans les fêtes et les cérémonies, comme la salamandre au feu. Il se sera rappelé l'ambassade circoncise du temps de Louis XIV, quoique je pense qu'il était trop jeune pour être alors à Paris.336-a Vous avez aussi la générosité de vous intéresser à ma santé; elle serait passable, si je n'avais des crampes aux nerfs, qui m'incommodent excessivement.
Le temps est des plus beaux; il semble que les saisons ne tiennent plus l'ordre accoutumé. Nous avons eu des jours, au mois d'août, où il faisait moins chaud qu'il ne fait depuis deux jours. Le Turc croira être à Constantinople. J'ai une haute opinion de cette nation depuis que j'ai lu les lettres de milady Montague,336-b laquelle était ambassadrice à la Porte. Si tout ce qu'elle décrit est vrai, il faut que la magnificence orientale surpasse infiniment l'idée qu'on s'en forme vulgairement. Ces lettres sont assez amusantes; il y en a quelques-unes qui sont intéressantes, et toutes font connaître que celle qui les a écrites doit avoir joint de grandes connaissances à beaucoup d'esprit.
Si je me suis laissé entraîner à vous écrire une lettre trop longue, je vous prie de le pardonner en faveur du sentiment avec lequel je suis, etc.
<295>177. AU PRINCE HENRI.
Ce 14 (novembre 1763).
Mon cher frère,
Je suis fâché de vous savoir toujours incommodé de votre mal de nerfs; j'espère cependant que vous vous remettrez en suivant un certain régime et en prenant de l'exercice.
Mon neveu Henri a pris la petite vérole le plus heureusement du inonde; le médecin assure qu'il n'y a aucun danger. Ma sœur Amélie se remet tout à fait; elle me l'écrit elle-même; je me persuade que vous y prenez part.
Ce sera le 20 que le mamamouchi prendra ses audiences.337-a Vous avez bien deviné Pöllnitz; il est rajeuni de vingt ans, et toujours profondément occupé de bagatelles. On doit observer un cérémonial singulier avec ces Turcs, qui me déplaît et me gêne fort; mais il en faut passer par là, et je pourrai m'en consoler, si cela nous mène à une bonne alliance défensive avec messieurs les circoncis. Le bel air de Berlin est à présent de manger des dattes; les petits-maîtres vont arborer incessamment le turban, et ceux qui seront assez riches établiront des harems. Il faut avoir vu le Turc pour être à la mode, chacun en fait un conte à dormir debout; mais cela passera, et dans deux mois ils en seront si rassasiés, qu'ils attendront le moment de son départ avec impatience. Pour moi, je paye les violons de toute cette affaire; il m'en coûte sept mille écus par mois. Les Turcs sont plus arabes que les juifs.
On travaille, à Berlin, à votre palais; je commande à présent tout ce qu'il faut pour la salle, la galerie et l'ameublement des chambres; tout cela sera assurément achevé l'été prochain. J'ai ici notre neveu le Prince héréditaire, qui est aimable au possible. J'ai trouvé le moyen de rassembler une bande de bouffons, et je lui donne des opéras-comiques. Je souhaite, mon cher frère, d'apprendre bientôt de bonnes nouvelles de votre santé, vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, etc.
<296>178. AU MÊME.
Ce 21 (novembre 1763).
Mon cher frère,
J'ai précisément reçu la lettre que vous me laites le plaisir de m'écrire, en arrivant ici. J'ai vu tous les Turcs de Berlin, et je vous jure que leurs personnes ne répondent point au grand nom que s'est fait leur empire. Ce peuple tient du juif et du pandour; ils sont tous si intéressés, que l'effendi a proposé qu'on lui devait payer le dîner de cérémonie que je lui ai donné; ses subalternes sont intéressés à proportion; ils ont bu toute honte pour gueuser. Si vous aviez vu tous les beaux présents qu'ils m'ont faits, vous ne les envieriez pas : douze aunes de mousseline, douze aunes de drap d'or, douze aunes d'étoffe de soie, et ainsi du reste. Mais ce n'est pas des présents que je leur demande; une bonne alliance vaut mieux, et il y a toute apparence que nous parviendrons à la conclure. Ce sera le meilleur héritage que je pourrai laisser à mon neveu, et qui pourra prolonger la paix pour bien des années.
Mon cher neveu me quitte; il va en Angleterre pour se marier. Tout cela est plus éblouissant que solide, car on ne sait où l'établir, et l'on dispute, les uns pour que ce soit à Lünebourg, les autres à Wolfenbüttel. Mais quel que soit le lieu dont on tombe d'accord, il n'y prévoit pas beaucoup d'agréments.
La ville de Berlin a perdu le peu de bon sens qu'elle avait, depuis l'arrivée des Turcs; les femmes veulent à toute force être turquisées, et jouent au passe-dix avec le neveu de l'effendi; les petits garçons vont mettre des turbans, et les coutumes de Constantinople vont donner le ton à Berlin. Je vous avertis, mon cher frère, de vous y préparer, car vous pourriez trouver des changements, dans votre patrie, qui vous surprendraient. Je pars demain pour Potsdam, pour ne pas perdre le peu de bon sens qui me reste; je souhaite d'apprendre de bonnes nouvelles de votre santé, en vous priant d'ajouter foi à la parfaite tendresse et à tous les sentiments d'estime avec lesquels je suis, etc.
<297>179. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 27 novembre 1763.
Mon très-cher frère,
Vous avez bien de la bonté, mon très-cher frère, d'avoir voulu m'apprendre tous les changements que les Turcs font sur les mœurs de Berlin; la lettre que vous daignez m'écrire du 21 ne me donne pas haute opinion des Orientaux, mais me confirme dans l'opinion que la nouveauté plaît toujours. La plupart des personnes qui vont voir l'ambassadeur ne s'instruisent pas des mœurs, de la langue, ni des usages des Turcs; ils reviennent chez eux, et n'apportent d'autres lumières que celles que peut donner le spectacle d'un homme assis en longue robe et les jambes croisées, d'un turban et de tapis de Perse. Le plus curieux serait de les questionner beaucoup, de connaître par soi-même quels sont leurs préjugés, s'ils ont de la finesse dans les affaires qu'ils recherchent, et s'ils ont des notions des choses abstraites. Je crois, mon très-cher frère, que vous êtes bien aise d'avoir terminé l'audience; car les objets solides qui vous occupent ne vous donnent pas le loisir de vous amuser d'une cérémonie et d'un spectacle qui remplit tout entière l'âme de Pöllnitz. Je sens que le départ du Prince héréditaire vous fait de la peine, et j'en suis fâché, d'autant plus que je crains bien que le sort qui l'attend ne sera pas gracieux pour lui.
Ma santé, à laquelle votre bonté pour moi prend intérêt, va passablement; du moins il faut que j'en sois content; ne pouvant changer ni mes fibres, ni mes nerfs, il faut que je les traîne comme il a plu à la nature de me les donner. J'en serai toujours content, pourvu que j'aie assez de force pour vous donner en tout temps des preuves de l'attachement inviolable avec lequel je suis, etc.
<298>180. AU PRINCE HENRI.
(Potsdam) 4 décembre 1763.
Mon cher frère,
Je suis fort fâché d'apprendre que vous n'êtes pas encore restitué de votre indisposition. Il faut de l'exercice, mon cher frère, pour faire circuler le sang malgré lui, s'il ne circule pas de lui-même. Je me trouve plaisant de ce que mon hypocondrie donne des conseils à la vôtre; mais, mon cher frère, il faut dissiper son mal, fortifier ses nerfs, radouber son estomac, égayer son esprit, et tâcher de passer le plus doucement que l'on peut le temps qui nous est fixé pour habiter avec les vivants.
Le mamamouchi est venu ici, et je suis fort étonné si le charme de la nouveauté ne portera pas quelqu'un de mes benêts de compatriotes à se faire circoncire. Le vieil effendi a beaucoup de goût pour les spectacles et pour la chasse; je lui ai fait donner de l'un et de l'autre, ce qui lui fait grand plaisir. J'ai vu monter à cheval des spahis; c'est à peu près comme les Cosaques. A vous dire le vrai, nos peuples européens ont un grand avantage sur ces Asiatiques et sur tous les habitants des autres parties de ce globe. Nous sommes plus industrieux, plus raffinés qu'eux; et quoique nous ne connaissions pas les premiers principes des choses, nous en savons cependant cent fois plus que tous ces gens pris ensemble. L'effendi retourne aujourd'hui à Berlin, et je crois être à présent assuré que cette alliance, à laquelle j'ai travaillé depuis dix années, va se conclure. C'est une des meilleures pièces que je puis laisser en héritage à mon neveu, et qui, selon ce que peut prévoir la prudence humaine, pourra servir à faire respecter de nos ennemis et de nos envieux les traités qu'ils viennent de conclure avec nous.
Vous aurez un beau cheval turc, dont l'Empereur vous fait présent; il n'attend que votre arrivée, et moi de même, pour vous assurer, mon cher frère, de vive voix, de la tendresse et de la parfaite estime avec lesquelles je suis, etc.
<299>181. AU MÊME.
(Potsdam) 12 décembre 1763.
Mon cher frère,
Je vous félicite de votre arrivée à Berlin, où j'espère d'avoir le plaisir de vous voir dans quelques jours. Je compte d'y arriver le 15, où j'ai arrangé les amusements pour le public le mieux que cela s'est trouvé possible dans les circonstances où nous nous trouvons. Je ne doute pas, mon cher frère, que vous ne preniez un peu de l'air turc en arrivant à Berlin, pour être à la mode. Pour moi, ce que je trouve de meilleur à cela, c'est l'alliance; car pour l'ambassade, j'ai le sort de l'arlequin, je ne m'en tire qu'en payant.342-a J'ai reçu des lettres de ma sœur Amélie, qui me paraissent assez bonnes par rapport à sa santé. Je finis en vous priant d'être persuadé de la tendresse avec laquelle je suis, mon cher frère, etc.
182. AU MÊME.
Potsdam, 18 mars 1764.
Mon cher frère,
Je vous rends grâce de la part que vous prenez à nos alliances.342-b Je souhaite que tous ces arrangements mènent à bien; mais cependant les affaires en Pologne s'embrouillent de nouveau. Il y a déjà deux nouveaux candidats : un prince Lubomirski et le grand général. Je crains que de fil en aiguille tout cela ne nous mène plus loin que nous avons envie d'aller; car si une fois les choses semblent s'embrouiller d'une certaine manière, alors adieu la paix et la tranquillité publique. Mais tout cela est du dépar<300>tement des contingents futurs, lesquels il ne nous est pas donné de prévoir.
Je suis charmé, mon cher frère, de l'offre que vous me faites de venir à Berlin; mais comme je pars la nuit du 21 pour la Silésie, je ne pourrais guère en profiter. A mon retour, je ne m'arrêterai pas longtemps à Berlin; mais je reviendrai bientôt ici ....
183. AU MÊME.
(Potsdam) ce 22 (avril 1764).
Mon cher frère,
Je vous félicite du bal que vous avez donné sans danser. Je présume que vous ne vous y serez pas arrêté longtemps, et que vous aurez laissé la place à la jeunesse, qui se plaît à cet exercice. Je ne vous plains point d'être en compagnie avec Bayle; c'est de tous les hommes qui ont vécu celui qui savait tirer le plus grand parti de la dialectique et du raisonnement. Il y a tel ouvrage de lui où il n'y a aucune réponse à faire; il est seulement à regretter qu'il ait trop négligé son style. Il est trop négligé et très-incorrect; mais sa manière rigoureuse d'argumenter récompense le lecteur des désagréments de sa diction. C'est un maître admirable de logique, et qui fait apercevoir, quand on se familiarise à sa dialectique, combien le vulgaire des hommes est inconséquent, raisonne mal, et est susceptible d'être trompé ou de se tromper lui-même. Je vous recommande surtout, mon cher frère, ses Commentaires philosophiques sur les comètes et son Contrains-les d'entrer; ce sont des chefs-d'œuvre de raisonnement, de liaison et de conséquence. Je suis à présent occupé à faire imprimer un Extrait du Dictionnaire344-a qui ne sera composé que de la partie philosophique de l'ouvrage, qui, sans contredit, est la meilleure. L'édition doit s'en faire in-octavo; elle en deviendra à meilleur marché, et pourra par conséquent répandre <301>des lumières plus généralement qu'en demeurant dans les grands in-folio, que le prix empêche bien des personnes de pouvoir acheter. Je suis persuadé que la mauvaise conduite de la plupart des hommes vient moins d'un principe de méchanceté que d'une suite de mauvais raisonnements; et je crois par conséquent que si on pouvait leur apprendre à raisonner d'une façon plus juste et plus conséquente, leurs actions s'en ressentiraient d'une manière avantageuse. Mais, mon cher frère, c'est une entreprise qui surpasse mes forces, une idée théorique qui m'a occupé souvent, et dont l'exécution ne se réalisera probablement que lorsqu'on établira la belle république que Platon avait imaginée.344-b
Le temps commence à se remettre un peu au beau. Il a fait un froid, ces jours passés, à engourdir les plus intrépides raisonneurs. L'espérance que vous me donnez de vous voir me cause toujours un plaisir sensible; j'espère que vous en êtes bien persuadé, mon cher frère. Je m'en remets à votre commodité pour le temps et le jour, en vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
184. AU MÊME.
Potsdam, 27 (avril 1764).
Mon cher frère,
Je suis bien aise que vous approuviez l'idée que j'ai de faire faire une édition des endroits philosophiques de Bayle. Comme l'édition se fera in-octavo, tout le monde pourra l'acheter, et par conséquent les choses qui y sont deviendront comme une monnaie courante qui se répand partout dans le public. Vous avez grande raison de dire, mon cher frère, qu'on ne fera pas de grands progrès dans la métaphysique; c'est une région où il faudrait voler, et nous manquons d'ailes. Notre raisonnement ne suffit certainement pas pour découvrir des vérités que la nature <302>a voulu nous cacher; mais il est suffisant pour nous faire apercevoir les erreurs et les absurdités qu'on a substituées, faute de connaissances, aux choses que nous ignorons. Il est toujours bon d'en savoir assez pour n'être pas grossièrement la dupe du premier imposteur qui prétend nous tromper, et voilà à quoi nous pouvons parvenir quand nous avons cultivé notre raison, et que nous formons avec soin notre jugement. Il est certain que l'étude de la dialectique est la seule qui mène là, et que la lecture fréquente des ouvrages de Bayle donne à l'esprit une certaine volubilité sur cette matière, qu'il ne tiendra jamais uniquement des avantages de la nature. Bayle et Cicéron étaient sceptiques; c'est pourquoi ils proposaient tous les systèmes, sans en adopter aucun. C'était le parti le plus sûr qu'ils pouvaient prendre pour ne se point tromper. Ils agissaient comme les avocats, qui rapportent la cause sans en décider; et voilà à peu près où tout homme sage doit s'en tenir, car de tous les systèmes, il n'en est aucun qui n'ait des obscurités, et qui n'implique contradiction dans de certains endroits. Toutefois il est agréable de connaître et de suivre toutes les routes que l'esprit humain s'est frayées pour parvenir à des vérités qu'il n'a pu découvrir. Il semble qu'on ait épuisé tout ce que l'imagination peut fournir d'idées, et, malgré les égarements, on trouve pourtant des choses bien ingénieuses, qui, quoique mal employées, font honneur à ceux qui les ont imaginées. Après vous avoir parlé de métaphysique et de systèmes, je vous annonce la mort de la Pompadour,346-a qu'on dit devoir être succédée dans le ministère par madame de Grammont, sœur de Choiseul, de sorte que, par cet arrangement, toute la clique se soutiendra en France. Pour moi, je m'en embarrasse peu, et vous prie d'être assuré de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
<303>185. AU MÊME.
Ce 27 (juillet 1765).
Mon cher frère,
Je pars après-demain pour la Silésie, où je vais prendre les eaux de Landeck346-b pour me fortifier mes jambes, si je le puis, de sorte que je ne pourrai pas même voir les tableaux; et d'ailleurs je n'en achète plus, parce qu'il faut mettre des bornes à tout. Je souhaite que les eaux vous fassent du bien, en vous assurant de l'estime avec laquelle je suis, etc.
186. AU MÊME.
(Potsdam) 24 septembre 1765.
Mon cher frère,
Il dépendra de vous de venir ici quand vous le voudrez; vous serez également bien reçu. J'ai rassemblé quelques régiments ici pour faire des manœuvres, plus pour former l'officier que le commun soldat. Ces images fugitives de la guerre en renouvellent le souvenir à ceux qui se sont voués aux armes, et donnent des idées à ceux qui, n'ayant jamais rien vu, n'en peuvent avoir que de vagues et incertaines. Mon petit neveu Henri se porte entièrement mieux, et le général Seydlitz est aussi hors de danger. Je vous embrasse, mon cher frère, en vous assurant de l'estime et de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
<304>187. AU MÊME.
Ce 22 (juin 1766).
Mon cher frère,
La nouvelle toute nouvelle que je vous ai annoncée consiste en une entrevue à laquelle je suis invité par l'Empereur à Torgau. Si vous avez envie d'en être, vous n'avez qu'à venir ici le 25. Je ne crois pas qu'il en résultera grand' chose, sinon un verbiage usé de politesse, auquel les princes sont accoutumés sans y ajouter foi. Lacy est de ce voyage, et un certain comte Dietrichstein que vous avez vu à Berlin à son retour de Danemark, où il avait été en qualité de ministre. Voilà, mon cher frère, ce que je puis vous mander de plus intéressant pour ce temps-ci, en vous priant d'être persuadé de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
188. AU MÊME.
Le 24 juillet 1766.
Mon très-cher frère,
Votre souvenir m'est toujours agréable et précieux. Comme vous me parlez, mon cher frère, de l'entrevue manquée avec l'Empereur,348-a je puis vous informer à présent exactement de ce qui y a donné lieu. La mère et Kaunitz, qui le connaissent, savent l'aversion naturelle que ce jeune prince a pour les Français; ils ont appréhendé qu'il ne s'échappât en propos vis-à-vis de moi, et que cela pût troubler leur union avec la cour de Versailles; et, afin d'éviter tout ce qui pourrait donner de la jalousie à leurs alliés, l'Impératrice a écrit à son fils de hâter son voyage, de ne s'arrêter nulle part, et d'accélérer son retour. Je sais que l'Empereur a dit au comte Colloredo qu'il avait sacrifié cette entrevue à la volonté de sa mère, mais qu'il en conservait le projet pour l'exécuter une autre fois.
<305>Les petites véroles ravagent singulièrement cette année, surtout les personnes d'un certain âge. Voilà notre belle-sœur Ferdinand qui en est attaquée. On m'écrit de Berlin qu'il n'y a aucun danger; je le souhaite, mon cher frère, et que, parmi vos amusements, vous ne me mettiez pas entièrement en oubli, et que vous soyez persuadé de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
189. AU MÊME.
Le 4 mai 1767.
Mon cher frère,
Vous donnez des marques d'un cœur vraiment patriotique en prenant part au rétablissement de notre discipline; car, après tout, c'est sous la protection de l'art militaire que tous les autres arts fleurissent, et, dans un pays comme le nôtre, l'Etat se soutient autant que les armes le protégent. Si jamais on négligeait l'armée, c'en serait fait de ce pays-ci. La dernière guerre avait ruiné les troupes et anéanti la discipline. J'ai envisagé comme le premier de mes devoirs de rétablir l'un et l'autre. A présent nous commençons à nous apercevoir de nos progrès; mais dans trois ans l'armée aura repris le ton de solidité qu'elle avait autrefois, et ce temps sera employé à bien former les officiers et les bas officiers gentilshommes, dont l'espèce est devenue rare. Vous avez trop de bonté de vous ressouvenir, mon cher frère, du séjour que vous avez fait ici. J'aurais souhaité de pouvoir vous amuser plus agréablement. Il fait un temps barbare, comme il a coutume de l'être au commencement de mars; mais nous sortons malgré tout cela, rien n'arrête notre ouvrage. J'espère, mon cher frère, de vous revoir en bonne santé. En vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
<306>190. AU MÊME.
(Potsdam) ce 8 (mai 1767).
Mon cher frère,
Je vous ai notifié aujourd'hui en cérémonie que nous n'avons fait qu'une fille.350-a Ce n'est pas ma faute, et nous ferons mieux à la première occasion. Nous baptisons mardi, où je me flatte que vous voudrez bien être de la fête. Je vais demain à Berlin pour la revue d'inspecteur, afin d'avoir autant d'avance pour les grandes revues. Ce sont beaucoup de détails désagréables, mais qui sont indispensablement nécessaires pour l'ordre et l'économie intérieure des régiments. Il est sûr, mon cher frère, que depuis cent cinquante ans la guerre est devenue un art immense. Autrefois, du temps des Condé et des Turenne, nous ne trouvons que Mercy et Montécuculi qui sussent tirer tout l'avantage du terrain en y adaptant leur ordre de bataille; les troupes étaient mal disciplinées de part et d'autre; la première décharge était la plus meurtrière, parce que les armes étaient bien chargées; mais le reste allait comme il pouvait, et les généraux fatiguaient plutôt leurs ennemis à force de répéter les attaques, qu'ils ne les vainquaient par l'ordre. Le prince d'Anhalt s'aperçut le premier qu'on ne tirait pas des armes à feu tout l'avantage qu'on devait s'en attendre; il se procura la supériorité du feu en dressant les soldats à charger vite, à quoi l'usage des baguettes de fer contribua beaucoup. Depuis, les bataillons sont devenus des machines de guerre qui se meuvent comme par ressort, par où un général se peut procurer de grands avantages dans les affaires de plaine. Un beau secret, qui perfectionnerait entièrement cet art, serait si on pouvait rendre le soldat invulnérable au feu de mitraille des grandes batteries. Qui ferait cette belle découverte pourrait se flatter d'avoir trouvé le grand œuvre en fait de militaire. Pour moi, mon cher frère, j'y renonce, et je borne tous mes soins à donner par la routine aux officiers l'intelligence et la fermeté dans tous les mouvements que les troupes peuvent exécuter contre <307>l'ennemi, pour qu'on soit sûr de l'exécution, s'il est nécessaire de les employer dans le sérieux. Dans l'espérance de vous revoir bientôt, je vous prie de me croire avec la plus parfaite tendresse, etc.
191. AU MÊME.
(27 ou 28 mai 1767.)
Mon cher frère,
J'ai reçu votre triste lettre,351-a et vous remercie de tout mon cœur de la part que vous prenez à mon affliction. Cette nouvelle est venue me frapper comme un coup de foudre. J'ai aimé cet enfant351-b comme mon propre fils. L'État y fait une grande perte. Mes regrets sont superflus. Dieu ne peut pas faire que ce qui est n'ait pas été.351-c Nous l'avons perdu pour toujours; mes espérances s'évanouissent avec lui. Voilà ce que c'est de vivre; on n'y gagne que la douleur d'enterrer ses plus chers parents. Je vous embrasse, mon cher frère. Veuille le ciel que ce soit le dernier auquel je rende ce funeste devoir!351-d Je suis, etc.
<308>192. AU MÊME.
Potsdam, 9 juin 1767.
Mon cher frère,
Vous avez bien de la bonté de participer au chagrin qui me ronge. J'ai pris sur moi de le dissiper le plus qu'il m'a été possible, en me livrant à des occupations de devoir et de nécessité; mais, mon cher frère, il est bien difficile d'effacer les profondes impressions du cœur. Mon enfant m'avait volé le cœur par un nombre de bonnes qualités qui n'étaient contre-balancées par aucun défaut. Je me complaisais dans les espérances qu'il me donnait; il avait la sagesse d'un homme formé, avec le feu de son âge; il avait le cœur noble et plein d'émulation, se poussant à tout de lui-même, apprenant ce qu'il ne savait pas avec passion. Il avait l'esprit plus orné que ne l'ont la plupart des gens du monde; enfin, mon cher frère, je voyais en lui un prince qui soutiendrait la gloire de la maison. Je me proposais de le marier l'année prochaine, et je m'attendais qu'il contribuerait à assurer la succession. Si je pense avec cela que cet enfant avait le meilleur cœur du monde, qu'il était né bienfaisant, qu'il avait de l'amitié pour moi, alors, mon cher frère, les larmes me tombent des yeux malgré moi, et je ne saurais m'empêcher de déplorer la perte de l'État et la mienne propre. Je n'ai jamais été père, mais je me persuade qu'un père ne regrette pas autrement un fils unique que je regrette cet aimable enfant. La raison nous fait voir la nécessité du mal et l'inutilité du remède. Je sais que tout ce qui commence doit finir. Tout cela, mon cher frère, n'éteint point la douleur. Je me dissipe, et c'est au temps à faire le reste. Je souhaite de tout mon cœur que vous jouissiez d'une bonne santé à Rheinsberg, et que vous ajoutiez foi aux sentiments de sincère tendresse et d'estime avec lesquels je suis, etc.
<309>193. AU MÊME.
Le 31 octobre 1767.
Mon cher frère,
Je suis charmé de vous savoir en bonne santé à Rheinsberg, à portée de profiler du beau temps qu'il fait. Le portrait de l'électrice de Saxe353-a ne servira pas, mon cher frère, d'ornement à votre maison, en tant qu'une belle figure; ce que cette princesse a de mieux, c'est son esprit, et on ne le saurait peindre. Je ne crois pas que le moment de la majorité de son fils sera le plus agréable de sa vie, car je soupçonne cette bonne princesse de n'être pas assez philosophe pour mépriser tout ce qui tient à l'empire et à la domination. Les lettres sont sans doute la plus douce consolation des esprits raisonnables, car elles rassemblent toutes les passions, et les contentent innocemment. Un avare, au lieu de remplir un sac d'argent, remplit sa mémoire de tous les faits qu'il peut entasser; un ambitieux fait des conquêtes sur l'erreur, et s'applaudit de dominer par son raisonnement sur les autres; un voluptueux trouve dans divers ouvrages de poésie de quoi charmer ses sens et lui inspirer une douce mélancolie; un homme haineux et vindicatif se nourrit des injures que les savants se disent dans leurs ouvrages polémiques; le paresseux lit des romans et des comédies qui l'amusent sans le fatiguer; le politique parcourt les livres d'histoire, où il trouve les hommes de tous les temps aussi fous, aussi vains et aussi trompés dans leurs misérables conjectures que les hommes d'à présent. Ainsi, mon cher frère, le goût de la lecture une fois enraciné, chacun y trouve son compte; mais les plus sages sont ceux qui lisent pour se corriger de leurs défauts, que les moralistes, les philosophes et les historiens leur présentent comme dans un miroir. Tout ceci est bel et bon; mais si l'électrice de Saxe se trouve malheureusement avoir un fonds d'inquiétude dans l'esprit, elle se croira très-malheureuse à Pretzsch, et regrettera dans le fond de l'âme le tracas des affaires. Je lui souhaite de la tranquillité et du bon<310>heur, parce que c'est d'ailleurs une bonne princesse, et qui possède plus de talents qu'on n'en trouve communément dans son sexe. Vous m'avez mis en train de bavarder; je m'oublie, mon cher frère, quand je vous écris, en laissant courir ma plume à l'aventure. Il est temps que je l'arrête, en vous réitérant les assurances du plus tendre attachement avec lequel je suis, etc.
194. AU MÊME.
Le 5 février 1767 (1768).
.... J'ai perdu le bon vieux Eichel,354-a ancien domestique de mon père, qui, à la vérité, depuis trois ans ne travaillait plus, mais qui cependant tenait l'ordre dans le bureau. Cela m'oblige à prendre de nouveaux arrangements, pour que le secret si nécessaire aux affaires importantes soit observé à l'avenir comme par le passé. Je suis, etc.
195. AU MÊME.
(Juillet 1768.)
Mon cher frère,
Je suis sensible au plaisir que vous voulez me faire de passer par ici avant votre voyage.355-a Les lettres, mon cher frère, dont <311>vous voulez bien vous charger sont toutes prêtes, et n'attendent que votre arrivée. Le parallèle que je vous ai fait dernièrement était impertinent, et ne doit s'attribuer qu'à la fougue d'un instant de gaîté dont la présence de ma sœur était cause. D'ailleurs, en parlant sérieusement, je sais fort bien me ranger dans la place qui me convient, et je n'ai pas la vaine folie de m'attribuer une supériorité sur les autres que je n'ai point en effet. Mais vous verrez toujours que ceux qui sont dans les grandes agitations, et qui remuent les plus grands ressorts de l'Europe, font plus de sottises que ceux qui se tiennent dans l'inaction, parce qu'il est donné à tous les hommes de commettre des fautes, et plus ils agissent, plus ils en font.
Les affaires de Pologne prennent un mauvais train pour les Russes. Ils seront obligés d'y envoyer de puissants renforts, et s'ils n'ont pas subjugué les confédérés avant l'approche de la diète qui doit se tenir au mois d'octobre, ils verront s'animer un feu qu'ils auront de la peine à éteindre. En attendant, Choiseul nous montre les cieux ouverts, et je compte de participer de son prétendu paradis sans me désunir des autres, parce que ces objets sont compatibles de réunion. J'ai assisté à la Conversion de saint Augustin;355-b la musique en était belle, et cela me suffit. Le système merveilleux répugne à la simplicité de mon esprit, et je n'ai encore point vu d'exemple d'hommes qui aient changé de caractère, parce qu'ils naissent comme les fruits et les plantes, qui ne pourraient changer de propriétés sans que l'ordre général de la nature en fût bouleversé. D'ailleurs, ce bon évêque d'Hippone, après sa conversion même, était si mauvais dialecticien, que dans quelques ouvrages il prêche la tolérance, dans d'autres la persécution; tantôt la fatalité absolue, tantôt le libre arbitre. Il me semble que l'effet principal de la grâce efficace devrait consister à rectifier le raisonnement; et ce qui me console d'en manquer, ce sont les pitoyables raisonnements de saint Augustin. J'attends, mon cher frère, avec impatience le plaisir de vous embrasser et <312>de vous assurer de vive voix de la tendresse infinie et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
196. AU MÊME.
Le 3 décembre 1768.
Mon cher frère,
Vous voyez, mon cher frère, que souvent les apparences sont bien trompeuses. Nous sommes dans une grande crise, où il faudra du bonheur pour en bien sortir. La nouvelle de la guerre a surpris et consterné les Russes, parce qu'ils ne s'y attendaient pas du tout; jamais ils n'ont tenu un langage plus poli qu'à présent. Toutefois ils exigent beaucoup, et je suis très-résolu à ne point m'embarquer dans une guerre qui ne nous regarde pas, et dont le fruit serait pour un autre. Cependant les courriers vont et viennent, les négociations s'échauffent, et je crois qu'il n'y aura que les marchands d'encre et de papier qui y gagneront. Les Polonais commencent à ouvrir les yeux sur le précipice qui s'ouvre pour eux; ils sont sûrs de voir leur pays dévasté par les deux partis, qui se disent leurs amis. Je leur dis, pour les consoler, qu'ils avaient été spectateurs tranquilles de la dernière guerre, et qu'à présent leurs voisins se trouvaient à leur tour les bras croisés.
Je vous renvoie, mon cher frère, la lettre du sieur Bramcamp.357-a Il m'a demandé la même chose, et je lui ai répondu que la coutume n'était pas contraire à ce que l'on eût en d'autres pays des résidents ou consuls de commerce, mais que les envoyés, on ne les employait que réciproquement; et comme le roi de Portugal n'a pas témoigné d'en vouloir envoyer à Berlin, il serait ridicule d'avoir un ministre à sa cour. Ces bons Hollandais ne pensent qu'à leurs petits intérêts de famille, et ils ne <313>comprennent pas qu'il y aurait de l'indécence d'entrer en de pareilles idées.
Je vous embrasse, mon cher frère, sincèrement, en faisant mille vœux pour votre contentement, vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, etc.
197. AU MÊME.
Le 8 mars 1769.
Mon cher frère,
Je souhaite de tout mon cœur que l'air de la campagne vous fasse du bien, et je me prépare également à le prendre à Sans-Souci, où je serai en quelques jours. A présent, mon cher frère, je puis vous dire positivement que les Russes sont tout à fait d'accord avec moi, et qu'ils sentent qu'il leur est plus avantageux de prendre notre argent que nos soldats. Le ciel les maintienne dans ces heureuses dispositions, qui nous épargnent la guerre pour cette fois! Ils font une petite augmentation de cinquante mille hommes qu'ils veulent conserver sur pied, soit en guerre, soit en paix. C'est une terrible puissance, qui dans un demi-siècle fera trembler toute l'Europe.358-a Issus de ces Huns et de ces Gépides qui détruisirent l'empire d'Orient, ils pourraient bien dans peu entamer l'Occident, et causer aux Autrichiens des sentiments de douleur et de repentir de ce que, par leur fausse politique, ils ont appelé cette nation barbare en Allemagne, et lui ont enseigné l'art de la guerre. Mais l'aveuglement des passions, cette haine envenimée que les Autrichiens nous portaient, les a étourdis sur les suites de leur conduite, et à présent je n'y vois plus de remède qu'en formant avec le temps une ligue des plus grands souverains pour s'opposer à ce torrent dangereux.
Goltz358-b n'est pas encore assez établi à Paris pour être en état <314>de me donner toutes les nouvelles nécessaires de ce pays-là; cependant il me paraît que la sécurité que le faible gouvernement des Anglais inspire à Choiseul le rassure sur ses opérations, et le refroidit vis-à-vis de nous. Le mal n'est pas grand, et nous resterons sur nos pieds, quand même le traité de commerce ne se fera pas.
Fierville358-c est revenu. Sa troupe est complète, et sera ici au mois d'avril. Il la dit bonne. Je lui ai parlé sur son séjour de France. Il ne parle que de la misère qui règne dans ce royaume, et de l'immense différence qu'il y a trouvée à proportion de ce que c'était autrefois. J'ai ajouté à son récit la croyance que l'on donne à celui de Théramène ou d'Ulysse dans les tragédies.359-a Il a été obligé de quitter Paris pour s'être brouillé avec ce petit Lauraguais que vous vous souviendrez d'avoir vu ici, et cette lettre de cachet lui pèse encore sur le cœur.
Je vous embrasse, mon cher frère, en vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
198. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 16 juin 1769.
Je suis dans la joie de mon cœur de savoir votre retour, mon très-cher frère. L'intérêt que je prends à votre santé doit vous être connu; je réprime tout ce que je pourrais dire à ce sujet, et enferme dans mon cœur les plus tendres souhaits pour votre prospérité.
Vous daignez m'apprendre des nouvelles bien intéressantes; les Français malmenés en Corse, un Paoli359-b qui résiste à la puissance d'un Roi Très-Chrétien, fait un événement intéressant dans l'histoire. La disgrâce arrivée à M. de Vaux pourrait bien rejail<315>lir sur le duc de Choiseul; ses ennemis attribueront aux méchantes mesures qu'il a prises tout le malheur arrivé aux troupes françaises, et je m'imagine que cette aventure pourra beaucoup faire pour qu'il soit culbuté de l'éminent emploi qu'il occupe, et de la place qu'il a tenue jusqu'à ce temps avec aussi peu d'honneur pour lui que pour son souverain. Il paraît que ses intrigues en Suède359-c sont les seules qui ont pris une tournure heureuse pour lui; la France a toujours maintenu son parti dans ce royaume depuis l'époque de Gustave-Adolphe; actuellement ils ont entièrement le dessus. C'est une prospérité à laquelle ma sœur n'est pas habituée; je crains avec vous, mon très-cher frère, qu'elle ne se laisse emporter par la fortune. Il est très-difficile de savoir s'arrêter lorsqu'elle est favorable; c'est peut-être un des plus grands efforts de l'esprit humain, lorsqu'on sait se contenir dans le bonheur. J'espère que ma sœur aura cet empire sur elle; mais je le souhaite plus que je n'ose le croire.
Vous ne vous intéressez guère, mon très-cher frère, au chef que l'Église vient de nommer. C'est un pauvre moine, à ce qu'on dit; on prétend que son esprit est très-borné. Le Saint-Esprit l'éclairera sans doute; il faudra en juger par la conduite qu'il tiendra à l'égard des volontés des couronnes, et s'il aura la complaisance d'abolir l'ordre des jésuites. Je l'espère, car cela pourrait peut-être les conduire à souhaiter un établissement dans vos États, et à y faire couler une partie de leur richesse.
Comme je ne puis autre chose que souhaiter pour le bonheur de votre règne, il faut donc m'y borner; du moins je le fais du fond du cœur, m'intéressant à votre gloire par le sentiment rempli du plus tendre attachement avec lequel je suis, etc.
<316>199. AU PRINCE HENRI.
Ce 19 (juin 1769).
Mon cher frère,
Comme je prends les eaux à présent, vous ne vous étonnerez pas si ma lettre est plus laconique que d'ordinaire. Je me hâte, mon cher frère, de vous répondre en peu de mots sur ce que vous m'écrivez. Le malheur a voulu qu'en Corse la corruption française ait prévalu sur l'habileté et l'esprit de ressources de Paoli. M. de Vaux s'est conduit, en Corse, comme un brigand rouable; il a fait massacrer dans les villages tous les êtres vivants, jusqu'aux enfants à la mamelle. D'autre part, en répandant de grosses sommes, il a débauché les Corses, et Paoli, n'ayant plus que deux cents hommes, sur lesquels il ne pouvait guère compter, s'est embarqué pour Livourne. La jalousie que les Autrichiens ont de cette conquête est énorme; on dit que l'Empereur en est outré. C'est à Neisse qu'il veut venir à la fin d'août.361-a
Les Anglais veulent se charger de la médiation entre les Turcs et les Russes, conjointement avec nous; je crois que nous trouverons plus de roideur de la part des Russes que des Musulmans. La grande armée turque n'a pas encore passé le Danube. Le pape abolira les jésuites; mais je ne crois pas que nous y gagnions la moindre chose, parce que ces bons pères ont été mis à sec par les enfants chéris de l'Église, et sûrement qu'on les dépouillera du peu qui leur reste avant de les extirper.361-b Il y a eu une nouvelle scène à Londres entre l'ambassadeur de France et de Russie; celui de France s'est conduit avec une insolence et une indécence qui choque tout le monde. Il semble que Choiseul ait résolu de rendre sa nation détestable à tous les peuples par l'impertinence dont se conduisent ses ministres, sans que je voie l'avantage qui en résultera pour la France. Ma sœur de Suède triomphe du <317>sénat; mais le parti qu'elle a formé paraît lui manquer au moment qu'elle croyait recueillir les fruits de ses travaux ....
200. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 23 juin 1769.
Mon très-cher frère,
Puissent les eaux que vous prenez, mon très-cher frère, contribuer au bien de votre santé, et conserver une vie qui m'est si précieuse, et pour laquelle je fais les vœux les plus sincères et les plus tendres!
Je ne m'attendais à rien moins qu'à la retraite de Paoli et à l'abandon de la Corse. Je puis avouer que j'en suis affligé; on s'intéresse toujours pour les grandes âmes; celle de Paoli avait paru supérieure jusqu'ici. Les Français, quoique triomphants, jouiront du bénéfice d'une conquête, sans que la gloire daigne orner le char de victoire de M. de Vaux; la trahison et la cruauté n'embellissent pas celui que la fortune seconde. Le duc de Choiseul sera très-fier d'avoir réussi; cela pourrait le maintenir dans le ministère, quoique les gazettes ont nommé le cardinal Bernis, qui rentrerait à son retour de Rome, comme ministre, au conseil du Roi. Les mêmes gazettes disent que le duc de Richelieu remplacerait le maréchal d'Estrées au conseil. Vous saurez, mon très-cher frère, le cas qu'on doit faire de ces nouvelles. Celle que vous daignez m'apprendre relativement aux démêlés qu'il y a eu à Londres entre les ambassadeurs de France et de Russie m'a fort surpris; les Français oublient que le temps est passé où Louis XIV soutenait l'insolence de ses ambassadeurs par des armées commandées par des Condé, des Turenne ou des Luxembourg. En décomptant le nombre des troupes qu'ils ont en Corse, je crois que, non compris les milices, il ne reste pas à Louis XV soixante mille hommes de troupes réglées dans toute la France; si un orage politique s'assemblait contre cette nation, la fierté <318>du ministère serait très-embarrassée, et je crois que leur affaire irait bien plus mal que la présomption d'un duc de Choiseul lui permet de le penser. Je crois toujours que ce ministre sera fort intrigué lorsque vous aurez eu, mon très-cher frère, l'entrevue à Neisse avec l'Empereur; c'est un événement tout nouveau, qui doit naturellement intriguer les têtes politiques qui sont contraires à vos intérêts. Si ensuite il arrive que vous soyez si heureux, mon très-cher frère, de pacifier l'Orient et le Nord, il en résultera, outre un degré de considération de plus dans l'Europe entière, que particulièrement l'impératrice de Russie vous devra de grandes obligations; car, pour peu qu'elle pense juste, elle doit désirer de sortir d'une guerre qui, à la longue, ne lui sera que coûteuse, et dont elle ne pourra jamais tirer de grands avantages. J'envisage toutes les affaires du côté où elles peuvent être avantageuses à votre gloire, que je désire de voir toujours accroître, par le sentiment que j'ai du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
201. DU MÊME.
Berlin, 2 août 1769.
Mon très-cher frère,
Si vous ne trouvez pas beaucoup de satisfaction dans le grand monde, mon très-cher frère, je ne m'en étonne pas, et comprends que la retraite vous plaît davantage. Je pense de même, et pour cet effet je pars en quelques jours pour Rheinsberg, d'où je serai de retour d'abord que j'apprends que le jour est fixé pour votre départ pour la Silésie; je me contenterai d'apprendre, en attendant, par les gazettes, la suite des succès des Russes. Je lis tranquillement si le pape fait un bref contre les jésuites, ou s'il élude encore cette fâcheuse affaire par des finesses sacerdotales; je m'intéresse jusqu'aux galopades que fera le roi de Danemark au carnaval qu'il donne pour le duc de Glocester. C'est ainsi que <319>les affaires les plus sérieuses peuvent être envisagées par ceux qui s'en occupent dans la retraite, et qui n'ont aucun rapport direct à l'intérêt qui agite ceux qui paraissent sur le grand théâtre du monde. Je voudrais que tous ces objets ne fussent qu'un simple amusement pour vous, et que du moins ces affaires intéressantes n'eussent toujours que des objets agréables à vous offrir, ou bien que, si elles sont plus intimes, elles n'aient pour fin que ce qui contribue à votre satisfaction, à votre gloire et à votre contentement; c'est ce que je désire du fond du cœur, étant avec le plus sincère et respectueux attachement, etc.
202. AU PRINCE HENRI.
Ce 3 (août 1769).
Je vous félicite de jouir d'une tranquillité philosophique à Rheinsberg. Je voudrais, mon cher frère, que les choses de l'Europe ne fussent qu'un simple spectacle pour moi; je m'en amuserais, au lieu qu'à présent elles me donnent souvent de l'inquiétude. Par exemple, les Russes viennent de prendre Chotzim. Cela va leur donner une supériorité si marquée pour cette campagne sur leurs ennemis, que l'arrogance et la hauteur de l'Impératrice en augmenteront encore, si tant y a qu'elles puissent augmenter. En attendant, l'Empereur a fixé le jour de son arrivée au 25 de ce mois, de sorte qu'il faudra que nous partions le 12,364-a pour que j'aie le temps de faire une petite tournée en des lieux où ma présence est nécessaire. Nous verrons alors par nos yeux ce qui en est, et à quel point ce prince mérite les éloges qu'on lui donne, ainsi que ce que l'on pourra s'attendre de lui. Tout cela, dans le fond, ne me touche guère, puisque je serai longtemps mort et oublié quand il commencera à paraître. Je vous embrasse, mon <320>cher frère, en vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
203. AU MÊME.
Le 17 juin 1770.
Mon cher frère,
Oui, mon cher frère, les maux de la guerre ont été le mieux réparés que les circonstances l'ont permis. Nous commençons à revoir naître une armée qui, en cas de besoin, pourra rendre de bons services. Mais ne pensez pas que ces choses influent sur les politiques; ils sont si accoutumés à traiter le militaire en bagatelle, qu'ils ne tiennent aucun compte du bien que l'on peut dire de l'armée de leur voisin. Mon petit voyage en Moravie fera des impressions plus pacifiques sur l'impératrice de Russie que toutes les troupes et toutes les revues du monde. Les Autrichiens forment des magasins sur leurs frontières de la Hongrie; à vous dire la vérité, je ne les crois pas bien considérables, mais je les fais valoir à Pétersbourg le mieux qu'il m'est possible, et je me flatte que la paix se fera l'hiver prochain, ou la guerre pourrait bien devenir générale l'année prochaine ....
204. AU MÊME.
Ce 12 (août 1770).
Mon cher frère,
Dans ce moment je reçois une lettre de l'impératrice de Russie dont, mon cher frère, je vous envoie la copie. Elle vous demande avec tant d'empressement, que c'est un voyage auquel je ne crois pas que vous puissiez vous refuser. Je comprends bien que peut-<321>être il ne vous fera pas tout le plaisir possible, mais il faut faire de nécessité vertu; vous arrangerez tout cela comme vous le jugerez à propos. Si vous avez besoin d'argent, marquez-le-moi, et je pourrai vous faire tenir huit mille écus à Pétersbourg. Vous comprenez, mon cher frère, combien il faut ménager cette femme. Si vous pouvez la réconcilier avec ma sœur de Suède, ce sera une bonne œuvre, et qui me fera bien du plaisir. D'ailleurs, je vous recommande tout ce qui regarde nos intérêts. Vous apprendrez à connaître là bien des gens dont nous avons besoin. Vous ferez, s'il vous plaît, les compliments les plus flatteurs à l'Impératrice de ma part, et vous direz tout ce que vous pourrez de l'admiration qu'elle inspire à tout le monde, enfin tout ce qu'il faut. Vous aurez le temps, en voyage, de recueillir un magasin de louanges dont vous pourrez vous servir dans l'occasion. Si elle veut vous donner son ordre, il faut l'accepter. Enfin je m'en rapporte bien du reste sur votre bon esprit, qui tirera parti de toutes les occasions qui se présenteront là-bas. Je suis bien fâché de n'avoir pas su cela plus tôt; j'aurais pu vous mettre au fait de bien des choses. Je vous prie cependant d'éclairer Solms,366-a pour voir par vos yeux si mes soupçons sont bien fondés. Adieu, mon cher frère; vous reviendrez sans doute par la Prusse, au lieu de revenir par le Danemark, et mandez-moi vos voitures, pour que j'expédie des passeports pour vos chevaux. La Princesse de Prusse est accouchée d'un fils;367-a l'Impératrice est marraine. Je suis avec toute la tendresse possible, mon cher frère, etc.
205. AU MÊME.
Breslau, 23 août 1770.
.... Je suis surchargé d'affaires, mon cher frère, ce qui m'a empêché de vous écrire; mais ce chiffre pourra devenir nécessaire <322>dans votre voyage. Vous devinez bien pourquoi je ne veux point me servir de celui de Solms. Il n'y aura personne d'étranger, au camp de Moravie, que le duc de Glocester, qui, par ses importunités, a forcé l'Empereur à le recevoir malgré soi. D'ailleurs, il y sera beaucoup question de la paix avec les Russes et les Turcs, et s'il y a quelque chose de bien intéressant à insinuer à l'Impératrice, cela pourra passer par vous, et cela en acquerra du poids.
206. AU MÊME.
Neisse, 30 août 1770.
Mon cher frère,
Je suis ravi, mon cher frère, de tout ce que vous m'apprenez de ma sœur de Suède, et vous connaissez trop mes sentiments pour me soupçonner de n'y pas répondre avec la même tendresse. Je sens tout le plaisir qu'on doit avoir de revoir ses parents après une si longue absence, car je sais quel plaisir j'aurais, si je pouvais revoir ma sœur de Suède; mais je n'ose pas m'en flatter, car je crois en entrevoir l'impossibilité morale. Vous avez encore, mon cher frère, un grand voyage qui vous attend, et qui malheureusement est inévitable; je parle de celui de Pétersbourg. Vous vous trouverez à portée de rendre de bons offices à ma sœur de Suède, que je regarderai comme si vous me les aviez rendus. Vous pourrez aussi, en louant l'Impératrice et en la flattant, la faire expliquer sur les conditions auxquelles elle compte faire la paix avec les Turcs, qui est une chose qui nous intéresse très-directement; car vous sentez bien que, après toute la gloire qu'elle s'est acquise par ses armées, rien ne peut la relever encore que sa modération dans les conditions de la paix qu'elle dictera à ses ennemis. Je pars le 2 pour la Moravie, où je trouverai des gens que cette paix intrigue beaucoup, et qui, à la fin, pourraient s'impatienter, si la guerre continuait encore l'année prochaine. D'ailleurs, je serai très-bien reçu; l'Empereur n'a voulu <323>admettre d'étrangers à ce camp que ceux qui m'y suivent; le duc de Glocester a voulu y venir, mais le St. Ver.368-a le retient à Hanovre. Je juge à peu près de tout ce dont il pourra être question; mais j'aime mieux vous le communiquer lorsque j'aurai entendu parler les personnes moi-même que de vous donner des nouvelles fondées sur des on dit, et des rapports qui peuvent être infidèles. J'ai trouvé que nous avons fait quelques progrès ici, en Silésie, depuis l'année passée, tant pour les forteresses, l'armée, les finances, que le plat pays. La guerre s'oublie petit à petit, la population augmente, les champs sont bien cultivés, et le crédit commence à se rétablir. Si je n'étais pas surchargé d'affaires, je vous en dirais davantage; mais je compte encore, mon cher frère, de vous écrire d'ici, avant d'aller en Moravie, une lettre avec le chiffre de Cocceji.369-a Vous priant d'être persuadé de la tendresse et de la parfaite estime avec laquelle je suis, etc.
207. AU MÊME.
Breslau, 9 septembre 1770.
Mon cher frère,
J'ai reçu votre chiffre de Suède. Je suis charmé d'y voir ma sœur en de si bonnes dispositions. Qu'elle reste avec ses Français tant qu'elle voudra, pourvu qu'elle garde des ménagements indispensables et nécessaires avec les Russes, pour que l'animosité ne devienne pas trop grande, et que l'impératrice de Russie ne pousse pas son animosité trop loin. Pour revenir à présent aux affaires importantes, vous saurez que le jour de mon arrivée à <324>Neustadt369-b j'ai reçu un courrier de Constantinople, par lequel on me mande que la Porte ottomane a demandé ma médiation et celle de la cour impériale pour faire la paix avec les Russes. Ceci a donné lieu à des conférences que j'ai eues avec le prince de Kaunitz sur ce sujet. Nous sommes assez d'accord dans nos principes et dans nos idées. Je vais donc d'abord, à mon retour, expédier un courrier en Russie, pour apprendre si l'Impératrice approuve cette médiation, ou si elle la refuse. Je crois que la cour de Vienne laissera Asow à la Russie, sans en prendre autrement jalousie, pourvu que la Valachie et la Moldavie soient restituées, et que le despote de ces provinces demeure sous la domination turque. Et quant aux affaires de la Pologne, si l'impératrice de Russie se modère un peu sur ses demandes relativement aux dissidents, qu'ils n'aient point part à la législation, que le grand général soit maître de l'armée, et qu'on n'impose de subsides à la nation que du gré des diètes, tout se tranquillisera, et nous et les Autrichiens, nous nous engagerons nous-mêmes à ranger les Polonais récalcitrants à leur devoir, au cas qu'ils ne voulussent consentir à des propositions aussi modérées. Vous aurez deux grands arguments, mon cher frère, pour appuyer ces propositions auprès de l'impératrice de Russie. L'un est celui de sa gloire, qui ne peut monter plus haut qu'en témoignant de la modération après tant de victoires; les succès de la guerre se partagent entre tant de personnes qui y participent sans doute, mais la clémence du vainqueur ne se partage avec personne; elle lui est propre, et tourne uniquement à sa gloire. Le second argument est celui que pour jouir d'une paix solide, il la faut faire à des conditions supportables; et si l'impératrice de Russie ne prend pas ce parti, elle sera continuellement obligée de retoucher à son ouvrage en Pologne, et à la fin il en pourra venir des troubles si considérables, qu'ils engageront toute l'Europe dans cette querelle. Sa gloire, ainsi que sa tranquillité, exige donc qu'elle dicte de telles conditions de la paix qui la rendent supportable aux Polonais,370-a et qui fassent qu'elle soit stable et du<325>rable. Vous qui avez tant d'esprit, vous étendrez comme vous le jugerez à propos ce que je vous dis en deux mots; et en insinuant ces idées à l'impératrice de Russie, et en les répétant quelquefois au comte de Panin, je ne doute point que vous ne réussissiez, mon cher frère, à les faire agréer et à devenir dans ce moment critique le principal instrument de la pacification de l'Europe. Je suis, etc.
208. AU MÊME.
Potsdam, 13 septembre 1770.
.... Je vous envoie en même temps, mon cher frère, le plan de Neustadt, pour vous faire à peu près une idée comme tout a été. L'infanterie autrichienne a beaucoup gagné; cependant je ne troquerais pas. La cavalerie est pitoyable. L'Empereur en était fâché; il a renvoyé d'Ayasassa, pour le remplacer par un Kinsky. L'artillerie est très-bien. Les spectacles ont été beaux, surtout les ballets de Noverre,371-a qui surpassent tout ce qu'on peut voir en ce genre. J'ai recueilli bien des particularités là-bas, que je pourrai vous redire de bouche, quand j'aurai le bonheur de vous revoir. L'Empereur est toujours le même, tel que vous l'avez vu. Le prince Kaunitz est un homme de beaucoup d'esprit; il le sait, et prétend quelque hommage. Il traite l'Empereur comme son fils, et celui-ci le traite comme son père. Voilà tout ce que je puis vous écrire sans chiffre. Je vous embrasse, mon cher frère, de tout mon cœur.
<326>209. AU MÊME.
Potsdam, 1er octobre 1770.
Mon très-cher frère,
Je vous envoie une lettre ostensible, que vous pouvez montrer à Panin ou même à l'Impératrice, si l'occasion s'en présente. Sans doute, mon cher frère, que pour être bien informé des choses, il faut puiser aux sources mêmes, et les conversations que vous pourrez avoir avec l'Impératrice ou son ministre nous donneront des notions sûres, sur lesquelles on pourra tabler. La nouvelle de l'Espagne que je vous mande est très-certaine. D'autre part, les Français, en Danemark, ont été assez adroits pour culbuter Bernstorff. Cela va sûrement détacher ce royaume de l'alliance des Russes, et cela ne peut que nous être favorable, car nous sommes le seul allié qui leur reste, et en même temps ce changement, quoiqu'il ne soit pas encore tout à fait à maturité, doit faire désirer la paix à l'Impératrice; elle est d'ailleurs modérée dans les conditions qu'elle exige, de sorte que tout me fait espérer la fin de cette malheureuse guerre. Il s'agit encore de voir si l'Impératrice ne voudrait pas se hâter de pacifier les troubles de la Pologne, même avant de signer la paix avec les Turcs. Vous verrez, à Pétersbourg, tout ce que je propose sur ce sujet; c'est à quoi, mon cher frère, je vous renvoie. Je suis, etc.
210. AU MÊME.
Potsdam, 8 octobre 1770.
Mon très-cher frère,
Vous pouvez sans doute parler en mon nom à l'impératrice de Russie. Vous voyez bien, mon cher frère, qu'il ne vous convient pas d'avoir un créditif. Si vous étiez parti d'ici directement, je vous aurais sans doute chargé d'une lettre pour cette princesse; <327>mais moi qui étais372-a en Moravie lorsque vous deviez entreprendre ce voyage, je ne pouvais en aucune façon vous faire le porteur d'une lettre. D'ailleurs, je n'écris à l'Impératrice que de loin en loin, pour ne la point importuner. Elle m'a fait communiquer, depuis, les conditions auxquelles elle compte faire la paix. Je les trouve si modérées, que je ne doute point de les faire accepter. Je crois qu'une des grandes difficultés que vous rencontrerez là-bas, ce sera de leur faire accepter la médiation des Autrichiens. Comme Solms a reçu l'ordre de vous montrer toute ma correspondance, il ne reste qu'à appuyer les raisons par des arguments que la fécondité de votre génie vous fournira sans doute. L'article qui regarde la pacification de la Pologne sera plus difficile. Il faut lui faire entrevoir que jamais il n'y aura de paix stable, si elle ne relâche pas sur quelques articles, que les dissidents mêmes l'en supplieront, et que, pourvu que la forme de ce gouvernement ne soit pas trop grièvement blessée, j'essayerai de persuader les Autrichiens de forcer, conjointement avec moi, les confédérés à se mettre à la raison, et même à garantir de tout ce qu'on pourra convenir sur le sujet de la Pologne. D'autre part, il est sûr qu'il est de la gloire de l'Impératrice que les troubles de ce royaume soient pacifiés, s'il se peut, même avant que la paix se signe avec les Turcs; car si cela traîne, elle sera obligée d'entretenir sans cesse des troupes en Pologne, et elle ne sera jamais assurée de n'y voir pas renaître des confédérations nouvelles, qui, à la fin, pourraient occasionner des guerres générales, en y mêlant d'autres voisins. Mais j'espère que des raisons que vous devinez sans doute les rendront pacifiques, et les feront passer sur des bagatelles qui, dans le fond, n'importent point à la Russie, et ne préjudicient en rien à la gloire de l'Impératrice. Je m'en repose sur vos talents, mon cher frère, qui mettront ces choses dans un plus beau jour que moi, qui ne fais qu'ébaucher la matière. Je suis, etc.
<328>211. DU PRINCE HENRI.
Pétersbourg, 13 octobre (nouveau style) 1770.
Mon très-cher frère,
Je suis arrivé hier au soir, et ne puis vous exprimer toutes les attentions que l'Impératrice a pris le soin de prendre depuis que j'ai touché les frontières de ses États jusqu'à mon arrivée ici. Sans compter le nombre de ceux qui m'ont reçu, elle a envoyé au-devant de moi des officiers et des généraux pour me faire des compliments de sa part, et j'ai trouvé le comte Panin pour me recevoir à l'hôtel qu'elle m'a destiné. Vous connaissez, mon très-cher frère, ce ministre par la réputation qu'il s'est acquise, et vous aurez la grâce de juger combien j'ai été sensible qu'il fût le premier, à Pétersbourg, dont je fis la connaissance. Il est sensiblement pénétré de reconnaissance pour les compliments que je lui ai faits de votre part. J'ai été aujourd'hui à midi chez l'Impératrice. Son accueil répond à la réputation de ses grandes qualités; elle met toute l'aisance avec toute la dignité dans le commerce de la vie. J'ai droit d'être flatté de la manière dont elle m'a reçu, et j'ai été sensiblement réjoui sur sa façon de penser, lorsqu'elle m'a répondu au compliment, mon cher frère, que je lui ai fait de votre part. Sa cour est des plus brillantes; le goût et la magnificence y sont réunis. Le grand-duc paraît extrêmement aimable, et répond à la bonne éducation et aux soins que le comte Panin lui a donnés sous les yeux de l'Impératrice. Tous les seigneurs de la cour dont j'ai pu faire la connaissance sont très-polis, et dignes du choix de l'Impératrice. Le comte Orloff est un de ceux qui sont les plus empressés à me faire politesse, et j'en sens374-a le prix d'autant plus, à cause que l'Impératrice l'honore beaucoup de son estime. Voilà en peu de mots le tableau de ce que j'ai vu aujourd'hui; il est assez beau pour que j'aie cru, mon très-cher frère, qu'il mérite votre attention. Mon voyage, d'ailleurs, a été fort pénible. J'ai été huit jours sur mer par des tempêtes continuelles. J'ai échappé heureusement à toute <329>sorte de hasards que nous avons couru risque d'avoir. La Finlande, par où j'ai passé, est un pays horrible; cela fait, depuis Åbo jusqu'à Pétersbourg, au delà de cent milles d'Allemagne. On passe par des sentiers dans une espèce de désert. Les contrées de la Suède paraissent un paradis à côté de celles-ci; mais on se trouve dédommagé amplement en voyant Pétersbourg, où les palais somptueux et tous les embellissements que l'Impératrice fait à la ville la rendront une des plus belles de l'Europe. Voilà, mon cher frère, où je terminerai ma lettre. Puissiez-vous être convaincu du désir sincère que j'ai de vous prouver en toute occasion le tendre et sincère attachement avec lequel je suis, etc.
212. AU PRINCE HENRI.
(Potsdam) 26 octobre 1770.
Mon cher frère,
Je suis bien aise de vous savoir arrivé en bonne santé à Pétersbourg par tous les mauvais chemins et les déserts que vous avez traversés; mais, mon cher frère, vous avez passé par le purgatoire pour arriver en paradis, et je suis persuadé que vous vous trouvez parfaitement dédommagé des fatigues les plus rudes que vous avez souffertes, par l'avantage que vous avez de voir vous-même une des plus grandes princesses du monde. Je souhaite que le froid et la fatigue ne nuisent point à votre santé, et que je vous voie ici de retour en bonne santé. Demain le neveu de Suède376-a repart d'ici pour Stockholm; je l'ai lesté de compliments et d'avis. Je vous embrasse tendrement, mon cher frère, en vous assurant de toute l'estime et l'attachement avec lequel je suis, etc.
<330>213. AU MÊME.
Potsdam, 26 octobre 1770.
Je voudrais volontiers, mon cher frère, vous indiquer une autre voie que celle de Solms; mais je n'en connais point, et à présent j'enverrai moins de courriers en Russie que par le passé; car, par la réponse que je viens de recevoir à présent, l'Impératrice ne refuse ni n'accepte la médiation. Ainsi je compte ne plus me mêler de tout cela, d'autant plus que le général Romanzoff a ordre de traiter directement avec le caïmacan et le grand vizir; ainsi on se moque de nous. L'Impératrice m'écrit, et demande que mon ministre à Varsovie doit appuyer tous les ordres qu'elle fera donner à son ministre; mais je ne suis pas accoutumé de faire agir mes ministres en ignorant de quoi on les charge, et d'ordinaire entre puissances alliées on se communique et concerte les choses ensemble avant que d'agir. J'espère que vous voudrez bien rappeler cette coutume généralement reçue dans l'esprit de M. Panin. Restez, mon cher frère, dans ce pays autant que cela vous sera agréable, et que vous pourrez être utile à notre sœur; car pour tout ceci, je suis très-résolu de ne me mêler ni de la paix, ni des affaires de Pologne, et de n'être que simple spectateur des événements; car ces gens-là peuvent nous accepter ou nous refuser pour médiateurs, mais il ne faut pas qu'ils se moquent ouvertement de nous.
214. AU MÊME.
Le 30 octobre 1770.
Mon cher frère,
Je n'ai pas douté que tous les objets que vous verriez à Pétersbourg exciteraient vos applaudissements; mais qu'est-ce que des maisons et une cour pompeuse, en comparaison de la princesse <331>qui gouverne ce pays avec tant de gloire, et qui répand la splendeur de son règne dans toute l'Europe? Ce sont de ces objets qu'on ne trouverait pas en parcourant tout le monde connu. C'est le seul avantage que je vous envie là-bas, de pouvoir connaître ce puissant génie qui surpasse presque celui du fondateur de cet empire. Il n'y a plus moyen de féliciter l'Impératrice sur les succès de ses armes; il faudrait l'importuner trop souvent, de sorte que, en participant au succès de ses troupes en Bessarabie, sur le Pruth, à Bender, je l'admire et me tais.377-a Je ne puis guère vous mander des nouveautés d'ici, sinon qu'il paraît que la guerre entre l'Angleterre et l'Espagne est inévitable. Heureusement qu'ils se la feront sur mer, et que nous en serons les tranquilles spectateurs. Je vous envoie ci-joint encore quelques réflexions que ma solitude et ma vie recueillie me permettent de faire; ce sont des rêveries dans le goût de celles de l'abbé de Saint-Pierre, dont on disait qu'il rêvait en honnête citoyen de l'univers.377-b Je vous embrasse mille fois, mon cher frère, en faisant mille vœux pour votre santé, et vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
La grande affaire pour la politique consiste à ce que les Russes fassent une paix honnête avec les Turcs. Je crois que ces derniers digéreront la perte d'Asow, peut-être encore de quelques hordes indépendantes de Tartares, pourvu que les Russes ne s'y mêlent pas, ou ne s'avisent de vouloir avoir un hospodar de la Valachie de leur dépendance; c'est ce qui serait difficile à digérer aux Autrichiens, et que j'ai bien compris qu'ils ne souffriraient nullement. Pour ce qui regarde les affaires de Pologne, vous pouvez compter que tout le royaume est dans des dispositions aliénées des Russes, de sorte que si l'impératrice de Russie croit y avoir des partisans, elle se trompe très-fort. Il s'agit également de pacifier ces troubles. Si, à la paix, on impose des lois que les Polonais croiront ne pas devoir observer, ce sera à recommencer avec eux de trois mois en trois mois, et je dois ajouter à cette considération une autre qui est bien plus importante, <332>qui est que la cour de Vienne regarde ces affaires de Pologne avec le plus grand mécontentement; et je ne voudrais pas répondre que si les Russes, la paix faite, ne retirent pas leurs troupes de ce royaume, à la fin la patience n'échappera aux Autrichiens. Pour moi, qui voudrais, autant qu'il dépend de moi, perpétuer la paix du Nord aussi longtemps que cela se pourra, je voudrais qu'on écartât tout ce qui pourrait servir d'aliment à une nouvelle guerre, et que par conséquent la Russie fît un plan de pacification tolérable pour la Pologne, qu'elle me le communiquât, ainsi qu'à la cour de Vienne, et ce plan se trouvant être raisonnable, c'est-à-dire, en maintenant le Roi sur le trône et relâchant un peu du reste, je me ferais presque fort de porter la cour de Vienne, conjointement avec moi, à gourmander de façon les confédérés pour les forcer à le souscrire. Cela peut donner lieu à une paix stable jusqu'à un nouveau règne. Mais si l'Impératrice ne veut pas suivre mes avis, je crains que tôt ou tard ce feu qui couve sous la cendre n'allume un incendie qui ne devienne un embrasement général de l'Europe. D'ailleurs, je renonce au titre de médiateur, et, pourvu qu'on fasse la paix cet hiver, j'abandonne de bon cœur tout intérêt de vaine gloire, qu'il faut toujours, comme de raison, sacrifier au bien public.379-a
215. AU MÊME.
Potsdam, 5 novembre 1770.
Mon cher frère,
Je me réjouis de ce que le voyage fatigant que vous avez fait, mon cher frère, n'ait porté aucun préjudice à votre santé. Il est vrai que vous êtes bien récompensé de vos peines en voyant tous les établissements utiles et agréables que l'Impératrice a faits dans sa capitale. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que cette grande ville, dont vous admirez la magnificence et la beauté, n'a <333>pas existé au commencement de ce siècle, et qu'un terrain sauvage était tout ce qu'on trouvait alors où vous voyez maintenant une ville superbe. Cette nation, cultivée, s'est policée avec une rapidité incroyable. Tous ces progrès sont dus à son fondateur et à une suite d'impératrices qui ont adouci à leur cour ce que la nation avait encore conservé de son ancienne férocité. L'impératrice régnante met le comble aux travaux de ses prédécesseurs, et si ses vues vastes et grandes étaient toutes exécutées, la Russie serait dans peu la première nation de l'univers. Pour vous donner quelques nouvelles de l'Europe, je puis vous apprendre que l'on croit que le ministère d'Angleterre est sur le point de s'accommoder avec celui d'Espagne, de quoi je doute encore, parce que la nation a été mise en fermentation par les grands préparatifs de guerre que le gouvernement a ordonnés, et que, dans ce pays-là, la volonté du ministère est souvent obligée de s'accommoder à celle du peuple. On m'écrit de Hollande qu'on y dit l'électeur de Bavière mort; je n'en crois rien, parce que, si cela était, on me l'aurait mandé de Vienne et de Dresde. Je suis, etc.
216. AU MÊME.
Potsdam, 11 novembre 1770.
Mon cher frère,
J'espère qu'on ne passera pas le Rubicon. Les Turcs demandent la paix à cor et à cri; vous l'aurez vu par la dépêche originale que je vous ai envoyée; mais trop de gens veulent se mêler de cette paix, de sorte que le meilleur parti et le plus court est que l'Impératrice la fasse négocier à la tête de ses troupes. Les conditions qu'elle demande sont tolérables; elles ne peuvent point donner lieu à rompre la négociation, et pourvu qu'entre eux ils terminent au plus vite ces différends, c'est tout ce que nous pouvons désirer de mieux. Les Turcs veulent relâcher Obreskoff dès qu'ils sauront sûrement que les Russes veulent faire la paix. <334>Je m'étonne de cette lenteur qu'on marque pour les affaires de la Pologne. Dans le fond, on cède sur tous les articles innovés à la dernière diète, et l'on s'en tient à conserver le Roi, comme de raison; cela est si modéré et si raisonnable, que personne n'y peut trouver à redire. Si l'on m'envoie un plan, je tâcherai de le faire valoir à la cour de Vienne de mon mieux; mais je ne dois pas vous dissimuler que la France a gagné là-bas du terrain depuis mon retour, et que ce Durand qui se trouve envoyé là-bas intrigue sans cesse avec les confédérés. Si les Russes passaient le Rubicon, il n'y aurait plus moyen d'arrêter les Autrichiens, et vous pouvez compter qu'une guerre générale s'ensuivrait infailliblement. Ayez la bonté de faire valoir là-bas les mortiers et les munitions de guerre que j'ai prêtés à Drewitz381-a pour mettre les confédérés à la raison. Je suis, etc.
217. AU MÊME.
Le 12 novembre 1770.
Mon cher frère,
Il y a sans doute une distance immense qui nous sépare, et qui empêche, mon cher frère, qu'une correspondance si lointaine puisse être bien régulière. Il faut six semaines pour avoir des réponses; cela fait un grand tort à la correspondance, sans compter la lenteur de l'arrivée des nouvelles, et les changements qui, pendant cet intervalle, arrivent ailleurs dans le monde. Mais ce qui m'intéresse principalement, c'est votre santé, et je me réjouis infiniment qu'elle triomphe des fatigues du voyage et des rigueurs du climat. On ne peut sans doute pousser les attentions plus loin, mon cher frère, que l'impératrice de Russie daigne les avoir pour vous. Elle a daigné vous pourvoir de magnifiques pelisses; c'est assurément aussi obligeant que possible; mais si elle pense à tout, il ne faut pas s'en étonner, car, du grand jus<335>qu'aux petites choses, ses vues s'étendent et enferment tout dans leur immensité. Les Russes ont bien raison de célébrer ses grands succès. L'invention du ballet dont vous me parlez, mon cher frère, est ingénieuse; mais il faut du marbre et de l'airain pour transmettre ses grandes actions à l'immortalité. La modération que cette princesse met dans les conditions de la paix qu'elle impose aux Turcs couronne le tableau de tant de hauts faits, et y ajoute le dernier lustre; car il est beau de pardonner à ses ennemis, et plus beau encore de ne les point opprimer lorsqu'on les peut écraser. Ce sont des choses supérieures aux plus grandes victoires, car la gloire s'en partage entre bien des personnes, qui sans doute y ont contribué; mais la clémence, l'humanité, la générosité, partent du cœur du souverain; cette gloire est personnelle, et personne ne peut la lui disputer. Voilà ce qui rendit César le premier des Romains, son vaste génie et sa clémence; et je me réjouis de trouver les mêmes grandes qualités dans une impératrice dont je suis le fidèle allié. Je ne finirais point sur ce sujet, mon cher frère, la matière est inépuisable; mais comme vous trouvez en vous-même toutes les réflexions que ce sujet fait naître si naturellement, je me renferme cette fois dans les assurances de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
J'ai perdu cet honnête et brave chancelier Jariges.382-a
218. AU MÊME.
Le 16 novembre 1770.
Mon cher frère,
Votre courrier est arrivé ici avec votre lettre, qui m'a été bien rendue. Vous me demandez des ordres; je suis obligé de les faire accommoder. Cela demande huit jours, de sorte que tout au plus <336>tôt mon courrier ne peut repartir que le 24, de sorte que sa pacotille ne peut vous être rendue au plus tôt que le 8 et peut-être le 10 de décembre. Comme vous parlez le 13, j'ai été obligé de hâter l'ouvrier, de façon que vous ne devez pas vous attendre à ce que l'ouvrage soit fort élégant. Je vous prie, en attendant ma dépêche, d'inspirer le plus que vous le pourrez des sentiments pacifiques à ces gens-là. Le courrier vous apportera un paquet qui vous en détaillera toutes les raisons amplement. Point de Rubicon à passer, je vous prie, et point de convention nouvelle quelconque; cela n'est pas du tout de saison. Les Turcs demandent la paix à cor et à cri; il faut la faire, ou la Russie, de gaîté de cœur, doit s'attendre à se précipiter dans une toute nouvelle guerre. On vous a bien malmené, mon cher frère; on vous a mis à contribution volontaire, qu'un empereur ni un roi de France n'auraient payée. Il n'en faut pas croire tout le monde sur son avidité, ou ce serait le moyen, pour faire plaisir à des gens, de se ruiner, qui ne vous en auraient guère d'obligation; avec de petits présents on va aussi loin qu'avec de plus considérables, et il ne faut point aller au delà de ses forces.
Je vous prie, quand vous repasserez par Königsberg, de voir des troupes ce que la saison vous en permettra, et de jeter de même un coup d'œil, en passant, sur ces endroits qui ont été rebâtis après le dernier incendie. En vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis à jamais, etc.
219. AU MÊME.
Le 19 novembre 1770.
Mon cher frère,
Les ordres que vous me demandez m'embarrassent d'autant plus, qu'hier le juif m'avait promis de me les livrer en huit jours, et aujourd'hui il m'est venu dire qu'il faut trois semaines pour les achever. Comme vous voulez partir le 13 de décembre, <337>je vous envoie trois ordres ordinaires. Si vous croyez ne les devoir pas donner, vous me les rendrez; en attendant, je fais brillanter les autres, que j'enverrai à Solms, car le temps ne me permet pas de faire autrement. J'attends donc, mon cher frère, d'apprendre enfin si les Russes veulent continuer la guerre. Vous leur rappellerez que mes engagements ne vont pas jusque-là, et que, sans exposer mes pays à des risques certains et évidents, à une ruine certaine, à la perte de toutes mes possessions du Rhin, je ne me pourrais engager dans une entreprise où tout le risque est de mon côté. Mais vous serez assez circonspect pour ne le point dire, s'ils se déterminent à la paix; mais sinon, il faut représenter que de bons alliés doivent avoir égard à leurs intérêts réciproques, et ne point prétendre les uns des autres qu'ils se sacrifient entièrement pour leurs intérêts. Mais peut-être ces représentations ne seront-elles pas même nécessaires; et comme je suis sûr que le vizir ne demandera pas mieux qu'à faire la paix, ils n'auront point d'excuse pour prolonger la guerre. Je suis, etc.
220. AU MÊME.
Le 22 novembre 1770.
Mon très-cher frère,
Je vois par vos lettres, mon cher frère, tous les nouveaux sujets d'admiration que vous fournit la Russie; mais des palais et des maisons ne sont que des monuments morts qui ne font rien à la société; ce qu'il y a de vraiment admirable en ce que vous venez de m'écrire, c'est cette institution pour élever des filles et leur donner une éducation convenable. C'est par de tels soins, vraiment dignes des souverains, qu'ils peuvent mériter les noms de pères de la patrie. Le bienfait que nous recevons de nos parents, c'est la vie; mais ceux qui nous éclairent, qui nous inspirent des mœurs, qui nous humanisent, ce sont nos vrais, <338>nos seuls bienfaiteurs;385-a ceux des souverains qui peuvent produire de tels titres sont sûrs d'obtenir des brevets d'immortalité par tous les siècles.
Je vous ai dépêché, mon cher frère, un courrier depuis peu, et je dois encore ajouter que mes efforts ont été superflus pour achever ces ordres, qui ne pourront, je crois, partir d'ici que le mois prochain. On croit la guerre inévitable entre l'Angleterre et l'Espagne; Choiseul se trouve pris dans les filets qu'il avait tendus à d'autres. Ainsi la meilleure politique est l'unie qui chemine droit; par là on ne cherche niche à personne, et l'on ne s'embarrasse pas soi-même.
Notre nièce n'est point encore accouchée.385-b Il fait ici depuis quelques jours un temps abominable. Je vous conjure, mon cher frère, de vous bien empelisser et de vous bien calfeutrer à votre retour. Je crains que vos nerfs délicats ne souffrent de la rigueur du froid.
Je suis, etc.
221. AU MÊME.
Le 30 novembre 1777 (1770).
Mon cher frère,
Je ne sais si ma lettre vous trouvera encore à Pétersbourg, ou si vous serez sur votre retour, mon cher frère; toutefois suis-je bien réjoui d'apprendre que votre santé est assez bonne pour résister aux rigueurs des climats du nord. Je ne suis pas étonné du tout des belles fêtes que l'Impératrice vous a données. Ce même génie qui gouverne un État, et qui met tant de grandeur et de combinaisons dans ses projets, et dont la justesse des mesures étourdit l'Europe par des succès étonnants, ce même génie, dis-je, se déploie dans les fêtes dont vous avez été spectateur;386-a <339>ce goût, cette élégance, l'invention qui a dirigé ces différentes féeries dont vous me parlez, sont des délassements d'un vaste génie qui, dans ces amusements, se donne quelque relâche des plus grands travaux. On m'a envoyé un dessin de cette illumination de Zarskoe-Selo, où j'ai été surtout flatté de la justice que l'Impératrice rend à mes sentiments et aux liens qui m'attachent indissolublement à ses intérêts. Mais, mon cher frère, je ne puis point riposter à votre lettre sur le même ton; je ne saurais rien vous mander ni de prises de villes, ni de batailles gagnées, ni d'ennemis humiliés, ni de fêtes superbes, ni des amusements d'une cour polie; rien de cela n'a lieu ici. Nous n'entendons parler que des Anglais et des Espagnols; on ne saurait dire jusqu'ici s'il y aura paix ou guerre entre eux. La faiblesse du ministère anglais penche pour la paix; mais si elle continue, elle sera si chevillée, qu'elle ne se maintiendra pas longtemps. Incertain si ma lettre vous trouvera encore à Pétersbourg, ou en chemin, j'ai adressé au comte Solms un résumé de la conduite de Choiseul qui a été présenté au Roi, qui ne l'a pas lu, qui l'a donné à Choiseul, qui s'en est fait des papillotes. Les faits sont vrais et bien détaillés, et pourront faire connaître le caractère et la façon d'agir de cet homme à Pétersbourg, où on le connaît bien pour un tracassier, mais non pas toutes ses intrigues et ses ruses, telles qu'elles sont détaillées dans cette pièce. Le plus grand chagrin qu'on pourrait faire à cet homme serait de faire imprimer ce factum et de le répandre dans le public.
Je vous embrasse, mon cher frère, bien cordialement, en vous assurant de la tendresse infinie et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.
<340>222. AU MÊME.
Le 30 novembre 1770.
Pour notre médiation, mon cher frère, j'y renonce de bon cœur, pourvu que l'ouvrage de la paix s'accélère. J'avoue que, vu les liaisons de la cour de Vienne avec celle de Versailles, je ne crois pas qu'on puisse compter qu'elle se mêle bien nettement de la médiation; elle voudra faire intervenir le crédit de la France, qui gâterait tout. Il vaut donc mieux, pour finir vite, que l'Impératrice négocie directement, comme elle se le propose; mon ministre à Constantinople387-a pourra seconder cette négociation, et personne ne pourra y intervenir pour croiser l'acheminement de la paix. Pour ce que le comte Panin vous a dit de la cour de Vienne, je crois que cela est absolument impraticable, par les liaisons intimes qui subsistent entre l'Impératrice et la France, liaisons auxquelles la cour de Vienne est aveuglément attachée, parce que la France lui garantit le dos en Italie et son flanc gauche en Flandre, et lui donne la faculté de se servir de toutes ses forces contre moi quand bon lui semblera. Cela étant, on ne déterminera du grand jamais Kaunitz à rompre avec les Turcs, alliés de la France, et à partager le gâteau avec les Russes; et il faut même n'y point penser, mais plutôt se rappeler que l'Impératrice ne peut continuer la guerre sans passer le Rubicon, et qu'en ce cas ce serait allumer un incendie dont Dieu sait quelle serait la fin. J'en reviens donc à mon sentiment : la paix, la paix la plus prompte que possible, en ne proposant pas des conditions intolérables et trop humiliantes aux Turcs. Je suis persuadé que l'Impératrice parviendra à la faire; les insinuations des Français, mon cher frère, perdent toute leur force dans la situation désespérée où se trouvent les Turcs. Ils feront sûrement la paix, et volontiers; ainsi j'espère que tout se pacifiera cet hiver, et que l'Europe pourra être tranquille, autant que le permettra Choiseul.
Je vous rends grâces des soins que vous vous êtes donnés pour ma sœur de Suède. Je vous en ai autant d'obligation que <341>si vous aviez travaillé pour moi-même. Au reste, j'abandonne absolument à votre discernement et à votre jugement le temps que vous passerez à Pétersbourg; car, mon cher frère, vous êtes sur les lieux, et mieux que moi en état de voir ce qui est convenable, et quel parti il vous convient de prendre.
223. AU MÊME.
Le 5 décembre 1770.
Mon cher frère,
Je suis bien fâché d'apprendre que vous avez été incommodé; mais j'espère, mon cher frère, que ce sera un mal passager. Vous êtes sujet à ces sortes d'incommodités tous les hivers, et le froid du pays où vous êtes les aura peut-être encore augmentées. En revanche, vous avez le plaisir de voir de tous côtés des productions d'un grand génie, et j'avoue que je suis plus sensible aux soins que l'on prend de la race future que de la race présente. La bonne éducation est la nourriture de l'âme, comme le lait sert à l'accroissement de la partie matérielle; et les législateurs dont les soins s'étendent sur l'éducation de la jeunesse recueillent tout le fruit de ce qu'une postérité bien élevée produit d'avantages à l'État. Dans peu arrivera ce que j'ai prophétisé à Valori,389-a qu'on serait obligé de faire venir des précepteurs de la Russie pour bien élever les enfants. A propos d'enfants, notre nièce de Hollande est accouchée d'une fille. M. de Heyden est arrivé hier en apporter la nouvelle. Elle s'est acquittée galamment de cette couche; elle n'a presque pas souffert, et au bout de deux heures tout a été expédié.
Je suppose, mon cher frère, que vous êtes curieux des nouvelles de l'Europe, ce qui m'engage à vous en apprendre. Les Anglais et les Espagnols ne se feront point la guerre; ils veulent remettre la partie à une autre fois, mais je crois que ce ne sera <342>pas de durée. La cause existant de même de leur mésintelligence, il ne faudra attendre que le moment où l'une ou l'autre nation aura plus d'humeur qu'à l'ordinaire; et si je connais bien les Anglais, je présume que ce seront eux qui s'impatienteront les premiers. Pour nous autres, nous nous défendons contre la famine domestique et la peste étrangère; pour la dernière, on y a bien pourvu par les cordons qu'on a tirés tout du long de la frontière, et pour la famine, en ouvrant les magasins et faisant face à la disette, qui est générale en Allemagne, en France, comme en Italie. Cela n'est guère réjouissant; mais il faut bien espérer de l'année qui vient, car en tout le bien et le mal est mêlé sur ce malheureux globe. Je vous embrasse mille fois, en vous assurant de la tendresse infinie et de l'estime avec laquelle je suis, etc.
224. AU MÊME.
Potsdam, 16 décembre 1770.
Mon très-cher frère,
Les Autrichiens disent que les Russes se moquent d'eux, et qu'ils n'ont pas envie de faire la paix, mais bien de donner lieu à une guerre générale. Vous aurez reçu à présent, mon cher frère, mon courrier touchant les Turcs, par où tout s'éclaircira; car ils promettent de relâcher Obreskoff sitôt qu'on aura des sûretés que les Russes veulent faire la paix. Je sais que ces gens sont très-lents dans leurs résolutions; mais s'ils voulaient sincèrement la paix, comptez, mon cher frère, qu'ils s'empresseraient davantage pour en poser les fondements. La fortune les éblouit, et s'il ne tenait qu'à eux, l'Europe serait bientôt en feu. Je comprends qu'il faut, dans le pays où vous êtes, bien des complaisances et bien du manége. Voilà encore ce voyage de Moscou qui retardera la négociation. On verra venir le printemps, et l'on dira qu'on ne peut se dispenser de continuer la guerre. Je crains bien que cela en viendra là, et qu'on me traira comme une vache à <343>lait, pour des subsides qui sont de l'argent jeté dans la rivière. Je souhaite, mon cher frère, que je devine mal, mais je crains que ces gens-là n'aient leur système tout arrangé, et qu'ils tâcheront de vous tenir le bec à l'eau le plus longtemps qu'ils le pourront. D'ailleurs, je fais mille vœux pour que cet affreux climat ne porte aucun préjudice à votre santé. Je suis, etc.
225. AU MÊME.
Potsdam, 19 décembre 1770.
Tout ce que nous devons désirer le plus, c'est que la paix se fasse au plus tôt entre la Russie et la Porte. Je vois bien que les Turcs ne la feront que par les médiateurs qu'ils ont proposés; ainsi c'est à savoir si la Russie les acceptera, ou non. Si elle les accepte, je crois bien qu'il y aura quelques difficultés que la cour de Vienne fera pour rogner aux Russes quelques avantages; mais le besoin de rétablir la paix dans leur voisinage l'emportera par-dessus l'humeur à laquelle le prince Kaunitz est un peu sujet. Je ne puis pas répondre corps pour corps pour ces gens-là; souvent les insinuations de la France prévalent sur les véritables intérêts de la cour de Vienne. Cette cour m'a répondu à la communication de la première pièce russe, touchant la médiation, qu'on se moquait d'eux; je n'ai pas pu vous envoyer cette réponse, car elle n'était pas édifiante. Pour les ordres, je vous abandonne entièrement, mon cher frère, l'usage que vous trouverez à propos d'en faire. Je suis, grâce à Dieu, à cent quatre-vingts milles de Pétersbourg, et je ne puis pas juger comme vous de ce qui est convenable ou non. Je crois que l'ordre pour le grand-duc n'essuiera aucune difficulté; pour les deux autres, on pourrait les donner à l'occasion de la paix, sinon, les garder plus longtemps. J'approuverai tout ce que vous ferez sur cet article, ainsi que votre voyage à Moscou, car je sens très-bien que ce n'est qu'à force de complaisances qu'on réussit dans ce pays. Dès <344>que j'aurai une réponse de Vienne sur les affaires de Pologne, je ne manquerai pas de vous la faire parvenir, étant, etc.
226. AU MÊME.
Berlin, 3 janvier 1771.
Les cornes me sont venues à la tête, mon cher frère, lorsque j'ai reçu les propositions de paix que les Russes présentent. Jamais je ne puis me charger de les proposer ni aux Turcs, ni aux Autrichiens, car, en vérité, elles ne sont pas acceptables. Ce qui regarde la Valachie ne peut en aucune façon s'ajuster avec le système autrichien; premièrement, ils ne quitteront jamais l'alliance de la France, et en second lieu, ils ne souffriront jamais les Russes dans leur voisinage. Vous pouvez regarder cette pièce comme une déclaration de guerre. On se moque de nous en nous donnant un tel leurre; pour moi, qui ne puis en aucune façon me compromettre par complaisance pour la Russie, je leur ferai quelques remarques sur les suites de leurs propositions,392-a et, s'ils ne les changent pas, je les prierai d'en charger quelque autre puissance, et je me retire du jeu; car vous pouvez compter que les Autrichiens leur feront la guerre; cela est trop fort, et insoutenable pour toutes les puissances de l'Europe. Les États se dirigent par leurs propres intérêts; on peut avoir de la complaisance pour ses alliés, mais il y a des bornes à tout; ainsi, quoi qu'il puisse en résulter, il m'est impossible de dissimuler en ce moment, et il faut parler net. La cour de Vienne s'est déjà désistée de sa médiation, comme je vous l'ai écrit, parce qu'elle prend la première réponse de la Russie pour un refus; je la leur ai <345>communiquée comme je l'avais reçue. Rohd393-a ne m'a pas encore répondu sur le projet de pacification de la Pologne, contre lequel on ne trouvera rien à dire; mais pour ce projet-ci, je me garderai bien de le communiquer à Vienne, ni à Constantinople, parce qu'il serait équivalent à une déclaration de guerre. Ainsi, mon cher frère, si on ne change et modère pas beaucoup de choses, je renonce à toute médiation, et abandonne ces messieurs à leur propre fortune. Je suis bien fâché que cela tourne ainsi tandis que vous vous trouvez dans ce pays; mais, mon cher frère, il ne vous reste qu'à faire une retraite honnête, car il n'y a plus rien à faire ni même à espérer avec ces gens.
227. DU PRINCE HENRI.
Saint-Pétersbourg, 8 janvier 1771.
.... Après avoir achevé cette lettre, j'ai été le soir chez l'Impératrice, qui me disait en badinant que les Autrichiens s'étaient emparés en Pologne de deux starosties, et qu'ils avaient arboré sur les frontières de ces starosties les armes impériales. Elle ajouta : « Mais pourquoi tout le monde ne prendrait-il pas aussi? » Je répliquai que, quoique vous aviez, mon très-cher frère, un cordon tiré en Pologne, cependant vous n'aviez pas occupé de starosties. « Mais, dit l'Impératrice en riant, pourquoi n'en pas occuper? » Un moment après, le comte Czernichew m'approcha, et me parla sur le même sujet, en ajoutant : « Mais pourquoi ne pas s'emparer de l'évêché de Varmie? Car il faut, après tout, que chacun ait quelque chose. » Quoique cela n'était qu'un discours de plaisanterie, il est certain que cela n'était pas pour rien, et je ne doute pas qu'il sera très-possible que vous profitiez de cette occasion. Demain le comte Panin viendra chez moi. Je lui <346>dirai ce que vous m'avez écrit au sujet des Autrichiens, et par la poste prochaine je vous rendrai compte de notre conversation.
228. DU MÊME.
Saint-Pétersbourg, 11 janvier 1771.
Je dois vous rendre compte, mon très-cher frère, de la conversation que j'ai eue avec le comte Panin au sujet de la cour de Vienne. Je lui disais que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire comme quoi cette cour était trop intimement liée à la France pour qu'on puisse croire qu'elle s'en détache. Il me répliqua qu'il en était convaincu, mais que si cette cour désirait sincèrement la paix, comme son intérêt l'y obligeait, il espérait que lorsque les vraies intentions de la cour de Russie lui seraient connues, elle s'y emploierait officieusement, et que peut-être on pourrait alors insensiblement l'engager à prendre d'autres vues. Ce qui est certain, c'est qu'on ne veut de la cour de Vienne que par votre entremise, et autant on serait bien aise d'établir une harmonie entre ces trois cours, aussi peu on la recherchera seul, puisque le premier principe est très-bien établi ici, c'est d'être intimement lié avec vous, mon très-cher frère.
Le comte Panin n'est pas si content de la démarche que les Autrichiens ont faite en s'emparant des starosties en Pologne. Il ne m'a point parlé de l'évêché de Varmie. Tout cela provient de la division du conseil; tous ceux qui sont portés pour l'agrandissement voudraient que tout le monde prenne, afin que la Russie pût profiter en même temps, tandis que le comte de Panin est porté pour la tranquillité et la paix. J'éclaircirai cependant encore cette affaire, et je suis toujours d'opinion que vous ne risquez rien de vous emparer, sous quelque prétexte plausible, de cet évêché, au cas que la nouvelle soit véritable que les Autrichiens aient effectivement pris ces deux starosties, sur lesquelles <347>on prétend qu'ils réclament des droits qu'ils ont recherchés dans les archives, en Hongrie.
229. AU PRINCE HENRI.
(Berlin) 23 janvier 1771.
Mon très-cher frère,
Comme cette lettre vous sera rendue sur ma frontière, je crois, mon cher frère, pouvoir vous féliciter hardiment à présent d'avoir heureusement terminé votre voyage. Je vous considère comme Pythagore ou Platon, qui voyageaient chez les Scythes et les peuples les plus barbares, pour approfondir les secrets de la nature et recueillir des connaissances. Je vous avoue que je consens à admirer fort tout ce que vous avez vu d'admirable, mais que pour tous les trésors du monde on ne me ferait point aller d'où vous venez. Je vous remercie mille fois de ce que du fond de la Scythie vous vous ressouvenez encore de mon vieux jour de naissance et de ma chétive personne. Je vous avoue, mon cher frère, que j'aime mille fois mieux vous savoir ici que parmi les barbares d'où vous venez. Les lions les plus apprivoisés donnent souvent des marques que l'instinct de leur naturel féroce ne se dompte pas, et je crois qu'il en est de même des Russes. Je vous remercie de la bonté que vous avez de m'envoyer des cailles fumées. Je suppose que c'est de l'espèce dont les Juifs mangèrent en traversant le désert de Sina et d'Horeb;396-a toutefois ce souvenir obligeant m'est bien précieux, et je me réjouis d'avance sur votre retour. Mais il faut vous préparer d'avance, mon cher frère, à être bien questionné; c'est un tribut que tout voyageur doit payer, à son retour, à ses compatriotes. Je voudrais à présent qu'il gelât fort et ferme, pour que votre voyage en fût moins fatigant et plus agréable; sans quoi je crains, mon cher frère, que vous serez arrêté désagréablement en des endroits où vous n'au<348>rez aucune envie de séjourner, que vous briserez des voitures, et que vous resterez longtemps en chemin. J'ai dîné aujourd'hui chez ma sœur Amélie, où il a été beaucoup question de vous, mon cher frère; mais comme vous étiez en bonnes mains, vous n'avez rien à appréhender de ce qui s'est dit sur votre sujet. Demain je retourne à Potsdam, dans ma solitude, où j'espère, comme vous m'en flattez, d'avoir le plaisir de vous voir et de vous embrasser le mois qui vient, et de vous assurer de vive voix de la tendresse sincère et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
230. AU MÊME.
Potsdam, 24 janvier 1771.
Je crains beaucoup que si les Russes ne se désistent de leur grand projet d'abaisser les Turcs, ils n'entrent, cette année encore, en guerre contre la maison d'Autriche. Cela me mettra dans un grand embarras. Jamais les Autrichiens ne consentiront à l'abaissement de la Porte; pour moi, je me verrai forcé de demeurer neutre dans cette bagarre, la guerre étant encore trop prématurée pour nous. Celle dont nous sortons a été trop ruineuse et trop violente pour que nous puissions sitôt en entreprendre une nouvelle, et ce qu'on nous fait voir en perspective, l'Ermeland, ne vaut pas la peine de dépenser six sous pour l'acquérir. Si les Autrichiens entrent en guerre avec les Russes, comme je le crains fort, il y aura bien entre eux d'autres choses à régler que ce cordon de la Pologne, qu'ils ont envahie; ainsi je ne me presserai pas, et j'attendrai si les événements favorisent pour faire quelque acquisition, ou bien je demeure comme je suis. En attendant, à tout moment que la paix continue nous acquérons de nouvelles forces, et si la Russie et l'Autriche s'épuisent les unes contre les autres, je crois qu'il y aura plus à gagner pour la puissance neutre que pour les puissances belligérantes; du moins pourrai-je soutenir ma neutralité avec dignité. J'attends votre retour, <349>mon cher frère, pour profiter de vos lumières et de ce que vous avez vu là-bas; mais je crois que, en vous ayant mis au fait de certaines circonstances que je n'ai pu confier à des postes étrangères, vous serez peut-être de mon avis; car je croirais faire une faute impardonnable en politique, si je travaillais à l'agrandissement d'une puissance qui pourra devenir un voisin redoutable et terrible pour toute l'Europe. Je suis, etc.
231. AU MÊME.
Potsdam, 31 janvier 1771.
Je vois, mon cher frère, qu'il n'y a pas toute l'union possible dans le conseil de Pétersbourg; mais j'ose vous dire positivement qu'il y a une impossibilité manifeste dans l'exécution des idées du comte Panin relativement à l'Autriche. La haine secrète qu'on a dans ce pays pour les Russes surpasse toute imagination, et, si je l'ose dire, il n'y a que moi qui tâche de l'étouffer et de l'empêcher398-a d'éclater. Si les Russes voulaient seulement se servir de leur ministre à Vienne pour sonder le terrain, ils ne tarderaient pas à voir que cela va plus loin que ce que j'en dis. Et quant à l'article de prise de possession du duché de Varmie, je m'en suis abstenu, parce que le jeu n'en vaut pas la chandelle.398-b Cette portion est si mince, qu'elle ne récompenserait pas les clameurs qu'elle exciterait; mais la Prusse polonaise en vaudrait la peine, quand même Danzig n'y serait pas compris, car nous aurions la Vistule et la communication libre avec le royaume, ce qui ferait un article important. S'il s'agissait de dépenser de l'argent, cela en vaudrait la peine, et d'en donner même largement. Mais quand on prend des bagatelles avec empressement, cela donne un ca<350>ractère d'avidité et d'insatiabilité que je ne voudrais pas qu'on m'attribuât plus qu'on ne le fait déjà en Europe. Je suis, etc.
232. AU MÊME.399-a
Le 17 mars 1771.
Mon cher frère,
Je souhaite que le temps barbare qu'il fait ne porte aucun préjudice à votre santé; je suis très-las, mon cher frère, car il n'y a pas moyen de sortir, ni d'habiter encore la campagne. Le comte Hoditz n'a point son sérail avec lui,399-b et il semble qu'il lui manque quelque chose; on l'amuse avec la comédie allemande et choses pareilles. L'idée que vous avez, mon cher frère, d'un Dialogue des morts entre Alberoni et Choiseul est admirable;399-c c'étaient des esprits à peu près de la même trempe, inquiets, vastes et superficiels. Choiseul commence à porter impatiemment la peine de son exil, et il intrigue autant qu'il peut à Versailles pour se faire rappeler, jusqu'ici sans apparence de succès. Les Autrichiens, comme je vous l'ai marqué, se prêtent aux propositions de bons offices que les Russes leur ont faites, et j'ai quelque faible espérance que l'affaire de la négociation réussira. Jusqu'ici je n'ai point encore de réponse de Pétersbourg sur la grande dépêche que j'y ai fait passer après que vous l'aviez, mon cher frère, approuvée. Ce sera sur cette réponse que nous réglerons nos petits <351>projets d'acquisition, qui, s'ils réussissent, mon cher frère, vous seront entièrement dus. On dit que le nouveau roi de Suède passera par ici pour retourner chez lui; mais cela n'est pas sûr. J'ai reçu une lettre de ma sœur, qui paraît anéantie dans sa douleur. Je lui ai écrit tout ce que j'ai pu imaginer pour la tranquilliser; mais ce ne sera qu'à pure perte; il n'y a que le temps qui console. Je vous embrasse, mon cher frère, en vous assurant de la tendresse infinie et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
233. AU MÊME.
Le 16 juin 1771.
Mon cher frère,
Je vous renvoie, comme vous le désirez, la lettre de l'impératrice de Russie, qui, me semble, est aussi aimable, aussi obligeante qu'on peut le désirer. J'ai reçu un courrier de Solms touchant les affaires de Pologne, et j'espère que, au retour du courrier que je renvoie à Pétersbourg, nos intérêts réciproques seront combinés ensemble et assurés par une convention. Si cela est une fois conclu, je me moque des Autrichiens, qui, n'ayant point de secours à tirer de leurs alliés, seront bien obligés de passer par ce que nous voudrons. Enfin, les ouvertures de la paix se sont faites; les Russes ont usé d'assez de modération pour que les Autrichiens n'aient pas lieu de se fâcher, et quoiqu'il faudra encore bien barbouiller du papier, je commence à voir jour à la conclusion de la paix. J'ai appris, mon cher frère, que vous avez cherché un tableau de van der Werff, dans l'intention de le donner à l'Impératrice. Si vous avez encore le même dessein, je pourrai vous en fournir un beau; c'est une descente de croix.400-a J'attends sur cela votre réponse. On m'écrit de Prusse que les grains y manqueront cette année; cela ne me met pas de la meilleure humeur du inonde. Cette année-ci est bien dure, nous <352>éprouvons une suite de calamités; il serait à souhaiter pour tout le monde que des années heureuses rétablissent les campagnards, et rendissent, après tant d'infortune, ce pauvre pays aussi florissant qu'il le fut autrefois. Je suis, etc.
234. AU MÊME.
Ce 21 (juillet 1771).
Mon cher frère,
Je suis charmé de voir par votre lettre que vous jouissiez toujours d'une parfaite santé. Ma sœur Amélie, qui a bien voulu venir chez moi, se porte aussi très-bien à présent; je l'amuse comme je puis; je lui ai donné hier la tragédie de Rhadamiste,401-a que Fierville a jouée d'une façon à pouffer de rire. Quant aux choses plus sérieuses, j'ai reçu aujourd'hui des lettres de la Russie, touchant notre convention; ma portion consistera, à ce que je vois, dans la Pomérellie jusqu'à la Netze, Culm, Marienbourg et Elbing. Cela est fort honnête, et vaut la peine des subsides payés et d'autres dépenses inévitables que cette guerre des Turcs m'a causées. On m'écrit de Vienne que le prince Kaunitz continue d'être de très-mauvaise humeur. Comme je ne crois pas qu'il puisse compter sur les Français, cela pourrait bien y contribuer. J'attends à présent en peu des nouvelles comment on aura pris en Russie la réponse de la cour de Vienne. Selon toutes les apparences, elle doit brouiller ces deux cours plus que jamais. Ensuite de cela, il faudra voir quelle résolution on prendra à Pétersbourg pour la pacification avec les Turcs. Tout cela, mon cher frère, nous mènera jusqu'à la fin de cette année, où il n'y aura probablement que des négociations entamées et de nouvelles propositions à faire. J'attends toutes ces choses patiemment pour voir comment cette fusée se débrouillera. Je vous embrasse, <353>mon cher frère, de tout mon cœur, en vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
235. AU MÊME.
Le 27 septembre 1771.
Mon cher frère,
Je vois, mon cher frère, que vous êtes étonné de la singulière conjoncture où se trouve l'Europe à présent. Il est vrai que, en lisant l'histoire même, je ne me rappelle pas d'y avoir lu quelque trait qui ressemble à la position présente où nous nous trouvons. Cependant, depuis que j'ai eu la satisfaction de vous écrire, les conjonctures et les événements ont pris une tournure infiniment plus favorable pour nos intérêts; les Russes, piqués de la réponse sèche et impérieuse des Autrichiens, ont résolu de faire marcher au mois de janvier prochain une armée de cinquante mille hommes en Pologne. Leur animosité se tourne tout entière contre les Autrichiens; ils veulent céder aux Turcs la Moldavie et la Valachie, et ils veulent même animer cette puissance à se déclarer contre l'Autriche. Voici le moment de signer notre convention avec eux; cela améliorera pour moi les conditions que je désire, et, d'un autre côté, cette nouvelle armée, portée entre Sandomir et Cracovie, empêchera bien les Autrichiens d'agir, de sorte que nous ferons des acquisitions sans tirer l'épée. Vous voulez savoir comment la Saxe se trouve actuellement avec l'Autriche? A ce qu'on m'écrit, ils ne sont ni bien ni mal ensemble. L'Électeur a fait une réduction, et se prépare à la renouveler encore, de sorte que son armée ne demeurera forte que de douze mille hommes. Ce ne serait pas, en tout cas, un bien puissant secours pour l'Autriche, et quoi que ce bon électeur fasse, si le feu de la guerre s'allume, il sera, ni plus ni moins, obligé de servir nappe aux parties belligérantes. Je suis les Autrichiens dans toutes leurs négociations; je les éclaire d'aussi près qu'il m'est possible. Je <354>sais qu'ils rencontrent mille difficultés en Fiance; mais pour apprendre à quel point ils réussiront dans l'Empire, il faut encore attendre quelques mois. Je suis tout à fait de votre sentiment, mon cher frère, que si la guerre se fait, il ne faut épargner ni argent ni subsides pour nous renforcer et nous mettre en état de soutenir la gageure; et c'est bien aussi de quoi je m'occupe. Mais comme aussi il ne convient point de prodiguer mal à propos les espèces, j'attends la décision de cette crise pour mettre la main à l'œuvre, et pour entamer les négociations à la fois dans tous les endroits que vous indiquez si sagement. En attendant, je prépare chez moi la levée de quatre bataillons de garnison, de dix bataillons francs et d'un régiment de hussards, et dès que mon traité sera signé avec la Russie, je commencerai immédiatement après ces levées. Voilà, mon cher frère, bien de la besogne à expédier; mais l'homme est né pour le travail, et trop heureux quand il peut travailler pour l'avantage de sa patrie; alors les peines ne coûtent rien, et on les multiplierait volontiers, dès qu'on voit l'apparence de réussir. Je vous demande pardon, mon cher frère, de ne vous entretenir continuellement que de ces affaires; représentez-vous, pour mon excuse, l'importance de ces choses et la nécessité où je suis de m'en occuper continuellement, et votre indulgence me passera si ma bouche abonde de ce dont le cœur est plein. Je suis, etc.
236. AU MÊME.
Le 2 octobre 1771.
Mon très-cher frère,
Je suis bien aise, mon cher frère, d'avoir rencontré votre façon de penser. J'ai envisagé les affaires précisément du même coup d'œil que vous les voyez, et j'ai précisément fait ce que vous me conseillez. J'ai fait partir hier le courrier avec tout ce qui est relatif à la convention de la Russie. J'ai fait une tentative pour <355>essayer si nous pourrons mettre Danzig dans la portion qui nous écherra. Il est sûr que si nous ne l'obtenons pas dans les circonstances présentes, il n'y faudra jamais plus penser; c'est à présent le moment de terminer nos traités avec les Russes, parce que les impressions des armements autrichiens sont à présent, à Pétersbourg, dans leur plus grande force, et que probablement l'arrivée de cinquante mille Russes en Pologne rendra les Autrichiens plus circonspects, que par conséquent leurs ostentations diminueront, et en même temps les appréhensions qu'elles causaient aux Russes. J'ai ajouté au projet de convention que chaque parti se mettrait en possession de sa part immédiatement après la signature dudit traité, de sorte que, ayant ce nantissement en main, nous ne risquons rien dans la suite, la possession étant ce qui décide d'ordinaire du sort de pareilles acquisitions. Je crois que Czernichew pourrait bien venir lui-même ici pour concerter d'avance les projets de campagne, au cas que les Autrichiens veuillent remuer. J'en suis bien aise, d'autant plus que cela ne gâtera rien aux affaires, quoique je ne puisse jamais m'imaginer que, après avoir appris l'arrivée de cette nouvelle armée russe en Pologne, la cour de Vienne voulût s'exposer aux plus grands hasards en rompant avec la Russie. L'honneur des événements que nous prévoyons vous sera dû, mon cher frère, également; car c'est vous qui avez placé le premier la pierre angulaire de cet édifice, et sans vous, je n'aurais pas cru pouvoir former de tels projets, ne sachant pas bien, avant votre voyage de Pétersbourg, dans quelles dispositions cette cour se trouvait en ma faveur. Enfin, jusqu'ici les conjonctures nous ont favorisés, et si cela continue jusqu'à la conclusion de la paix, nous réussirons entièrement au gré de nos désirs.
<356>237. AU MÊME.
Le 9 avril 1772.
Mon cher frère,
A présent, mon cher frère, le gros de notre ouvrage est fait; il n'est plus question que de voir les propositions des Autrichiens pour leur part, car ils ont si fort tergiversé dans leurs projets, qu'il est impossible de deviner à quoi ils ont résolu de s'arrêter. Je crois cependant que pour ne pas entièrement révolter leurs alliés, ils se contenteront de prendre leur portion de la Pologne, et cela, mon cher frère, réunira les trois religions grecque, catholique et calviniste; car nous communierons du même corps eucharistique, qui est la Pologne, et si ce n'est pas pour le bien de nos âmes, cela sera sûrement un grand objet pour le bien de nos États. Un objet non moins important dans notre position actuelle, c'est les grains que je trouve encore à acheter en Pologne, et dont le plat pays aura besoin en bien des contrées pour gagner le mois de décembre. Les maladies contagieuses font un ravage cruel en Bohême; celles qui règnent en Saxe sont moins considérables. Jusqu'ici, heureusement, nous n'en avons pas de dangereuses. Le temps favorable nous promet une bonne récolte, mais il y a encore quelques hasards à courir; toutefois pouvons-nous bien espérer. Je crains que mes sœurs406-a ne se complairont pas fort à Wusterhausen;406-b elles se rappelleront un vieux rêve, et, à l'exception de leurs personnes, elles ne trouveront aucun de ceux qu'elles y ont vus dans leur jeunesse. Cette vue leur réveillera le triste souvenir des pertes que notre famille a faites. Pour moi, j'évite avec soin tous les endroits où j'ai vu des personnes que j'ai aimées; leur souvenir me rend mélancolique, et <357>quoique je sois tout préparé à les suivre dans peu, je souffre cependant de ne plus jouir de leur présence. Quand je pense aux personnes avec lesquelles j'ai vécu avant la dernière guerre, je suis tout étonné de ne retrouver plus personne.406-c Les générations passent avec une rapidité étonnante. Les animaux et les végétaux, tout se renouvelle sans cesse, et ensuite tout disparaît. Je souhaite, mon cher frère, pour le bien de cet État, que vous ne disparaissiez pas de sitôt, et que vous soyez bien persuadé de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
238. AU MÊME.
Le 12 juin 1772.
Mon cher frère,
Je suis bien aise d'apprendre par votre lettre, mon cher frère, que vous jouissiez à Rheinsberg d'une parfaite santé. Comme vous vous préparez à y recevoir notre sœur la Reine,407-a je prends la liberté de vous envoyer une petite provision de verdée de Florence, dont je vous prie de la régaler pendant son séjour qu'elle fera chez vous. J'ai en même temps pensé à vos finances, et Buchholtz,407-b mon cher frère, a ordre de vous payer quarante mille écus;407-c vous aurez la bonté de lui indiquer où et comment vous voulez recevoir cette somme. J'ai vu cette Prusse que je tiens en quelque façon de vos mains; c'est une très-bonne acquisition et très-avantageuse, tant pour la situation politique de l'État que pour les finances; mais pour avoir moins de jaloux, je dis à qui veut l'entendre que je n'ai vu sur tout mon passage <358>que du sable, des sapins, de la bruyère et des juifs. Il est vrai que ce morceau me prépare bien de l'ouvrage, car je crois le Canada tout aussi policé que cette Pomérellie. Point d'ordre, point d'arrangement; les villes y sont dans un état déplorable. Par exemple, Culm doit contenir huit cents maisons; il n'y en a pas cent sur pied, et ceux qui les habitent sont ou juifs, ou moines, et encore y en a-t-il de plus chétives. Quant à l'armée, j'ai trouvé toute la cavalerie de ce pays-là, à peu de chose près, égale à la nôtre; quant à l'infanterie, les régiments de garnison de cette province valent sûrement les régiments de campagne; ces derniers sont plus grands que ceux de Berlin. Mais il faudra de nécessité faire quelques changements dans les officiers de l'état-major, ainsi qu'auprès de quelques subalternes. Le grand défaut dans l'exercice est qu'ils chargent mal, qu'ils ne marchent pas tous également bien en avançant, et qu'ils ne couchent pas bien en joue. Tout cela pourra se redresser pendant le cours de cette année, et, s'il plaît à Dieu, l'année qui vient, toute l'armée sera à l'unisson et dans le même ordre. Ceux de Poméranie se sont surpassés cette année; ceux de Magdebourg sont très-bien, de sorte que si un jour la guerre devait se faire, je crois que l'on pourra compter sur l'infanterie, au moins pour quelques campagnes, s'il n'y a pas trop de batailles.
En voilà déjà beaucoup. La prise de possession traînera, je crois, jusqu'au mois de juillet; mais ce sont de petits inconvénients qui nous feront perdre quelques revenus, à quoi il ne faut faire aucune attention dans des choses si importantes. Je suis, etc.
239. AU MÊME.
Le 18 juin 1772.
Mon cher frère,
Je saisis avec empressement toutes les occasions qui se présentent de vous obliger et de vous donner, mon cher frère, des marques <359>de ma tendre amitié. Vous me retrouverez tel envers vous dans toutes les occasions de ma vie, prêt à vous rendre tous les services qui dépendront de moi. J'ai vu avec bien du plaisir, mon cher frère, le ton cordial avec lequel l'impératrice de Russie vous écrit. Je vous prie de cultiver cette correspondance avec tout le soin possible, parce qu'il n'en peut résulter que du bien. Je joins ici la lettre de cette princesse, par laquelle je vois qu'elle n'est plus si contente des Autrichiens qu'elle paraissait l'être d'abord; aussi le prince Kaunitz met-il dans cette négociation tout l'esprit de chicane dont elle est susceptible. Cela me fait enrager, parce que cela arrête notre prise de possession, et que cela expose à toute sorte de désagréments, tant par les questions des Polonais que d'autres puissances étrangères, auxquelles, dans cet état d'incertitude, on ne sait que répondre. J'ai vu une grande partie du morceau qui nous échoit en partage; notre portion est la plus avantageuse à l'égard du commerce. Nous devenons les maîtres de toutes les productions de la Pologne et de toutes ses importations, ce qui est considérable; et le plus grand avantage de tous est celui que, devenant les maîtres du commerce du blé, nous ne serons, dans ce pays, en aucun temps exposés à la famine. La population de cette acquisition monte à six cent vingt mille âmes, et dans peu on pourra la porter à sept cent mille; d'autant plus que tout ce qui est dissident en Pologne y cherchera son refuge.
Voilà, mon cher frère, sur quoi nous allons travailler, car le premier soin dans un État est d'en augmenter la population à proportion de ce que le sol est capable de nourrir d'habitants. Je suis, etc.
240. AU MÊME.
Le 5 septembre 1772.
Mon cher frère,
Pour ne point abuser de votre confiance, je vous renvoie, mon cher frère, la lettre de la reine de Suède. Elle vient de me notifier <360>l'heureux succès de la révolution; je ne l'ai félicitée que sur le grand danger dont ses fils venaient d'échapper, et je lui ai dépeint tous les malheurs que je prévois, si le Roi ne se relâche pas de son autorité. Je ne vois d'autre moyen pour sauver la Suède que de mettre l'affaire en négociation, et que le Roi, en cédant de son côté, consentît d'adopter le plan du comte Horn. J'ai écrit en ce sens en Russie; mais si cela manque, nous voilà engagés malgré nous dans une guerre contre nos propres neveux, dont je vous avoue que la seule idée me répugne. Je vous notifie aussi, mon cher frère, que nos grandes affaires sont terminées, et que ce sera le 13 que nous prendrons possession de la Prusse. J'aurais bien d'autres choses à vous dire encore; mais j'ai une si terrible paperasse de papiers à expédier, que je le remets à une autre fois. Je suis, etc.
241. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 14 octobre 1772.
Mon très-cher frère,
Je viens d'apprendre par le président Domhardt que vous m'avez assigné mille écus par mois,410-a mon très-cher frère, sur la nouvelle acquisition que vous venez de faire. En vous faisant mes très-humbles remercîments, je vous supplie de croire que mon unique satisfaction consiste dans le bonheur de vous voir jouir d'un accroissement avantageux à vos intérêts, qui arrondit vos États, et dans la flatteuse idée d'avoir pu vous être utile.
C'est avec le plus vif intérêt que je partage les inquiétudes que vous avez montrées, mon très-cher frère, sur les dispositions de l'impératrice de Russie à l'égard de la Suède. Il me paraît que les objets réels qui devraient occuper cette princesse, c'est la guerre contre les Turcs. C'est un mal présent; celui qu'elle voit en Suède n'est que très-éloigné. Si la Russie se précipite trop <361>en faisant la paix, elle perdra des avantages qui sont réels, sans compter que si la guerre continuait, il est à présumer que les Autrichiens y prendront part, et que le succès pour les Russes pourrait être très-considérable. Si l'on peut faire envisager cet objet à l'Impératrice, je ne doute pas qu'elle n'embrasse le parti de s'attacher aux grands objets, et qu'elle ne traite alors les affaires de Suède que comme secondaires, et qui ne méritent pas qu'elle en soit si fortement émue. Il n'y a que vous, mon très-cher frère, qui puissiez entrevoir ces vérités. L'Impératrice est très-vive, mais elle embrasse la vérité lorsqu'on la lui fait envisager. Il y a une considération encore à faire : c'est que si la paix avec les Turcs est conclue, et que la Russie tourne ses armes contre la Suède, les combinaisons changeraient nécessairement. La cour de Vienne pourrait de nouveau se jeter du côté de la France; cette puissance est obligée de soutenir la Suède, et si on fait envisager à l'Impératrice toutes les suites que cette entreprise pourrait entraîner, il est à espérer qu'elle sera bien aise alors de mettre cette affaire en négociation, et pourvu qu'on gagne du temps, on peut alors tout espérer. Je conviens qu'il sera difficile de trouver un milieu entre les intérêts de l'Impératrice et ceux du roi de Suède. Ce dernier est dans le premier moment de sa fortune; tous ceux qui l'entourent lui font envisager les temps de Gustave-Adolphe. A force d'entendre ces comparaisons, on commence à croire qu'on peut faire les mêmes entreprises; l'esprit s'échauffe, et l'imagination s'enflamme. Je tiens pour un bonheur que vous disiez, mon très-cher frère, la simple vérité à ma sœur. J'ai pris la même liberté, et j'en ai fait autant par la lettre que j'ai écrite au roi de Suède, en réponse de celle qu'il m'avait faite. Il faut, je crois, laisser mûrir ces affaires; à force de jeter l'alarme dans le cœur du roi de Suède, et à mesure qu'on pourra calmer l'esprit de l'Impératrice, il se présentera un moyen de réunion qui, dans le moment, est encore trop difficile à saisir.
Voilà le comte Orloff disgracié dans les formes. Cet événement est un clou qui affermit la couronne sur la tête de l'Impératrice. Elle sera plus unie avec le grand-duc et le comte Panin, et alors personne ne peut attenter à la détrôner. D'ailleurs, le <362>comte Orloff était un brouillon dans les affaires, et je suis charmé, par l'intérêt que je prends, mon cher frère, à l'alliance que vous avez avec la Russie, que cet homme est éloigné.
L'occupation est l'âme de la vie; je l'ai toujours envisagée ainsi, et je ne sais si je me trompe, mais je crois, mon cher frère, que vous devez avoir du plaisir d'arranger des finances, de distribuer des bienfaits, de rendre des hommes heureux par les places que vous avez à donner, de tenir l'équilibre dans la politique, de créer des corps de milice, et d'entretenir ce mouvement perpétuel dans l'État.
Vous avez eu la grâce de m'envoyer des raisins; je les ai reçus avec ce plaisir que votre souvenir me cause, et avec les sentiments d'attachement avec lesquels je suis, etc.
242. AU PRINCE HENRI.
Le 16 octobre 1772.
Mon cher frère,
J'ai tâché de vous donner des marques de ma reconnaissance le plus tôt que je l'ai pu, et dans un temps où il faut débrouiller le chaos des affaires de la Prusse, où tout est encore dans la plus grande confusion; mais dès que je verrai un peu plus clair dans ces revenus, je ne m'en tiendrai pas là, et je n'oublierai jamais fa reconnaissance que l'État, la maison et moi, nous vous devons.
Je suis bien aise de voir, mon cher frère, que nous pensons de même sur le sujet des affaires de Suède ....
<363>243. AU MÊME.
Le 23 octobre 1772.
.... Pour moi, mon cher frère, pour que vous ne me croyiez pas désœuvré, je vous informe que je suis déjà parvenu à mettre en règle l'important péage du port de Danzig, celui de Fordon, et tous ceux qui me sont tombés en partage; que j'ai déjà arrangé l'affaire des sels, plus compliquée, mais aussi importante que l'autre; j'en suis à présent au tabac, mais cela n'est pas fini. Le cadastre de la Varmie est fait; on travaille présentement à celui du Marienbourg; on rend la Netze navigable, on creuse le canal qui la joint, à Fordon, dans la Vistule. Nous allons compléter dans peu les quatre bataillons de garnison et l'augmentation de l'artillerie. Enfin je pousse autant qu'il dépend de moi pour que cette acquisition, que l'État vous doit, soit aussi promptement mise en règle que possible; mais cela ne peut être dégrossi avant l'année 74, parce que l'ouvrage est immense. Je prends la liberté de vous offrir quelques fruits, en vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
244. AU MÊME.
Le 14 mai (1773).
Mon très-cher frère,
Heureusement le général de Seydlitz n'est pas aussi mal qu'on le débite, et même l'abcès qui lui est crevé dans la tête, et qui était cause de l'apoplexie qu'il eut l'année passée, le met à l'abri du même accident à l'avenir. Vous avez bien raison, mon cher frère, de dire qu'il ne faudrait pas troquer Seydlitz contre Lacy : le nôtre est très-honnête homme; la réputation de l'Autrichien n'est pas tout à fait pure sur cet article. Lacy est peut-être meilleur quartier-maître que Seydlitz; mais en revanche le général <364>de Seydlitz est déterminé, et sait très-bien saisir les moments pour profiter de l'occasion qui se présente; et quant à la cavalerie, il en sait plus que Lacy n'en apprendra de sa vie.
245. AU MÊME.
Le 16 juillet (1773).
.... J'ai reçu un ouvrage manuscrit sur les mines, qui m'occupe beaucoup. J'en ferai des épreuves, et comme je crois y avoir trouvé de bonnes choses, et même du nouveau, je compte d'en faire un bon usage pour la défense des forteresses. Il est de Bélidor, et contient tout le résumé de ses réflexions sur l'expérience qu'il s'est acquise. Je vous embrasse, mon cher frère, etc.
246. AU MÊME.
Le 29 août 1773.
.... J'ai été plus satisfait cette année de mon voyage en Silésie que l'année passée. L'état du pays commence à prospérer; cela saute aux yeux. Les troupes sont non seulement embellies, mais dans l'ordre comme celles qui font la revue à Berlin. Mes forteresses sont presque achevées, mon artillerie finie à peu de chose près, la population augmentée; six mille Saxons se sont établis chez nous. Cette année, j'ai fait bâtir trente villages, et l'année prochaine encore tout autant. Nous avons, Dieu merci, un million quatre cent mille habitants dans la province;415-a cela se voit, et saute aux yeux.
<365>247. AU MÊME.
Le 12 novembre 1773.
.... Nous venons de perdre un excellent officier; le général Seydlitz vient de mourir.415-b Il y a certainement bien de sa faute; il n'a fait du tort qu'à lui-même, ne voulant en rien suivre l'avis des médecins. Il n'a fait du tort qu'à lui-même; cela n'empêche pas que ce ne soit une véritable perte pour l'armée; il aurait encore pu vivre longtemps.
248. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 14 novembre 1773.
Mon très-cher frère,
Je partage bien les regrets que vous donnez, mon très-cher frère, au général Seydlitz. Je l'ai estimé et aimé; j'étais convaincu de la droiture de son caractère, du zèle qu'il avait pour le service, et j'estimais les grands services qu'il avait rendus. C'était un homme rare dans son métier. Je souhaite que vous ayez, mon très-cher frère, des généraux qui lui ressemblent. C'est l'intérêt que je prends à vous, mon très-cher frère, qui me le fait désirer. Le deuil que vous faites porter pour lui à la cavalerie est un honneur rendu à sa mémoire; mais cette marque de distinction, si attendrissante pour ceux qui estiment le mérite, est un honneur <366>qui rejaillit le plus sur vous, mon très-cher frère, et, pour peu qu'on ait du sentiment, on ne peut qu'être touché de ce que vous avez fait en cette occasion.
249. AU PRINCE HENRI.
Le 11 septembre 1774.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu avec bien du plaisir la lettre que vous venez de m'écrire, et je suis sensible comme je le dois, mon cher frère, à la part que vous daignez prendre à mon individu. J'ai bien prévu que la proposition que l'impératrice de Russie pourra vous faire du voyage de Russie ne vous serait pas précisément agréable. Tous les voyages dans ce pays-là ne peuvent pas être aussi intéressants que le premier, mon cher frère, que vous y avez fait, et certainement, supposé même qu'il y eût à présent un objet (ce qui n'est point), je ne voudrais cependant pas vous persuader à faire ce voyage à contre-cœur. Mais l'unique raison que j'y vois est d'entretenir cette princesse dans les bonnes dispositions où elle se trouve, et d'y maintenir, mon cher frère, votre crédit, qui pourra devenir d'une grande utilité à notre neveu après ma mort, parce que, liée à vous, outre le mariage du grand-duc, vous serez toujours en état, mon cher frère, par vos lettres, de maintenir la bonne intelligence entre la Russie et la Prusse, et par là de rendre à notre patrie le plus grand service qu'un prince de la maison puisse jamais lui rendre. Vous savez bien que vous m'avez créé le caissier de votre borsiglio, et je me suis préparé, comme de raison, à me charger des dépenses que ce voyage entraîne, et des présents que l'usage vous oblige de faire en pareille occasion; et je crois qu'avec quarante ou cinquante mille écus vous pourrez y fournir. Les lettres que j'ai reçues en dernier lieu de ce pays disent que l'Impératrice veut célébrer les fêtes pour la paix à Moscou.
<367>250. AU MÊME.
Le 8 février 1775.
Mon très-cher frère,
C'est en vous remerciant, mon cher frère, de la lettre que vous venez de me communiquer que je vous la renvoie. Je suis bien aise d'y voir que l'Impératrice conserve invariablement les sentiments qu'elle vous a déjà témoignés. Il parait qu'elle fait ce voyage de Moscou à contre-cœur, et qu'elle n'attend que le moment de retourner à Pétersbourg pour vous y recevoir. Quelques bruits se répandent d'une mésintelligence entre le grand-duc et la grande-duchesse; ce serait fâcheux s'ils venaient à se brouiller.418-a Vous êtes curieux de savoir, mon cher frère, ce que m'a dit l'apôtre bien-aimé du prince Kaunitz.418-b Rien, ou presque rien; des compliments, quelques mots sur les affaires de l'Empire, où nous avons des discussions touchant la visite des juges à Wetzlar; et enfin a-t-il ajouté qu'il paraissait qu'on ne finirait pas à régler les limites avec les commissaires polonais. J'ai répondu que cela me paraissait aussi ainsi. Voilà, mon cher frère, où nous nous sommes séparés. Il a peut-être cru que je serais le premier à parler de leurs extensions en Valachie et en Moldavie; mais je m'en suis bien gardé. Cela regarde le Grand Turc : il doit savoir s'il veut se laisser dépouiller de son pays, ou non; cela regarde les Russes : ils n'ont qu'à se consulter pour juger s'il leur convient d'avoir les Autrichiens pour voisins. On m'écrit que ces mêmes Autrichiens ont voulu se saisir de Chotzim, mais que les Russes n'en étant sortis que lorsque les Turcs vinrent pour l'occuper, ils ont manqué leur coup.
Vous avez trop de bonté, mon cher frère, de vous intéresser à ma vieille existence. Il faut que tout ce qui a commencé finisse. J'ai déjà duré longtemps pour une créature de mon espèce, et c'est dans l'ordre commun des choses que l'âge mine, affaiblisse et détruise les productions de la nature. Vous verrez qu'à mon âge on n'est plus heureux, car voilà ce confiturier que j'attendais <368>si impatiemment, pour le produire au prince Lichnowsky, qui vient d'arriver à présent que je n'en ai aucun besoin. Il m'a apporté des grappes d'Italie que vous voudrez bien que je partage avec vous, et que je vous assure, mon cher frère, de toute l'amitié, la tendresse et la considération avec laquelle je suis, etc.
251. AU MÊME.
Le 14 mai 1775.
.... Le pauvre Quintus vient d'être emporté en vingt-quatre heures.419-a Le jeudi matin il avait été encore à l'exercice, et le samedi à une heure il était mort. Cela dérange mes petites études domestiques; mais que faire? Il faut se préparer à tout dans le monde, et plus on vit, plus il faut faire de pertes.
252. DU PRINCE HENRI.
Spandow, 16 mai 1775.
Mon très-cher frère,
Je me trouve infiniment heureux d'avoir le bonheur de vous revoir, mon très-cher frère, vendredi prochain, et de la bonté que vous avez de prendre le dîner chez moi.
Je sens parfaitement combien la perte que vous venez de faire, mon très-cher frère, vous est désagréable. La mort de Quintus vous enlève un serviteur fidèle et assidu, et je suis affligé en pensant que vous n'avez quasi, à cette heure, personne autour de vous.
<369>253. AU PRINCE HENRI.
Le 20 juillet 1775.
Mon très-cher frère,
C'est en vous rendant grâce de la lettre de l'Impératrice que vous avez la bonté de me communiquer, et que je vous remets, mon très-cher frère, que je dois vous dire, puisque vous voulez bien demander mon sentiment, que je crois, vu les termes où vous en êtes avec l'Impératrice, qu'avec bonne grâce vous ne pourrez guère vous dispenser de faire le voyage de Pétersbourg. Elle vous traite en ami, elle vous demande cette complaisance pour avoir le plaisir de vous revoir. Si vous la refusiez, ce serait rompre avec elle, et vous savez, mon cher frère, que les Indiens disent qu'il faut adorer le diable pour l'empêcher de nuire. Pour les héros de la dernière bataille de Sans-Souci, ils sont devenus doux comme des moutons; la correction qu'ils ont reçue les a rendus encyclopédistes, et à présent ils sont les premiers à déclamer contre la guerre. Mes nièces sont arrivées ici; celle de Cassel est bien aimable; celle de Würtemberg est un peu courte d'espèces, mais pour de l'esprit, elle n'en manque pas. Je leur ai fait entendre Le Kain.421-a Je vous en dirai, mon cher frère, mon sentiment. Je trouve en lui la façon de déclamer de Voltaire; il a le geste très-noble, une attention prodigieuse pour la pantomime, mais dans quelques endroits je le trouve plus outré qu'Aufresne. Je lui ai beaucoup parlé, et il m'a fait valoir la dignité et la sublimité de l'art de la déclamation avec tous les termes qui en peuvent relever la réputation. Hier il a joué le rôle d'Orosmane, et j'ai été obligé de répandre des larmes au troisième, quatrième et cinquième acte. On aime à retrouver son cœur et à se sentir encore des entrailles; cela est plus amusant que cette maudite politique, où l'on n'a à traiter qu'avec des fripons. L'affaire de Bavière se négocie actuellement en France, et je suis toute la marche de ce ministère d'iniquité. La lâcheté de la France laissera aller les choses comme il plaira à l'aveugle destinée. Mais en voici bien d'une autre. On veut troquer la Toscane contre le <370>Würtemberg. L'Empereur en fera tant, qu'il forcera tout prince qui aime l'indépendance et la liberté germanique de se liguer contre lui. On peut prévoir qu'il se prépare une cruelle guerre, et peut-être aussi acharnée que celle dont nous sortons. Si cela arrive que l'électeur de Bavière meure avant moi, si le boute-selle sonne, il faudra bien encore monter à cheval. Voici des bulletins à foison, beaucoup d'espérances chimériques, et peu de réalités. Goltz assure que Choiseul ne reviendra point sur l'eau; mais Goltz peut se tromper, car, après tout, comment compter sur la volonté d'un jeune benêt qui se laisse subjuguer par ceux qui savent l'entreprendre?421-b La cabale de Choiseul est très-forte à Paris comme à Versailles, et si Maurepas meurt, il faudra bien quelque autre tuteur pour diriger le pupille. Mais, mon cher frère, à mon âge il ne faut prévoir tout au plus que pour le lendemain. Je me garderai bien de m'alambiquer l'esprit de ce qui peut arriver quand je ne serai plus; ainsi le futur ne m'inquiète guère. Je vous embrasse du fond de mon cœur, en vous assurant, mon cher frère, de la haute estime et de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
254. AU MÊME.
Le 5 août 1775.
.... Les affaires qui se trament au sujet de la Bavière seront pour mes successeurs sans doute, de même que mon père disait souvent que ce serait à moi à discuter ses droits sur Juliers et Berg.422-a C'est dans la vigueur de l'âge qu'il faut de grands événements; mais quand le corps et l'esprit s'affaiblissent, les vues et les projets des hommes sensés doivent se borner au tombeau. Vous trouverez cette morale peut-être trop grave, mon cher <371>frère; heureusement vous êtes en âge de n'en pas avoir besoin. Pour un vieillard de mon âge elle devient nécessaire; tout le sépare du monde; on perd ses amis, ses connaissances, on reste tout comme isolé, on s'aperçoit d'un affaiblissement insensible qui va en augmentant, et la nature nous avertit de nous préparer à ce voyage dont personne ne retourne. Ce n'est pas une si grande affaire, et il vaut mieux finir avant une entière décrépitude, pour ne pas être à charge aux autres et à soi-même.
255. AU MÊME.
Le 5 septembre 1775.
.... J'ai trouvé en Silésie les affaires assez bien; mais les grêles et les brûlures me coûtent cent mille écus de bonifications. Il faut que je sois terriblement maladroit; je suis comme Arlequin, je me tire d'affaire en payant.423-a J'ai vu les régiments; la cavalerie de Breslau est supérieurement bien; mais l'infanterie est si fort en arrière, que j'ai été obligé de m'en mêler sérieusement. Ils n'ont point travaillé; les soldats étaient paysans, et les officiers bourgeois; mais j'y mettrai ordre. Les forteresses sont en partie achevées, et en partie s'achèveront l'année prochaine, ce qui me fera respirer. Cette année, cinquante-quatre villages nouveaux ont été achevés; il en reste encore soixante-trois à faire, ce qui sera terminé en deux ans, si je vis. La Landschaft423-b a payé six cent mille écus de capitaux, de sorte que les dettes de la noblesse pourront s'acquitter dans une quinzaine d'années. Le commerce de la province augmente si fort, qu'ils ont vendu pour un million de toiles et cent trente-trois mille écus de laines de plus que toutes les années précédentes. La population monte à présent à un million quatre cent mille âmes, de sorte que nous avons deux cent mille personnes de plus que l'année 1740, que je suis entré <372>en Silésie. Voilà, mon cher frère, le procès de mes opérations. Vous verrez au moins par là que je ne suis pas demeuré les bras croisés, et que j'ai fait ce qui dépendait de moi pour rendre les provinces florissantes, autant que le comporte la nature de leur sol et de leur voisinage.
256. AU MÊME.
Le 10 septembre 1775.
Mon très-cher frère,
Je ne mérite pas l'intérêt obligeant que vous daignez prendre à ma santé. La chaleur, mon cher frère, m'a bien secondé, et dans le fort de l'été je suis beaucoup moins sujet aux incommodités que les automnes et les hivers; mais cela ne mérite pas la peine de vous en entretenir. Vous me parlez, mon cher frère, des projets de la maison d'Autriche sur la Bavière. Je crois que j'ai oublié de vous dire que van Swieten m'en a fait quelques ouvertures, et même les Autrichiens m'ont fait comprendre que, l'héritage de Baireuth et d'Ansbach venant à vaquer, ils pourraient s'entendre avec moi sur un troc, qui pourrait tomber sur la Lusace.424-a Pour moi, qui ne vois ces événements que dans une perspective très-éloignée, je n'ai point voulu prendre des engagements d'avance sur ce sujet, puisque je ne puis pas prévoir ce qui pourra changer en Europe entre ci et cet événement; et d'ailleurs il faudrait être instruit au juste de ce que l'Autriche cédera au prince de Deux-Ponts. J'ai sondé van Swieten sur ce sujet; il m'a allégué l'ignorance dans laquelle sa cour le laissait de ses desseins. Ainsi, mon cher frère, je laisse à la postérité les mains libres pour agir selon les conjonctures politiques lorsque le cas de la mort de l'électeur de Bavière existera.
<373>257. AU MÊME.
Le 17 septembre 1775.
.... Vous dites, mon cher frère, que les Autrichiens s'empareront de la Bavière. J'en conviens, personne ne peut les en empêcher; ce pays est trop dans leur voisinage, et en moins de quinze jours ils l'auront totalement subjugué. Vous voyez d'ailleurs, mon cher frère, que si nous, les Russes et les Anglais veulent entamer la maison d'Autriche, il faut l'attaquer ailleurs qu'en Bavière; il n'y aurait que la France qui pourrait se promettre des succès en agissant de ce côté-là. Pour former une ligue contre l'Empereur, il faut que la Russie soit aigrie contre lui, que les princes d'Allemagne craignent son despotisme, et que la France ou l'Angleterre croient qu'il est de leur intérêt de s'opposer au débordement d'ambition d'un jeune monarque prêt à tout engloutir. Si ces puissances n'en sentent pas les suites, l'art et la politique les lieront peut-être pour un moment; mais bientôt ces intérêts faiblement sentis refroidiront et sépareront les alliés; peut-être même la cour de Vienne pourra-t-elle engager quelques-uns d'eux à devenir ses partisans. Voici, selon moi, la tournure qu'il faudrait donner à cette affaire pour en espérer une réussite heureuse. Il faudrait que l'Électeur palatin et les Deux-Ponts se plaignissent des desseins pernicieux de la cour de Vienne, et qu'ils engageassent toutes les puissances à s'unir à eux pour leur juste défense; alors nous pourrions nous mettre de la partie comme auxiliaires, et alors les autres puissances se joindraient, soit l'une, soit l'autre, et une pareille alliance imposerait assez à la cour de Vienne pour la faire désister de ses projets. On me mande que l'électrice de Saxe veut absolument venir ici, ce qui me donnera lieu, mon cher frère, de m'étendre encore davantage sur ce sujet.
<374>258. AU MÊME.
(Fin de novembre 1775.)
Mon très-cher frère,
Me voici sorti de mon quatorzième accès,426-a et j'espère à présent d'avoir défilé le chapelet des maux qui m'étaient échus en partage. Je prendrai toutes les précautions pour prévenir de nouvelles rechutes. Les Muzellius426-b et les médecins de sa sorte sont trop grands seigneurs pour moi; ces esculapes ont une multitude de malades à Berlin, auxquels ils se doivent, et qui périraient, s'ils ne voyaient tous les jours l'oracle de la vie et de la mort dans leur chambre. Pour moi, mon cher frère, je me traite par un grand régime, et dans quelques jours je prendrai du quinquina pour redonner quelques forces à mes nerfs épuisés et à demi perclus. Je ferai ce que je pourrai pour me remettre un peu vers le 10 du mois prochain, pour être en état de vous recevoir, mon cher frère, hors du lit. Mais ce n'est que trop parler de ma chétive carcasse. Heureusement je n'ai guère de nouvelles à vous marquer. Voici le bulletin de France, qui annonce beaucoup, et qui ne remplit jamais l'attente de ceux qui demandent les effets de ses prédictions. Tout se tranquillise à Moscou depuis le départ de Braniki.427-a Il semble que la Russie, mécontente de la Suède, commence à soulever l'esprit de cette nation contre le Roi. Si Sa Majesté notre auguste neveu n'y prend garde, et s'il ne s'observe pas davantage dans sa conduite, je prévois qu'il s'attirera quelque mauvaise affaire. Pour l'affaire de la Bavière, elle me paraît, mon cher frère, encore bien éloignée; l'Électeur se porte mieux que moi. Mais sur toute chose il faut savoir comment la France envisage cet objet, pour être informé avec certitude de la force des alliances de part et d'autre, et des obstacles qui pourront se rencontrer dans cette affaire; car si cela en vient à l'exécution du projet des Autrichiens, il faut s'attendre à une guerre générale, <375>dans laquelle il ne faut s'engager qu'à bonnes enseignes. C'est en vous embrassant de tout mon cœur que je vous prie de me croire, etc.
259. AU MÊME.
Potsdam, 6 février 1776.
Mon très-cher frère,
L'accès de goutte, mon cher frère, dont j'ai souffert m'est à présent passé; reste à éviter de nouvelles rechutes. Votre amitié seule me guérirait, mon cher frère, au défaut de toute médecine. Il est sûr que les Autrichiens ont le dessein que je vous ai communiqué, que l'expédient que vous me suggérez, mon cher frère, est admirable;427-b mais vous pourrez gagner la confiance du neveu, à quoi je me ferai un devoir de contribuer de ma part. Je pourrai vous instruire de toutes nos affaires et de leur connexion, dont personne même des ministres n'est instruit; et cela rendra votre personne si nécessaire, que tout le monde sera obligé de recourir à vos lumières, et de vous prier de les aider. Je crois ce moyen infaillible, et j'espère que par amour pour cet État, que nos ancêtres ont tous servi, vous ne vous refuserez pas de vouloir le soutenir, d'autant plus que vous êtes l'unique duquel l'État puisse attendre de vrais services.
On m'écrit aujourd'hui de Pétersbourg ....
<376>260. AU MÊME.
Le 10 février 1776.
Mon très-cher frère,
J'espère à présent, mon cher frère, à l'aide de Cothenius, d'être entièrement délivré de la goutte; mais ma convalescence est lente, et j'ai bien de la peine à reprendre la force que j'ai perdue; cela durera encore quelque temps. Cependant je crois que je me ressentirai le reste de ma vie de cette dernière secousse.
Il y a longtemps que je m'étais proposé, mon cher frère, de vous parler sur le sujet que contient ma dernière lettre; je ne sais par quel hasard j'en ai été distrait; mais je vous assure que je ne mourrai tranquille sur ce qui regarde les intérêts de l'État qu'en vous en voyant en quelque manière constitué le tuteur. Je vous envisage comme le seul qui puissiez soutenir la gloire de la maison et devenir en tout genre le soutien et le pilier de notre commune patrie; et si j'ai une fois le plaisir de vous parler, je pourrai m'expliquer plus amplement sur les moyens de faire réussir ce projet.
Il faut sans doute que le Potemkin soit rentré en grâce ....
261. AU MÊME.
Le 18 février 1776.
Mon très-cher frère,
On ignore le moment de sa mort; mais on est obligé à prévenir tant que l'on peut les malheurs qui peuvent arriver dans la suite. Pour moi, qui ai dévoué ma vie à l'État, je ferais une faute impardonnable, mon cher frère, si je ne tâchais pas autant qu'il est dans mon pouvoir, non pas de régner après ma mort, mais à faire participer au gouvernement une personne de votre sagesse .... Je n'ai en cela, mon cher frère, que l'État en vue, <377>car je sais très-bien que, quand même le ciel tomberait, tout me pourrait être fort égal le moment après ma mort. Persuadé de l'amitié que vous avez pour moi, je vous ai ouvert mon cœur sur ce sujet, qui a été longtemps l'objet de mes réflexions. Je vous remercie mille fois du plaisir que vous me faites de vouloir vous prêter à mes désirs,429-a et si le ciel pouvait être touché par nos vœux, je le prierais de répandre sur votre personne les bénédictions les plus précieuses.
Orloff est parti de Dresde ....
262. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 19 mars 1776.
Mon très-cher frère,
Comme je pars demain matin,430-a je profite encore du moment qui me reste pour vous supplier, mon très-cher frère, de me conserver votre souvenir; daignez aussi me donner souvent des nouvelles de votre santé. Les vœux que je fais pour votre conservation, et l'intérêt que j'y prends, me causeront des inquiétudes durant le temps des revues et des voyages que vous entreprendrez. Je souhaite que sans incommodités vous puissiez remplir tous les objets que vous vous proposez.
Vous seriez sans doute encore plus éclairé, mon très-cher frère, sur les desseins des Autrichiens, s'il était possible de savoir au juste le nombre de troupes qu'ils rassemblent dans la Gallicie et la Lodomérie; je pense que c'est un corps considérable, et s'il est tel que je l'imagine, on pourrait donner sur cet objet des inquiétudes aux Russes, principalement si je pouvais leur montrer quelques détails sur les forces que les Autrichiens ont rassemblées. Je suis cependant très-convaincu que leur intention n'est nulle<378>ment d'agir, mais plutôt d'en imposer. Il faudrait qu'ils eussent perdu toute prudence pour se hasarder entre vous, mon très-cher frère, et la Russie, tandis qu'ils ne peuvent s'attendre qu'à de très-faibles secours de la France.
Je vous rends très-humblement grâce, mon très-cher frère, pour le bulletin; la chanson est très-grossière, mais elle prouve que la Reine n'est pas aimée, et c'est un bien. Je voudrais que le roi de France s'en dégoûtât. Tout ce qui peut servir à ce dessein me paraît admirable. D'ailleurs, je crois que si les Français pouvaient trouver un autre allié, ils abandonneraient facilement l'Autriche.
Je vous supplie, mon très-cher frère, d'agréer les assurances de mon tendre et respectueux attachement. Avant mon arrivée à Königsberg, je ne pourrai me rappeler à votre souvenir. Partout où je suis, j'emporte le sentiment de la reconnaissance et du parfait dévouement avec lequel je suis, etc.
263. AU PRINCE HENRI.
Potsdam, 14 avril 1776.
C'est par une rencontre bien heureuse, mon cher frère, que M. de Stackelberg431-a s'est trouvé sur votre chemin. Il est instruit de tout en Russie, et bien mieux sans doute que Solms. Pour vous donner une réponse nette et catégorique sur tout ceci, je vous dirai que je regarde comme un objet principal pour cette maison de conserver et cimenter la bonne harmonie avec la Russie. Nous en avons besoin, et la postérité peut en avoir encore plus besoin que nous. Partant de ce principe, il faudra céder sans doute à ce que l'entêtement de la Russie exigera absolument. S'il faut céder le port de Danzig, que nous obtenions le terrain qui se trouve entre l'Obra et la Silésie, ce sera une indemnisation; et si la ville de Danzig y ajoute une somme d'argent, dont on pourra <379>acheter des terres pour rétablir les revenus que nous perdons, cela ferait un équivalent dont il faudra se contenter. Pour le lac de Goplo, s'il faut le céder, j'y consens également, regardant, en tout ceci, comme la chose principale d'avoir la Russie à nous, et que cette union soit si bien établie, que nos ennemis ne puissent la dissoudre. Je vous abandonne le reste, mon cher frère, persuadé que vous n'oublierez pas les intérêts de la patrie, et que vous ne céderez que ce qui sera nécessaire pour répondre au grand objet d'être intimement lié avec la Russie. Je suis, etc.
264. AU MÊME.
Potsdam, 4 mai 1776.
J'avais bien prévu, mon cher frère, qu'il y aurait bien des difficultés dans cette négociation pour notre démembrement de la Pologne. Si nous ne pouvons pas obtenir les limites telles que le plan les contient, si nous ne pouvons pas nous accorder pour la ville de Danzig, touchant une somme annuelle touchant les revenus du port, il faudra préférer les objets permanents de l'intérêt de l'État à un intérêt pécuniaire, à la vérité fort avantageux, mais dont il faudra rabattre quelque chose en faveur de la liaison intime qu'il nous convient de conserver avec la Russie; et si nous pouvons trouver un dédommagement sur la lisière de la Silésie, il faudra s'en contenter, faute de mieux. J'abandonne tout cela, mon cher frère, à votre prudence, à votre sagesse. Vous êtes sur les lieux; vous pouvez beaucoup mieux juger que moi de ce qui peut être faisable ou de ce qui ne l'est pas, et si ce que demande l'objet important de demeurer lié à la Russie peut se concilier avec les avantages de nos revenus. Je suis charmé des bonnes dispositions du grand-duc; mais dans le moment présent, la façon de penser de l'Impératrice décidera de cette affaire, qu'il faudra finir le moins mal que possible. Je suis, etc.
<380>265. AU MÊME.
Le 9 mai 1776.
Mon très-cher frère,
Votre chère lettre m'a causé deux sensations bien différentes : par l'une j'ai été pénétré de douleur en apprenant la mort d'une jeune princesse dont le caractère et la vertu étaient respectables;433-a par l'autre, mon cœur plein de reconnaissance s'est épanoui en apprenant par vous, mon cher frère, la confiance que S. M. l'Impératrice et son digne fils veulent bien placer en moi. Certainement ils ne s'y tromperont pas, et dans cette occasion, comme en toutes celles qui se pourront présenter durant ma vie, ils me trouveront toujours disposé de corps et d'âme à leur rendre tous les services qui dépendront de moi. Pour ne vous point arrêter par des préambules qui fatigueraient votre impatience, je vous apprends en gros que j'ai réussi dans ce qu'il y avait de plus difficile dans ma négociation, s'entend sur ce qui concerne le prince héréditaire de Darmstadt. Je vous avoue qu'il m'a touché jusqu'aux larmes. Le cœur gros de la mort inattendue de sa sœur, accablé de cette perte, il m'a dit : « Je comprends que le grand-duc doit se remarier promptement; le parti qui lui convient le mieux est celui de ma promise. Je l'aime, je m'étais promis de passer d'heureux jours avec elle; mais j'aime encore plus le grand-duc, et je lui fais le sacrifice de ma promise, et lui donnerais ma vie même, si elle pouvait lui être utile. » Non, Pylade n'en aurait pas plus fait pour Oreste, et Nisus pour Euryale. Voilà un exemple d'attachement et d'amitié qui fait honneur à notre siècle. Le prince se propose d'envoyer le colonel de Riedesel433-b à Pétersbourg pour confirmer son désistement à l'Impératrice et au grand-duc. Ce prince se propose d'épouser une des sœurs de notre petite-nièce; ainsi il dit que par là il restera également beau-frère du grand-duc, ce qui lui tient plus à cœur que tout le reste. D'autre part, j'ai envoyé un courrier à <381>notre nièce, à Montbelliard, où je lui rends compte des intentions gracieuses de l'Impératrice et du grand-duc sur le choix de sa fille, en lui marquant en même temps de quoi je suis convenu avec le prince héréditaire de Darmstadt, et je me flatte de ne point rencontrer de difficultés de ce côté-là, ainsi que pour la religion; le père étant catholique, la mère réformée, et les enfants luthériens, avec une grecque, cette famille fera la concordance des principales sectes de la chrétienté. Dès que j'aurai une réponse, je vous la ferai parvenir par courrier. Quant à ce que vous avez la bonté de me mander de l'intention où se trouve l'Impératrice d'envoyer le grand-duc à Berlin, vous devez juger combien je suis touché de cette marque de confiance, et que le grand-prince, comme tout ce qui tient à l'Impératrice, sera reçu à bras ouverts. Je me trouve heureux d'être échappé à ma dernière maladie, ce qui me procure la douce satisfaction de recevoir chez nos pénates mes plus respectables et meilleurs alliés et amis. Veuille le ciel que ces nouveaux liens qui vont se former contribuent au contentement de l'auguste famille impériale, et qu'une longue postérité, qui en sera la suite, soutienne la splendeur de ses illustres ancêtres. Comme j'ai trouvé un portrait en miniature de la princesse de Würtemberg (qui, par parenthèse, a dix-sept ans), je vous l'envoie, mon cher frère. M. de Riedesel, qui a vu la princesse, le trouve tout à fait ressemblant, et m'a dit beaucoup de bien de cette jeune personne. Je ne dois pas omettre que je dois beaucoup à l'assistance de M. de Riedesel, qui a employé toute sa rhétorique pour fortifier le Prince héréditaire dans le généreux effort du triomphe que son amitié pour le grand-duc remporte sur l'amour. Je manque de termes et d'expressions pour témoigner à la famille impériale toute ma sensibilité et ma reconnaissance; tout ce que, mon cher frère, vous pourrez dire de plus fort sur ce sujet ne sera jamais désavoué de ma part. Vous qui êtes un autre moi-même, vous me remplacez à Pétersbourg, et votre cœur dira à l'Impératrice et au grand-duc ce que le mien sent pour eux, trop heureux si je puis leur en donner des preuves convaincantes avant de mourir! Pour vous, mon cher frère, recevez les assurances de ma plus haute estime et de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
<382>La pauvre Princesse de Prusse435-a est plongée dans la plus amère douleur, et comme elle était hors d'état de parler à son frère, j'ai été obligé de m'acquitter moi-même de cette commission.
266. AU MÊME.
Potsdam, 18 mai 1776.
Je vois, mon cher frère, que vous parvenez à exécuter tout ce que vous voulez, et que tout vous réussit à souhait. J'admire votre dextérité et les peines que vous voulez bien vous donner pour nos affaires. Que le ciel répande sur vous toutes les bénédictions que je vous souhaite; car cette confiance que l'Impératrice a prise en vous à si juste titre est le lien le plus sûr de l'union des Russes et des Prussiens. S'il arrivait aussi que par la suite quelqu'un que je ne nomme pas fît quelque sottise, vous seriez toujours en état de raccommoder les choses. Quant au reste, cette négociation est en si bonnes mains, que je ne vous dis pas le mot sur ce sujet. Dès que j'aurai réponse de Montbelliard, je vous la ferai parvenir par courrier, et je prépare tout ici pour votre heureux retour, étant, etc.
267. AU MÊME.
Graudenz, 7 juin 1776.
Mon très-cher frère,
Me voici rapproché de vous, mon très-cher frère, de cinquante milles d'Allemagne, et cependant il reste encore un espace immense qui nous sépare. Je viens de recevoir votre chère lettre, et je plains bien la situation du pauvre comte Panin; il est vrai <383>qu'à son âge la perte qu'il fera ne sera pas considérable, si ce n'est la douleur et le danger qu'il va courir dans cette opération.
J'ai eu le plaisir de dîner chez vous, à Spandow; mais, mon cher frère, qu'il y a de différence de vous y voir ou de songer au terrible éloignement où vous êtes de chez nous! Cela m'afflige. Mon frère Ferdinand et moi, nous avons bu bien cordialement à votre santé. Je vous fais bien des excuses de ne vous avoir pas accusé la recette de la lettre de change; elle est bien arrivée, mais je l'ai gardée jusqu'à la réponse de notre nièce; à présent qu'elle a consenti à tout, la lettre de change lui sera rendue. Le nombre des matières importantes fait quelquefois qu'on néglige celles qui le sont le moins; cela ne devrait pas être, mais les hommes restent des hommes, quelque attention qu'ils aient. Je ne saurais vous dire, mon cher frère, combien j'ai d'embarras d'arranger tout ce qu'il faut pour la réception du grand-duc sans que rien en transpire. Jusqu'à présent vous pouvez compter que personne ne s'en doute. Il faudra pourtant faire partir cuisine, domestiques, et ceux qui doivent recevoir le grand-duc, vers le 15 du mois prochain; alors il n'y aura plus moyen de déguiser ce que l'on a en vue. Notre nièce et le prince Eugène, qui absolument a voulu être du voyage, arriveront le 20 juillet à Potsdam. Il est nécessaire que je leur parle avant l'arrivée du grand-duc, pour qu'ils prennent le ton convenable à la scène qui va se passer. Ne vous moquez point de moi, mon cher frère, mais il faut que je vous avoue mon faible : j'ai une crainte, je ne sais pourquoi, qu'il ne prenne quelque maladie ou qu'il n'arrive quelque malheur au grand-duc. Je vous prie de faire que son médecin l'accompagne, et qu'il aille le moins à cheval que possible. Je ne serai tranquille que lorsqu'il sera de retour en bonne santé à Pétersbourg. Vous direz que cela sent bien le vieillard; cela peut être, mais mettez-vous dans ma place, et jugez, je vous prie, quelle chose fâcheuse ce serait pour nous tous ensemble, si telle chose arrivait. Je suis à présent occupé ici à terminer nos affaires des limites avec les Polonais, et pour accélérer cette négociation, j'envoie trois projets de cession à Benoît,437-a dont les Polaques <384>pourront choisir ce qui leur conviendra. Depuis mon départ de Magdebourg, nous avons eu une suite de beaux jours; aujourd'hui il fait une forte pluie; demain le camp se formera, et je pars le 11 pour mes pénates. Mais j'ai des affaires par-dessus les oreilles. C'est avec les plus tendres sentiments et la plus parfaite considération que je suis, etc.
268. AU MÊME.
Mockerau, 8 juin 1776.
Mon très-cher frère,
Vos lettres, mon très-cher frère, me font, toutes les fois que j'en reçois, un sensible plaisir, et celles-ci m'ont été d'autant plus agréables par toutes les choses avantageuses qu'elles contiennent. J'écris tout de suite à notre nièce de Montbelliard pour accélérer son voyage; je l'appointerai pour le 12 du mois prochain. Si vous le croyez convenable, le comte Romanzoff, comme à la suite de l'Empereur, pourra loger au château, à Berlin et à Potsdam, ou à Potsdam uniquement, selon que vous jugerez que cela doit être. Je prépare tout, et, à vous parler naïvement, je me réjouis plus de vous revoir sitôt de retour que de tout le reste. Mais le bien de l'État ne me rendra rien difficile pour tout ce que vous jugerez convenable. Tout ce que nous avons de magnifique sera employé pour décorer le grand-duc. Mais je serai obligé d'aller vite en besogne, et à mon retour je mettrai tous les fers au feu pour arranger ce qui manque encore. Il faudra faire partir de Berlin cuisine, suite, généraux, officiers, etc. le 24 de ce mois, ou cela arriverait trop tard à Memel; et il vaut mieux que ces gens attendent quelques jours que s'il n'y avait personne à votre arrivée. Après cela, jugez, je vous prie, comment il m'est possible de faire ces sortes de choses en cachette. Je vous avoue qu'aujourd'hui je suis extrêmement fatigué. Je vous réponds, mon cher frère, en gros. Je vous en demande <385>pardon; mais vous ne sauriez croire la multitude de très-diverses affaires qui me sont ici toutes tombées sur les bras. Je suis, etc.
269. DU PRINCE HENRI.
Schwedt, 19 juillet 1776.
Mon très-cher frère,
J'ai le bonheur de toucher au moment de vous revoir, mon très-cher frère, et de vous assurer de bouche de mon tendre attachement. Notre voyage a été très-heureux; le grand-duc se porte on ne peut pas mieux, et j'ai tout lieu d'espérer que sa santé ne sera nullement altérée par ce voyage. Lui et toute sa suite sont contents et satisfaits; dans tous les villages, de jeunes filles lui ont présenté des fleurs; dans les villes, on a ajouté des gens pour crier des vivat. Tout cela produit le meilleur effet, et tout ce que vous daignez m'écrire, mon très-cher frère, au sujet des arrangements que vous prenez à Berlin ne saurait manquer d'atteindre au même but que vous vous proposez. La célébration de la demande439-a est arrangée avec toute la magnificence possible, etc.
270. AU PRINCE HENRI.
(Berlin) 20 juillet 1776.
Mon très-cher frère,
J'ai eu le plaisir de recevoir ce soir votre lettre, mon très-cher frère, en arrivant ici. Vous n'avez certainement aucun lieu de vous presser pour arriver. L'arc de triomphe qu'on fait ne peut être achevé au plus tôt qu'à cinq heures, demain, de l'après-midi. <386>Ainsi, quand le grand-duc n'arriverait que vers les six heures, nous serions plus sûrs d'avoir tout achevé. Je ne vous écris rien sur les affaires, parce que j'aurai demain la satisfaction de vous embrasser et de pouvoir vous parler sur tout; mais il est certain que la fureur où est l'apostat d'Hippocrate440-a me sert plus que tout au monde. Il y a quelqu'un envers lequel il se déboutonne, et dans le sein duquel il répand ses secrets et son venin contre nous, car, mon cher frère, il ne vous épargne pas plus que moi. Mais il me paraît certain que la cour de Vienne a fait un traité avec la Russie au sujet de la démarcation de la Pologne, et que j'en ai été le sacrifice. Voilà le gros de la chose.
Ne craignez pas qu'il manque du monde sur le passage du grand-duc; ici, de ma chambre, je vois au delà de deux mille personnes, depuis deux heures, qui regardent l'arc de triomphe où quelques charpentiers travaillent. On loue des fenêtres dans la rue Royale vingt écus la pièce. Jugez du reste. Il se rassemble du monde de tous les côtés et de tout pays. Beaucoup viennent pour juger par leurs yeux si c'est réellement le grand-duc qui vient ici. Je m'en vais vous souhaiter le bonsoir, mon cher frère, pour me reposer et rassembler toutes mes forces pour demain,440-b vous assurant de la tendresse infinie et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.
271. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 9 août 1776.
Mon très-cher frère,
Je reviens de Schwedt, où j'ai quitté le grand-duc rempli de reconnaissance pour vos bontés, mon très-cher frère, et de regret de vous avoir quitté. Il m'a chargé de cette lettre pour vous, que j'ai l'honneur de vous envoyer. Je suis parti ce matin sans <387>prendre congé. Il était trop ému hier au soir, et, ces sortes d'émotions étant préjudiciables à sa santé, j'ai cru mieux faire d'éviter un congé, de quoi aussi j'étais convenu avec le général Soltykoff. J'ai reçu à Schwedt la réponse que vous avez eu, mon très-cher frère, la bonté de m'adresser au sujet des escortes que le grand-duc désire pour lui et pour la future grande-duchesse ....
272. AU PRINCE HENRI.
Le 1er octobre 1776.
.... L'Impératrice est extrêmement contente de la princesse de Würtemberg; elle a trouvé le moyen de gagner toute la cour, et si elle continue à se conduire ainsi, son crédit augmentera de jour en jour chez l'Impératrice. Ce que je cède aux Polonais a fait grand plaisir à la cour, et j'espère, sous l'ombre de ces aspects favorables, de pouvoir proroger mon alliance avec la Russie jusqu'à l'année 1790; et, en attendant, il faudra voir comment on pourra se tirer d'affaire. Voilà exactement la situation présente des choses, et vous pouvez compter que les Autrichiens n'attendent que mon départ pour mettre toutes leurs machines en jeu.
Je profite du séjour de ma sœur de Brunswic pour la préparer à la perte du Duc son mari, ce qui lui causera une sensible douleur; mais c'est un mal inévitable; ainsi il faut la familiariser avec cette idée, pour que nous la conservions. Ma sœur Amélie se remettra dans vingt-cinq jours ou trois semaines tout au plus. Elle devra sa guérison à son courage;442-a je l'admire, et je l'en aime davantage.
Les Würtemberg sont partis pour le Montbelliard, à cinq cents milles d'Allemagne de leur fille. Je suis sûr que les Fran<388>çais leur apprêteront à rire par les ridicules questions qu'ils leur feront au sujet des Russes. Mais peu importe. Je souhaite, mon cher frère, que vous vous portiez bien, et que vous jouissiez tranquillement à Rheinsberg des restes de la belle saison, étant avec toute la considération, etc.
273. AU MÊME.
Le 3 décembre 1776.
Mon très-cher frère,
La confiance que j'ai, mon cher frère, en vos lumières m'a rassuré des appréhensions que Solms m'avait données. Cependant je vous avoue que je ne me fie pas beaucoup à la politique russe, assujettie à l'esprit léger et peu conséquent de cette nation. Leur monarchie est si puissante, qu'elle n'a besoin d'aucun allié, et que c'est plutôt par air de grandeur qu'ils entrent en liaison avec d'autres peuples que pour leur défense. Cela fait qu'ils seront toujours recherchés, et ne feront des avances envers personne. Repnin443-a est de retour à Pétersbourg. Autant que j'en apprends, la cour n'est pas trop contente de lui, parce qu'il n'a rien terminé à la Porte; mais la Porte est si épuisée et si peu en état d'agir à présent, qu'elle a emprunté neuf cent mille piastres pour avoir de quoi payer les janissaires, ce qui est sans exemple depuis la fondation de cette monarchie. J'ai envoyé ces nouvelles à Pétersbourg, telles que je les ai reçues de Pétersbourg,443-b pour rassurer l'Impératrice.
On commence déjà à parler à Paris des desseins que l'Empereur forme contre nous. Ainsi vous voyez, mon cher frère, que je reçois de tous les côtés la confirmation de l'orage qui s'élève contre nous; mais je n'ai point peur, au contraire, grande envie de donner bien dru sur les oreilles des plus perfides des <389>hommes, et de les punir de toutes leurs méchancetés. Tous mes arrangements sont achevés dans les provinces pour accélérer la marche et l'assemblée de l'armée. Ma plaie sera guérie dans sept ou huit jours; ainsi ils n'ont qu'à venir lorsqu'ils le voudront. Voici encore un bulletin où sont jointes des nouvelles de Ferney; on y a joint un dessin de Voltaire, en caricature, qui ressemble plutôt à un vieux singe qu'à une figure humaine.
C'est dans l'espérance de vous voir bientôt que je vous prie de me croire avec la plus parfaite estime, etc.
274. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 6 avril 1777.
Mon très-cher frère,
Je ne saurais vous exprimer ma joie lorsque j'ai trouvé hier à Brandebourg la lettre dont vous m'avez honoré, mon très-cher frère. Elle est d'autant plus sensible par l'espoir que vous me donnez de vous voir demain.444-a Comment puis-je, à ce sujet, vous exprimer ma reconnaissance? Je vous supplie d'être convaincu que je n'oublierai de ma vie cette marque gracieuse de votre attention. A l'exception du sommeil et d'une grande faiblesse de poitrine, je suis remis aussi bien qu'on peut l'être après une si longue maladie.444-b J'ai voyagé avec beaucoup de lenteur, dont j'aurais honte en toute autre occasion. J'ai pourtant éprouvé qu'il m'aurait été impossible de faire autrement, l'haleine m'étant encore très-courte, et la voiture par conséquent fatigante. Vous avez daigné ajouter, mon cher frère, des nouvelles à votre lettre, et des bulletins, pour lesquels je vous rends très-humblement grâce. J'ignorais la maladie de l'impératrice de Russie, et également tous les changements arrivés en Saxe. Cette dernière af<390>faire est affreuse dans ses circonstances, et l'Électrice mérite bien d'être comptée parmi les femmes atroces.444-c
Je ne fais que d'arriver, et me trouve surtout très-ému par vos bontés et par l'espérance de vous assurer demain, mon très-cher frère, et de ma reconnaissance pour vos bontés, et du tendre et respectueux attachement avec lequel je serai toute ma vie, etc.
275. AU PRINCE HENRI.
Le 10 avril 1777.
Mon très-cher frère,
Ce n'est pas à vous de me remercier, mon cher frère, de ce que j'ai été chez vous; cela m'a procuré une véritable satisfaction, et je vous ai trouvé mieux que je ne m'en étais flatté, ce qui me donne à présent la ferme persuasion que, si vous continuez à vous ménager comme vous le faites, vous pourrez encore vivre longtemps, et, mon cher frère, c'est un des principaux objets de mes vœux. Comme je n'ai rien de caché pour vous, mon cher frère, je vous ai confié le renouvellement de notre alliance avec la Russie.445-a Je dois cependant vous dire en même temps que l'Impératrice exige de moi sur cet article un secret impénétrable, apparemment pour ne point choquer la cour de Vienne. L'Empereur est parti le 2 de ce mois pour Paris, et il ne retournera qu'au mois de juillet chez lui. Quoique van Swieten soit un très-mau<391>vais sujet, ce n'est pourtant que la créature du prince Kaunitz, et cette haine que l'élève nous marque, il l'a sucée à l'école de son maître. Je sais de science certaine que le prince Kaunitz a dit : « Jamais la cour impériale ne doit supporter la puissance prussienne; pour que nous dominions, il faut l'écraser. » Ces paroles sacramentales doivent se conserver dans le cœur de chaque Prussien, pour nous empêcher de nous endormir et de tomber dans une dangereuse sécurité. Il est sûr que cette maison obligera longtemps les souverains de ce pays-ci à être tout nerf, ou ils seront perdus.
J'attends demain des bulletins de France, et je vous les enverrai, mon cher frère, pour vous amuser un moment.
J'ai fait l'acquisition du troisième prince de Würtemberg,446-a et je ne saurais en dire assez de bien. Ce jeune homme promet beaucoup. Je ne fais pas difficulté de le préférer à ses frères. Il ne prévient pas par l'extérieur; mais je suis très-trompé, ou ce jeune homme, s'il vit, fera son chemin. Voilà, mon cher frère, toutes les nouvelles que la stérilité de Potsdam me fournit. C'est en faisant des vœux pour votre entière convalescence que je vous prie de me croire avec la plus haute estime et la plus parfaite tendresse, etc.
276. AU MÊME.
Le 13 avril 1777.
Mon très-cher frère,
Je vous remercie de la patience que vous voulez bien avoir pour continuer encore une diète, mon cher frère, indispensable pour votre entier rétablissement. Je conçois bien qu'il vous en coûte pour vous soumettre à un régime qui vous rend l'esclave de la Faculté; mais, d'un autre côté, vous prolongerez par là vos <392>jours, et vous me conservez un frère que je serais au désespoir de perdre.
Depuis votre maladie, il s'est passé bien des choses que je n'ai pas voulu vous communiquer, parce que vous étiez malade, et que ces choses doivent rester cachées. Voici le plan que je me suis fait, mon cher frère, et que je suis pied à pied : d'être le plus intimement lié que possible avec la Russie; de veiller sur les grandes comme sur les moindres démarches de la cour de Vienne, et d'être aussi bien que possible avec toutes les autres puissances, cela pour ne me point faire des ennemis de gaîté de cœur; mais surtout d'être avec ces puissances sur un pied que, si les conjonctures exigent de nous allier, l'on soit en état d'entamer une négociation. Cela m'a si bien réussi en France, que c'est par mes insinuations indirectes qu'ils ont envoyé Tott en Turquie pour calmer la Porte et la porter à s'accommoder avec la Russie. En revanche, ils m'ont informé de toutes les calomnies que les Autrichiens leur avaient lâchées contre moi en exagérant des desseins ambitieux auxquels je n'ai jamais pensé. Je les ai détrompés facilement sur tous ces points. Reste encore à nous expliquer au sujet de la Bavière, ce que je ne presse pas encore. Ceci a pourtant produit l'effet que la cour de France m'a fait déclarer par M. de Pons447-a qu'elle se voyait sur le point d'entrer en guerre avec l'Angleterre, mais qu'elle m'assurait qu'elle ne ferait passer aucunes troupes en Allemagne; à quoi j'ai répondu que je lui étais très-obligé de cette ouverture, et que, pour y répondre, je croyais lui devoir déclarer de même que je n'étais en aucune liaison avec l'Angleterre. En me rapprochant de la France, je détruis une des machines du prince Kaunitz, qui est de faire accroire à Versailles que l'Empereur est intimement lié avec moi, et de vouloir me persuader que la cour de Vienne a la France dans sa manche. Ceci, mon cher frère, donnera lieu à d'autres explications avec les Français, par lesquelles on sera à même d'éclairer les ténèbres dont le prince Kaunitz enveloppe ses desseins. On m'écrit que l'Angleterre sollicitera dans peu ma garantie pour le pays de Hanovre; nous verrons ce qui en sera.
<393>Pour ce qu'on dit de l'électeur de Saxe, cela part encore de sa mère, qui a semé ces bruits de changement de religion pour le brouiller avec les cours catholiques.
Voilà bien de la politique. Je crains bien de vous ennuyer, mon cher frère, par tout ce fatras du système de ma conduite que je vous ai tracé; mais un vieux casanier comme moi ne peut guère fournir d'autres nouveautés que celles dont il s'occupe.
Recevez avec amitié les assurances de la tendresse et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
277. AU MÊME.
Le 17 juin 1777.
.... Nous avons ici des députés de l'Amérique,448-a qui nous proposent un traité de commerce. Je me propose de tirer en longueur cette négociation, pour me ranger du côté pour lequel la fortune se déclarera. Voilà, mon cher frère, ce que je crois le plus convenable à nos affaires; ni plus ni moins, les Français nous prennent pour deux cent mille écus de marchandises, pour les débiter en Pensylvanie.
J'ai fini pour cette année toutes les affaires qui regardent la grande finance, et j'espère de jouir à présent de quelque repos pour guérir ma jambe, si elle est guérissable. En vous priant de me croire avec toute la tendresse et la considération possible, etc.
<394>278. AU MÊME.
Le 25 juin 1777.
.... A l'égard de messieurs les Américains, j'ai oublié de vous dire, mon cher frère, qu'ils veulent se servir du port d'Emden pour leurs pirates, ce que je n'ai pu leur accorder en aucune manière, à moins de me vouloir brouiller ouvertement avec l'Angleterre; et quant au commerce, nous ne pouvons l'entreprendre qu'avec perte, parce que les assurances pour l'Amérique sont montées à cinquante pour cent, ce qui absorbe bien au delà du profit qu'on pourrait faire avec ces colons. Mais ces gens-là ne peuvent pas nous manquer; il y a beaucoup de marchandises que nous leur pouvons fournir à meilleur marché que le reste de l'Europe, comme étoffes de laine et entoilages; ils en ont besoin, et cela établit un troc contre leur tabac, leur indigo et leurs cannes à sucre. A présent nous nous bornons à cultiver cette branche à la faveur de la marine marchande des Français, qui nous achète et transporte nos marchandises dans ce nouveau continent, de sorte que, sans choquer personne, nous profitons sans bruit de l'occasion qui s'offre à nous.
279. AU MÊME.
Le 29 juin 1777.
.... Il vient d'arriver une singulière histoire à Berlin. L'envoyé d'Angleterre449-a est allé, dans l'absence du sieur Lee, envoyé des colonies, dans l'auberge où il logeait, et lui a enlevé son portefeuille; mais il a eu peur, et l'a jeté, sans l'ouvrir, sur l'escalier de la maison. Tout Berlin en parle. Je fais semblant de <395>l'ignorer.450-a Si l'on voulait agir à la rigueur, il faudrait défendre la cour à cet homme, qui a commis un vol public; mais pour ne point faire de bruit, je supprime la chose. Cependant je ne laisserai pas d'en écrire en Angleterre, pour que ces gens sachent au moins qu'on pourrait en agir moins modérément que je ne le fais, car ils sont impertinents.
280. AU MÊME.
Le 9 juillet 1777.
.... Saint-Germain450-b n'est pas encore venu; peut-être se ravisera-t-il, parce que je l'ai fait prévenir sur l'esprit d'incrédulité qui dominait chez nous. Je vous envoie, mon cher frère, un mémoire de ses tours d'adresse qu'il sait faire, qu'il m'a fait tenir. S'il savait faire de l'or, il s'en serait fourni lui-même; c'est un appât usé qu'il n'ose pas même mettre en avant. Pour nous, la seule façon de faire de l'or, c'est d'augmenter l'agriculture et le commerce; mais encore cela ne peut aller loin, car les matières d'exportation et d'importation sont circonscrites par nos produits et nos besoins. Ainsi, mon cher frère, il paraît assez que tant que nous demeurerons sur le pied actuel, Crésus et Montézuma l'emporteront sur nous. Il faut s'en consoler. On peut être fort heureux sans regorger d'or; la tranquillité et la gaîté d'esprit tiennent lieu de tous les trésors du Pérou.
<396>281. AU MÊME.
Le 3 août 1777.
Mon très-cher frère,
Voici des nouvelles curieuses que je vous communique, mon cher frère; je les dois à la façon honnête et cordiale de penser du grand-duc. J'ai la confiance en votre discrétion que vous n'en parlerez à personne, ni que vous n'en écrirez à notre sœur la reine de Suède, parce que le grand-duc a exigé le secret. Vous savez si, en considération d'une sœur que j'aime, je n'ai pas eu tous les ménagements pour son fils; mais cette vipère envenimée me pousse enfin à bout, et je ne le regarde plus ni comme mon neveu, ni comme mon parent. Vous avez eu votre part à ses calomnies, et vous trouverez ce qu'il vous impute touchant la Courlande. Heureusement que ses méchancetés n'ont point fait d'effet, et qu'il a découvert lui-même son indigne caractère à une cour où il aurait dû tâcher d'établir l'idée d'une bonne réputation. Quel fonds de méchanceté ne faut-il pas qu'il y ait dans l'âme de ce M. Gustave pour haïr, pour calomnier, pour persécuter des parents qui lui ont fait du bien, et jamais du mal! Cela m'indigne, je vous l'avoue, et principalement parce que cette créature atroce tient de si près à notre famille. Il a dit de même des horreurs au sujet de sa mère au grand-duc, qui l'en a sagement repris, en lui remontrant les devoirs des enfants envers ceux dont ils tiennent la vie. A présent, mon cher frère, je penserai entièrement comme vous au sujet de cet indigne neveu, et je ne le ménagerai pas plus que de raison.
Pour vous dire deux mots de ma santé, vu l'intérêt que vous y daignez prendre, j'ai pris une sorte d'érésipèle à la jambe, qu'on nomme Blatterrose,452-a ce qui encore est fort douloureux. Le chirurgien452-b dit que c'est à merveille. De pareil bonheur ne peut <397>être souhaité qu'à des ennemis. Mais il faut subir son destin. Je suis, etc.
282. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 9 septembre 1777.
Mon très-cher frère,
J'ai appris votre heureuse arrivée à Potsdam avec la plus grande joie. Vous daignez, mon très-cher frère, me parler, dans la même lettre, de votre passage par la Lusace.452-c Accoutumé à voir vos troupes, je ne suis pas étonné que la comparaison en soit peu avantageuse pour les troupes saxonnes que vous avez vues. Tout le pays, d'ailleurs, a essuyé tant de sensibles secousses, qu'il doit s'en ressentir encore.
Je me suis hâté de répondre sur le premier sujet de votre lettre; mais j'en viens à l'essentiel, c'est de vous remercier très-humblement, mon très-cher frère, de l'Essai sur les formes de gouvernement et sur les devoirs des rois,452-d que vous avez daigné m'envoyer. Je l'ai relu avec toute la reconnaissance et le plus grand plaisir. Vous avez recueilli dans un très-petit volume le résumé de ce qu'on peut dire et penser sur les gouvernements. Vous avez fait le plus beau portrait des devoirs d'un souverain : ce tableau, cependant, ne peut guère être imité. Il faudrait toujours des princes doués de votre génie, et qui eussent vos connaissances. La nature n'en produit pas de cette espèce; je désirerais donc encore un chapitre utile pour un homme que la naissance place sur le trône, mais auquel la nature a refusé les dons que vous possédez. Il lui faut une marche;453-a il est impossible qu'il agisse par lui-même, et je pense que ce serait un malheur <398>s'il le voulait. Comment peut-il faire et quels sont les moyens pour que le corps de l'État se conserve, si la tête en est faible? Ce serait un chapitre excellent pour le bon roi de Fiance. Il se peut que je me trompe, mais je le crois rempli du désir et du zèle à faire le bien; mais n'ayant pas de génie et de connaissances, il ne sait comment s'y prendre.
Je vous rends très-humblement grâce, mon très-cher frère, pour les bulletins; mais je me réjouis que les Autrichiens qui vous regardent vous trouvent encore tel, qu'on peut espérer de vous conserver longtemps. C'est l'idée la plus flatteuse pour moi, et l'objet de mes vœux et de mon espérance. Si vous daignez seulement, mon très-cher frère, ne vous point négliger lorsque vous ressentez quelques incommodités, je puis alors me flatter que votre conservation sera égale à mon espérance et à mes souhaits, lesquels partent du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
283. AU PRINCE HENRI.
Le 13 septembre 1777.
Mon très-cher frère,
Votre approbation m'est plus précieuse que celle de la multitude, parce que, mon cher frère, vous êtes un bon juge, et le peuple ne l'est pas. L'article que vous désirez, que je devais ajouter à ma petite brochure, j'en ai commis le soin à Prométhée; il est le seul qui puisse le fournir. Mes facultés ne s'étendent pas aussi loin.
Voici encore un bulletin; mais toutes ces nouvelles sont bien stériles, et le bulletier exalte sans cesse son imagination dans l'avenir, faute d'avoir pour le présent de grandes choses à annoncer.
J'ai voulu me rendre hier à Berlin. J'en ai été empêché par un maudit abcès qui s'est venu placer non loin de l'os pubis, et qui me cause de cruelles douleurs. La seule situation qui me sou<399>lage est d'être couché sur le ventre. Le chirurgien me promet que cela s'ouvrira bientôt, et qu'alors je pourrai me remettre en action. Je ne vous entretiendrais pas de ces misères, si je ne savais, mon cher frère, combien les fainéants se complaisent à fabriquer de fausses nouvelles. Ma situation, que je ne puis soutenir longtemps à cause des douleurs, m'oblige de finir, en vous assurant de la tendresse parfaite avec laquelle je suis, etc.
284. AU MÊME.
Le 6 octobre 1777.
.... J'ai lu avec beaucoup d'attention ce que vous avez eu la bonté de m'écrire louchant l'Empereur. Je conviens avec vous, mon cher frère, qu'il est bien difficile d'avoir un jugement fixe du caractère de ce jeune prince, tant qu'il est sous la tutelle de Kaunitz et de sa mère. Je veux croire que si l'électeur de Bavière décédait pendant ma vie, peut-être l'Empereur voudrait s'arranger avec moi; mais pensez, je vous prie, que je suis vieux et infirme, et qu'il ne faut plus compter du tout sur mon existence. ... Si donc, mon très-cher frère, vous avez la bonté d'ajouter ces considérations à celle que je vous ai communiquée ci-devant, vous conviendrez que je ne saurais assez prendre de mesures pour l'avenir, quoique je sache très-bien qu'aucun homme ne peut prévoir ce qui se fera quinze jours après son trépas. Je crois cependant que mon devoir demande de ne rien négliger des précautions que la prudence me prescrit de prendre, car tout ce que j'aurais omis, dans la situation où sont les affaires, tomberait à ma charge.
<400>285. AU MÊME.
Le 12 octobre 1777.
Mon très-cher frère,
Le voyage d'ici à Berlin, mon cher frère, n'est pas celui de l'amiral Anson autour du globe; il y a encore moyen d'y arriver, principalement en voyageant en carrosse. J'ai vu beaucoup de choses, à Berlin, qui m'ont fait plaisir : ma sœur Amélie qui se portait mieux; le bon ordre des troupes; le congé que j'ai pris de notre apothicaire éternel;456-a le départ du revenant de Pons;456-b l'embellissement de la ville, et tout ce qui est maisons publiques achevé; les grands progrès de notre commerce de draps; la nécessité où nous sommes, ayant consumé toute la laine de nos produits, d'avoir recours à l'étranger. Voilà, mon cher frère, des articles dont l'amélioration me cause une véritable satisfaction. Je doute cependant que, malgré tout cela, un corps usé comme le mien ose lutter pour la durée avec le corps de l'Impératrice-Reine. Les femmes ont la vie si dure, mon cher frère! Elles remettent de l'huile dans leur lampe, et nous, nous épuisons le peu d'huile que nous avons. Dame Thérèse m'enterrera, moi et l'électeur de Bavière.
286. AU MÊME.
(Potsdam) 3 novembre 1777.
Mon très-cher frère,
Je puis à présent, mon cher frère, vous donner des nouvelles plus intéressantes que par le passé. Nous avons eu ici la comtesse Sacken, la comtesse Schwerin et madame de Heinitz. Je <401>me suis trouvé dans cette compagnie élégante, et, ne pouvant pas voyager,456-c j'en ai profité, comme on dit, pour me former le cœur et l'esprit. Ce sont des personnes qui feront très-bien à Berlin, sociables, aimables, et dont l'éducation tient à quelque chose de cette ancienne éducation de nos dames de Berlin. Je leur donnerai mercredi un intermezzo où dansera la fille de la Marianne, le fils d'un figurant, et une nouvelle danseuse italienne. Vous voyez, mon cher frère, que je remonte sur le tréteau de la représentation; mais j'y serai pour peu de chose.
Mes lettres de Paris contiennent à peu près les mêmes matières que celles dont je vous ai communiqué la substance : même timidité dans le ministère, même faiblesse dans le souverain; de sorte qu'il faudra une émotion violente pour tirer ces gens de la paralysie politique qui les affaisse.
Deux postes me manquent de la Russie, ce qui m'empêche de vous en rien dire.
L'on me parle de deux batailles qui se sont données en Amérique; la cour en est informée à Londres, et elle en supprime les nouvelles. De Paris, l'on annonce positivement que le général Burgoyne a été battu;457-a cependant nous n'aurons de tous ces événements des notions bien claires qu'à la fin de celte année. Toutefois résulte-t-il de ce qu'on apprend que les Anglais seront obligés de se préparer à la campagne prochaine, s'ils veulent entièrement subjuguer les Américains. Pour nous, mon cher frère, nous ne subjuguons, ni ne sommes subjugués. Il me semble que nous sommes dans le cas de ces comédiens allemands qui, pendant leurs féries, vont voir jouer les acteurs français, pour se mouler sur leur modèle. Nous observons les Washington, les Howe, les Burgoyne et les Carleton, pour apprendre d'eux ce grand art de la guerre dont on ne trouve jamais le bout, pour rire de leurs sottises, et pour approuver ce qu ils peuvent faire conformément aux règles. Sa Majesté Britannique et son conseil occupent les premières loges, nous sommes au paradis, et nos sifflets même ne sont pas comptés. Le lord Bute,458-a qui est l'au<402>teur de la pièce, pour rendre la scène touchante, devrait être pendu au dernier acte; trois sont déjà passés; ainsi, à la fin de l'année 1779, ce grand homme pourra servir d'ornement à une potence anglaise. Mais, mon cher frère, je n'y pense pas; il vous est indifférent que Bute soit pendu ou non, et je ne sais de quoi je m'avise de vous entretenir de ces balivernes. Mais les postes ont apporté peu de nouvelles; j'ai épuisé ce que nous fournissent les dames et les spectacles, et le hasard m'a fait tomber sur le sujet des goddams. Je ne finirai cependant pas cette longue missive sans vous assurer de la haute estime et de la tendresse avec laquelle je suis, etc.
287. AU MÊME.
Potsdam, 4 février 1778.
Mon très-cher frère,
Je suis très-sensible, mon très-cher frère, à l'intérêt que vous prenez à ma santé. J'espère de recouvrer en quelques jours l'usage libre de la main. Mais ce sont de grandes bagatelles, en comparaison des grandes affaires de l'Europe.458-b Selon les dernières lettres que j'ai reçues de France, l'on voit la confirmation de la faiblesse du gouvernement, et le peu de parti qu'on en peut tirer; et je prévois à peu près que tout ce qu'on en pourra attendre se réduira à une neutralité. En revanche, les lettres de Russie me sont d'autant plus favorables. Sur la simple nouvelle de la mort de l'électeur de Bavière, la cour de Russie, sentant l'importance de la cour de Vienne contre les lois et libertés germaniques, s'est offerte d'elle-même de me donner tous les secours, qui ne seraient que plus considérables en cas que la paix avec les Turcs puisse continuer. Mes lettres de Constantinople me font espérer aussi que, pour cette fois-ci, les Turcs ne rompront pas la paix avec la Russie. Ainsi, mon très-cher frère, <403>vous verrez que, sitôt que nous serons sûrs de la continuation de cette paix, nos affaires ne seront pas dans une aussi mauvaise situation, et que, d'autre part, la cour de Vienne pourra se repentir de la conduite injuste, tyrannique et précipitée à laquelle elle s'est abandonnée avec l'électeur de Bavière. Je suis, etc.
288. AU MÊME.
Le 6 février 1778.
Mon très-cher frère,
Le premier usage que je fais de ma main convalescente est de vous remercier de la lettre de l'impératrice de Russie que vous avez la bonté de me communiquer. Toutes les apparences annoncent à présent que les troubles avec les Turcs paraissent se pacifier. Jamais conduite n'a été moins mesurée que celle de la cour de Vienne. Il n'y a qu'un cri dans l'Empire contre elle. Tout paraît annoncer que l'Électeur palatin chantera la palinodie, et se retournera vers nous. Pour ce qui regarde la France, vu sa mollesse, sa lâcheté et la reine autrichienne qui s'y trouve, tout ce que nous pouvons obtenir d'elle sera un traité de neutralité, dont il faudra se contenter, faute de mieux. Dans peu de jours mon courrier reviendra de Paris, et vous serez informé, mon cher frère, du contenu de la réponse. La Saxe s'est jetée entièrement en nos mains; j'ai demandé à l'Électeur de s'adresser également à l'impératrice de Russie, et de lui demander sa protection; il m'enverra cette lettre, que j'accompagnerai d'une de ma part, et où je ferai valoir à l'Impératrice l'étendue de ses influences, de sa puissance et de sa gloire. Le prince Gagarin est arrivé; je le verrai après-demain, et je ferai partir au plus vite Cocceji,460-a avec toute une charge de dépêches, pour Pétersbourg. Jamais, mon cher frère, l'on n'a tant barbouillé de papier dans ma maison qu'à présent; ce sont courriers sur courriers qui ar<404>rivent de tous côtés, et des préparatifs à faire d'avance pour que l'ouvrage ne devienne pas trop lourd vers la fin. Pardon; ma main ne veut plus m'obéir. Je suis, etc.
289. AU MÊME.
Le 9 février 1778.
C'est en vous remerciant, mon cher frère, de la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire que je puis vous apprendre bien des nouveautés. J'ai le traité que la cour de Vienne a fait avec l'Électeur palatin, où rien n'est fixé ni conclu, d'où il paraît que le prince Kaunitz se ménage une porte de derrière, en cas que les conjonctures ne lui conviennent pas. Mes lettres de France, quoique mon courrier ne soit pas encore de retour, me confirment dans l'opinion que j'avais de ce ministère et de la crainte qu'il a de la jeune reine; tout ce qu'on pourra obtenir de lui sera une neutralité, à quoi il se portera peut-être volontiers, persuadé qu'il aura la guerre avec l'Angleterre. Le prince de Mecklenbourg s'est également adressé à moi pour des droits qu'il a sur la principauté de Leuchtenberg. De plus, on a toute espérance de faire revirer l'Électeur palatin, ou du moins de faire crier le prince de Deux-Ponts. Mais ce qui m'embarrasse beaucoup, c'est que le prince Gagarin étant arrivé, voilà M. Cocceji qui, par je ne sais quel travers, s'avise de faire le malade, et ne veut point aller à Pétersbourg. Vous voyez, mon cher frère, combien cela me vient mal à propos dans un moment où je suis surchargé de soins et d'une multitude d'affaires. Pour me tirer d'affaire tant bien que mal, j'ai jeté la vue sur Podewils qui a été dans les gendarmes, et qui est un bon garçon. Si je devais mourir, je ne saurais quelqu'un sous ma main dans ce moment pour l'envoyer là-bas. Je l'endoctrinerai de mon mieux, et je vous l'enverrai, mon cher frère, vous priant de lui faire sa leçon, en quoi vous réussirez mieux que moi. Gagarin ma apporté des <405>lettres de chancellerie de l'Impératrice, mais aucune de main propre, quoique autrefois elle eût coutume de m'écrire elle-même. Moi qui n'entends rien aux cérémonies, je ne sais s'il faut y chercher finesse ou non. Jamais tant de testaments, de conventions, de traités, de constitutions de l'Empire ne m'ont passé par les mains comme maintenant. Je crains de devenir un petit Cujas, un Pufendorf, un animal empesé de la rouille de Ratisbonne. Mais il faut être, dans ce monde, caméléon et réfléchir les couleurs des conjonctures. Du reste, je suis dans la plus grande tranquillité pour l'avenir, résolu de faire mon devoir, soit comme scribe, soit comme militaire, et abandonnant l'avenir aux vagues destinées. Je vous embrasse, etc.
290. AU MÊME.
Le 16 février 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu votre lettre, mon très-cher frère, avec bien du plaisir, et je puis vous annoncer que mes lettres de France sont presque aussi bonnes que celles de Russie. Ils semblent déjà se déterminer à des déclarations soutenues d'armes; ils n'attendent qu'une déclaration de la cour de Vienne pour prendre un parti plus décidé. Nous aurons donc la France et la Russie. Il ne s'agit point, mon cher frère, dans l'affaire présente, d'acquisitions ou d'agrandissement, mais de réprimer une bonne fois l'ambition autrichienne, pour que son autorité ne devienne pas despotique dans l'Empire, ce qui serait à notre plus grand détriment. Ainsi, quelques propositions d'acquisitions qu'ils me fassent, je les rejetterai toutes également, très-résolu de ne remettre l'épée au fourreau que lorsqu'ils auront restitué toutes leurs usurpations. Pour la Saxe, elle ne doit pas vous causer d'embarras; appuyés comme nous le serons par la France et par la Russie, ces gens se joindront sûrement à nous pour coopérer à leurs propres intérêts. <406>Je ne puis avoir de réponse de Vienne que mercredi; je vous la communiquerai. Je suis, etc.
291. AU MÊME.
Le 24 février 1778.
Mon très-cher frère,
Je viens, mon très-cher frère, de recevoir la réponse à mon mémoire adressé à la cour de Vienne. Cette réponse est si mal raisonnée, qu'un écolier en droit pourrait la réfuter. On y travaille actuellement, et quoique je réserve encore mes meilleurs arguments pour la fin de la négociation, la cour de Vienne ne sera pas moins réduite ad absurdum. Je crois bien que l'impératrice de Vienne veut la paix; elle aurait des conquêtes qui ne lui auraient rien coûté; mais il n'en sera pas ainsi. La France se déclare absolument pour nous, et elle agira vigoureusement. Je n'entretiens cette négociation que pour terminer mon traité avec la France et gagner le printemps. Les Autrichiens ne se doutent de rien; ils ne savent pas que la France et nous sommes d'accord. Voilà, de plus, le roi de Sardaigne qui s'offre à faire une diversion dans le Milanais. Vous voyez les Autrichiens entamés de tous les côtés, et vous comprenez bien que, après avoir signé avec la France et la Sardaigne, toutes les offres de la cour de Vienne viendront après coup. Je vous expose cette affaire telle qu'est sa situation actuelle, et vous jugerez, mon cher frère, comme moi, que notre situation n'est pas mauvaise. Voici un bulletin où vous verrez tout ce que le public de Paris juge des affaires. Je suis, etc.
<407>292. AU MÊME.
Le 3 mars 1778.
Mon très-cher frère,
Je ne puis, mon cher frère, jusqu'ici vous rien écrire encore qui puisse vous éclaircir sur l'obscurité de l'avenir. Les Français ne donneront une réponse précise qu'au retour de leur courrier de Vienne, et vous voyez quel circuit ces nouvelles font avant qu'elles nous parviennent. Je suis entièrement de votre opinion sur la conduite de la cour de Vienne; je n'y vois que de la hauteur, de l'arrogance, de la violence, mais point d'adresse ni de bonne politique. Messieurs les Saxons me donnent aussi de l'occupation. Ces princes de l'Empire sont tous éreintés, sans énergie et sans honneur; ce prince de Deux-Ponts a été poussé à ce qu'il a fait; mais, abandonné à lui-même, il se serait livré à l'infamie comme son oncle l'Électeur palatin. Cela fait la honte de notre siècle, et j'en rougis pour l'Allemagne. On ne sait encore rien à Pétersbourg du dessein des Turcs d'en venir à une rupture. Je vous avoue que mon étonnement est extrême de la léthargie de cette puissance, et de la nonchalance dont elle traite les affaires qui tiennent à sa conservation. Voici un bulletin de France; il ne contient pas des choses évidemment vraies, mais ce sont les discours du tiers état, où l'on démêle parmi bien des fausses nouvelles quelques étincelles de vérité. Voici encore des nouvelles de Bavière et quelques nouvelles de la Silésie. Tout cela, mon cher frère, ne fournit jusqu'à présent que de faibles inductions. Ce ne sera que vers la fin de ce mois qu'on pourra juger quel tour prendra cette maudite affaire. Je suis, etc.
<408>293. AU MÊME.
Ce 5 (mars 1778).
Mon très-cher frère,
Ne pensez pas, mon cher frère, que je me croie au bout de mes travaux. J'aperçois clairement toutes les difficultés qui s'opposent en mon chemin, et d'autres hasards auxquels les conjonctures critiques où nous nous trouvons peuvent donner lieu. C'est pourquoi je suis obligé d'aller si lentement, pour ne pas poser le pied avant d'avoir sondé si le terrain où je le mets est solide. Je sais et connais quelles pauvres espèces sont ces pauvres princes de l'Empire; aussi n'est-ce pas mon intention de devenir leur Don Quichotte. Mais, mon cher frère, laisser usurper à l'Autriche une autorité despotique en Allemagne, c'est lui fournir des forces contre nous-mêmes, et la rendre beaucoup plus formidable qu'elle ne l'est déjà; et c'est ce qu'aucun homme qui se trouve dans le poste que j'occupe ne doit tolérer. La balance des forces respectives est la seconde raison qui m'oblige à m'ingérer dans celte affaire, pour ne pas conniver à ce que l'Autriche nous devienne si supérieure, que, avec le temps, on ne puisse plus lui résister; et vous comprenez que ce sont des raisons si fortes et si importantes, qu'il faut se ranger de cet avis. Je n'ai point, à la vérité, reçu ma réponse définitive de la France; mais je m'aperçois que Goltz gagne du terrain dans sa négociation, parce que tous les ministres de France ont reçu ordre de déclarer aux cours où ils résident que la France n'était point d'accord avec l'Empereur sur ses procédés avec l'Électeur palatin, et qu'elle n'approuvait point sa conduite. Voilà un pas en avant, mais ce n'est pas tout. Or, à présent, il faut attendre le parti que ces gens prendront. Je ne crois pas qu'ils pourront s'en tenir à une stricte neutralité, vu que le prince de Deux-Ponts a réclamé leur assistance; il leur reste donc ou de subjuguer la cour de Vienne par leurs négociations (ce qu'on ne me persuadera pas), ou, en cas de rénitence, de se déclarer contre eux. Il m'est impossible actuellement, mon cher frère, de deviner ce qui en sera, mais j'en dois être instruit dans quelques jours. J'ai épuisé tous les argu<409>ments qui peuvent les déterminer, soit gloire, soit foi donnée, soit intérêt, soit facilité des opérations; je vous défie qu'on en dise davantage. Mais je suis dans le cas d'un médecin qui traite un homme grièvement malade; il lui donne de bonnes drogues, et il est pourtant contraint d'attendre avec une espèce d'incertitude l'effet qu'elles opéreront. Il ne s'agit pas de bagatelles; il faut rendre l'énergie à un gouvernement paralytique, aiguillonner d'ambition des âmes impalpables, et, dans le corps d'un vieillard octogénaire,466-a réchauffer ce feu élémentaire que Prométhée déroba des cieux. Voilà, mon cher frère, de quoi s'occupe un autre vieillard presque septuagénaire, qui aurait lui-même besoin de feu pour ranimer son corps délabré et son esprit presque éteint. Je n'ai que quelques nouvelles de Silésie que je puisse vous communiquer à présent; mais ce n'est rien de bien authentique. Je suis, etc.
294. AU MÊME.
Ce 11 (mars 1778).
Mon très-cher frère,
Point de lettres de Paris. Voici des bulletins, cependant, sur la foi desquels on ne peut aucunement compter. Vous verrez par mes autres nouvelles, mon cher frère, la continuation des préparatifs des Autrichiens; mais ce qui vous surprendra plus que le reste, c'est que l'Électeur palatin est sur le point de laisser pour des subsides ses troupes aux Autrichiens. Cobenzl prépare son départ; mais je ne dois pas vous laisser ignorer qu'il est instruit de bien des choses que vous dites, car il s'est lâché envers un de mes espions, et lui a dit : « Le prince Henri croit toujours qu'il n'y aura point de guerre; mais il s'apercevra bientôt avec quelle puissance il aura affaire. » Vous voudrez bien prendre toutes les précautions pour que les gens qui vous environnent n'aillent <410>pas trompeter dans la ville, pour se donner des airs, ce qu'ils savent et souvent ce qu'ils ne savent pas. Pour moi, je prévois la guerre comme une chose immanquable; l'Empereur la veut décidément, et les armées commencent à s'assembler. J'attends encore sur une nouvelle, et alors je donnerai les derniers ordres pour les chevaux et pour ce qui s'ensuit, car je ne veux pas être pris au dépourvu. Je suis, etc.
295. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 12 mars 1778.
.... Les propos qu'on prête au sieur Cobenzl me paraissent fort douteux : d'abord je sais par son beau-frère, qui, avant son départ, me l'a assuré, que ce ministre était convaincu que vous feriez la guerre à l'Autriche; secondement on me prêterait une opinion qui est précisément contraire à celle que j'ai. Depuis le mois de janvier, j'ai été convaincu que vous feriez la guerre; mais j'ai simplement cru que des propositions de l'Autriche pourraient amener une pacification. Quant à mon opinion, je ne vous l'ai pas cachée, mon très-cher frère, en vous disant qu'une guerre entreprise avec le secours de plusieurs alliés pouvait produire l'effet désirable que l'Autriche renoncerait à la Bavière, tandis qu'une guerre à force égale ne produirait rien. Si quelque chose peut autoriser l'idée que je ne crois pas à la guerre, c'est que je n'ai point fait travailler à mes équipages, chose que je n'ai pas cru devoir faire à moins d'un ordre de votre part. Je vous ai demandé à deux reprises votre intention à ce sujet, et comme vous n'avez pas jugé à propos de me répondre, je suis resté tranquille. Toutes mes espérances, mes vœux se réunissent pour que vous sortiez, mon très-cher frère, heureusement de ce labyrinthe. Si je n'espérais dans la France, j'appréhenderais beaucoup, non pas précisément des malheurs pour l'État, mais j'envisage une guerre comme très-malheureuse, dont vous sortiriez sans les <411>moindres avantages, et après laquelle l'Autriche resterait en possession de la Bavière.
296. AU PRINCE HENRI.
Ce 18 (mars 1778).
Mon cher frère,
Sur les lettres que j'ai reçues de Vienne, j'ai été obligé de donner l'ordre pour acheter les chevaux et pour mettre toute l'armée dans un état mobile. Mon mémoire a été donné au prince Kaunitz, et, selon sa coutume, il a dit qu'il en ferait son rapport. Mais l'Empereur part pour Prague; tous les arrangements se poussent avec vigueur pour soutenir la guerre; le duc de Toscane doit venir à Vienne, comme héritier présomptif en cas de la mort de son frère. Les Saxons, qui se trouvent dans la crainte, me sollicitent de les assister, et je risquerais d'une manière coupable envers ma patrie de différer plus longtemps de me mettre en défense. On commet, mon cher frère, deux sortes de fautes : les unes par trop de précipitation, les autres par trop de nonchalance. Je serais dans ce dernier cas, si, dans ce moment-ci, je ne prenais pas les mesures les plus sérieuses pour n'être pas pris au dépourvu; car voilà de quoi il s'agit. Vous voyez un peu noir dans nos affaires; j'avoue que nous n'avons pas toutes les assistances que nous pourrions désirer; mais nous ne nous manquerons pas à nous-mêmes, si le besoin le demande.
Ayez la bonté de venir ici, pour que nous puissions préparer bien des choses d'avance, dont il est à présent temps de régler les détails. Je suis, etc.
<412>297. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 29 mars 1778.
Mon très-cher frère,
Je vous félicite, mon très-cher frère, d'avoir achevé toute la besogne avec la Saxe, et je vois avec un grand contentement que vous avez sujet d'être satisfait de la conduite de l'Électeur. Les conditions qu'il ajoute ne sont d'aucune importance, et très-équitables; l'échange des déserteurs sera très-utile pour votre armée. Quant au payement qu'ils exigent pour les fourrages dont votre armée pourrait avoir besoin, vous aurez la grâce, mon très-cher frère, de donner vos ordres à cet égard au commissariat de la guerre; cette dépense peut devenir très-nécessaire dans le moment de notre entrée en Saxe, et avant que nous approchions de l'Elbe. Comme tout au plus on n'aura besoin d'être fourni que pendant huit jours, c'est pourquoi cette dépense peut être supputée très-aisément. Sur l'ordre de bataille que vous avez daigné me donner il ne se trouve aucun bataillon de compagnies franches. Je sais qu'on en lève, mais j'ignore quels sont ceux que vous destinez pour l'armée en Saxe. Si je pouvais le savoir, je me mettrais avec eux en correspondance pour les hâter et même les aider quand je le pourrais. 11 n'y a point d'auditeur général de l'armée nommé encore, et je vous supplie de donner vos ordres, mon très-cher frère, à ce sujet. Il manque aussi un grand prévôt de l'armée, dont on a grand besoin pour la sûreté du camp, et encore des officiers comme nous en avons eu pour conduire les équipages. Je suis fâché, mon cher frère, de vous incommoder par tous ces détails; mais comme le temps presse d'y songer, je n'ai pas cru devoir différer de vous en écrire. Au reste, j'approuve très-fort tous les arrangements que vous prenez, mon très-cher frère; mais je voudrais gagner cent bouteilles de vin de Hongrie, et si les Autrichiens ne marchent pas le 17 du mois prochain pour prendre Dresde, j'espère les avoir gagnées.470-a Cette <413>réponse de Vienne ne tardera pas d'arriver; elle doit faire connaître clairement leurs intentions, et il est à supposer qu'elle viendra incessamment. Quant aux Français, j'espère, mon cher frère, que la grande connaissance que vous avez de vos propres intérêts vous portera à ménager cette puissance, laquelle, par sa neutralité même, a une si grande influence, qu'il serait fâcheux et très-dangereux même si on les poussait à prendre un parti contraire, à quoi tout engagement avec les Hanovriens les pourrait porter. Je ne sais si les ducs de Gotha et de Weimar, qui ont quelques troupes, ne pourraient peut-être vous en donner; je crois pour sûr que vous y trouveriez au moins deux ou trois bataillons. Quant aux Russes, tout dépend de la paix qu'ils doivent conclure; en attendant, il s'agit de voir si la dépêche de Riedesel que vous avez envoyée par courrier ne les portera pas à vous envoyer un secours prompt, quoique moins considérable que celui qu'on donnera, si la paix se conclut. Je ne puis plus rien dire sur la situation générale de vos affaires; quoique pas encore absolument parvenu au point où tout raisonnement cesse, je vois cependant que dans peu, tout ce qu'un État a de précieux sera abandonné à la fortune, les biens, la vie, la réputation, la gloire, la sûreté de la société. Je ne nierai pas que j'aie formé des vœux pour que ni vous, mon très-cher frère, et votre État fussiez encore exposés à une situation extrême; mais comme la chose parait au point que rien ne la pourra changer, je souhaite votre conservation, votre prospérité, avec le désir de vous être utile autant que mes faibles talents me seconderont dans l'ardeur de vous servir. Je suis, etc.
<414>298. AU PRINCE HENRI.
Ce 30 (mars 1778).
Mon cher frère,
Vous aurez l'auditeur, le prévôt, le bourreau et tout ce qu'il faut pour la haute justice; et s'il y a encore quelques bagatelles, on pourra les arranger promptement. Je donne ici les listes des marches des troupes à Pfau,471-a pour qu'on sache chaque jour où elles sont, en cas que vous ayez à leur donner des ordres en marche. Quant aux affaires étrangères, je commence à croire, mon cher frère, que nous aurons la France. Les Autrichiens ont menacé l'Électeur palatin que s'il ne leur donnait pas ses troupes, on traiterait en ennemi ses possessions du Rhin. Vous voyez par là qu'ils en veulent à Wésel. Il y a encore quelques bagatelles à régler avec l'électeur de Saxe, et tout sera fini. J'avoue, mon cher frère, que je m'étonne des sombres réflexions que vous faites dans un temps où je ne vois pas ce que nous avons à craindre. L'homme est fait pour agir;472-a et comment agirons-nous jamais plus utilement qu'en brisant le joug tyrannique que les Autrichiens veulent imposer à l'Allemagne? Dans des occasions comme celle-ci, il faut s'oublier soi-même et ne penser qu'au bien de la patrie, et ne se point flatter de choses qui ne sont plus possibles, comme de la paix. Je suis, etc.
<415>299. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 31 mars 1778.
Mon très-cher frère,
J'attends d'être instruit des arrangements que vous faites, mon très-cher frère, par le major Pfau, comme vous daignez me le dire. En attendant, je suis sur le qui-vive. Mon régiment a ordre pour marcher. On dit ici que la garnison de Berlin doit camper le 10 près de Wusterhausen. Comme j'ignore si cela est ainsi, j'attends tranquillement d'en être informé. Il sera très-nécessaire cependant que, vers le temps qu'on doit entrer en Saxe, on fasse avec les Saxons des arrangements pour la nourriture des chevaux .... Vous trouvez, mon très-cher frère, que je fais des réflexions sombres. Elles seraient telles en effet, si je ne me représentais que des malheurs, de quoi je suis très-éloigné; elles seraient légères, si je ne prévoyais que du bonheur, de la fortune, et tout plein de ces illusions que l'imagination enfante. Je crois qu'il y a un chemin de milieu qui est le véritable, et que je souhaiterais de pouvoir saisir; c'est celui qui conduit par les meilleures voies au but qu'on se propose d'atteindre. Il est le plus difficile à trouver; ce n'est qu'à force de soins et de réflexions qu'on le rencontre. Je suis, etc.
300. AU PRINCE HENRI.
(Potsdam) 1er avril 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai déjà fait écrire pour Marwitz473-a comme vous le désirez, mon cher frère. J'ai notifié à Magdebourg, en Prusse et en Westphalie que ces régiments formeront votre armée, et j'envoie Pfau à Ber<416>lin, avec la liste où ils se trouveront chaque jour, pour recevoir vos ordres. Je ne sais quels contes on fait à Berlin; je voudrais qu'on berçât les Autrichiens de pareilles billevesées. Mais il sera bientôt temps que les magasins de fourrage et la farine partent de Magdebourg pour Torgau, où, quand même ils s'y trouveraient quelques jours trop tôt, ils n'auraient rien à risquer. Mes nouvelles de Vienne me préparent à une prompte rupture. Cobenzl a reçu un courrier; je crois que c'est pour se préparer à son départ. Nous travaillons à présent à une association des cercles en forme de ligue, et j'espère d'en assembler beaucoup. Les régiments de Wésel n'ont pas encore ordre de marcher, parce que j'attends si les Hollandais voudront y mettre garnison, ou qui nous y pourrons mettre ad interim. Les lettres de Russie sont admirables; j'envoie aujourd'hui par courrier à l'Impératrice la lettre du prince de Deux-Ponts. Point encore de courrier de France. Je viendrai dans peu à Berlin;474-a il faut que je sois le 8 à Breslau, pour avoir soin de mes propres affaires. Ainsi, mon cher frère, vous veillerez d'ici aux affaires de la Saxe; mais je vous conjure d'agir plutôt trop tôt que trop tard, car je vous jure qu'il ne s'agit pas de badiner avec messieurs les Autrichiens. Je suis, etc.
301. AU MÊME.
(2 avril 1778.)
Mon cher frère,
J'ai pris ce Schmettau474-b avec moi; Stutterheim, de Magdebourg,474-c se dit invalide, et demande le congé. Kalckstein, de <417>votre régiment, a reçu son régiment; voilà un petit changement dans votre régiment. Mes lettres de Silésie m'obligent de hâter mon départ pour rassembler les troupes vers Frankenstein le 10 du mois. Je gagnerai ma gageure malheureusement. Si les Autrichiens nous déclarent la guerre, comme je le crois, il faudra que vous mettiez tout en marche le 10, pour gagner les frontières de la Bohême et couvrir Dresde. Je serai dimanche après-midi à Berlin, et je pars de là le lendemain pour Breslau. Je suis, etc.
302. AU MÊME.
Le 3 avril (1778).
Mon très-cher frère,
Je vous renvoie Pfau avec tous les éclaircissements que vous m'avez demandés. Je fais maintenant marcher quatre bataillons de Wésel pour votre armée; et s'il n'y a rien à craindre pour ce pays, le reste pourra suivre, et les deux nouveaux bataillons de Courbière et de Salenmon475-a y rester en garnison. Je sais que Cobenzl s'attend dans peu à un courrier qui doit lui apporter son rappel. Alvensleben475-b vous adressera ses dépêches de Dresde, pour que vous sachiez, mon cher frère, tout ce qu'on peut apprendre des Autrichiens. Je serai dimanche après-midi à Berlin; j'ai à parler au grand directoire475-c et à messieurs de la justice, et si vous voulez, mon cher frère, me faire le plaisir de venir ensuite, nous prendrons congé; car je continue ma route pour Breslau, où je serai le 7, et le 9 j'aurai toutes les troupes ras<418>semblées en cantonnements près de Frankenstein, pour veiller sur l'ennemi. Je m'attends au 10 à la déclaration de la guerre. Je vous enverrai un courrier, et vous pourrez vous mettre le 15 en marche pour la Saxe. Si la déclaration de la guerre ne se fait pas, je traînerai les choses jusque vers la fin de mai, que nous entrerons en action. Voici un bulletin de France qui ne dit pas grand' chose. Je suis, etc.
303. DU PRINCE HENRI.
Berlin, 3 avril 1778.
Mon très-cher frère,
Je marcherai le jour et la minute que vous le désirerez, pourvu que j'aie des troupes; mais je crois qu'il sera impossible d'en rassembler avant le 16. Cependant je vous parlerai du projet que j'ai, lorsque j'aurai l'honneur de vous voir. Si j'avais seulement deux escadrons de hussards; mais Belling est en arrière, et c'est encore un inconvénient. Il manque encore deux généraux à l'armée en Saxe, en place de Stutterheim et de Steinkeller, et même pour le général Saldern, si, comme on assure, il n'est pas en état d'aller; je vous prie de les remplacer, car sans les outils on ne peut manœuvrer. Quant au pari, je crois que vous aimeriez mieux le payer, mon très-cher frère, puisqu'il serait très-nécessaire qu'on eût six semaines et deux mois même de temps pour bien rassembler tout ce qu'il faut, et pour que les armées fussent ensemble telles qu'elles doivent l'être. Je suis, etc.
<419>304. AU PRINCE HENRI.
Frankenstein, 10 (avril 1778).
Mon cher frère,
Je viens de recevoir la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire. Je dois vous avouer d'avance que j'ai perdu ma gageure, et que je vous la payerai : l'Empereur ne partira que le 20 pour son armée, de sorte que, si même il voulait agir d'abord, il ne pourrait gagner les frontières de la Saxe au plus tôt que le 28; mais je sais en même temps qu'il manque encore de bien des choses. Son projet a été de pénétrer par la Lusace; mais s'il l'a à présent, je me mettrais à ses trousses pour lui couper ses magasins, ce qui le mettrait dans l'impuissance de poursuivre sa pointe. Tout mon corps est rassemblé ici, et j'aurai tout ce qui me manque encore d'artillerie et de chevaux pour les munitions de bouche au plus tard le 18. Vous ferez bien de presser la marche des régiments de Prusse, qui sont bien lents selon mes vues. Stutterheim477-a ne sait point s'aider. J'ai écrit encore aujourd'hui à lui et à Domhardt.477-b Les régiments passeront la Vistule le 7 ou le 8, mais le gros canon et le Proviant-Fuhrwesen477-c n'y sont pas encore. Les Autrichiens veulent laisser Nadasdy avec des insurgents pour couvrir la Lodomérie et la Gallicie, signe qu'ils craignent les Russes; leurs régiments de Flandre restent encore, à l'exception de deux escadrons qu'ils ont envoyés dans le Brisgau. Je sais de bonne part qu'ils se méfient des Français. Tout cela me fait croire que vous pourrez en sûreté gagner le mois de <420>mai. S'il se passe ici la moindre chose qui en vaille la peine, je vous l'écrirai d'abord. Pour Marwitz, s'il veut avoir le titre de général-major des vivres, il l'aura. Je vais demain à Glatz pour m'accommoder un camp sur le Hochwald,478-a et je vous réponds que j'y pourrai attendre en toute sûreté la jonction des troupes de la Marche, qui ne peuvent être ici que le 1er mai; celles de Prusse ne viendront que le 7; mais pour moi, je ne m'en embarrasse pas, car j'en ai même à présent suffisamment pour la défensive. Les Autrichiens ne pourront avoir ma réponse que vers le 24 de ce mois; ainsi, quand même ils voudraient déclarer la guerre, cela ne pourrait avoir lieu avant le 1er de mai. Tout ce que j'apprendrai d'intéressant vous sera incessamment communiqué; mais par ma position actuelle je puis toujours faire avorter sûrement le projet sur la Lusace, car il n'est pas possible de fourrager encore de deux mois, et si je coupe par derrière les vivres à cette armée, elle sera obligée de rebrousser chemin plus vite qu'elle n'est venue. Dans ce moment, j'apprends que les Autrichiens forment un magasin à Reichenberg, sur les frontières de la Lusace; mais je crois qu'ils changeront d'avis quand ils apprendront notre assemblée. Je suis, etc.
305. AU MÊME.
Schönwalde, près de Silberberg,
13 avril 1778.
Mon très-cher frère,
A présent, mon cher frère, toutes mes affaires sont ici mises en règle, et j'apprends par toutes mes mouches, et par Vienne même, que les armées autrichiennes ne pourront être toutes rassemblées au plus tôt que le 25 de ce mois; donc nous sommes sûrs jusqu'au 1er de mai. Les fortes représentations de la France ont un peu attiédi la première vivacité de l'Empereur, et il croit <421>à présent que ce n'est point être l'agresseur que d'envahir la Bavière, sur laquelle il n'a aucun droit, mais qu'il n'est question que de commettre les premières hostilités. Ce faux et vicieux raisonnement me donnera, comme je l'espère, le temps d'achever tranquillement mes arrangements, tant ici qu'à Berlin. Mes lettres de Russie sont très-bonnes, et j'espère qu'ils s'accommoderont avec les Turcs. Les Français assemblent deux corps de troupes, l'un auprès de Viset, et l'autre auprès de Strasbourg; les Autrichiens en sentent beaucoup d'inquiétude, et je vois que c'est pour parler avec479-a et montrer les grosses dents à l'Empereur lorsque nous entrerons en action, afin de l'obliger d'autant plus vite à entrer en accommodement. En attendant, nous barbouillons du papier que c'est merveille. Quand l'encre sera épuisée, la poudre aura son tour, et celle-là décidera de tout ceci plus vite que les plumes les mieux acérées.479-b Je suis, etc.
306. AU MÊME.
Schönwalde, 16 avril 1778.
Mon très-cher frère,
Je suis au désespoir des sottes difficultés que les magasiniers vous font; je leur écris aujourd'hui une bonne lettre. Il n'y a rien qui empêche les magasins de remonter l'Elbe vers Dresde, et pourvu, mon cher frère, que vous ayez du fourrage pour un mois, cela est suffisant; c'est pour le mois de mai, après lequel vous pourrez fourrager. Voici à présent l'assiette des choses. Finck vous aura montré la lettre que l'Empereur m'a écrite, et les impertinentes propositions qu'on me fait, ainsi que ma réponse.480-a L'Empereur est aujourd'hui à Troppau .... Voilà, mon cher frère, ce qui peut arriver de plus prématuré; cepen<422>dant la négociation dure toujours, et j'aurai bien encore assez de matière pour la traîner jusqu'au 15 ou 20 de mai. Cependant il faut se préparer à tout, car je ne saurais vous répondre de la vivacité et du feu d'un jeune prince qui brûle d'acquérir de la gloire. Je suis, etc.
307. AU MÊME.
( Schönwalde) ce 17 (avril 1778).
Mon très-cher frère,
Je vous prie de vous souvenir qu'à la dernière guerre, vous et moi nous nous sommes souvent trouvés à la tête de vingt-six mille hommes contre soixante mille ennemis, et que nous nous sommes tirés d'affaire; et à présent que, avec les Saxons, vous en avez quatre-vingt mille, et moi à peu près autant, je ne vois pas ce qui nous doit embarrasser. Si d'ailleurs cette guerre vous répugne, vous n'aviez qu'à me le dire comme mon frère Ferdinand, et vous étiez maître de vous en dispenser; mais dans le fond des choses, je ne vois pas ce qui vous peine tant.481-a Je suis ici avec mon armée, et je n'en bougerai que vous ne soyez en Bohême. Le corps des Autrichiens qui est contre moi ne saurait branler, à moins de risquer que je lui prenne ses magasins et tout. L'Empereur n'oserait hasarder présentement daller en Lusace, à moins de risquer que je lui tombe sur les derrières. Vous n'aurez donc contre vous que quinze régiments d'infanterie, soit à Teplitz, soit du côté de Lowositz; je ne vois rien là qui me fasse trembler, et vous pouvez expédier ces gens-là avant que ces quinze régiments d'infanterie qui sont dans notre voisinage puissent se remuer. Comme je vous l'ai mandé, j'ai fait camper un corps à Pischkowitz, et je compte de faire des reconnaissances <423>jusqu'à Jaromircz, dès que je vous saurai sur les frontières de la Bohême, pour fixer sur moi l'attention de l'ennemi. De plus, un corps se trouve encore du côté d'Éger, de sorte que l'armée de Bohême est partagée en trois parties. Si vous dépostez ce premier corps de Teplitz, l'Empereur sera bien obligé de couvrir Prague et ses magasins; et supposé même qu'il voulût pénétrer avec un petit corps en Lusace, vous pourriez l'en chasser avec un détachement, car il ne saurait abandonner les frontières de la Silésie sans courir risque qu'on ruinât tous ses magasins. Pour ce qui regarde la guerre, elle est, mon cher frère, autant que déclarée; je me tue de vous le dire, il n'y a pas moyen de reculer, à moins de perdre son honneur, et cette réponse que l'on attend encore ne sera certainement pas satisfaisante. Comptez donc, je vous prie, sur la guerre, et mettez de côté toutes ces idées de pacification, qui sont impraticables à présent. Le comte Finck est instruit de tout; il vous donnera, mon cher frère, avant la déclaration formelle de la guerre, le temps qu'il vous faudra pour gagner les devants en Saxe. Voilà, foi d'honneur, tout ce que je puis vous dire, car le 22 ou le 24 nous entrerons en action. Je suis, etc.
308. AU MÊME.
( Schönwalde) ce 25 (avril 1778).
Mon très-cher frère,
Je reviens des frontières de Bohême, où j'ai été pour voir par moi-même de quoi il est question. Je crois, mon cher frère, que nos ennemis se tiendront tranquilles jusqu'à l'éclaircissement de la nouvelle négociation. J'en sais les points, qui ne me paraissent en aucune manière acceptables. Cela n'empêchera pas que je profite de cette occasion pour gagner le mois de juin, qui nous est si nécessaire. J'ai encore donné des ordres aujourd'hui pour ce magasin de Dresde, et j'espère qu'on ne m'importunera plus sur ce point. Voici mes nouvelles de différents endroits. Les <424>Autrichiens ont fait ce qu'ils ont pu pour ébranler la France, sans y réussir. Le roi d'Angleterre, comme électeur de Hanovre, commence à vouloir jouer un rôle en Allemagne; on pourrait l'employer pour opérer une bonne diversion en Bavière; mais nous avons encore du temps pour y penser, et ce ne sera pas, mon cher frère, la dernière lettre que je vous écrirai avant la rupture. Je vous avoue que je suis un peu fatigué; avant-hier j'ai été huit heures à cheval, hier dix, aujourd'hui six; il faut un peu de repos pour un vieillard. Je suis, etc.
309. AU MÊME.
(Schönwalde) 26 avril 1778.
Mon très-cher frère,
Il ne faut pas encore crier victoire avant de savoir précisément quelles seront les propositions que fera la cour de Vienne. Pour moi, mon cher frère, j'entrevois dans cette négociation des difficultés presque insurmontables : le traité fait avec l'Électeur palatin, la prise de possession, l'hommage prêté. Comment revenir de si loin? Croyez-vous que la cour de Vienne voudra céder? Comment satisfaire l'électeur de Saxe? Enfin, mon cher frère, la seule certitude que m'offre l'avenir est de gagner du temps jusqu'au mois de juin. Voilà sur quoi nous pouvons compter, et c'est pourquoi j'ai d'abord écrit à nos messieurs, à Berlin, de quelle façon il faut employer l'argent qui est déjà assigné pour sustenter hommes et chevaux tout le mois de mai, et pour acheter le magasin en Saxe. Personne de ces gens qui sont employés à présent n'a été chargé de cette besogne la dernière guerre, et à présent je les ai si bien mis sur les voies, qu'ils pourront faire le reste sans que je les pousse pour chaque pas qu'ils ont à faire. Mes nouvelles du jour sont que les Autrichiens, craignant une révolte dans la Lodomérie, ont fait rebrousser chemin à des troupes qu'ils en avaient tirées, et qu'en tout ils y renvoient dix mille <425>hommes. C'est autant de gagné pour nous. A présent nous pourrons déchiffrer à notre aise les mesures que les ennemis se proposeront de prendre, et nous serons toujours sûrs d'avoir le temps d'arranger nos affaires avant l'ouverture de la campagne. Voici des bulletins de France et des lettres de Hanovre. Ce que le bulletier dit de Mercy484-a est très-vrai; les Autrichiens ont vu nettement échouer leurs négociations à Versailles; le prince Kaunitz en est piqué au vif. Je suis, etc.
310. AU MÊME.
(Schönwalde) 29 avril 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai été voir hier mes bons alliés de la Marche, qui sont arrivés en bonne santé; demain arrivent mes alliés prussiens, et avec leur secours nous serons en force. Je n'ai rien à vous dire, mon cher frère, de la négociation de paix, qui semble oubliée et languissante; pour moi, qui n'ai pas autant de foi qu'un grain de moutarde,484-b je crois aussi peu à cette négociation qu'au miracle des sept pains.484-b Mais cela sert à gagner du temps, et voilà probablement à quoi cela pourra mener. Vous ferez fort bien, mon cher frère, d'envoyer des troupes à Cottbus; mais il faut calculer avec la chambre de la Nouvelle-Marche quel nombre vous y pourrez placer ....
<426>311. AU MÊME.
( Schönwalde) 6 mai 1778.
Mon très-cher frère,
Je réponds premièrement, mon cher frère, au sujet de la lettre que l'impératrice de Russie vous a écrite. Je vous avoue que je la trouve un peu froide et sèche. Vous pourriez cependant lui répondre que, en conformité de ses idées, on faisait tout pour s'accommoder, sans cependant savoir si l'on pourrait y réussir, et que le système et le maintien des constitutions germaniques était un point de si grande importance, que, au cas que la cour de Vienne ne voulût pas se modérer, il faudrait bien que les armes en décidassent.
J'en viens présentement à votre seconde lettre, qui demande plus de détails de ma part. Je commence par ce qui regarde la paix, et vous saurez sans doute que Cobenzl a commencé de parler;485-a et voici les points sur lesquels doit rouler la négociation : 1o que la cour de Vienne indemnise l'Électeur palatin, pour qu'il puisse contenter l'électeur de Saxe; 2o que la cour de Vienne renonce aux fiefs qu'elle a en Saxe, en faveur de cet électeur; 3o que, pour ôter d'avance les aliments qui pourraient produire une nouvelle guerre, l'on convienne de l'arrangement des successions de Baireuth et d'Ansbach. Voilà, mon cher frère, de quoi il s'agit, et comme je ne lis pas dans le cœur des hommes, je ne saurais vous dire si nous pourrons nous accommoder sur tous ces sujets avec les Autrichiens, car vous voyez de tous côtés des difficultés énormes. D'autre part, l'on croit à Vienne que votre armée n'est qu'un corps qui se doit tenir sur la défensive, et je suis sûr que le projet de l'ennemi est de porter et d'établir le théâtre de la guerre en Saxe. Pour vous faciliter les moyens d'arriver aussi vite que les Autrichiens, c'est de vous faire appeler en Saxe quand le comte Finck et Hertzberg jugeront que la négociation est sur le point de se rompre. Cela peut vous faire gagner quatre jours; de plus, si vous avancez un corps à Cottbus et Peitz, vous gagnez encore du temps par là; mais il reste <427>toujours certain que les Autrichiens sont plus près de Dresde et de Zittau que vous ne l'êtes. Or, mon cher frère, quand Cobenzl sera entré en matière, je vous dirai bientôt ce que j'augure de la paix; si l'on donne satisfaction au Palatin, si l'on entre dans les propositions que je vous ai marquées, il n'y aura sans doute point de guerre, parce que, la cause étant levée, les effets ne peuvent plus avoir lieu; mais je doute que la cour de Vienne pousse sa modération aussi loin, et je crois qu'elle se roidira plus que vous ne pensez, par morgue et par hauteur. Si cela en vient à la guerre, il faut sans doute, mon cher frère, que vous soyez le premier en action. Mais, pour vous favoriser, j'ai dessein de faire, de mon côté, des incursions en Bohême, et de donner de ce côté des jalousies, comme si mon intention était d'y entrer avec toute l'armée. De cette façon, j'attirerai toujours un corps d'ennemis vers Königingrätz, ce qui facilitera vos opérations, et quand je vous saurai au delà de Dresde, alors je marcherai en Moravie, où il faut nécessairement qu'une bonne bataille décide du reste. En attendant, mon cher frère, le comte Finck vous avertira de tout; mais, quoi qu'il arrive, cette négociation ne peut être rompue qu'au mois de juin. Cependant, si les Autrichiens veulent véritablement la paix, et que je voie jour à un accommodement, je vous le manderai moi-même. Je suis, etc.
312. AU MÊME.
Le 7 juin 1778.
Mon très-cher frère,
Moi qui fais toujours des vœux pour votre conservation et pour tout ce qui peut vous être agréable, j'ai été frappé plus qu'un autre des idées sinistres que vous me présentez, et j'espère, mon cher frère, que tout ce que je vous écris sur ce sujet sera peine perdue. Mais si vous deveniez malade, il y a le prince de Bern<428>bourg,487-a auquel conviendrait le commandement de l'armée, en lui adjoignant Möllendorff, avec des instructions que vous lui donneriez comme si elles étaient de moi. Les Saxons ne sont que des auxiliaires, et leurs généraux ne peuvent prétendre au commandement de mon armée, le triple plus forte que la leur, et dont je dirige et paye toutes les opérations. Il se peut que les Saxons se flattent que nos négociations réussissent, et que cela cause leur relâchement; ils seront toutefois bientôt détrompés par la communication que nous leur faisons des propositions peu convenables des Autrichiens. Il est vrai que Cobenzl attend encore un courrier, mais je ne m'attends à rien de bon de la part de la cour de Vienne; elle n'a négocié qu'en intention de gagner du temps pour rassembler toutes ses troupes, amasser ses magasins, et fortifier ses positions. Cobenzl n'a point été instruit de ses véritables desseins; il a été trompé le premier, et à présent encore qu'on négocie, voilà les troupes de Flandre qui marchent pour la Bavière, et des insurgents hongrois qui arrivent en Moravie. Tout cela, certainement, ne dénote aucune envie de faire la paix, mais bien de soutenir à toute outrance les usurpations faites en Bavière. Selon mon calcul, mon cher frère, nous en avons encore pour dix jours de négociations, avant que tout soit rompu. Je suis, etc.
313. AU MÊME.
Le 17 juin 1778.
Mon cher frère,
Je suis bien fâché que vous voyiez tout en noir, et que vous vous représentiez un avenir funeste, quand je ne vois, de mon côté, que de ces sortes d'incertitudes qui précèdent tous les grands événements. Il n'y a point de gloire, mon cher frère, qu'à surmonter de grandes difficultés; dans le monde, on ne tient aucun <429>compte des choses qui ne coûtent aucune peine. Voici une lettre de Vienne ....
314. AU MÊME.
Le 21 juin 1778.
.... Quant à mon projet de campagne, je ne saurais le changer sans tomber dans de grands inconvénients et commettre de lourdes fautes; mais je ne précipiterai rien avant d'apprendre que vous avez déblayé cette troupe qui se trouve en Bohême, sur votre chemin. Je le répète encore, mon cher frère, l'ennemi ne saurait se mettre dans une plus mauvaise position que celle qu'il a choisie; ce ne sont que des détachements, mais point d'armée. Dès qu'une couple de ces corps sera raflée, la bredouille se mettra dans tout le reste. J'aurai de Vienne la réponse de Kaunitz par Riedesel, et je l'enverrai à Berlin; mais vous pouvez compter que celte cour ne se prêtera à aucune des conditions acceptables qu'on lui a proposées, et qu'il faudra que l'épée en décide. Que cette hauteur vienne de l'Empereur ou de Kaunitz, peu importe; ni plus ni moins, il faudra prendre les canons pour les avocats de notre cause;489-a ni ma plume ni ma voix n'ont l'efficace des sabres et de l'artillerie, et vous devez me connaître assez, mon cher frère, pour ne pas me soupçonner de reculer après m'être avancé dans les négociations au point où j'en suis. Tout ira bien; bon courage et confiance en soi-même, et je vous réponds que Joseph, tout César qu'il est, apprendra à mettre de l'eau dans son vin. Voici, mon cher frère, un Dialogue qu'a fait un poëte autrichien; je l'ai eu de la Bohême. Vous pourrez juger par là de la verve des beaux esprits bohémiens. Je suis, etc.
<430>315. AU MÊME.
Ce 27 (juin 1778).
Mon cher frère,
Je viens de recevoir dans ce moment la réponse des Autrichiens, qui, bien loin de stipuler la moindre réversion pour l'électeur de Bavière, et ne s'expliquant qu'en termes vagues sur le sujet de la Saxe qu'ils peuvent expliquer à leur gré, ne veulent rien annoncer de positif dans cette dépêche, comme vous le verrez en la lisant. Je me vois obligé de leur déclarer la guerre. Ma dépêche arrivera le 30 à Berlin. Vous pourrez marcher le 1er, et la déclaration partira deux jours après. A présent je vois par la dépêche de Riedesel que les Autrichiens veulent avoir quarante mille hommes en Bavière, de sorte qu'ils seront obligés de détacher de Bohême et de Moravie vingt-trois mille hommes. Voilà donc pourquoi ils évacuent les frontières de la Silésie. Je crois toutefois que les nouvelles que vous pourrez tirer de Saxe vous donneront le plus de jour dans ceci; car je ne me fie pas assez à ce qu'on écrit de Vienne, et, dans des choses de cette importance, il faut que les événements soient bien constatés pour pouvoir compter dessus. Les deux régiments de hussards se mettront en marche le 2 juillet; ils pourront être à peu près le 8 à Dresde. Je suis, etc.
316. DU PRINCE HENRI.
Ubigau, 7 juillet 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai eu un moment bien heureux en apprenant, mon cher frère, que vous entrez en Bohême avec toute l'armée, et que vous y serez comme aujourd'hui le 7. Si quelque chose peut déconcerter les mesures de l'ennemi, ce sera cette entreprise; car si les <431>Autrichiens ont un gros corps de troupes vers la Lusace, il est possible que j'empêche leurs opérations tant que je suis en Saxe. Mais dès que j'entre en Bohême, il est impossible que je laisse un gros détachement en arrière; car pour entrer en Bohême, il faut nécessairement que je divise l'armée en plusieurs corps, afin de trouver un endroit par où percer. Les deux passages vers Möllendorff, par les mesures qu'ils ont prises, sont impraticables; il faut donc monter plus haut, et je me trouve alors très-éloigné de la Lusace. J'y laisserai cependant un petit corps qui puisse aisément se mettre en mouvement et garantir Berlin, en cas de nécessité; et je passerai demain la rivière pour camper la première ligne près de Dresde, afin de pouvoir marcher en avant, s'il est nécessaire, ou être à portée de faire repasser la rivière à une partie des troupes. Je resterai quelque temps dans cette position, pour voir ce que feront les Autrichiens, pour attendre ma boulangerie, pour arranger le pain; et, d'après les nouvelles que je recevrai, je prendrai les mesures convenables.
L'Électeur, que j'ai vu à Moritzbourg, est très-bien disposé, et je puis assurer que tout le pays paraît être de la meilleure volonté. J'ai des assurances à vous faire, mon très-cher frère, de la part de l'Électeur, de son attachement et de la constance de ses sentiments. J'ai vu le prince Charles, appelé duc de Courlande, à Elsterwerda, lequel m'a également témoigné combien il est dévoué à votre personne.
Les régiments sont arrivés en très-bon état; il n'y a que trois hommes désertés, qu'on reprendra sans doute. Il n'en est pas ainsi des valets polonais auprès de l'artillerie; leur défection nous causera de l'embarras. J'ai reçu tout à l'heure la nouvelle que les Autrichiens ont occupé Zittau avec trois cents Croates. Cette ville est une langue de terre qui s'avance en Bohême; elle ne peut nous nuire, et j'espère que dans quelque temps d'ici ils n'auront pas un homme en Saxe. Je suis, etc.
<432>317. AU PRINCE HENRI.
Camp de Welsdorf, près de Jaromircz,
10 juillet 1778.
Mon très-cher frère,
Je suis venu avec une grosse avant-garde me planter vis-à-vis de l'Empereur, qui, comme Lacy et le prince Albert, se trouve dans le camp de Jaromircz. Ce camp s'étend de Jaromircz au delà d'Arnau. J'ai examiné tous les endroits où j'avais espéré de pouvoir passer, mais j'en ai reconnu l'impossibilité, dont la principale consiste dans des défilés où jamais nous ne pourrions traîner l'artillerie avec nous. Je sais que tout le corps de l'Empereur, celui d'Ellrichshausen, et le corps du prince Albert, se trouvent vis-à-vis de moi. Des déserteurs, des prisonniers et des paysans font également cette déposition, de sorte que, vu l'impossibilité de rien faire de décisif de ce côté, j'ai résolu d'envoyer le Prince héréditaire, à la tête d'un gros corps, en Moravie, pour y faire une diversion qui oblige l'ennemi de détacher de ce côté-là. En ce cas, je détacherai à mesure de l'ennemi, et j'espère d'y attirer tous ces gens-ci; et comme ils n'auront pas le temps de se fortifier là-bas comme ils l'ont eu ici, j'espère qu'une occasion assez favorable pourra se présenter pour que nous gagnions quelque avantage sur eux. Il n'y a que Loudon contre la Saxe.
NB. L'Électeur palatin se repent de ses sottises, et, selon ce qu'on me mande, protestera contre tout ce qui s'est passé; ni plus ni moins, le droit canon décidera de tout ceci. Je suis, etc.
<433>318. DU PRINCE HENRI.
Camp de Plauen, 13 juillet 1778.
Mon très-cher frère,
Notre boulangerie n'est arrivée qu'hier. Avant le 16, l'armée ne peut être fournie de pain pour neuf jours, et avant ce moment je n'ai rien pu entreprendre. Il n'y a que deux projets que je puisse avoir, l'un de passer en Bohême par le Basberg, route principale, et d'autres routes mauvaises où le canon ne saurait passer. Mais ce projet m'expose à tout plein d'inconvénients : 1o j'entre en Bohême par des corps séparés les uns des autres; 2o j'ai toutes les difficultés pour les vivres; 3o je cours risque que le gros de l'armée se jette en Lusace; j'aurais alors tous les défilés derrière moi, il me serait impossible de pouvoir parer à tous les coups qui pourraient être portés par là. Voici donc à quoi je me détermine. Je prends tous les arrangements comme si j'entrais de ce côté-ci en Bohême; mais je ferai jeter deux ponts sur l'Elbe, près de Pirna. Je marche sur Stolpen et Neustadt. Je détache un corps qui prend Tetschen. J'ai toutes les hauteurs de ce côté de l'Elbe pour moi. Tous les retranchements qu'ils ont faits leur deviennent inutiles; je puis peut-être brûler leurs dépôts à Aussig, Lowositz et Leitmeritz; j'empêche que l'on détache vers votre armée, mon cher frère, et je favorise vos opérations. Je puis traîner mes vivres sur la rivière jusqu'à Königstein; je couvre tout notre pays, et, si le sort me favorise, je puis, en faisant cette marche vers Leipa, et ma droite vers l'Elbe, repousser Loudon, qui est à Niemes, et qui vient tous les jours vers Zittau, où les gens lui ont parlé; je puis le séparer de l'Elbe, et peut-être, avec le temps, m'ouvrir une communication avec vous. S'il est possible que vous détachiez quelque chose à ces gens qui sont vis-à-vis de moi, entre Niemes et Gabel, je vous réponds que je favoriserai tout de mon côté, et que j'espère du succès de mon entreprise, dont personne ne se doute. Je laisse un corps considérable de vingt bataillons de ce côté-ci; et comme j'espère que le camp que l'ennemi a pris près d'Aussig <434>pourra être mis en désordre par les hauteurs que j'espère occuper de l'autre rive de l'Elbe, alors, obligé à la retraite, le corps qui reste au camp de Gamig entre par ce côté-ci en Bohême. Voilà du moins tout ce qu'il me paraît que je puis faire de mieux dans les circonstances où je me trouve. Je suis, etc.
319. AU PRINCE HENRI.
Camp devant Jaromircz, 16 juillet 1778.
Mon très-cher frère,
Un dieu, mon cher frère, vous inspire le beau dessein que vous me communiquez par votre lettre du 13; rien de plus sage ni de mieux imaginé que ce que vous vous proposez d'entreprendre. Sur ce projet admirable j'ai pris la résolution de régler d'abord toutes mes opérations. Je n'ai envoyé que sept bataillons en Haute-Silésie, qui seront suffisants pour contenir les ennemis qu'ils ont vis-à-vis d'eux. Ici je vais faire d'abord un détachement vers Arnau, pour contenir l'ennemi, et même voir ce qu'on pourra entreprendre de ce côté. Je fais avancer ma boulangerie à Nachod, pour pouvoir suivre l'ennemi sitôt qu'il décampe, et pour pouvoir le pousser, au cas qu'il se tourne de votre côté. Vous pouvez être persuadé que je vous seconderai selon tous les moyens que j'en ai, et que je ne négligerai rien pour vous rendre vos opérations faciles, ou pour suivre l'ennemi autant que le permettront mes magasins. D'ailleurs, je loue et bénis le ciel du sage et admirable projet qu'il vous a suggéré. Ici tout va fort bien pour nous; l'ennemi se restreint dans une défensive rigoureuse, et qui doit lui porter préjudice à la longue. Je suis, etc.
<435>320. AU MÊME.
Camp devant Jaromircz, 22 juillet 1778.
Je suis charmé, mon cher frère, du parti que, selon votre lettre du 19, vous avez pris de suivre le beau dessein que vous avez conçu. L'avantage qui vous en reviendra sera de nettoyer l'Elbe, de prendre Leitmeritz, qui est à dos de Loudon, de prendre sa tête de pont de revers, et par conséquent de l'obliger de décamper pour se mettre à Budin, derrière l'Éger. Vous aurez encore l'avantage de prendre à revers ces troupes qui sont à Gabel, ainsi que vers Reichenberg, ce qui dégage la Lusace des incursions qu'on aurait à craindre par cette voie; après quoi vous pourrez repasser l'Elbe à Leitmeritz, et entreprendre ce que vous jugerez faisable et à propos. De mon côté, je trouve des difficultés presque insurmontables pour l'offensive. J'ai un corps à Kottwitz, près d'Arnau; d'Alton campe à Arnau, et un nommé Lattermann est posté entre Nieder-Langenau et Hermannseiffen. Je n'ai pas encore pu faire assez reconnaître le pays pour vous marquer ce qui sera faisable de ce côté, et ce que nous pourrons entreprendre, ou ce que la prudence nous interdira. Toutefois vous pouvez être assuré que je ne négligerai rien de possible, et qu'il n'y aura que les choses imprudentes que je n'entreprendrai point. Je vous envoie un croquis du camp autrichien. Le poste d'Arnau est fautif, parce qu'il est à un mille et demi de Königinhof; d'ailleurs, vous pourrez par ce dessin vous faire en gros une représentation du camp des Autrichiens et du mien. Ajoutez à cela que toutes leurs flèches sont minées, et je me flatte que vous ne désapprouverez pas ma circonspection. Mais dès que vous aurez pris Leitmeritz, et que vous aurez repassé l'Elbe, il ne me restera d'autre projet que d'attirer par des détachements la guerre en Moravie, où le terrain, moins revêche, me fournira peut-être quelque occasion favorable de donner sur les doigts à cette maudite engeance et de prendre la Bohême en Moravie. Je suis, etc.
<436>321. DU PRINCE HENRI.
Jörgenthal, 1er août 1778.
Mon très-cher frère,
L'ennemi ne s'est pas attendu que nous entrerions par Schluckenau et Rumbourg en Bohême, à cause des chemins horribles que nous avons eus à passer, et que nous avons encore devant nous. C'est ce que m'a dit un officier prisonnier. J'espère demain gagner les débouchés vers Leipa. Le général Möllendorff vise sur Tetschen, et a passé hier quatre abatis. Il y a eu des pandours brûlés dans une maison. Nous avons en tout une centaine de prisonniers. J'ai cinq corps qui ne peuvent pas se joindre aisément; mais il n'y a pas moyen de passer par cet horrible pays sans avoir ses flancs garnis. Voici mes nouvelles ....
322. DU MÊME.
Camp de Röhrsdorf, 3 août 1778.
Mon très-cher frère,
Je me suis mis en marche hier pour venir jusqu'ici. J'ai le bonheur d'avoir Gabel. J'ai Zwickau, où j'ai un débouché pour Zittau. Je suis obligé d'aller très-prudemment, car si jamais ma retraite était coupée, il n'est pas possible de se tirer d'ici. Si vous allez en Moravie, je ne puis rester en Bohême. En voulant s'approcher de l'Elbe, on garde tous les défilés derrière soi, et il faut les avoir vus pour s'en former une idée. Le général Platen campe à Gamig; le prince de Lichtenstein est dans ses redoutes d'Aussig et Türmitz. Loudon a été à Neuschloss; de là il a été à Niemes, et hier il est allé à Hünerwasser et Weisswasser; il veut nous tourner par la gauche, du côté de Gabel. J'y fais retrancher les Saxons jusqu'aux dents. J'y ai Belling497-a et le corps <437>de Podjurski.497-b Malgré le succès de cette entreprise, je ne la tenterais plus, si l'on voulait me donner trois royaumes. Avec mille hommes et deux canons, toute l'armée eût été arrêtée sans pouvoir passer. Si un corps de votre armée pouvait passer, je suis certain que Loudon serait très-embarrassé. Du reste, il est impossible que j'aille plus loin. Je ferai demain une marche en avant, où je rassemble un peu plus l'armée; mais je suis obligé d'établir ma boulangerie à Zittau, et il faut quatre jours pour aller et revenir. Nos chevaux sont abîmés par les chemins. Je ne crois pas qu'il soit prudent de m'arrêter ici trop longtemps. C'est d'ailleurs un pays de bois et de rochers. Nous avons eu quatre bataillons à notre dos, qui s'étaient égarés dans les fonds; ce sont ceux-là que nous avons ensuite tous pris; mais cela prouve aussi la difficulté du pays. D'ailleurs, il faut le connaître, et ce n'est qu'en envoyant des officiers avec les patrouilles que je fais reconnaître et dessiner les chemins. Sans ce secours, je ne me tirerais pas d'affaire. Je fais venir la grosse artillerie à Zittau, et, si j'en ai besoin, je l'attire à moi, mais pas plus tôt que je verrai clair dans les démarches de Loudon. Mon bonheur est que personne ne s'est douté de cette entreprise; c'est aussi sur quoi je me suis reposé. Elle serait d'ailleurs trop téméraire, et je ne conseille à personne au monde de l'imiter. Au reste, je serai satisfait si le petit succès que j'ai eu, joint aux peines d'esprit et aux fatigues du corps, mérite votre satisfaction. Ce seront les derniers services que je pourrai rendre. Je ferai les derniers efforts pour soutenir cette campagne; mais mes forces ne vont point au delà, et je suis hors d'état de supporter le poids d'une charge qui demande une continuelle sagacité d'esprit, jointe à un corps ferme et robuste.498-a Je suis, etc.
<438>323. AU PRINCE HENRI.
Le 6 août 1778.
Mon très-cher frère,
Je vous remercie mille fois, mon cher frère, du beau coup que vous venez d'exécuter; les gratifications seront toutes expédiées selon que vous le désirez.498-b Je souhaite de tout mon cœur que votre santé ne souffre pas de ces fatigues, et que vos forces se remettent. J'ai remarqué aujourd'hui à l'armée autrichienne qu'elle avait essuyé un échec, sans pouvoir deviner sûrement ce qui en était, et je crois que l'Empereur sera un peu fâché contre vous, mon cher frère; mais, à ce prix, je ne doute pas que vous n'ayez toute l'envie de mériter encore sa colère. On nous a brûlé aujourd'hui cent chariots de farine; mais c'est une bagatelle, et vous avez mis un bon emplâtre sur cette plaie. Ainsi je n'y pense plus. Veuille le ciel conserver vos jours précieux! Soyez persuadé que ce sont mes vœux les plus sincères, étant, etc.
324. AU MÊME.
Camp devant Jaromircz, 7 août 1778.
Vous avez fait, mon cher frère, beaucoup plus que vous ne croyez; vous avez enlevé un corps d'Autrichiens en Bohême. Cela est beaucoup; mais votre lettre à l'impératrice de Russie a produit plus qu'une bataille. Elle s'est tout de suite résolue à se <439>déclarer ouvertement pour nous; elle veut chasser les Autrichiens de la Lodomérie et de la Pococie.499-a Quelle diversion! Et elle veut forcer la maison d'Autriche avec une pension annuelle de mille écus, pour le lieutenant-général de Belling; trois lettres de noblesse et autant d'ordres pour le mérite, pour le major Dehrmann et pour les capitaines de cavalerie Wildberg et Günther; enfin, neuf ordres pour le mérite et trois avancements, sans désignation spéciale. à rétablir l'équité et la justice en Allemagne. Que ne vous dois-je pas! Soyez sûr que ce souvenir ne s'effacera qu'avec ma mort, et que, pour peu que je sois en état de le faire, ma reconnaissance ne sera pas stérile. Je suis, etc.
J'ai reçu aujourd'hui cette nouvelle.
325. AU MÊME.
Camp devant Jaromircz, 11 août 1778.
L'Impératrice-Reine, mon cher frère, m'a écrit, et m'a fait faire une proposition assez singulière, à savoir, qu'elle voulait restituer toute la Bavière, à condition que je renonçasse à jamais à la succession d'Ansbach.500-a Il faut battre ces b...... pour leur inspirer des sentiments plus raisonnables. Je suis, etc.
<440>326. AU MÊME.
Camp devant Jaromircz, 12 août 1778.
Mon très-cher frère,
Mes nouvelles d'aujourd'hui, qui se confirment de divers côtés, sont que l'armée de l'Empereur a renvoyé ses équipages, que tous les paysans ont reçu ordre de se retirer vers Czaslau. Il y a donc toute apparence que la crainte que vous leur inspirez, mon cher frère, sur leurs derrières, pourra les obliger à décamper; car toutes les nouvelles disent qu'ils se font préparer un camp à Czaslau. Si tout cela arrive, je les suivrai jusqu'où je le pourrai, pour les vivres et le pain, pour engager une affaire d'arrière-garde, pour peu que cela fût possible. J'ai cru en tout cas devoir vous mettre au fait de ce que je pourrais faire, si cela arrive, pour que vous puissiez également prendre vos mesures en conséquence; alors nous trouverons de quoi vivre, et, d'une manière ou de l'autre, nous pourrons porter préjudice à nos ennemis, sans compter ce qu'opérera la diversion des Russes. Je suis, etc.
327. DU PRINCE HENRI.
Camp de Niemes, 15 août 1778.
Mon très-cher frère,
Je souhaite de tout mon cœur, mon très-cher frère, que la nouvelle que vous daignez me donner par votre lettre du 12 se confirme; mais, pour parler franchement, j'en doute. Les deux armées ennemies ont une position trop avantageuse, et je ne vois pas ce qui pourrait les obliger à la quitter. Elles sont à proximité de s'entre-secourir. L'Iser a des bords escarpés, l'Elbe est fortifiée, et Loudon travaille, à ce qu'on me dit, à faire des ouvrages de défense. Si je pouvais leur donner des jalousies sur <441>quelque objet; mais je n'en vois pas le moyen. Je voudrais de grand cœur attaquer Loudon, pour finir cela d'une manière ou d'autre; mais 1o ils ont rompu tous les ponts sur l'Iser; 2o la proximité des deux armées, qui ferait qu'on ne pourrait pas même profiter d'une victoire; 3o leur position avantageuse, et tous les obstacles des défilés avant de parvenir à eux; 4o au cas qu'un malheur m'arrivât, la difficulté de la retraite et le peu de probabilités de sauver l'armée dans cette circonstance. J'ai pris une position qui couvre mes convois; tant que l'ennemi agit avec force, rien ne peut pénétrer sur nos derrières, mais elle a l'inconvénient d'être très-étendue, et je ne puis me resserrer sans abandonner ma gauche, ce qui me perdrait entièrement; et si j'abandonne la droite, je cours risque pour le corps de Platen. Si je voulais me rapprocher de l'Elbe, d'abord il me faut douze jours pour faire parvenir ma boulangerie sur Leitmeritz. Si alors je reste de ce côté, Loudon envoie vers Reichenberg, et peut pousser ce détachement aussi loin qu'il veut. Si je passe l'Elbe, il restera de ce côté-ci. Sans doute que j'enverrais un corps en arrière pour couvrir la Lusace. Mais Loudon peut toujours mesurer la force de son détachement. Il n'a rien à appréhender pour Prague, car, si je voulais y marcher, je lui prêterais le flanc. D'ailleurs, dès que je passe l'Elbe, ses troupes légères infestent ses bords,502-a et mes transports sur l'Elbe n'ont plus lieu. D'ailleurs, l'Elbe est basse; il faut beaucoup de temps pour faire descendre les farines. Ils avaient même enfoncé les bateaux, mais je les ai déjà fait retirer. Vous me dites, mon très-cher frère, que voilà bien des difficultés; je vais vous répliquer que j'ai tort de les faire, si elles ne sont pas fondées sur l'état des choses, et que je les représente d'après mes lumières.
J'ai l'honneur de vous envoyer, mon très-cher frère, le dessin de la tête de pont de Leitmeritz. Il aurait fallu en faire une espèce de siége pour la prendre. Je suis, etc.
<442>328. AU PRINCE HENRI.
Camp de Léopold, 22 août 1778.
J'ai reçu votre lettre du 20, mon cher frère, ici, à Léopold. J'ai tracassé toute la journée pour prendre mes positions. Ne me parlez point, je vous prie, de défilés et de montagnes; j'en ai ici de quart de mille en quart de mille, comme il y en a dans les Alpes; mais je fais, à force de travail, accommoder les chemins, et c'est ce qui m'empêche encore de frapper mon coup. J'ai vu aujourd'hui Hohenelbe et les troupes autrichiennes; tout ce qu'ils ont dans ces environs peut aller à vingt mille hommes, et j'espère, si la fortune seconde encore les vieillards, de bien peloter ce corps-là, et de voir l'effet que cela produira sur la masse de leur armée. Le corps de Turnau n'est uniquement là, mon cher frère, que pour couvrir le dos impérial; les Autrichiens craignent que nous ne les attaquions ensemble, et pour l'empêcher, ils se couvrent des bords escarpés de l'Iser. Quant à vous, mon cher frère, je crois que vous pourriez au moins attendre la réussite de mon entreprise, et si elle ne répond pas à nos vœux, il n'y a de parti que de passer l'Elbe à Leitmeritz. Vous pouvez faire fortifier ce pont de ce côté-ci pour vous en conserver l'usage, et, quant à la Lusace, je suis bien sûr que si un gros corps y entre, et qu'on se mette sur ses derrières, il ne pourra avancer, faute de subsistances, et bénira le ciel de regagner la Bohême. Voilà ce qui arriva au prince Charles après l'affaire de Catholisch-Hennersdorf,503-a et vingt mille hommes seront assurément très-suffisants, dans le commencement, pour empêcher toute entreprise de ce côté-là. En revanche de cela, vous aurez des fourrages à foison, et avec quelques précautions vous pourrez établir votre boulangerie à Aussig, où elle sera hors d'atteinte. Je suis si occupé d'un nombre de détails pour mon entreprise, que vous me pardonnerez si je ne vous en dis pas davantage. On m'a fait bien des choses de travers, qu'il faut redresser sans perte de temps. Je suis, etc.
<443>329. AU MÊME.
Camp de Lauterwasser, 26 août 1778.
Je commence, mon cher frère, par la lettre de l'impératrice de Russie que vous recevrez avec la mienne. Quoiqu'elle ne s'explique pas ouvertement envers vous, les comtes Panin et Solms m'assurent à chaque poste que son parti est pris de nous assister par une diversion qu'elle médite dans la Lodomérie et la Gallicie, mais qu'elle n'attend pour agir que la fin de cette négociation avec les Autrichiens, dont on lui a déjà communiqué tout le détail. Voilà pour la Russie. Quant à nous, mon cher frère, j'avais le plus beau projet pour forcer le passage de l'Elbe, qui probablement m'aurait réussi, si j'avais été en état de l'exécuter d'abord. Mais il a fallu préparer les chemins, pour encore pouvoir passer notre artillerie avec bien de la peine; vingt défilés à traverser, comme si du Königstein on voulait passer par Gieshübel et Gottleube pour aller à Freyberg, m'ont arrêté. L'ennemi a eu le temps de se renforcer et d'occuper des rochers près des sources de l'Elbe, ce qui rendrait téméraire tout ce que je pourrais entreprendre sur ce corps. Je me vois donc réduit à des niaiseries, à savoir, de culbuter quatre bataillons qui se sont mis sur le flanc du Prince héréditaire, derrière Langenau, et de forcer un autre poste que les ennemis ont placé en deçà de l'Elbe, à Pelzdorf. Ce sont des misères dont je ne fais mention que pour vous mettre au fait de tout ce qui se passe ici. Quant au temps que je pourrai tenir en Bohême, je crois pouvoir assurer que je trouverai moyen d'y passer tout le mois de septembre, en me nourrissant aux dépens des ennemis. Quant à vous, mon cher frère, il n'y a, en vérité, autre chose à faire que de passer l'Elbe. Laissez plutôt, si vous le jugez à propos, vingt-cinq mille Prussiens et Saxons dans la Lusace, et passez avec le reste à Leitmeritz. Vous avez tout le cercle de Saatz, qui vous fournira abondamment des fourrages; mais il faut manger radicalement les frontières de la Lusace, pour que l'ennemi, après votre départ, ne puisse pas subsister. Il me semble que la Bohême pourrait même vous fournir pour tout le mois d'octobre, et si les moyens manquent pour <444>s'y soutenir l'hiver, alors il faut des magasins en Saxe. Quand même l'Elbe serait trop basse, vous pouvez faire venir par charrois votre farine de Dresde, et vous pouvez établir vos magasins aux lieux que vous jugerez les plus convenables. Vous pouvez être assuré qu'à Prague l'on s'attend d'être pris par vos troupes d'un jour à l'autre; voilà ce que contiennent toutes les lettres interceptées. Non pas que je vous conseille de faire cette entreprise; maintenant elle serait prématurée, et pourrait avoir de mauvaises suites; mais je crois que, ne pouvant faire mieux, il est très-important de fourrager radicalement les frontières de la Saxe. Vous gagnerez par là que l'ennemi ne pourra pas pendant l'hiver se rassembler en force sur ces frontières, et tout le fourrage que vos troupes consomment, vous l'enlevez à l'ennemi. Faute de mieux, la politique de ma campagne se réduit au même objet, et je compte qu'une espèce de désert séparera pour cet hiver la Silésie des camps autrichiens. Les troupes qui m'ont suivi du camp de Burkersdorf ont eu une affaire d'arrière-garde avec Wurmser. Nous y avons perdu cent hommes; mais nous avons deux officiers et quarante prisonniers, et notre canon à cartouche doit avoir tué ou blessé au delà de deux cents ennemis. Je vous marque ces bagatelles, mon cher frère, pour que les fanfaronnades autrichiennes ne vous fassent pas prendre le change.
Ce que l'impératrice de Russie vous écrit, mon cher frère, au sujet du roi de Suède vous rendra l'explication de cette énigme bien difficile. Vous ne pouvez pas lui dire pourquoi l'on est sûr que le Roi ne peut point engendrer, et c'est là le nœud de toute cette vilaine affaire. Je suis, etc.
Un mois de fourrage pour votre armée, mon cher frère, me coûte quatre cent mille écus; deux mois de fourrage que l'on prend sur l'ennemi font huit cent mille écus; et il faut que nous épargnions à présent chaque sou, pour avoir le dernier écu quand la paix se fait;506-a cela décide presque autant des affaires qu'une bataille.
<445>330. AU MÊME.
Camp de Lauterwasser, 29 août 1778.
Mon très-cher frère,
Pour vous faire une idée des difficultés que je rencontre ici, je vous envoie le plan de notre camp et de la position des ennemis. Comme j'ai fait la première reconnaissance, toutes les troupes sur le Fingerberg et le Wachuraberg, ainsi que celles sur la hauteur de Schreibendorf, n'y étaient point. Sur cela je fis ma disposition pour les attaquer, et je me portai en avant; mais mon artillerie n'a pu me suivre; elle a été trois jours en marche pour passer les défilés de Wildschütz, Silberstein, Mohren et Hermannseiffen. Pendant ce temps, l'ennemi a rectifié et fortifié sa position, telle que vous la trouverez dans le plan ci-joint. Je crois qu'à présent vous ne me condamnerez pas, si vous me voyez réduit à l'inaction. S'il y a moyen de faire quelque petit coup, vous ne douterez pas un moment de ma volonté, ni de mon activité; mais j'ai bien lieu d'appréhender que je ne pourrai faire quelque chose de décisif. L'on m'écrit de Varsovie qu'un gros corps de Russes s'avance vers l'Ukraine et vers la Lodomérie. Si l'Impératrice persiste à remplir ses promesses, les bras nous deviendront plus libres. Mais je crois que, en attendant, vous ne pourrez rien faire de plus utile que de fourrager radicalement toute la partie de la Bohême qui avoisine à la Lusace, et ensuite, ayant passé l'Elbe, d'en faire autant au cercle de Saatz, et à tout ce qui est à sept ou huit milles des frontières de la Saxe. Alors adieu les incursions des ennemis; ils auront même de la peine à entretenir de petits corps pendant l'hiver dans votre voisinage, et c'est autant de gagné pour avoir des quartiers paisibles. L'argent commence à devenir rare à Vienne; si les espèces diminuent, et que les Russes avancent, cela rendra madame Thérèse pacifique. Le César Joseph a la foire comme nous.
Dans ce moment, je reçois votre lettre du 27, mon cher frère. Je ne saurais que vous répéter ce que je vous ai déjà dit : 1o que je compte couler à fond le mois de septembre en Bohême; 2o que <446>je ne ferai de détachements en Moravie qu'à bonnes enseignes, en octobre; 3o que si vous vous en voulez donner la peine, vous pourrez fourrager du côté de Reichenberg, et enlever aux Autrichiens toutes les subsistances qui pourraient leur donner les moyens de faire une diversion en Lusace; 4o que je crois absolument nécessaire que, après avoir mis à sec toutes les frontières de la Lusace, vous consommiez également les cercles de Saatz et de Leitmeritz; 5o que si la diversion des Russes se fait, comme on m'en donne toutes espérances, vous pourrez même soutenir, l'hiver, un corps en Bohême; 6o que vingt-cinq mille hommes en Lusace sont plus que suffisants pour empêcher toutes les entreprises des ennemis de ce côté-là, faute de vivres; 7o et enfin, qu'une diversion des Russes nous dégagera au moins de trente mille hommes des ennemis. Ce sont des choses importantes, et les seuls partis que nous puissions prendre sensément dans les circonstances présentes. Comptez surtout que, si même vous étiez obligé de quitter la Bohême, votre retraite par Péterswalde et le Basberg vous est sûre et indisputable, au lieu que celle de Gabel peut être précaire et dangereuse. J'ajoute encore que, à peine vous aurez passé l'Elbe, que Loudon ou Lichtenstein se camperont devant Prague. Quant au passage de Leitmeritz, vous vous souviendrez qu'en 1758 nous avons fait cette retraite sans qu'on ait pu nous entamer.508-a Vous pouvez préparer des retranchements pour votre arrière-garde, et assurer sa retraite par des batteries qui peuvent se placer au delà de l'Elbe; on peut décamper la nuit. Enfin il faut vouloir se complaire en difficultés pour en trouver là. Je suis, etc.
Je ne saurais rien vous marquer d'ici, mon cher frère, sinon que le temps qu'il fait ne peut être comparable qu'à celui que nous avons à Berlin au commencement de novembre.
<447>331. AU MÊME.
Camp de Lauterwasser, 4 septembre 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai bien reçu votre lettre du 2, avec le plan des camps autrichiens. Ils profitent des rivières escarpées, derrière lesquelles, en gardant les passages, ils peuvent défendre des terrains considérables. Vous jugez très-bien de leur méthode; mais, mon cher frère, à la longue ils ne pourront pas la suivre. Je sais que l'argent commence à devenir rare chez eux; ces parties où nous faisons la guerre seront ruinées, et ne leur rapporteront rien; d'où viendront les fonds pour la campagne prochaine? Ils sont d'ailleurs pressés par les Français à conclure la paix avec nous. Ajoutez à cela la diversion des Russes, dont Solms me donne les plus fortes assurances, et il faut espérer que tant de motifs différents porteront nos ennemis à modérer leur rapacité. J'en viens à présent, mon cher frère, à ce qui vous regarde. Je suis donc persuadé que vous avez pris un parti très-avantageux de vous porter de l'autre côté de l'Elbe; mais permettez-moi de vous dire que je crains pour le corps de Gabel, et je crois qu'il y aura plus de sûreté à le placer d'abord près de Zittau, sur l'Eckartsberg. Pour moi, je pourrai subsister dans ce voisinage jusqu'à la fin de ce mois, et dès que je prendrai des postes pour couvrir la Silésie, j'enverrai un corps à Löwenberg ....
332. AU MÊME.
Camp de Wildschütz, 9 septembre 1778.
Je suis tout à fait de votre avis, mon cher frère, et je crois que, dans les circonstances présentes, ce serait agir imprudemment que de passer l'Éger, et encore plus de pousser jusqu'à Prague; <448>car, supposé même que vous prissiez la ville, le défaut de chevaux pour rassembler les subsistances vous obligerait d'abandonner cette capitale. Pour coopérer à la défense de la Lusace, j'ai un détachement vers Marklissa pour m'avertir de tous les mouvements de l'ennemi, et selon que je serai informé que les choses tourneront, je fortifierai à proportion le corps de Naumbourg-sur-le-Queis, pour agir de concert avec le prince de Bernbourg. Hier j'ai été obligé de prendre le camp de Wildschütz, et le Prince héréditaire celui des Dreyhauser; l'ennemi nous a suivis avec quelques Croates, qui nous ont peu incommodés; mais les chemins épouvantables nous ont fait beaucoup de tort. Cependant tout est arrivé. Tout ce que l'on peut faire est de marcher une demi-lieue, ou il n'y a pas moyen de traîner son canon avec soi. J'espère de trouver ici pour six jours de fourrage, après quoi je me replierai sur Trautenau, où j'en trouverai, j'espère, pour autant. Tout cela et Schatzlar me mèneront au 24 ou 26 de ce mois, temps après lequel la faim seule me chassera de Bohême. Quant aux magasins de Saxe, j'ai déjà donné ordre d'en acheter pour deux mois; mais comme il est difficile de savoir en quel lieu les troupes en auront besoin, le meilleur parti serait de le faire livrer par le pays aux endroits où l'on en a besoin, et de le payer tout de suite aux Saxons; car si l'on fait un grand magasin à Dresde, et qu'ensuite il faille envoyer des troupes à Chemnitz ou à Zwickau, comme cela pourrait arriver, comment y transporter ce magasin de Dresde? Je crois donc qu'il vaut mieux s'arranger pour les livraisons, qui épargnent à la Saxe un charriage dispendieux. Mes dernières lettres de la Russie sont presque positives, et m'annoncent que les troupes marcheront dès qu'on apprendra à Pétersbourg la rupture de la dernière négociation. Je suis accablé de soins aujourd'hui, mon cher frère, pour raccommoder des chemins, régler des fourrages, etc.; ce qui m'empêche de m'étendre davantage. Je suis, etc.
<449>333. DU PRINCE HENRI.
Camp de Niemes, 7 août (septembre) 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai l'honneur de vous rendre compte, mon très-cher frère, de deux événements qui se sont passés ici, lesquels, quoique peu intéressants pour le succès de la guerre, le sont infiniment pour la réputation et l'honneur des troupes. Nous avons un poste avancé; c'est une haute montagne au milieu du bois, dont elle est couverte, mais couronnée par un vieux château entouré d'une muraille crénelée et fort épaisse. J'y ai placé un officier et quarante hommes, que j'ai augmentés de dix hommes depuis l'affaire dont je vais vous rendre compte. Il faut, pour l'intelligence de ce poste, que j'ajoute qu'il nous sert pour découvrir toute la position de l'ennemi, qui n'est d'ailleurs pas aisée à connaître par son front, à cause des bois qui s'étendent d'ici jusqu'au bord de l'Iser, vers Bakofen et Münchengratz. Ce poste donc fut assailli la nuit du 3 au 4 par l'ennemi; six cents hommes, sous les ordres du colonel comte d'Aspremont, commencèrent l'attaque à deux heures du matin; ils posèrent les échelles, tâchèrent d'y monter, mais ont toujours été vaillamment repoussés. L'ennemi a laissé toutes ses échelles en arrière; on a trouvé quarante bonnets, et six morts et un blessé; les autres morts et blessés ont été remportés par l'ennemi. Les gens des villages ont assuré à nos patrouilles qu'ils ont deux cents hommes tués et blessés. C'est le lieutenant Billerbeck, du régiment de Wunsch, qui s'est si vaillamment défendu pendant trois heures qu'a duré l'attaque. Nous avons eu un homme dangereusement blessé, et six hommes effleurés par des contusions. J'ai fait venir l'officier à l'ordre, et lui ai fait des compliments publiquement, en présence de tous les officiers. Il a dîné chez moi; je lui ai fait donner deux cents écus, et j'ai ajouté que je vous 1'annoncerais, dans l'espérance que vous auriez la grâce, mon très-cher frère, de lui accorder quelque distinction, et j'ai fait distribuer une gratification aux soldats. Ils <450>ont tué ceux qui montaient les échelles, et repoussé avec des pierres et des morceaux de bois; le feu a été soutenu pendant les trois heures de l'attaque.
L'autre événement arriva le 4, à un fourrage que les troupes avancées firent du camp de Neuschloss, où campe le lieutenant-général de Möllendorff. Les fourrageurs étaient retirés déjà de la petite ville de Dauba, soixante hussards du régiment d'Usedom, partagés en trois parties, dont la dernière était conduite par un bas officier. Deux cents hussards du régiment de Hadik s'étaient embusqués dans un bois pour couper la retraite aux soixante chevaux; ils tombèrent sur les deux derniers hussards, sur quoi le bas officier avec quinze hommes fait volte-face. L'ennemi l'attaque, le sabre à la main; les deux lieutenants Sellin et Troll viennent non seulement au secours du bas officier, mais renversent les deux cents chevaux, les poursuivent jusqu'à Dauba, et font un bas officier et quarante-deux hommes prisonniers; six hommes restent sur la place, et l'ennemi a traîné plusieurs blessés avec lui. Le colonel Usedom512-a tient ce régiment dans un ordre admirable; c'est certainement un officier d'un grand mérite.
Je suis charmé d'apprendre que votre santé se conserve, mon très-cher frère, malgré l'intempérie de la saison, dont vous me parlez; je m'intéresse vivement à votre conservation, étant, etc.
334. AU PRINCE HENRI.
Wildschütz, 9 septembre 1778.
Mon très-cher frère,
Les nouvelles que vous venez de me donner, mon cher frère, me font beaucoup de plaisir, comme vous pouvez bien le croire, parce que certainement elles font honneur à l'armée. Le lieutenant Billerbeck, je le fais capitaine, et le placerai comme tel, à la <451>fin de la campagne, dans un autre régiment;513-a les soldats auront par homme un florin, et les bas officiers un ducat; et quant aux deux officiers d'Usedom, je leur envoie la croix pour le mérite, et la permission513-b de demander encore quelle grâce ils voudront; à chaque bas officier cinq ducats, et aux communs hussards un florin. Pour vous rendre la pareille, mon cher frère, je vous apprendrai que le bataillon de Gillern, qui est avec le général Wunsch au Ratschenberg, dans le comté de Glatz, a été attaqué de nuit par trois bataillons autrichiens. Ils ont voulu le prendre par derrière, par la Brandwache,513-c en grimpant des rocs escarpés; le bas officier s'est soutenu, le bataillon est venu le secourir; les Autrichiens ont perdu deux cents entre morts et blessés. Gillern514-a est devenu lieutenant-colonel, le capitaine qui s'est distingué, major, le bas officier, lieutenant, et chaque soldat a reçu un florin, et les bas officiers à proportion. Peines et récompenses, voilà, mon cher frère, ce qui mène les hommes. J'aimerais mieux ne donner que des récompenses, mais cela ne va pas toujours. Le pauvre lieutenant-général Krockow514-b est mort, n'ayant été malade que cinq jours; j'en suis tout triste; le prince de Würtemberg a le régiment. D'ailleurs, mon cher frère, je ne puis vous parler que de boue, de chemins abominables, et d'une infinité de difficultés en ce genre, qui me donnent souvent de la tablature. Je vais incessamment me porter sur les lieux, pour faire encore des arrangements très-indispensables. C'est en vous embrassant tendrement que je vous prie de me croire avec la plus haute estime, etc.
<452>335. DU PRINCE HENRI.
Camp de Tschischkowitz, 15 septembre 1778.
J'ai reçu la lettre du 13 que vous avez eu, mon très-cher frère, la bonté de m'écrire. Je vois que les Autrichiens ont abandonné la Lodomérie et la Gallicie. Ne serait-ce pas pour se renforcer en Moravie, et pour n'avoir pas besoin d'y détacher beaucoup de troupes de l'armée de l'Empereur? Par les lettres de Prague, leur dessein doit être de renforcer Loudon. Les huit régiments de l'armée de l'Empereur avaient joint Loudon avant mon départ. Nous avons vu leur camp plus étendu, les déserteurs nous l'ont dit, les émissaires et les prisonniers l'ont confirmé. Si, depuis mon départ, ces régiments sont retournés, ou s'ils y sont encore, voilà ce que j'ignore, car je n'ai aucune nouvelle positive de l'armée de Loudon. Le prince de Bernbourg a quitté Gabel, et se trouve à l'Eckartsberg, d'où je crois qu'il sera obligé de partir dans peu. Ses trois colonnes d'arrière-garde ont été attaquées, mais sans succès, de la part de l'ennemi. Mon convoi parti le y, et dont la queue est encore aujourd'hui à quatre milles d'Aussig, m'afflige le plus. Les chariots de pain sont arrivés. Les fours, dont il n'y en avait que vingt, faisant en tout soixante chariots, ne sont pas passés, et deux cent quarante chariots de munitions sont également encore embourbés. L'ennemi n'a que faiblement attaqué ce convoi, et s'il n'y vient pas avec force, je puis encore espérer de le sauver. J'ai envoyé hier, faute d'autres chevaux, deux cent cinquante chevaux de cuirassiers. Tout cela me met dans une situation très-désagréable. J'ai encore de l'autre côté de l'Elbe le général Möllendorff. J'ai employé la nuit à lui fournir du pain. Il couvre du côté de Kuttendorf l'Elbe, et empêche du moins que rien ne perce par là pour aller vers Aussig. Cependant je ne puis rien garantir encore pour ce convoi, lequel, s'il passe heureusement, ne peut arriver, suivant tous mes rapports, qu'en trois jours. Tel est l'effet des chemins gâtés par les pluies; et dans le manque total de chevaux, dans le délabrement où sont les chariots après les marches que nous avons faites, je me trouve dans tout plein d'embarras pour chercher du pain, ce <453>qui nous met dans une espèce d'inaction. Vous me mandez, mon très-cher frère, que vous rentrerez en Silésie le 24. Je suis encore à me défaire insensiblement de tout ce qui gêne et embarrasse le plus, pour être ensuite en état de me retirer lorsque les circonstances l'exigeront. Je suis, etc.
336. AU PRINCE HENRI.
Camp d'Altstadt, près de Trautenau,
16 septembre 1778.
Tous les embarras dont vous vous plaignez, mon cher frère, je les ressens ici, et j'espère que nous nous en tirerons les uns et les autres. J'avoue encore que tout ne sera pas terminé, si nous sommes victorieux des mauvais chemins. Si vous avez radicalement fourragé les environs de la Lusace, s'entend en n'y laissant rien, l'ennemi ne pourra se porter en force de ce côté-là qu'en quinze jours au plus tôt, et j'aurai le temps de détacher du côté de Löwenberg. Mais il y a encore d'autres choses qui m'inquiètent : les Autrichiens lèvent trente mille hommes en Hongrie, de la racaille, à la vérité, mais qu'ils destinent à brûler et ravager toute la Haute-Silésie; je suis donc obligé d'envoyer un corps dont je compte de faire occuper Teschen, pour garantir cette partie de la Silésie contre les incursions de l'ennemi. Voilà le mal; à présent voici le bien : les Russes vont marcher incessamment pour occuper la Lodomérie et la Gallicie; c'est un corps de dix-huit bataillons, deux régiments de dragons, et trois mille Cosaques. Cette armée, à la vérité, n'est pas bien forte, mais cela n'y fait rien. Dès que le premier pas est fait, la Russie sera dans la nécessité de soutenir la gageure, et certainement nous aurons les coudées plus franches. Je ne puis partir d'ici que le 18, et je ne serai que le 19 à Schatzlar, où je compte de m'arrêter pour m'arranger et préparer tous les détachements qu'il <454>faudra faire. S'il y a quelque chose de nouveau, soit militaire, soit politique, vous en serez d'abord informé. Je suis, etc.
337. AU MÊME.
Camp de Trautenau, 16 septembre 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai été bien aise d'apprendre, mon cher frère, que votre passage de l'Elbe s'est heureusement exécuté, et la petite affaire d'arrière-garde que vous avez eue auprès de Niemes. Nous en avons eu une plus vive; l'attaque est tombée sur l'arrière-garde du Prince héréditaire, vers Freyheit; l'ennemi, fort de cinq mille hommes, l'a attaquée, et a été repoussé avec perte; un bataillon de Schwartz517-a a fait des merveilles, ainsi que Béville517-b et les chasseurs. Nous y avons perdu à peu près cent hommes. Ce n'est pas l'ennemi qui m'embarrasse ici, mais les chemins, qui, gâtés par quinze jours de pluie, sont devenus presque impraticables. Ma boulangerie et mes canons me donnent plus de soins pour leur transport que tout le reste. Avec cela, mon cher frère, ni paysan ni cheval dans les villages, ce qui nous a obligé de fourrager jusqu'à deux milles. Le prince de Würtemberg peut fort bien finir la campagne chez vous; car comment aller d'une armée à l'autre avec les équipages? Cela tarderait trop. Jusqu'à présent, le camp de l'Empereur reste dans la même situation; mais <455>il est à croire qu'il se fera quelques changements dans la suite. Je m'en vais encore, mon cher frère, arranger bien des choses, ce qui m'empêche actuellement de m'étendre davantage. Je suis, etc.
338. AU MÊME.
Camp d'Altstadt, 17 septembre 1778.
Il n'y a point de grande affaire, mon cher frère, qui ne soit compliquée de cent difficultés. Vous en éprouvez à présent, et je suis sûr que vous saurez les vaincre. Je ne vous parle pas de ma situation, mais avec le temps, quand vous en apprendrez les détails, vous saurez que je ne marche pas sur du velours. Il m'est impossible de vous répondre maintenant des détachements que l'Empereur a pu faire; ce qu'il y a de certain, c'est que Wurmser et d'Alton nous guettent à notre décampement, qu'ils ont quinze bataillons et cinq régiments de hussards, cuirassiers et dragons; mais que cela ne vous embarrasse pas. Je ne puis partir d'ici que le 19 de ce mois. Je serai le 20 à Schatzlar, où je prendrai toutes les mesures nécessaires pour couvrir la Silésie, pour assurer la Lusace, et pour envoyer encore quelques troupes en Haute-Silésie, qui veilleront à la sûreté de la province, et qui peut-être pourront s'emparer de la principauté de Teschen. Mes nouvelles de la Russie les plus fraîches me confirment ce que je vous ai mandé hier; ainsi tout va bien là-bas. Les nouvelles de Vienne disent que la vieille Thérèse est fort abattue; qu'elle a eu une conférence extraordinaire avec Kaunitz, après laquelle elle a envoyé le comte Rosenberg à l'Empereur pour le disposer à des sentiments pacifiques; que l'on craint les Russes, et que madame Thérèse a été aux capucins; qu'elle a fait ouvrir son tombeau et dire des messes. Vous n'en serez guère plus éclairé pour cela, quoique ce soit tout ce que j'ai pu apprendre de cette capitale. Vos chasseurs, qui ont traversé la Lusace, et mes hussards, me mandent unanimement que tous les Autrichiens se sont <456>retirés des frontières de la Lusace, que tout y est tranquille, et que jusqu'à ce moment il n'est point encore question de magasins à faire. Si le dessein passe par l'esprit de l'Empereur de hasarder quelque expédition en Lusace, il n'y pensera qu'après que nous aurons entièrement évacué la Bohême, et, soit par industrie ou autrement, j'y tiendrai bien jusqu'au 24. Je suis, etc.
339. DU PRINCE HENRI.
Camp de Tschischkowitz, 19 septembre 1778.
Mon très-cher frère,
Depuis la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire ce matin, il s'est passé plusieurs petits événements dont je dois avoir l'honneur de vous informer, mon très-cher frère. Le général Möllendorff a fait ce matin une reconnaissance vers Martinowes avec le régiment d'Usedom; ils ont rencontré deux cents chevaux qui ont été renversés; puis sont survenus trois régiments de cavalerie, que le colonel Usedom a attaqués; il a trouvé beaucoup de résistance, mais il les a renversés; ils ont laissé plus de cent hommes sur la place, et on a pris un bas officier et vingt-quatre dragons. Loudon est arrivé à Welwarn avec toute l'armée; l'Empereur y est en personne. Du côté de Leitmeritz, ils ont un corps de troupes. Ils ont fait glisser quatre bataillons dans la ville, et ont placé du canon pour tirer sur le régiment de Hordt, qui a été obligé de rester jusqu'à ce que la tête de pont fût détruite, et de mettre ensuite le feu au pont, qui a été entièrement consumé. Ce voisinage rétrécira nos fourrages; d'ailleurs, il faudra voir ce qui peut avoir joint Loudon, car, après tant de corps détachés, il ne s'avancerait point, s'il n'était en force. Les hussards de Czettritz ont eu une rencontre ce matin, dans laquelle ils ont fait prisonniers un officier et quatorze hussards. Les chemins dont vous me parlez, mon très-cher frère, je les connais aussi; <457>j'en ai derrière moi, que les pluies ont rendus impraticables. Je suis. etc.
340. AU PRINCE HENRI.
Camp de Schatzlar, 22 septembre 1778.
Mon très-cher frère,
Vous devez être bien persuadé, mon cher frère, de la vive part que je prends aux belles actions des troupes. Usedom sera général, vous n'avez qu'à le déclarer à l'ordre; car certes cette action est mémorable, et fera grande impression sur l'ennemi. Pour ne point rester en arrière, je vous citerai notre arrière-garde d'hier, où le général Keller a été attaqué dans son poste par environ cinq mille Autrichiens commandés par Wurmser. Il a peu perdu, et, après avoir entièrement rechassé l'ennemi, nous avons poursuivi notre marche jusqu'ici, où j'occupe un camp inattaquable. Vous ne sauriez vous figurer par quels chemins nous avons passé; mais à présent le temps s'éclaircit, les pluies cessent, et les gens du pays nous promettent un ciel serein et un beau temps. Wurmser reste à Trautenau; l'armée autrichienne s'est repliée vers Königingrätz, Jaromircz et Königinhof, pour se rapprocher de ses magasins. Wunsch est au Ratschenberg, et tout est assez tranquille de ce côté-là. A peine avons-nous eu tous les quinze jours une misérable gazette; nous sommes ignorants dans les affaires de l'Europe, et je m'attends d'apprendre maintenant toute sorte de nouvelles auxquelles je ne m'attendais pas; et ce qu'il y a plus à regretter est que nous serons antiques en fait de nouvelles modes, dont, je vous jure, je n'ai pas entendu parler depuis six grands mois. L'ennemi, mais plus que cela les soins de la nourriture, pour faire traverser des chemins détestables à nos convois comme aux troupes, a jusqu'ici absorbé toute notre attention. J'écrirais un volume in-folio sur les bourbiers, les ro<458>chers, les marais et autres choses qui rendent les chemins de la Bohême presque impraticables. Je suis, etc.
341. AU MÊME.
Landeshut, 16 octobre 1778.
Mon très-cher frère,
Je vous félicite des belles hussarderies que vos hussards ont faites sur les frontières de la Bohême. Je n'ai rien, mon cher frère, de semblable à vous annoncer, sinon que des officiers danois sont arrivés ici, non pas pour faire la campagne, mais pour se mettre avec nous en quartiers d'hiver. Vous ne sauriez croire la sensation qu'a faite à tout le monde, à notre retour, la vue d'hommes, de femmes, de bestiaux de toute espèce, dont les villes et villages sont peuplés ici; un quelqu'un qui sortirait récemment de la Sibérie n'éprouverait pas un coup d'œil plus agréable. Je loge ici chez un marchand. En entrant dans la maison, j'ai cru me trouver dans le palais du Grand Mogol, en la comparant aux cabanes de Lauterwasser; enfin tout dégoûte en Bohême, et tout plaît ici. Je dois vous dire aussi à ma grande satisfaction que je suis fort content de notre neveu : il a pris tout un autre pli; il s'est changé étonnamment à son avantage, et je commence à avoir bon courage.521-a C'est en faisant mille vœux pour votre conservation que je vous prie de me croire avec le plus tendre attachement, etc.
<459>342. DU PRINCE HENRI.
Gross-Sedlitz, 20 octobre 1778.
Mon très-cher frère,
Quoique je ne devrais pas vous entretenir, mon très-cher frère, sur quelques petits succès qui n'ont pas une influence déterminée pour les grands objets de la guerre, je crois de mon devoir de vous nommer le major Günther,522-a du régiment de Seelhorst,522-b lequel a été détaché par le prince de Bernbourg, et s'est conduit avec beaucoup d'intelligence, ayant fait dix-sept prisonniers sur l'ennemi.
Les officiers danois arrivent un peu tard pour faire la campagne; ils attendront sans doute l'ouverture de la prochaine pour s'instruire.
J'attends le général Kamensky,522-c que vous m'annoncez, mon très-cher frère, et j'aurai l'honneur de vous rendre compte de tout ce qui me parviendra par son canal.
C'est avec une joie et une satisfaction extrême que j'apprends que vous êtes content, mon très-cher frère, de mon neveu. La plupart des hommes ne peuvent se faire connaître que dans les occasions où leur caractère et leur esprit se peuvent déployer. Il est très-heureux pour l'État qu'il ait obtenu votre approbation, et d'autant plus heureux dans les circonstances présentes, où il est à portée de vous servir et de vous être utile. Je suis, etc.
<460>343. AU PRINCE HENRI.
Jägerndorf, 23 octobre 1778.
Mon cher frère,
Je vois, mon cher frère, qu'un major Günther a fait seize prisonniers; cela est fort bien, mais en vérité cela ne vaut pas la peine d'être cité. Il faut tendre au grand; tous ceux qui se signalent dans des coups décisifs doivent être distingués, mais des bagatelles de cette espèce ne méritent aucune attention. Je suis d'ailleurs ici occupé de bien d'autres choses. Vous n'imaginez pas la diversité et la multitude d'ouvrages dont je suis surchargé : il faut tout entabler, redresser bien des choses vicieuses, veiller sur l'ennemi, agir offensivement et pourvoir en même temps à la défensive. Tout cela, si vous savez ce qu'en vaut l'aune, m'excusera envers vous de la brièveté de ma lettre. Je ne suis pas de ces gens qui restent les bras croisés, et qui préfèrent un doux et inutile repos à l'activité utile. Je fais tout ce qui dépend de moi pour que nos affaires prospèrent, et si cela ne réussit pas, on ne m'en attribuera pas la cause, mais on croira peut-être que j'ai été mal secondé. Je suis, etc.
344. DU PRINCE HENRI.
Gross-Sedlitz, 28 octobre 1778.
Mon très-cher frère,
Je n'ai aucun doute sur l'objet des occupai ions que vous avez, mon très-cher frère, et dont vous me faites l'honneur de me parler. Je me suis trouvé assez souvent dans le cas d'en avoir, et je connais par expérience combien il est difficile de commander des armées. Quoique, à cette heure, nous ne soyons pas en mouvement, je porte néanmoins mon fardeau, et je ne suis pas oisif, puisque ce n'est pas l'être lorsqu'on veille aux troupes, aux sub<461>sistances, aux différents postes, dont l'étendue est considérable. C'est avec beaucoup de peine que je vois que vous vous plaignez, mon très-cher frère, de n'être pas bien secondé. Ceux sur qui cela tombe sont sans doute bien malheureux de ne pouvoir vous satisfaire; mais alors, s'il m'est permis de le dire et de parler avec ma franchise ordinaire, il vaut mieux pour vous, mon très-cher frère, et pour eux, d'en choisir d'autres auxquels vous ayez plus de confiance. Dans le grand nombre d'officiers que vous avez formés durant la guerre et la paix, il doit s'en trouver qui mériteront votre approbation. Ceux qui l'ont perdue doivent d'ailleurs perdre de leur activité naturelle, d'abord qu'ils s'aperçoivent qu'ils ne méritent pas vos bontés. Rien n'est plus décourageant que lorsque le souverain est indisposé contre ceux qui le servent. Je suis très-empressé d'apprendre des nouvelles de vos heureux succès, mon très-cher frère, auxquels je m'intéresse par le sentiment du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.524-a
345. AU PRINCE HENRI.
Le 28 octobre 1778.
Mon très-cher frère,
Je vous suis très-obligé, mon cher frère, de la lettre de l'Impératrice, que vous recevez ci-jointe. Sa déclaration s'est faite à Vienne, mais je ne sais pas encore l'effet qu'elle aura produit. Selon les apparences, l'arrogance autrichienne ne fera aucun cas des conseils pacifiques de la Russie; au contraire, elle s'en servira de motif pour engager la France à lui fournir des secours, mais qu'on ne lui accordera pas. Je ne saurais vous dire rien de nouveau de ces environs, sinon que le Prince héréditaire a chassé Mittrowsky d'Oderberg, et qu'il le poursuit vers Mahrisch-Ostrau. De ce côté, ma position me donne de l'occupation de reste pour <462>cent dispositions à faire et des précautions à prendre qui vont à l'infini, tant pour la sûreté du poste que pour les vivres. C'est en vous assurant de toute ma tendresse que je vous prie de me croire avec bien de l'estime, etc.
346. AU MÊME.
Breslau, 4 novembre 1778.
Mon très-cher frère,
C'est réellement une perte que celle du général Sobeck. Nous en avons fait quelques-unes de semblables; mais il faut se rappeler qu'une armée est un corps éternel pour la masse, mais dont les membres se renouvellent continuellement. Une bataille fera encore bien d'autres changements que la campagne stérile en événements que nous venons d'avoir. J'ai bien établi les quartiers de la Haute-Silésie, et je les crois maintenant à l'abri de toute insulte. Selon les mesures que nous avons prises, nous pouvons être les maîtres de la principauté de Teschen dès que nous le voudrons; mais il faut encore un peu différer cette entreprise. Je suis revenu ici tout étonné de me retrouver dans une grande ville et dans un pays policé. En vérité, cette Bohême et cette Moravie ne valent guère mieux que le pays des Algonquins; une race d'hommes à demi sauvages les habite, et l'espèce humaine y est prodigieusement dégradée. L'ennemi se tient très-tranquille dans ses quartiers, et je crois que l'hiver se passera assez tranquillement. Peut-être faudra-t-il encore barbouiller du papier inutilement; mais enfin il faut s'assujettir à sa destinée, personne ne la peut éviter. Je suis maintenant occupé à prendre des mesures pour l'année prochaine, pour compléter l'armée, pour les vivres, pour les charrois, et généralement pour réparer nos pertes et nous remettre en une situation vraiment formidable. Voilà, mon cher frère, ce qui fait mes menus plaisirs et quelquefois mes <463>désagréments. C'est en faisant des vœux pour votre santé que je vous prie de me croire avec une parfaite tendresse, etc.
347. AU MÊME.
(Breslau) 9 novembre 1778.
Mon cher frère,
Ma lettre sera un peu stérile pour cette fois, où nous commençons à jouir dans nos quartiers d'un peu plus de tranquillité que du commencement; mais un autre travail se présente, dont les matières accumulées ne laissent pas de m'effrayer un peu, et je vois bien, mon cher frère, que l'hiver sera pis pour les fatigues de l'esprit que l'été passé ne l'a été pour les fatigues du corps. Ce fardeau est un peu lourd à mon âge, et je ne sais comment je le porterai. Le prince de Hesse, qui a fait la campagne avec nous, va retourner en Danemark; je ne sais s'il reviendra, ou si nous527-a lui fournirons matière à exercer encore sa curiosité. Je vis ici comme un rat de cave; je fais valoir les papeteries de la Silésie, en barbouillant du papier du matin jusqu'au soir; et voilà, en vérité, mon cher frère, tout ce que je puis vous mander de Breslau. J'espère d'apprendre de bonnes nouvelles de votre santé, vous priant d'être persuadé de la tendresse infinie et de tous les sentiments d'estime avec lesquels je suis, etc.
<464>348. AU MÊME.
Breslau, 10 novembre 1778.
Vous voyez bien, mon très-cher frère, que le but des Autrichiens est de changer la matière des choses; au lieu d'auxiliaires que doivent être les Russes, ils veulent leur faire jouer le rôle de médiateurs, et traîner cette négociation le plus qu'ils pourront, pour arrêter le secours que les Russes veulent me donner, et pour rendre leur assistance inutile. C'est à présent un des objets qui m'occupent le plus que de prémunir la Russie contre tous les mauvais arguments dont le prince de Kaunitz se servira pour leur faire illusion et, s'il peut en trouver les moyens, pour les brouiller avec nous. D'autre part, la France est charmée de cette négociation, car le secours des Russes, qu'ils veulent donner, servait d'argument à la cour de Vienne pour presser les secours qu'on attendait de la France. Si la cour de Russie tient bon, si le comte Panin peut être garanti des piéges du prince de Kaunitz, et qu'il ne tombe pas maladroitement dans les filets qu'il lui tend, nous aurons lieu d'espérer que cette guerre se terminera l'année qui vient; mais si, d'autre part, la maladresse des Russes est dupée par la friponnerie autrichienne, alors je me trouverai dans un grand embarras. C'est de quoi nous pourrons juger cet hiver, quand les négociations auront commencé. Il faut nécessairement qu'il y ait une espèce de brouillerie entre l'Impératrice et l'Empereur, parce que le Prince héréditaire a appris, par des personnes qui viennent de Brünn, que pendant six jours il y avait eu des chevaux commandés pour l'Empereur, et qu'ensuite on les a de nouveau renvoyés. Si la cour de Vienne avait réellement envie de faire la paix, il me semble que l'Empereur aurait dû nécessairement se rendre à Vienne, pour se concerter avec sa mère et ses ministres sur les conditions auxquelles il voudrait faire la paix; cela n'étant pas, je m'attends à passer cet hiver à réfuter de mauvais arguments, à éclairer la Russie, et à rappeler sans cesse le souvenir de la paix de Westphalie à la mémoire des ministres de France. Je suis, etc.
<465>349. AU MÊME.
(Breslau) 11 novembre (1778).
Mon très-cher frère,
Quoiqu'il ne se passe rien de fort intéressant ici, je dois cependant, mon cher frère, vous prévenir sur nos sottises; le bruit ordinairement en étant exagéré pourrait vous faire illusion. Le régiment de Thadden, qui garde le défilé de Dittmannsdorf,529-a fut averti par les généraux qu'il serait attaqué par l'ennemi; sur quoi le colonel doubla les gardes, mais sans assembler les troupes. L'ennemi attaque nos ouvrages, et est repoussé partout, ainsi que par les hussards et par les dragons; mais cinquante pandours, tournant par les montagnes, entrent dans le quartier du colonel, tuent la sentinelle, enlèvent huit drapeaux, et s'en vont. Heilsberg a été tué, et deux soldats; l'aide de camp, blessé; mais d'ailleurs, il ne manque pas un homme au régiment. Ces huit drapeaux vont remplir les gazettes et faire un tapage étonnant dans les relations autrichiennes; mais vous pouvez compter que ce que je vous mande est la pure vérité. Je suis, etc.
350. AU MÊME.
Breslau, 15 novembre 1778.
Mon cher frère,
L'ennemi paraît vouloir nous harceler tout l'hiver. Il a fait une attaque sur le village de Weisskirch, qui a été défendu par le régiment de Rentzell529-b avec tant de vigueur, qu'ils l'ont pour<466>suivi presque un demi-mille. Voilà, en vérité, tout ce que je puis vous marquer d'ici. D'ailleurs, les affaires ne me manquent pas, et ma soi-disant indépendance529-c ne me garantit point d'un travail qui commence à la pointe du jour, et ne se termine qu'à six heures du soir, que les lettres cessent d'arriver. Il y a quelque société ici, que je ne vois que de loin à loin, et voilà tout ce que Breslau me fournit. C'est en vous assurant, mon cher frère, de mon estime et de ma tendresse que je vous prie de me croire, etc.
351. DU PRINCE HENRI.
Dresde, 3 décembre 1778.
Mon très-cher frère,
Plus occupé du désir de vous servir et de l'ardeur de vous être utile, mon très-cher frère, je n'ai point consulté mes propres forces en prenant le commandement de l'armée dont vous avez bien voulu me charger. J'ai cru que j'étais en état de remplir dans toute son étendue le poste que vous m'aviez confié. Quoique la campagne qui s'est terminée ait été assez fatigante, elle n'a pourtant point été des plus rudes, et sa durée a été courte; cependant il m'est impossible de vous dépeindre tout ce que j'ai souffert et de corps, et d'esprit, ni tous les efforts qu'il m'a fallu faire pour la supporter et pour la terminer. Je n'ai point de maladie formelle, et je mentirais, si je le disais; mais ma constitution est si affaiblie, mes nerfs sont tellement ébranlés, que je ne l'aurais pas cru moi-même, si je n'en avais fait la fâcheuse épreuve. Cela m'a empêché même de me porter aussi souvent que je l'aurais désiré aux lieux où je voulais être. J'ai eu mes <467>yeux attaqués de fluxions; si je suis longtemps à cheval, il me prend une soif ardente, et je suis sujet à des vertiges; et vous me pardonnerez un détail si peu propre à vous être rendu, mais ou j'ai le ventre serré, ou bien le contraire m'arrive à un point qui m'affaiblit encore plus. A tout cela se joint que les moindres nouvelles me causent une émotion que je n'ai jamais sentie autrefois. Je me suis chagriné, et cela m'a rendu comme mélancolique. Dans cette situation, pour laquelle je ne sais aucun remède, je me trouve forcé à vous supplier, mon très-cher frère, de me permettre de me retirer, après que vous aurez nommé quelqu'un qui doive prendre le commandement de l'armée. Ma situation malheureuse ne m'est que trop connue; je rentre, pour ainsi dire, dans le néant, et je perds tous les honneurs du commandement. J'ai toujours aimé d'être utile; j'ai recherché à l'être, et je suis privé non seulement de tous ces honneurs et de ces espérances, mais j'ai encore à appréhender l'oubli des services que j'ai rendus, et c'est le plus grand chagrin pour moi quand j'y pense. Cependant je ne puis prendre d'autre parti. Il est humiliant pour moi d'avoir une santé faible, mais il serait malhonnête de le cacher et de me charger d'un fardeau que mes forces ne me permettent plus de supporter. Si onze campagnes dans lesquelles j'ai reçu de vous, mon très-cher frère, des lettres et des promesses flatteuses, et des services en temps de paix, pour lesquels j'ai également reçu des preuves de votre satisfaction et des assurances que vos bontés pour moi se feraient connaître un jour, si ces services, dis-je, peuvent me conserver votre souvenir, j'aurai au moins la seule consolation que je puisse recevoir dans mon infortune. Si elle m'est ôtée, j'aurai encore celle d'avoir été dans tous les emplois de ma vie désintéressé, de les avoir remplis, sinon avec toutes les lumières d'un autre, du moins avec toute l'intégrité, et d'avoir recueilli au moins quelquefois votre satisfaction et celle du public; et, dans la retraite la plus profonde, j'attendrai la mort sans la désirer ni la craindre, mais toujours rempli du tendre et respectueux attachement avec lequel je ne cesserai d'être, etc.
<468>352. AU PRINCE HENRI.
Breslau, 11 décembre 1778.
Mon très-cher frère,
J'ai été sensiblement touché, mon cher frère, de la lettre que vous m'avez écrite; mais la goutte m'avait mis hors d'état d'écrire, parce que je l'avais aux deux jambes et à la main gauche. Maintenant que mes jambes sont un peu dégagées, je puis du moins griffonner tant bien que mal. Mais pour en revenir à votre lettre, vous devez comprendre, mon cher frère, qu'elle me met dans un grand embarras, puisque les personnes comme vous ne se trouvent pas facilement. Je ne puis donner le commandement de cette armée qu'au Prince héréditaire; mais mes affaires péricliteraient assurément, si je le tirais à présent de la Haute-Silésie, où il m'est encore impossible de me transporter moi-même. Je dois vous dire, de plus, que nous sommes à présent dans l'incertitude si la paix se fera, ou si la guerre continuera. J'attends donc de votre amitié et de votre complaisance que vous voudrez différer votre résolution jusqu'au temps qu'on voie plus clair dans les affaires générales, et que le prince Repnin se soit expliqué sur les intentions de la Russie, et surtout que je puisse retirer avec sûreté le Prince héréditaire de la Haute-Silésie, du moins que je ne coure aucun risque à le translater ailleurs. Ce que vous ajoutez, mon cher frère, que vous craignez d'être oublié, serait bon dans la bouche d'un homme qui ne s'est jamais illustré; mais j'ose vous dire que ces propos ne vous conviennent pas, à moins de supposer que le public est injuste, et que je suis le plus ingrat des hommes, et j'espère que vous ne pensez pas ainsi sur mon sujet. D'ailleurs, la mauvaise saison et les mauvais chemins font que tout le monde est tranquille chez soi. Nos quartiers ne sont plus inquiétés; la dernière affaire de Jagerndorf a trop coûté aux Autrichiens, qui nous laissent depuis en repos. Je suis, etc.
<469>353. DU PRINCE HENRI.
Dresde, 10 décembre 1778.
Mon très-cher frère,
La lettre gracieuse que vous m'avez écrite, mon très-cher frère, me console et me touche sensiblement. Le bonheur de vous avoir été utile, dont vous daignez me flatter, me cause le regret de ne pouvoir vous servir comme je le voudrais, mais ne me fera jamais renoncer au désir et à la volonté de vous servir, même dans les moindres choses. Je vous ai représenté ma triste situation; je l'ai fait, puisque je le devais, sans égard pour la paix ou la guerre. Dans le premier cas, dont la possibilité est apparente, je n'aurais pensé qu'à mon intérêt en dissimulant pour me déterminer suivant les conjonctures; mais d'abord que vous le voulez, mon très-cher frère, c'est une autre chose. Je puis à cette heure remplir des fonctions moins pénibles, et lorsque cet affaiblissement me prend, je puis remettre d'une heure à une autre un ouvrage qui ne perd rien, lors même qu'il est différé. Vous savez d'ailleurs, mon très-cher frère, que, en cas de guerre, on n'a point bonne grâce à quitter lorsqu'une campagne est prête à s'ouvrir. Mais je remets tous mes intérêts entre vos mains. Je n'ai ni caprice, ni volonté; je vous expose ma situation, et vous la déterminerez. Si même je pouvais vous être utile à quoi que ce soit dans la moindre partie, je m'en ferais gloire, puisque ce sera toujours aux yeux du public une preuve, non seulement que je vous suis attaché, mais encore que je n'ai pas mérité de perdre votre confiance. Voilà où se bornent, malheureusement pour moi, les dernières preuves que je puis vous donner, mon très-cher frère, de ma reconnaissance et du tendre et respectueux attachement avec lequel je fais gloire d'être, etc.
<470>354. AU PRINCE HENRI.
Breslau, 17 décembre 1778.
Mon très-cher frère,
Je participe bien sincèrement, mon cher frère, au délabrement de votre santé; je ne saurais pourtant renoncera me flatter encore que, avec du régime et un exercice modéré, vous pourrez vous remettre, non pas comme à l'âge de dix-huit ans, mais mieux que vous n'êtes actuellement. Il est vrai que la guerre demande une constitution forte et robuste, et que les infirmités ne s'accordent guère avec les secousses de corps et d'esprit auxquelles on est constamment exposé. La bonne volonté ne suffit pas; il faut que la machine ne se refuse point au jeu des ressorts qu'on demande d'elle. La guerre présente sera sûrement la dernière à laquelle je me trouverai; je souhaite seulement d'en atteindre la fin, et qu'elle soit aussi heureuse que je la souhaite pour notre patrie et pour l'Allemagne. Le prince Repnin n'est point encore arrivé, mais il ne doit pas tarder de beaucoup.534-a Il est parti le 11 de Varsovie, et il n'y a d'ici à cette capitale que quarante-deux milles. Nos frontières sont tranquilles ....
355. AU MÊME.
Breslau, 23 décembre 1778.
Mon très-cher frère,
Je suis bien fâché d'apprendre que votre santé, mon cher frère, n'est pas telle que je la désire. Il faut espérer que le repos la remettra, du moins en partie. Il est bien vrai qu'à un certain âge la tranquillité est préférable à l'action. Tout le monde peut, hors moi, disposer de soi. Mon destin veut que je coure sous le <471>harnois que je suis obligé de porter, et je dois m'y soumettre. Voici une réponse à cet officier palatin. Je vous prie de m'excuser auprès de l'Électrice douairière535-a sur l'impossibilité de recevoir ce volontaire. Nous avons tant de bagage dans les armées, qu'il ne faut pas le surcharger par des meubles inutiles; et d'ailleurs qui peut répondre que ce drôle ne soit pas un espion que les Autrichiens veulent placer dans nos camps? Il faut être sur ses gardes de tout ce que l'on peut soupçonner, et encore ne pousse-t-on pas peut-être la vigilance assez loin. Les chemins, impraticables et rompus par les fontes des neiges, tiennent amis et ennemis dans l'inaction sur les frontières. Je crois qu'on ne pourra se remuer que quand le mois de janvier aura amené les grandes gelées. Je recommence un peu à marcher à présent; mais ma main gauche est encore estropiée, ce qui m'incommode beaucoup. D'ailleurs, les affaires s'accumulent à présent prodigieusement par l'arrivée du prince Repnin. La médiation sommeille encore, et les négociations ne semblent pas devoir être entamées avec feu et vivacité : mais les préparatifs de la campagne, en revanche, demandent des soins et des détails énormes. C'est en vous embrassant, mon cher frère, que je vous prie d'être persuadé de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
356. AU MÊME.
Reichenbach, 8 février 1779.
Mon très-cher frère,
Votre lettre, et les nouvelles que vous me donnez, m'ont fait le plus grand plaisir. Je conviens, mon cher frère, que cette expédition536-a ne décide de rien pour la campagne prochaine; mais elle fait respecter les troupes, et oblige les Autrichiens à ne pas négliger tout à fait les attentions qu'ils doivent porter à la sûreté <472>de la Bohême. Je ne puis encore rien vous dire de ce que nous pourrons exécuter dans ces cantons. Les chemins des montagnes sont maintenant impraticables pour l'artillerie. Les troupes autrichiennes ont reçu toutes l'ordre de se porter sur nos frontières le 1er mars; mais j'espère bien, avant ce temps, de leur avoir porté quelque bon coup; et quant à la paix, je crois qu'il est très-possible qu'elle se fera, mais je n'y ajouterai foi qu'après la conclusion des préliminaires, et il n'y a point de fin avec les Russes. En attendant, le temps s'écoule, et si la négociation des médiateurs ne termine rien durant le courant du mois présent, il est plus que probable que la campagne prochaine se fera.
Voici l'ordre pour Möllendorff, avec une lettre pour lui. J'attends à recevoir des détails de l'affaire de Brix, pour savoir ceux qui se sont le plus distingués.
C'est en vous assurant de mon plus tendre attachement que je vous prie de me croire, etc.
357. AU MÊME.
Silberberg, 19 février 1779.
Mon cher frère,
Nous avons hasardé, et nous avons été heureux; nous avons chassé les Autrichiens de presque toute la principauté de Glatz, excepté de Reinerz. Nous occupons Braunau, Habelschwerdt, et nous poussons jusqu'à Politz. L'expédition, à la vérité, ne nous a valu que deux officiers et cinquante prisonniers : mais ces b...... ne tiennent pas, il n'y a pas moyen d'en prendre davantage. Ce n'était pas l'entreprise de M. de Villeroi qui le fit battre à Ramillies, mais la mauvaise disposition qu'il avait faite, tant par le choix du terrain que par rapport à ses bagages, qui se trouvaient entre ses deux lignes. Le mauvais choix du terrain fut également cause que le prince de Lorraine fut battu à Leuthen. Il ne faut pas confondre les choses. Il faut sans doute ha<473>sarder quelquefois à la guerre; mais il faut ôter à ce hasard tout ce qu'on peut par la prudence, et, dans la position où se trouve à présent mon armée, si une partie ne veut rien faire du tout, elle donne à l'ennemi le moyen de rassembler des forces supérieures pour opprimer l'autre corps. Voilà mes principes, conformes à ceux de tous les vieux généraux de l'antiquité. Il faut agir, mon cher frère; l'on ne sera pas toujours heureux; mais à la longue, en imitant les Condé, les Turenne, les Eugène, on doit sûrement se promettre plus de succès qu'en suivant l'exemple du duc de Cumberland, qui, entassant retraite sur retraite, s'accula à la fin à Stade, prêt à signer un traité à jamais honteux avec le duc de Richelieu.537-a La guerre et la mollesse ne vont pas ensemble; mais quiconque n'entreprend rien après avoir bien réfléchi à sa besogne ne sera jamais qu'un pauvre sire. Voilà ce que nous dit l'expérience et l'histoire de toutes les guerres. C'est un grand jeu de hasard, où celui qui calcule le mieux gagne à la longue. Cette matière est inépuisable; elle fournirait matière à barbouiller des volumes in-folio, et l'on manquerait plutôt de papier que de sujets de raisonnements. Le temps est très-doux ici. Les ruisseaux sont, à la vérité, devenus des torrents; mais la bonne volonté vainc tous les obstacles. Quand je saurai des nouvelles plus importantes, je ne manquerai pas de vous les communiquer, étant, etc.
358. AU MÊME.
Silberberg, 14 février 1779.
Mon très-cher frère,
Je m'en rapporte au chiffre quant aux nouvelles politiques, et pour d'autres nouvelles, mon cher frère, je n'en ai aucune aujourd'hui qui mérite de vous être mandée. Silberberg est un si petit théâtre, qu'à peine arrive-t-il tous les vingt ans une chose <474>digne d'être sue dans le voisinage. Je m'amuse quelquefois avec le général Kamensky, dont la vivacité est digne d'un habitant de la Provence. Hier j'ai fait pour la Russie la conquête de la Perse, et j'ai déclaré le petit général vice-roi de cette nouvelle conquête. Je l'ai établi avec sa cour et un million de revenus à Ispahan. Il a fort goûté ce projet, et je crois qu'il est tout occupé pour se styler à ce bel emploi et pour régler les dépenses. Cela l'a rendu heureux durant la séance de la table, et ce rêve agréable l'a occupé pendant toute la nuit. Vous voyez, mon cher frère, qu'il faut être entreprenant, ou que l'on ne conquerra jamais des Perses, ni des Mogols. Souffrez que je m'arrête en si beau chemin, pour barbouiller un tas de sottises ennuyeuses et désagréables. C'est donc en vous embrassant que je vous prie de me croire avec une parfaite tendresse, etc.
359. AU MÊME.
Silberberg, 27 février 1779.
Mon très-cher frère,
Je n'ai pas douté, mon cher frère, de la part que vous prendriez à la fin de celte guerre. Il n'y a rien de fort glorieux dans ceci. Nous n'avons eu aucun avantage marqué sur l'ennemi qui pût l'humilier, et l'on m'assure que l'Empereur, fâché de rendre ses usurpations en Bavière, nous en garde le désir de s'en venger à la première occasion; ainsi il faut plutôt regarder l'accord qui va se faire comme une trêve que comme une paix durable et sûre. Ces négociations n'empêchent pas le héros Wurmser de faire le spadassin ici, dans le voisinage. Il voudrait me donner l'alarme. Il aura sur les doigts, si sa présomption l'enhardit. Mais je ne précipite rien. En Haute-Silésie, il y a eu des dragons et hussards ennemis de pris par nos embuscades; mais tous ces succès sont si minces, que ce n'est pas la peine d'en parler. Je vous <475>renvoie donc, mon cher frère, au chiffre, en vous priant de me croire avec toute la tendresse possible, etc.
360. AU MÉME.
Silberberg, 1er mars 1779.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu votre lettre du 27 de février. Les nouvelles que vous me marquez sont conformes à celles que j'ai reçues de Vienne; mais de ce côté-ci, l'ennemi marque encore beaucoup d'inquiétude. Le général Clairfait a attaqué hier le poste de Neustadt, où se trouve le régiment de Prusse, avec un corps environ de douze mille hommes, mais dont il a été vigoureusement repoussé.540-a Aussi le général Anhalt a été attaqué près de Braunau, et l'ennemi a été également repoussé.540-a Ce sont là les derniers efforts de la rage de l'Empereur, qui est au désespoir de la paix qui va se faire; mais dès que la mère la veut, il sera obligé d'y consentir. Dans peu de jours, nous verrons s'il y aura une suspension d'armes, ou s'il n'y en aura point; du moins n'aurons-nous pas été les derniers battus, si les choses restent sur le pied où elles en sont actuellement. La ville de Neustadt n'a pas laissé de souffrir beaucoup par les obus et grenades qui y ont été jetés. C'est ce que je serai obligé de réparer à la paix.
Je n'ai pas lieu du tout de me louer des Russes dans cette affaire-ci. Je vous en parlerai une fois, quand il n'y aura rien de plus intéressant à dire. Je suis, etc.
<476>361. AU MÊME.
Silberberg, 4 mars 1779.
Mon cher frère,
Vous vous souviendrez, mon cher frère, que je vous ai dit à Berlin que nous ne pouvions rien désirer de mieux que d'obliger les Autrichiens à rendre leurs usurpations; cela tient à un objet de politique bien important, parce que si cet acte de violence leur était passé, ils se seraient arrogé une autorité despotique dans l'Empire, dont tôt ou tard nous aurions ressenti les funestes effets. Quoique cette restitution ne soit pas aussi entière qu'elle l'aurait été à souhaiter, néanmoins voilà pourtant le premier projet de l'ambition effrénée de l'Empereur de manqué, et nous gagnons le grand avantage que dans l'Empire l'on nous envisagera comme un contre-poids utile au despotisme autrichien. Ce qui regarde l'argent dépensé, il faut le remplacer par une bonne économie, en retranchant pour un temps tout ce qu'on pourra ménager en dépenses superflues; mais, en fait de campagnes, nous n'avons fait que des misères qui ne peuvent nous rendre ni méprisables ni respectables à nos ennemis. Voilà deux jours qu'un faquin d'Autrichien, nommé Wallis, vient avec seize bataillons attaquer notre poste de Neustadt, où commandait Winterfeldt541-a avec le régiment de Prusse. Ce gueux a été chassé comme il le mérite; mais ni plus ni moins, il y a deux cent quarante maisons de brûlées, tant dans la ville que dans le faubourg. Je suis si aigri contre toute cette engeance autrichienne, que je perdrais la vie avec plaisir, si je pouvais seulement me bien venger d'eux. C'est le manque d'argent qui oblige ces misérables à faire la paix; mais ce ne sera, à le bien prendre, qu'une trêve. Je vous avoue que vos Russes sont d'étranges gens, et que bien heureux est celui qui n'a rien à démêler avec eux. Je suis, etc.
<477>362. AU MÊME.
Breslau, 28 mars 1779.
Mon très-cher frère,
Je ne puis encore vous marquer rien de positif touchant la paix. Si j'étais, mon cher frère, dans la nécessité de la gueuser, je pourrais avoir recours aux expédients que vous proposez; mais je n'en suis pas, grâces au ciel, réduit à cette extrémité. Si la Saxe n'obtient pas une satisfaction honnête, personne, à l'avenir, ne voudra s'allier avec la Prusse. Ainsi j'insiste roide sur ce point; ou qu'on indemnise la Saxe, ou je continue la guerre : voilà les paroles sacramentales de la négociation. Attendons donc patiemment ce que le congrès fera; et comme d'ailleurs je suis préparé à tout événement, je n'ai rien à craindre. C'est en vous embrassant que je vous prie de me croire avec toute la tendresse possible, etc.
363. AU MÊME.
(Breslau) 13 avril 1779.
Mon très-cher frère,
Je vous annonce enfin, mon cher frère, la paix autant que faite,543-a non pas plâtrée, non pas obtenue en sacrifiant nos alliés, mais une paix conforme à l'honneur et à la dignité de la Prusse. L'électeur de Saxe aura quatre millions en argent, le prince de Deux-Ponts aura sa satisfaction, et la Bavière, à l'avenir, demeurera intacte aux désirs des Autrichiens à la démembrer. Cette nouvelle est arrivée en même temps avec celle de Constantinople, qui nous apprend la signature des préliminaires entre les Russes et la Porte. Toute notre affaire pourra traîner jusqu'à la fin du mois pour gagner son entière confection. Comme je crois que <478>ma dépêche vous fera plaisir, je la fais partir incessamment. Je suis, etc.
364. AU MÊME.
(Breslau) 13 mai 1779.
Mon cher frère,
La paix sera signée aujourd'hui; ainsi, mon cher frère, vous pouvez sans risque faire marcher incessamment les troupes, chacune à leur destination. J'en fais de même ici, et comme actuellement les Autrichiens évacuent la Bavière, nous nous retirons de Troppau et de Jägerndorf.
J'ai encore des affaires dans la province, qui m'arrêteront bien encore une dizaine de jours, et à présent ce sont les marches des régiments, l'embarquement des équipages et cent choses de cette espèce avec lesquelles je m'occupe pour tout régler et aller à l'épargne autant que possible. Je suis, etc.
365. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 30 novembre 1781.
Mon très-cher frère,
Il est naturel que je commence ma lettre par ce qui m'intéresse le plus. Vous avez, mon très-cher frère, les hémorroïdes, et je réponds à cela que, tant que la nature produit ces forces, qu'elle produit les écoulements utiles à la conservation du corps, il est égal alors quel âge l'on a. Je ne compte donc pas les soixante et dix ans que vous alléguez, mais je compte beaucoup sur la constitution admirable que vous avez reçue, et qui prolongera votre vie jusqu'au terme le plus reculé. Ceci n'est pas une hypothèse <479>métaphysique, elle est fondée sur l'expérience, tandis que, comme vous l'observez, mon très-cher frère, le métaphysicien s'égare en vains raisonnements sur des objets que l'esprit ne peut concevoir, et que le raisonnement ne saurait définir. Il y a cependant une grande distance entre le philosophe de bonne foi, celui qui, le compas à la main, veut établir des principes, et celui qui n'a que sa réputation pour objet, et, pour l'établir, s'attaque indifféremment à tous les objets, soit pour frapper les esprits par des idées qui paraissent neuves, ou bien pour établir ses hypothèses conjecturales et, la plupart du temps, fondées sur aucun principe certain. Il a toujours paru très-aisé à l'esprit humain de combattre les dogmes de la religion; la plupart n'étant que l'ouvrage de l'homme, il s'ensuit qu'il est facile d'en prouver le néant. Mais tout homme raisonnable doit envisager la religion en elle-même sous deux points de vue différents : d'abord ce qu'elle est à l'égard de la vérité, puis ce qu'elle est à l'égard de la société. Il est juste de combattre tout dogme dangereux à la société, l'autorité des prêtres, l'absurdité de manger un Dieu, etc. Mais le vrai philosophe s'arrêtera, pour le bien de la société, là où la religion commence à se trouver liée avec les lois de l'État, et là où le dogme, n'étant plus nuisible, peut être une erreur, quoique utile pour la société. Telle est, par exemple, l'opinion d'une autre vie; tout homme qui y croit, soit qu'il est dans l'erreur, ou non, a certainement un motif de plus pour être un citoyen honnête. Tels sont encore la plupart des axiomes de morale, lesquels reçoivent une caution plus forte aux yeux de ceux qui croient à une religion. C'est, en un mot, un frein de plus, lequel, s'il vient un jour à se relâcher totalement, aura des suites peut-être aussi funestes que l'ont été ces affreuses guerres de religion. Ce temps est encore très-éloigné, les peuples ne sont pas encore induits par les raisonnements; mais je crois qu'on peut avec un œil observateur entrevoir le germe que ces nouveautés préparent.
Je pars demain pour Berlin, dans l'espérance d'avoir dans peu l'honneur de vous faire ma cour, mon très-cher frère, et de vous assurer du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
<480>366. AU PRINCE HENRI.
Le 4 décembre 1781.
Mon très-cher frère,
Je suis l'ordre de votre lettre pour répondre de point en point, mon cher frère, aux choses obligeantes que vous voulez bien me dire : que si mes nerfs étaient tels que vous vous les représentez, je ne serais pas malade; l'âge, mon cher frère, use et détruit tout. Mes nerfs, loin de produire les hémorroïdes coulantes, ne me causent que des coliques inutiles, parce que le tempérament n'a pas la force de pousser le sang comme il l'avait autrefois. Mes jambes, qui ont été ouvertes jusqu'ici, se sont fermées, et la goutte n'a plus assez de vigueur pour se jeter dans les parties extérieures. Tout cela sont autant d'avertissements qui disent : Mon ami, plie bagage; mais je vous assure que cela m'est très-indifférent, et que ces avant-coureurs de la mort ne troubleront en rien la tranquillité de mon âme.
Pour les religions, je pense à peu près comme Fontenelle, qui disait que s'il tenait la main toute pleine de vérités, il ne l'ouvrirait pas pour les lâcher au peuple, parce que le peuple ne méritait pas d'être éclairé.546-a Je vous avouerai d'ailleurs que si j'avais le choix de toutes les sectes chrétiennes, je me déclarerais pour la protestante,546-b parce qu'elle est la moins malfaisante. Je suis d'ailleurs très-persuadé qu'il faut laisser à chacun la liberté de croire ce qui lui paraît croyable;546-c qu'on admette l'immortalité, je ne m'y oppose point, pourvu qu'on ne se persécute pas. Quant aux mœurs, il n'y a qu'à examiner les annales de tous les âges et de toutes les nations, et, si l'on veut, de toutes les religions; on y trouve une égale corruption des mœurs, parce que les opinions ne sauraient changer les hommes, et que les passions sont les mêmes en tout pays, comme en toute secte. Imaginez tout ce que vous voudrez, vous ne trouverez de frein pour les méchantes actions que dans les peines afflictives et dans la honte. <481>Voilà ce qui retient quelques personnes, et les empêche de nuire aux devoirs de la société; mais les avantages présents, soit de l'intérêt, soit de l'ambition, soit de la volupté, l'emporteront toujours de beaucoup sur les punitions d'une autre vie, parce que le présent frappe les hommes plus sensiblement que les risques qu'ils courent après une mort qu'ils croient éloignée. Ainsi, mon cher frère, les opinions religieuses, comme celles de la philosophie, faibliront toujours, si elles ne se trouvent soutenues par la crainte des gibets et du mépris public. La religion ne peut servir aux ambitieux que dans des moments d'enthousiasme, comme ont été ceux du règne de Constantin, des croisades, des réformes de Luther547-a et de Calvin;547-b mais quand cette effervescence est passée, adieu le zèle, et la tiédeur succède au fanatisme. D'ailleurs, qu'on invente tout ce qu'on voudra, qu'on renouvelle les principes du stoïcisme, le désintéressement et l'humilité des premiers chrétiens,547-c le peuple entendra ces beaux discours sans les comprendre, et il se vengera, s'il est offensé; il se mettra en colère, si sa vésicule de fiel répand trop de bile dans l'estomac; il s'abandonnera à la volupté, si les liqueurs spermatiques abondent dans ses testicules; et s'il a le foie desséché, il s'enivrera dans la Courtille. Voilà, mon cher frère, sans fard, la peinture de notre espèce. Je l'aurais volontiers ennoblie, si j'avais pu; mon amour-propre en aurait eu sa part; mais quand on examine ces choses avec réflexion et avec suite, et surtout lorsqu'il passe à quelqu'un autant de procès d'iniquités, et quelquefois des actions atroces, pour en confirmer les sentences, on est obligé, comme je le fais, de convenir que tant que le monde ne sera habité que par des hommes, on ne les contiendra pas davantage pour les mœurs qu'ils ne le sont à présent. Peut-être quelque globe qui nous est <482>inconnu se trouve-t-il habité par des anges, ou par ce sage idéal des stoïciens, ou par quelque nature supérieure à notre espèce, et là il se pourra que la religion et la morale fassent plus d'effet sur les mœurs de ces habitants que ces mêmes choses n'en opèrent dans notre monde. Le parti le plus raisonnable est de nous prendre comme nous sommes, et de dire avec l'ange Ituriel : Si tout n'est pas bien, tout est passable.548-a
Je suis bien aise d'apprendre, mon cher frère, que vous venez cet hiver à Berlin. Au moins souvenez-vous qu'il y aura deux ans que je n'ai pas eu le plaisir de vous voir; c'est un siècle pour un homme de mon âge. J'espère ainsi que je pourrai dans peu vous assurer de vive voix de la tendresse infinie et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
367. AU MÊME.
Le 7 décembre 1781.
Mon très-cher frère,
Vous avez la bonté de prendre part à la situation où je me trouve; cependant, mon cher frère, je n'ai pas à me plaindre, car il faut bien s'attendre qu'une vieille machine qui a duré soixante-dix ans s'use à la fin. Quand on a tout vu, quand on a talé de tout dans le monde, on peut se préparer à le quitter sans regret. On y perd, en vérité, peu de chose; c'est la jeunesse qui peut être attachée à la vie. parce que tout lui rit, parce que son inexpérience lui peint tout en beau, et qu'elle croit être portée, sur les ailes de la fortune, au comble de ses désirs. Mais bientôt la vérité dissipe ces illusions, elle détrompe l'heureux par sa propre expérience, et, au lieu de ces félicités imaginaires, elle lui démontre le néant des vanités humaines. Alors viennent les réflexions. Si nous examinons notre durée, c'est moins qu'un clin d'œil, en la comparant à l'éternité. Si nous voulons compa<483>rer cet atome qui pense à l'immensité de l'univers, c'est un point imperceptible par sa petitesse. Qui le croirait que ce misérable atome, qui végète dans l'état le plus abject, ose par son orgueil extravagant s'égaler presque aux dieux?549-a Voilà, mon cher frère, une peinture sans exagération de ce que nous sommes. Elle est plus vraie que brillante; cependant il n'est pas inutile de se souvenir quelquefois qu'on est peu de chose, et que les objets de nos cupidités différentes ne méritent pas qu'on les désire ou qu'on les regrette.
Pour ce qui est du ressort de la superstition, il ne faut point y toucher, mais, si l'on peut, diminuer autant que possible tout ce qui peut exciter le faux zèle et le fanatisme, à cause qu'ils sont les pestes les plus fatales à la société. Vous me demandez, mon cher frère, dans quels pays il y a eu le plus de vertus. Je crois que c'était à Sparte, tant qu'on y suivit l'institution de Lycurgue, à Rome jusqu'après la seconde guerre punique, en Angleterre du temps de la reine Élisabeth; et, si vous voulez que je vous en dise la cause, je l'attribue à la frugalité des mœurs. On a vu toutes les monarchies perverties par les richesses, qui amènent le luxe; les richards s'attirent de la considération, alors tout le monde croit que l'argent tient lieu de mérite. On ne se soucie point du choix des moyens pour l'acquérir, c'est à qui en aura le plus; dès lors les mœurs se pervertissent, et les vices et les crimes se débordent. Si je ne me trompe, ce fut Agésilas qui, le premier, introduisit l'or de l'Asie à Lacédémone, et dès lors l'ancienne discipline fut altérée. A Rome, ce fut tout l'argent qu'on y apporta d'Espagne, de Carthage, de la Macédoine et de la Syrie, qui amollit le Latium, et qui pervertit les citoyens. En Angleterre, ce furent les richesses qui, du temps de Cromwell, inondèrent la Grande-Bretagne qui introduisirent une débauche effrénée et la licence des mœurs. En général, pour que les hommes soient vertueux, il faut qu'ils jouissent d'un sort médiocre, qu'ils ne soient ni trop pauvres, ni trop riches; ajoutez-y qu'ils s'occupent, et que le travail les distraie des malices et des méchancetés que l'oisiveté ferait éclore dans leurs cerveaux. Il y a dans les montagnes de la Silésie une population d'environ cinq cent mille <484>âmes, mais laborieuse et simple dans ses mœurs; aussi, depuis quarante années que je gouverne ce pays, n'ai-je signé qu'une seule sentence de mort, n'y ayant eu qu'un seul homme qui ait mérité d'être puni. Dans toutes nos possessions, qui contiennent cinq millions d'âmes passés, il n'arrive presque jamais que, année commune, il y ait plus de douze sentences de mort.550-a Le seul crime que je ne saurais extirper, et le plus commun, est celui de ces malheureuses qui tuent leurs enfants.550-b Voilà, mon cher frère, une lettre d'un septuagénaire; vous la recevrez avec indulgence, bien persuadé du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
368. AU MÊME.
Le 13 décembre 1781.
Mon très-cher frère,
Je vois, mon cher frère, que, à quelque prix que ce soit, vous voulez relever notre espèce. Vous dites que le cardinal de Richelieu a fait trembler Louis XIII; non seulement il l'a fait trembler, mais il a fait mourir la mère de son roi dans l'exil et la pauvreté, il a fait trancher la tête à Montmorency et à bien d'autres; mais de mauvaises actions pareilles ne peuvent honorer que la vie des tigres et des loups. Richelieu était altier et vindicatif, je le veux, et je lui refuse le titre de grand dans toutes ses méchancetés; je ne lui accorde que le titre de ministre éclairé lorsqu'il s'unit aux Suédois pour rabaisser dans l'Allemagne le despotisme autrichien. Cependant tout cela ne sont que des petitesses; qu'importe à l'univers que l'Allemagne soit partagée entre cinquante princes, ou qu'elle ploie sous le sceptre d'un tyran? Ces choses sont importantes pour nous, relativement à nos petits intérêts; elles sont indifférentes pour la masse de l'univers; <485>les planètes tourneront de même autour du soleil, et nous avec, soit que nous soyons libres, ou esclaves. Nous voyons de plus dans l'histoire qu'une vicissitude perpétuelle change les destins des empires : les uns s'élèvent, et les autres s'abaissent; ce jeu non interrompu nous représente la même scène avec différents acteurs. Je suis persuadé que les fourmis de votre jardin de Rheinsberg se font souvent la guerre, mon cher frère, pour un grain de millet, et que vous n'avez aucune notion de leurs fameuses querelles. Nous sommes ces fourmis, et nous nous imaginons que tout l'univers doit avoir les yeux sur nous; que dis-je, tout l'univers? la cour céleste encore, avec tout le chœur des anges et les saints, ne s'occupent qu'à lire les gazettes de nos sottises. Voilà comme la vanité humaine se nourrit de visions, et s'élève pour admirer en elle le chef-d'œuvre de la nature.
J'en viens maintenant à Lycurgue; il ne voulut pas former un peuple d'efféminés : il éleva durement la jeunesse, pour la rendre propre aux armes et aux fatigues de la guerre. Sa république était petite : elle pouvait, dans les temps où Lycurgue vivait, se passer d'argent; on ne faisait la guerre que trois mois de l'année. Les autres Grecs de même; chacun était obligé de se pourvoir de vivres pour ce temps. Vous voyez donc que le vol de la jeunesse ne pouvait consister qu'à détourner quelques comestibles qu'on servait sur les tables publiques, ce qui ne tirait pas à conséquence. Dans notre siècle, une république ou une monarchie gouvernée à la lacédémonienne serait la proie de ses voisins; il suffirait d'une campagne pour en faire la conquête. Il faut donc avoir assez de boue jaune et de fonds pour se soutenir contre ses ennemis; si le peuple a de quoi vivre hors de la misère, et que l'État ait de quoi se défendre, une telle proportion peut être de nos jours comparable, à proportion des grandes puissances de l'Europe, à ce qu'était Sparte en comparaison du grand roi. Les Suédois et nous autres, nous nous trouvons dans cette heureuse médiocrité, et je vous confesse, mon cher frère, que je la préfère aux sommes prodigieuses que possèdent les Anglais, les Hollandais et la France. Ce juste milieu est ce qu'il v a de plus heureux dans toutes les choses de ce monde; il est difficile à conserver, et l'illusion, jointe à la cupidité, nous détourne <486>souvent de ce chemin pour nous égarer. Cela n'empêche pas, mon cher frère, qu'on ne fasse bien d'établir des manufactures; faire gagner les désœuvrés par le travail est une bonne action, car si la fainéantise est la mère de tous les vices, le travail est le plus sûr gardien de la vertu. Je dois encore ajouter que, si je trouve les grandes richesses dangereuses aux mœurs, je n'exclus pas l'aisance du bon gouvernement; cette dernière contribue au bonheur des hommes, et leur rend le fardeau de la vie plus supportable. Je crois que je bavarderais sur ce sujet sans fin, si je ne me ressouvenais pas de mon âge, et qu'il ne faut pas pousser la patience à bout de celui auquel j'écris. J'ajoute des pisangs553-a à ma lettre, comme un julep pour vous faire avaler, mon cher frère, ce long radotage, vous priant de me croire avec autant de tendresse que d'estime, etc.
369. AU MÊME.
Le 16 décembre 1781.
Mon très-cher frère,
Vous voulez à toute force, mon cher frère, relever la dignité de notre être. La comparaison de la fourmi vous révolte. Toutefois, quelque peine que je me donne d'exalter mon imagination, en me comparant à l'immensité de l'univers, je me trouve plus fourmi que jamais. Alexandre, Timur, Gengis, Jules César, Charles XII, se sont tous donnés au diable pour faire parler d'eux, et il s'est trouvé qu'un Juif qui s'est fait pendre au Calvaire l'a emporté sur eux tous. Or c'est acheter un peu cher la renommée que de l'acquérir par la pendaison; et je vous avoue, mon cher frère, que je préfère d'être fourmi de Rheinsberg plutôt que d'acheter l'immortalité du nom à ce prix. Notre existence est de trop peu de durée pour l'occuper de trop vastes projets; personne n'achève les siens, et encore, quand on les exa<487>mine, c'est un fétu de paille dont nous nous occupons. A peine Alexandre eut-il formé sa monarchie, qu'elle fut démembrée; César, en détruisant la liberté romaine, prépara, sans le savoir, la décadence et la chute de cet empire; il ne reste plus de vestiges des Timur et des Gengis; et peut-être que cette monarchie fondée par Mahomet frise le dernier période de sa durée. Mais bien plus, en examinant sans prévention ces objets auxquels les hommes attachent des idées de grandeur, on n'y découvre que petitesse, folie et illusion. Qu importe à l'univers que Mustapha ou Constantin soit censé gouverner la Turquie? Croyez-vous que le monde en irait moins son train, si, au lieu de Louis XVI, Ferdinand de Cordoue gouvernait la France, et si Cunégonde était reine d'Angleterre dans la place de George III? Tout cela est fort égal, mon cher frère, et les habitants de Saturne et de Mercure, s'il en est, n'en tiendront aucun compte. Il n'y a qu'à bien examiner les objets de la concupiscence pour en connaître la frivolité, et pour se détromper des illusions et des vanités de ce monde. Tant que l'on est jeune et séduit par des passions ardentes, on s'enivre d'espérances, se flattant de posséder des choses qui, bien considérées, ne méritent pas d'être recherchées. L'âge et la raison viennent ensuite, le brouillard qui nous empêchait de voir clairement les objets tombe, et ce qui jadis excitait nos vœux s'attire nos mépris. En voilà pour la fourmi.
Quant à la comparaison que j'ai hasardée de ce pays avec la Suède, je vois, mon cher frère, que vous la rejetez également. Je ne veux pas disconvenir que nous ayons quelques avantages sur la Suède; toutefois vous trouverez, mon cher frère, que, en examinant tous les empires de l'Europe, la Suède, le Danemark et le nôtre sont les plus pauvres. Le commerce de l'Angleterre, de la Hollande, de la France, de l'Espagne est si prodigieux, que le nôtre ne peut en aucune manière y être comparé. La puissance de l'Autriche et celle de la Russie sont si supérieures à la nôtre, que nous ne pouvons pas nous mettre en balance avec eux; nous avons trop peu de consistance554-a et trop de frontières. Ce sont, dans le fond, des misères; toutefois cela fait beaucoup pour les hommes qui attachent de l'importance à ces idées. Nous avons <488>des manufactures et quelques branches de commerce qui vont assez bien; cependant, en tirant la balance générale du commerce, elle ne nous est pas aussi avantageuse qu'on pourrait le croire, parce que la somme des importations est assez forte.555-a Ainsi nous n'avons pas lieu d'appréhender que le luxe nous pervertisse de sitôt, si ce n'est, par-ci par-là, quelque gentilhomme qui par de folles dépenses ruine sa famille; mais cela arrive partout, et cela ne tire pas à conséquence. Nous devons nous souvenir souvent de ce vers d'Horace :
Qui vit content de peu possède toute chose,555-bIl faut chercher son bonheur dans soi-même, et non pas dans les choses externes, qui ne dépendent pas de nous. En pensant ainsi, mon cher frère, on végète doucement jusqu'au moment où la figure du monde disparaît pour toujours de devant nos yeux.
J'ai eu, ces jours passés, une colique hémorroïdale de toute force, et hier les hémorroïdes ont percé, ce qui ne m'est pas arrivé de cinq ans. Je ne devrais pas vous mander ces bagatelles, qui ne méritent guère votre attention, si ce n'est, mon cher frère, que je connais l'amitié que vous avez pour moi. Je vous prie de me la conserver, et d'être persuadé du tendre attachement et de l'estime avec laquelle je suis, etc.
370. AU MÊME.
Le 22 décembre 1781.
Mon très-cher frère,
Vous avez bien de la bonté de prendre part aux misères de ma santé, dont je vous ai fait l'exposition; ce sont des choses indiffé<489>rentes en elles-mêmes, qui causent moins ou plus de souffrances aux patients, mais qui agissent selon les lois éternelles de la nature, et auxquelles il faut se soumettre, selon que le lot qui nous est échu le comporte. Vous croyez, mon cher frère, que les rois fainéants de la première race des Mérovingiens n'ont pas si bien gouverné que les autres; mais ne voyez-vous pas que sans eux Charlemagne ne serait jamais devenu empereur, et que la chaîne des événements, voulant élever les Bourbons, pour qu'il y eût des Louis XV et des Louis XVI, exigeait que ces fainéants se trouvassent alors sur le trône des Lis? Tout étant lié, il faut qu'il y ait une majeure pour que la mineure et la conclusion s'ensuivent; et peu importe à l'univers quelle race gouverne un petit royaume ou une petite monarchie comme sont toutes celles qui existent maintenant en Europe, à l'exception de la Russie. Je vous confesse que je ne me suis jamais trouvé en société avec un habitant de Mercure ou de Vénus; personne n'en a vu; toutefois nous pouvons juger par analogie qu'il y a des créatures qui peuplent ces globes-là, car nous voyons notre monde peuplé par Dieu sait quelle ridicule espèce, et il se peut fort bien qu'un globe qui a toutes les propriétés de notre terre connue ait également des habitants. Je ne dis pas que ce sont des hommes comme nous, car nous voyons sur cette terre des espèces d'hommes tout différents les uns des autres; il se peut donc que leur conformation n'ait aucune ressemblance à la nôtre; ils peuvent avoir plus ou moins d'esprit que nous en croyons avoir; peut-être nous sont-ils bien supérieurs, peut-être valent-ils moins que nous. Mais toutefois personne ne peut dire que la chose soit impossible; car que me répondrait-on pourquoi l'on prétend que ce globe-ci soit seul peuplé d'animaux, et que tant d'autres ne le sont pas? On ne me répondra rien qui vaille; c'est donc un problème qui reste à résoudre, et qui est assujetti aux conjectures des curieux. Les théologiens se cabreront à cette seule idée; je les abandonne à leurs idées absurdes, et je continue de croire qu'à toute force la chose est possible. Je ne vous parle plus de la comparaison de l'homme à la fourmi de Rheinsberg; vous ne voulez pas l'admettre, mon cher frère; néanmoins on ne m'ôtera jamais de l'esprit que, quelque bruit qu'un homme ait fait dans le monde, il <490>n'en sera pas moins un être infiniment petit ou un atome indiscernable en comparaison de l'univers. Autre chose est faire le bien; c'est un devoir que tout homme doit remplir selon ses moyens, tandis qu'il végète; la société doit faire notre bien, et nous devons travailler réciproquement à son avantage. Nous sommes encore circonscrits dans des bornes étroites; il nous est possible de secourir un homme abîmé de misère; mais nous ne pouvons pas le rendre heureux, parce que le bonheur est un être auquel chacun attache une autre idée, et le fait consister dans de certains objets relatifs à ses passions. Je conclus de là, mon cher frère, que nous sommes bornés en tout, et que les actions auxquelles on attache le plus d'éclat ne sont réellement que des jeux d'enfants. Un ancien a très-bien dit que la vie des hommes se passait à élever ce qui était bas, et à détruire ce qui est élevé.557-a Fontenelle dit qu'il y a des hochets pour tout âge; cela est très-vrai; surtout si l'on se dépouille des préjugés vulgaires, on est obligé de convenir que nous attachons de l'importance à des vétilles, que nous travaillons comme si notre vie devait être éternelle, et qu'il n'y a rien de solide dans cette vie qu'une conscience sans reproche, s'il y en a. Je me garderais bien de parler ainsi à un jeune homme qui entre dans le monde; son imagination l'éblouit, et il n'a pas assez d'expérience pour l'éclairer. Mais quand on a fourni un long bout de sa carrière, on sera obligé de convenir avec moi que ces tristes vérités ne sont que trop vraies.
Je me prépare à me rendre le 25 à Berlin, où j'espère, mon cher frère, d'avoir le plaisir de vous embrasser et de vous assurer de vive voix de la tendresse infinie et de l'estime avec laquelle je suis, etc.
<491>371. AU MÊME.
Le 3 octobre 1782.
Mon très-cher frère,
Je vous confesse, mon cher frère, que, quelque peine que je me sois donnée pour parvenir à l'impassibilité des stoïciens, jamais je n'ai pu y atteindre. J'aime ma patrie, mes parents et mes amis; quand il leur558-a arrive du mal, j'y suis sensible, je partage avec eux leur infortune; la nature m'a fait tel, et je ne saurais me changer. Je crois me corroborer par la lecture de Marc-Aurèle et d'autres philosophes; mais je ne tarde pas à m'apercevoir que le proverbe, tout trivial qu'il est, n'en est pas moins vrai : Chasse la nature par la porte, elle rentrera par la fenêtre. Ajoutez que l'âge, qui diminue les forces du corps et de l'esprit, rend les vieillards plus timides et plus circonspects, et plus sujets aux appréhensions. Tout cela peut contribuer, mon cher frère, aux pronostics que je tire de l'avenir. Ajoutez à cela qu'il n'est point donné à la prudence humaine de prévoir les différentes tournures que les événements peuvent prendre, et qu'ainsi il faut attendre que l'avenir débrouille les choses obscures, pour être sûr de son fait. Je crois bien que l'Empereur ne veut pas de la guerre dans le moment présent, où ses forteresses ne sont pas achevées, où il n'a pas encore pu amasser toutes les sommes, par ses épargnes, qu'il sait être nécessaires pour la durée de quelques campagnes, où il n'a point encore conclu d'alliance avec la Russie pour la lier définitivement à ses vastes projets, où enfin il lui faut encore quelques opérations de finance pour achever les préparatifs indispensables à l'exécution de ses desseins. Mais, mon cher frère, ces desseins n'en existent pas moins, et si l'on ne le contrecarre pas dans ses négociations, si l'on ne fait avorter à temps ses projets, si l'on ne se maintient pas dans la posture la plus respectable que possible, vous le verrez fondre à l'improviste sur nos possessions, et engager une guerre aussi ruineuse que celle de l'année 1756. L'Empereur a les mêmes vues que celles de sa mère; il travaille à former une alliance pareille en tâchant de <492>liguer les premières puissances de l'Europe contre nous. Je vois tout cela, les détails m'en viennent journellement; comment pourrais-je donc envisager avec sang-froid des manigances aussi dangereuses pour l'Etat dont la conservation est confiée à mes soins, d'autant plus que mon devoir est d'écarter, non pendant ma vie uniquement, mais encore après ma mort, par de bonnes alliances et par tous les moyens que j'ai, les calamités futures que je puis prévoir dans l'avenir. Voilà, mon cher frère, une tâche bien difficile pour mon âge, et qui pourrait fournir une source intarissable d'occupations aux têtes les plus chaudes et les plus éveillées. Si j'envisageais des objets aussi importants avec indifférence, j'agirais indolemment, et je manquerais à ce que je dois à l'État; il faut donc que je rassemble le peu de forces qui me restent, pour remplir mes devoirs selon toute leur étendue. Mon temps est fait, mon cher frère, le monde n'est plus rien pour moi; mais je ne veux avoir rien à me reprocher, et je veux éviter qu'on dise après ma mort que j'ai négligé la moindre chose.
La fin de votre lettre ne m'a point réjoui; j'avais espéré, mon cher frère, que les eaux de Spa avaient entièrement rétabli votre santé, et je n'aime point du tout ces coliques hémorroïdales. Je vous conjure de ne me point écrire quand vous avez ces incommodités, parce que vous pourriez les empirer, et que, privée de la santé, notre existence en devient encore plus insupportable.
Le prince Ferdinand, qui va voir sa sœur à Berlin,560-a passera demain ici.
Voilà ce qu'un vieil anachorète peut vous mander du fond de sa cellule;560-b d'ailleurs, j'espère, mon cher frère, que vous ne doutez point des sentiments de tendresse et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
<493>372. AU MÊME.
Le 18 octobre 1782.
Mon très-cher frère,
Je vous suis très-obligé, mon cher frère, du détail dans lequel vous êtes entré dans votre lettre pour m'expliquer vos idées sur l'état présent de l'Europe. Nous différons sur quelques points que je puis vous expliquer facilement. Premièrement, mon cher frère, souvenez-vous de mon âge, et ne m'accusez pas de penser à mon personnel dans les conjonctures futures que je prévois. Le mal que je crains arrivera quand je ne serai plus; toutefois il est de mon devoir de l'écarter ou de l'anéantir entièrement, si je le puis. Je crains les liaisons étroites qui pourront se former avec le temps entre l'Empereur et la Russie; je crains que la grande Catherine ne se laisse tromper par l'Empereur sans s'en apercevoir, et que, en lui faisant faire un pas après l'autre, il ne l'entraîne contre nous;561-a et je vous avoue que je voudrais volontiers prévenir les desseins de ceux qui voudraient ravager et dévaster la Prusse, la Silésie et les Marches. J'ai suivi exactement envers la France la conduite que vous indiquez, et je demeure muet envers la Russie; car qu'écrirais-je à l'Impératrice? sur quel sujet? à quelle occasion? Je n'ai jusqu'à présent rien sur quoi je puisse la féliciter, et je manque de prétexte pour lui adresser des lettres. A l'égard de la France, vous ne sauriez croire à quel point va la faiblesse du ministère de Versailles, et vous ne devez pas vous étonner s'il abandonne les Turcs à la discrétion des deux cours impériales, d'autant plus que l'Empereur, comme vous le verrez, suivra la politique que je vous ai tracée dans une de mes lettres précédentes; il évitera de donner ouvertement prise aux Français, et si les Russes font la guerre heureusement, il escamotera des Turcs, sous prétexte de limites mal réglées, ce qu'il pourra de la Bosnie, de la Valachie et de tout ce qu'il pourra s'approprier, et tous les secours que les Russes tireront de lui se réduiront à des vivres de la Hongrie, et, s'il le faut, à quelques subsides. J'irai, en attendant, ad patres, et je <494>laisserai ce pays sans liaisons, sans amis, et dans une situation à ne pouvoir parer les coups que l'Empereur médite de lui porter. Voilà, mon cher frère, la cause de mes embarras. Je travaille en honnête homme pour le bien de l'État; mais si je meurs dans cette crise, il n'a pas dépendu de moi de former maintenant ces alliances, et après ma mort on en rejettera tout le blâme sur ma mémoire. Toutes mes lettres de la Russie sont remplies des arrangements guerriers qui s'y font, et, à moins d'un miracle, les opérations commenceront le printemps prochain par le siége d'Oczakow; ce sera donc l'année 1783 qui nous étalera les événements de cette nouvelle guerre, qui servira, soit à constater l'union des deux cours impériales, ou bien qui les rendra irréconciliables. Je me prêche la patience autant que je le puis, mais je ne saurais atteindre à l'apathie ou plutôt à l'indolence stoïcienne, et j'aime trop ma patrie pour considérer avec des yeux insensibles le sort qui la menace. Vous me direz peut-être, mon cher frère : De quoi vous embarrassez-vous? Le proverbe dit : Après moi le déluge. Cela est vrai. S'il ne s'agissait que de mon personnel, je penserais de même; mais il s'agit de l'État dont je suis le pilote, et que je dois mener de façon que je lui fasse éviter les écueils tant que j'ai le gouvernement en main; le gouffre de Charybde et Scylla est devant moi, et je crains que quelque vent impétueux y pousse le vaisseau, et qu'il s'engloutisse sous les ondes.
On m'écrit de Vienne que le grand-duc partirait le 19 de Vienne; il prend par Troppau, Ratibor et Pless. J'ai envoyé les deux Würtemberg562-a à sa rencontre, avec des lettres. Je vous embrasse, mon cher frère, en vous assurant de toute ma tendresse, tout mon attachement et toute l'estime avec laquelle je suis, etc.
<495>373. AU MÊME.
Le 26 octobre 1782.
Mon très-cher frère,
On ne peut compter sur rien de stable dans cette vie, mon cher frère; les jeunes gens peuvent être emportés dans le milieu de leur carrière; les vieillards l'ont fournie, et attendent d'un moment à l'autre la mort qui les moissonnera. Il se peut donc que je voie encore les commencements de la conquête de l'empire ottoman, que l'Impératrice veut entreprendre; toutefois je n'en verrai pas la fin, car ce n'est pas une opération qui puisse s'achever aussi vite qu'on s'en flatte; il y a même à Pétersbourg des incrédules qui doutent que l'Impératrice soit déterminée à l'entreprendre tout de bon. Peut-être ne résultera-t-il de cette belle idée de conquête autre chose, sinon que les puissances belligérantes de l'Occident profiteront de cette diversion pour faire la paix sans le concours d'aucune médiation étrangère, et les cours impériales, pour avoir embrassé à la fois trop d'objets différents, se trouveront n'avoir rempli aucune de leurs vues. La politique de la cour de Vienne, mon cher frère, tant que le prince Kaunitz la dirigera, sera de demeurer constamment unie avec la France, pour se conserver le dos libre, et la politique de la cour de Versailles ne se départira pas non plus de l'alliance de l'Autriche, à moins que l'Empereur ne rompe lui-même ces liens par des démarches immédiatement contraires aux intérêts de la France.
Vous pouvez être sûr que ce que je vous dis ici n'est pas conjectural, mais dicté par une connaissance approfondie des choses et de la façon de penser invariable de ceux qui sont à la tête du gouvernement. Mais en m'avançant jusque-là, je conviens en même temps que ces deux monarchies ne se livrent pas pieds et poings liés les unes aux autres; elles se suspectent sans doute, s'examinent réciproquement, s'observent, se méfient les unes des autres, sans cependant déroger au traité de Versailles563-a et au fameux pacte de famille563-b dont Choiseul est l'auteur. Ainsi, mon <496>cher frère, nous ne touchons pas au moment que cette liaison soit prête à se rompre; et quand même l'Empereur favoriserait la Russie dans la conquête qu'elle médite, on aurait la complaisance, à Versailles, de ne pas faire semblant de s'en apercevoir. Remarquez encore de quel épuisement dans les bourses des souverains sera suivie cette guerre dispendieuse également pour toutes les parties belligérantes. La France aura besoin de respirer, et quelque mécontentement qu'elle ressente des liaisons de Joseph et de Catherine, elle dissimulera son chagrin, faute de pouvoir le manifester avec dignité. Ajoutez à cela une reine, mère d'un Dauphin, et que Mercy564-a fait agir comme une marionnette pour étayer l'Empereur son frère, un roi sans énergie, un ministère faible, l'appréhension d'une régence, et vous conclurez avec moi qu'il ne faut pas compter avec de telles gens qu'ils agissent avec fermeté, d'autant plus qu'ils n'ont montré que de la mollesse en combattant pour leurs propres intérêts. Voilà, mon cher frère, un petit échantillon des embarras qu'on éprouve quand on est obligé de tripoter dans ce chaos de la politique européenne. Nous sommes à présent dans un moment de crise; il faut attendre tranquillement ce que la fortune en décidera, et ce ne sera qu'alors, après de mûres réflexions, qu'on pourra s'arranger selon les conjonctures les plus avantageuses à notre patrie. Mais, en attendant, nous restons en l'air, sans alliances, sans amis, et isolés, comme l'Angleterre se trouve encore maintenant. S'il ne s'agissait que de mon personnel, je serais fort tranquille, parce qu'il faut savoir supporter la mauvaise comme la bonne fortune; mais je dois veiller aux intérêts d'une patrie que j'aime, et je n'envisage pas avec indifférence les dangers dont elle est menacée.
Voilà, mon cher frère, bien des rêves creux. Vous vous moquerez de moi, de ce que je m'inquiète par prévoyance d'événements peut-être encore éloignés; toutefois souvenez-vous qu'une sentinelle doit être alerte, pour que la place ne soit pas surprise faute de son incurie et de sa négligence. Je suis, etc.
<497>374. AU MÊME.
Le 9 novembre 1782, jour de naissance de ma sœur Amélie.
Mon très-cher frère,
Pour vous simplifier mon raisonnement, je le réduirai, mon cher frère, en peu de paroles. Il faut nécessairement des alliés à la Prusse, moins dans l'espérance d'en tenir des secours que pour les empêcher de lui nuire. Dans la situation présente, la Prusse n'a pas le choix de ses alliés, parce que le traité de Versailles et le pacte de famille joint la race lorraine d'Autriche avec toutes les branches de Bourbon existantes; or l'impératrice de Russie marque, de plus, une haine contre tout ce qui est français et une prédilection décidée pour l'Angleterre; il s'ensuit donc que l'impératrice de Russie, conservant encore le nom d'alliée de la Prusse, doit être soigneusement ménagée, qu'après cette guerre, à moins de quelque révolution à Pétersbourg, cette princesse se joindra certainement à l'Angleterre, et qu'ainsi, faute de pouvoir arranger à notre gré ces alliances, nous serons dans la nécessité d'y acquiescer; c'était ce que j'avais à prouver. Vous me demandez, mon cher frère, ce que l'Empereur a promis à la pantocratrice. Il doit l'avoir assurée verbalement de son assistance, dès qu'elle entreprendrait son projet favori de placer son petit-fils Constantin sur le trône de Constantinople.565-a La grande Catherine fait maintenant chasser les Tartares de la Crimée; les troupes sont toutes en mouvement, et, le printemps prochain, la campagne doit s'ouvrir par le siége d'Oczakow. Ce n'est donc pas le moment présent qui dessillera les yeux de l'Impératrice; elle ne s'apercevra d'être jouée que lorsqu'elle sera dépourvue des secours et de l'assistance du César Joseph; mais ce sera un peu tard pour sa gloire.
Vous jugez très-sagement, mon cher frère, qu'il faut garder les plus grands ménagements envers la France; c'est ce que je fais, toutefois sans négliger les intérêts de l'État, ce qui est la <498>première loi, qu'aucun souverain ne doit enfreindre. Il y avait quelques lueurs qui donnaient l'espérance d'une paix prochaine; mais ces espérances flatteuses semblent se dissiper, et il paraît bien que le dieu Mars, pour ruiner les plus grandes puissances de l'Europe, les excitera à continuer à se battre encore l'année prochaine. Le prince de Guémené a donné en France l'exemple d'une célèbre banqueroute.566-a Gare qu'il ne soit imité par le Roi son maître, par le roi d'Espagne, et enfin par Sa Majesté Britannique.566-b Nous autres petits drôles, nous ne sommes pas assez grands seigneurs pour immortaliser nos noms par de célèbres faillites; c'est un privilége réservé aux grandes puissances. Voilà le mauvais temps d'arrivé; je suis presque enneigé ici, et forcé à prendre les quartiers d'hiver. Les saisons se succèdent, les mauvaises suivent les bonnes, et voilà trois mois de frimas qui nous attendent. Les saisons se renouvellent, il est vrai, mais les hommes pas. Je vous embrasse, mon cher frère, en vous assurant du tendre attachement et de l'estime avec laquelle je suis, etc.
375. AU MÊME.
Le 16 novembre 1782.
.... Je vous ai dit, mon cher frère, que j'envisageais le prince de Guémené comme le précurseur des banqueroutes que Louis XVI et George III pourraient bien faire à son exemple. La princesse Guémené a reçu une pension de cent mille livres, pour récompenser son époux du bel exemple qu'il a donné. Cartouche, dans ce siècle-ci, deviendrait duc et pair; les grands se croient au-dessus des lois; ils foulent aux pieds les mœurs, et ne soutiennent leur rang qu'à force de se surpasser en scélératesse. Ce prince Guémené va voyager en Italie avec son illustre compagnon le duc de Chartres, pour promener leur ignominie dans les pays étran<499>gers; ils n'entreraient sûrement pas dans ma maison, ne fusse-je que le dernier des gentilshommes.
Voici des fruits qu'on m'apporte. Je me hasarde, mon cher frère, de vous les offrir comme les précédents, en vous assurant du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
376. AU MÊME.
Le 14 décembre 1782.
Mon très-cher frère,
Les hommes, mon cher frère, sont aussi différenciés par leur caractère que par leur physionomie, ce qui empêche de les placer tous dans la même catégorie. Je conviens que malheureusement il y a de tels scélérats endurcis dans le crime qui se laissent aveugler par leurs passions, et ne se donnent pas le temps de réfléchir; il y a, d'autre part, des scélérats raffinés qui mettent leur gloire dans leurs supercheries, dans la trahison, dans tout ce qu'il y a de plus atroce, et il est certain, mon cher frère, comme vous le dites, que la raison se tait quand la passion est violente. Les mauvais exemples encouragent les vicieux, et ils se livrent aveuglément à leurs désirs quand ils voient que beaucoup d'autres font la même chose. Je conviens, mon cher frère, avec vous de tout ceci; cependant cela ne m'empêche pas de croire que, dans le moment du silence des passions, il n'y ait des intervalles où les malfaiteurs sont mécontents d'eux-mêmes, et, sans se faire des reproches trop vifs, désireraient de se trouver dans une autre situation qu'est la leur. Dans les temps de César Borgia, les assassinats et les poisons servaient d'armes à la vengeance. Pourquoi s'y livrait-on sans retenue? Parce que le pape, père de ce monstre, et monstre lui-même, lui persuadait qu'il effaçait tous ces crimes par ses absolutions. Ce sont, mon cher frère, ces malheureuses absolutions qui ont encouragé à des actions atroces une infinité de misérables, qui ont inondé l'univers <500>de sang, et qui ont effacé les remords des crimes. La religion catholique a été une source empoisonnée qui a perverti les mœurs, en remplaçant la vertu par de vaines momeries; des cérémonies, des dons aux couvents, des pèlerinages, des absolutions ont affaibli le principe réprimant que le diable (le Mummelack568-a) des chrétiens pouvait effectuer, et, proportion gardée, plus de méchantes actions se commettent par les catholiques que par les protestants; par exemple, dans ce pays-ci, je signe tout au plus sept ou huit arrêts de mort par an,568-b tandis que dans la ville de Paris seule, autant de personnes s'exécutent par mois. J'abandonne enfin ce sujet si humiliant pour l'espèce humaine, pour la nouvelle de la paix, qui est autant que faite,568-c mon cher frère, que j'ai le plaisir de vous annoncer; le commerce, qui a été si longtemps gêné, reprendra vie, et tout rentrera dans l'ordre accoutumé. J'espère, vers la fin de ce mois, d'avoir le plaisir de vous embrasser à Berlin, et de vous assurer de vive voix du tendre attachement et de l'estime avec laquelle je suis, etc.
377. AU MÊME.
Le 2 février 1784.
Mon très-cher frère,
Vous avez bien de la bonté de vous intéresser à ma santé. Il me semble, mon cher frère, que nous branlons tous au manche, et <501>que nos infirmités communes nous annoncent un départ prochain. J'ai été obligé de me faire saigner, parce que mon sang était aussi agité que le parlement d'Angleterre. Quoique mon mal n'ait pas été fort considérable, il a épuisé mes forces, et je tâche de m'en regagner, s'il y a encore de l'étoffe pour en fournir. Vous me faites grand plaisir de me rassurer sur le sujet de mon frère Ferdinand; je crains pour sa poitrine, qui est faible et débile; Dieu veuille nous le conserver! Vous saurez sans doute que la paix vient d'être signée entre les Turcs et les Russes. A présent la pantocratrice ne cédera plus le pas à la providence divine, et du haut de son trône elle donnera des lois despotiques aux potentats de notre globe.
Chasot est venu ici de Lübeck;569-a il ne parle que de mangeaille, de vins de Champagne, du Rhin, de Madère, de Hongrie, et du faste de messieurs les marchands de la bourse de Lübeck, de la grande rivière de la Trave, du port de la ville, et de son jardin, dont il a fait l'énumération exacte des arbres, arbustes, plantes, légumes, et des herbes qui l'embellissent. Vous voyez, mon cher frère, quels progrès en connaissances j'ai faits depuis que j'ai eu l'honneur de vous voir. Si cela continue, je pourrai publier un ouvrage sur les jardins, qui damera le pion à celui de La Quinlinie,570-a et quelque écrit sur les végétaux et la nomenclature des plantes, qui sera mis de pair avec les écrits de ce fameux botaniste de Suède qui vient de mourir.570-b
Voilà des balivernes, et c'est tout ce que ce sol aride en nouvelles me fournit. C'est en faisant mille vœux pour votre conservation et contentement que je vous prie de me croire avec le plus tendre attachement et la plus haute estime, etc.
<502>378. AU MÊME.
Le 8 février 1784.
Mon très-cher frère,
C'est le cœur navré de douleur que je vous écris aujourd'hui. Je viens d'apprendre la mort de notre pauvre et malheureuse sœur d'Ansbach.570-c Cela en revient, mon cher frère, à ce que je vous mandais dernièrement, que ce qui reste de notre famille branle au manche. J'ai toujours médité d'aller à Ansbach voir encore une fois ma pauvre sœur; je n'en ai jamais pu trouver le moment. C'était une bien bonne et honnête personne, dont le cœur était la probité même. Je vous avoue, mon cher frère, que cela m'afflige si fort, que je remettrai à un autre jour à vous répondre, étant, etc.
379. AU MÊME.
Ce 24 (1784).
.... Cette grande pantocratrice, pour effacer entièrement l'abaissement de liaisons avec des princes d'Allemagne, vient aussi de prohiber tout le commerce prussien par un gracieux impôt de cinquante pour cent qu'elle a mis sur nos marchandises. J'ai le cœur pénétré de reconnaissance de toutes les faveurs distinguées que je reçois de la pantocratrice, et je vois que je serai réduit à chercher fortune ailleurs. Vous voyez, mon cher frère, avec quelle adresse elle sait se défaire de ses anciens adorateurs, que sa douceur, sa politesse et ses bonnes manières doivent la rendre toute divine aux yeux de ses ennemis mêmes. Je n'en dirai pas davantage sur ce sujet; je sens mon humiliation, et conviens qu'un brin d'herbe ne doit pas se plaindre si une branche de chêne tombe dessus et l'écrase. Je souhaite, mon cher frère, que <503>vous jouissiez d'une parfaite santé, et que vous daigniez me croire avec autant de tendresse que d'estime, etc.
380. DU PRINCE HENRI.
Wittenberg, 1er juillet 1784.
Mon très-cher frère,
En partant hier à minuit de Friedrichsfelde, je reçus la lettre que vous avez daigné me répondre, et je saisis le premier moment de mon arrivée dans cette ville pour vous répondre et vous remercier, mon très-cher frère, de l'ananas que vous avez bien voulu m'envoyer. La circonspection m'oblige à me taire sur le principal sujet de votre lettre; je crois cependant pouvoir sans conséquence vous dire, mon très-cher frère, que lorsqu'on a le malheur de perdre tous ses amis, et qu'il n'y a point d'apparence de les recouvrer, il me semble que, s'il en reste un, il y a plus d'apparence d'en former un nouveau, que l'on l'obtient à la fin, puisque cette union d'amitié est fondée sur la nature des choses. Je n'ose point m'expliquer plus clairement; je prends cependant la liberté d'ajouter que, en persévérant dans l'idée d'obtenir cette amitié qu'il vous paraît si difficile d'obtenir, on l'obtiendra au moins, et c'est la seule espérance, puisque, à parler franchement, je n'en vois point d'autre.
J'ai passé Kloster Zinna et Luckenwalde, où j'ai admiré les beaux établissements que vous avez fait faire, mon très-cher frère.
Je suivrai exactement ce que vous me mandez, mon très-cher frère, à l'égard de mon voyage de Lyon; j'espère, au surplus, que vous daignerez me faire parvenir vos lettres pendant que je resterai en Suisse; à Lausanne ou Genève je pourrais le plus sûrement les recevoir, si vous daignez m'en honorer.
Je vous supplie d'agréer les assurances du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
<504>381. AU PRINCE HENRI.
(Juillet 1784.)
On a su en France que vous vouliez aller à Lyon. M. d'Esterno573-a a eu commission de sa cour de me faire un compliment obligeant à ce sujet, en ajoutant qu'on avait pris toutes les mesures requises pour que vous soyez bien reçu, et que le Roi vous ferait inviter à continuer votre route à Paris. J'ai répondu avec toutes les politesses usitées en pareil cas, et, ne sachant pas quelle est votre intention, j'ai ajouté que, au cas que vous ne vous fussiez pas préparé à pousser jusqu'à Paris, vous et moi nous n'en aurions pas moins de reconnaissance de la gracieuse invitation que le Roi vous a faite. La raison majeure qui attire la France à l'alliance de l'Empereur est le désir du ministère de Versailles d'abaisser l'Angleterre et de fortifier la marine française; on croit donc que, étant assuré de l'Empereur par une alliance, on n'a point à craindre une guerre du continent, et qu'on peut d'autant plus aisément fortifier la flotte pour gagner une prépondérance entière sur la Grande-Bretagne. Les grandes ostentations qu'on annonçait de la part de la Russie se réduisent à peu de chose. Nous avons terminé nos dissensions avec la ville de Danzig; ainsi il ne subsiste pas la moindre cause de brouillerie entre la Prusse et les oursomanes.573-b
382. AU MÊME.
Le 5 août 1784.
Mon très-cher frère,
Je vous félicite d'avoir vu le Montbelliard et le mont Jura. Vous n'aurez donc pas passé loin, mon cher frère, de Ferney, ni <505>du champ de bataille où Charles le Téméraire fut défait par les Suisses.574-a Pour moi, dont la vue baisse considérablement,574-b je ne regrette pas de ne point me trouver dans des contrées célèbres où je ne verrais pas grand' chose. Je regrette encore moins de ne pas revoir le roi de Suède; il passe par Brême et Wismar pour s'en retourner à Stockholm. Les Français ont dit de lui que le comte Haga574-c avait perdu la réputation que le prince royal de Suède y avait la première fois acquise. Ma bonne sœur de Brunswic est retournée chez elle, et est arrivée en bonne santé à Antoinettenruh. Je pars dans une douzaine de jours pour la Silésie, d'où, mon cher frère, je n'aurai guère le temps de vous écrire. Vous aurez reçu ma lettre huit jours plus tard que le papier dont vous m'annoncez qu'il vous est parvenu; il vous éclaircira, mon cher frère, de tout. Je vous embrasse mille fois, en faisant des vœux pour votre conservation, étant, etc.
383. AU MÊME.
Neisse, 21 août 1784.
Il dépendra de vous d'aller à Paris comme on vous y invite; mais d'ailleurs, mon cher frère, vous pouvez compter que les Français ne se retourneront pas facilement, à moins que l'Empereur ne les pousse à bout.
La diète de Pologne va commencer; mais l'Impératrice, depuis la mort du favori Lanskoi, est devenue si mélancolique et triste, quelle ne voit presque personne. Il n'y a que le comte d'Orloff, qui est auprès d'elle, dont le crédit balance celui de Potemkin. Tout cela fait stagnation dans les affaires; mais jusqu'ici il n'y a pas apparence que cela puisse opérer quelque changement de système.
<506>Notre affaire avec la ville de Danzig n'est pas encore tout à fait terminée. On m'a fait des propositions dans lesquelles je ne saurais entrer; j'en ai fait d'autres dans lesquelles j'espère qu'on entrera. Toutes les affaires en Europe jusqu'ici sont encore dans une grande confusion; mais je crois que cela se débrouillera bientôt. Cependant, mon cher frère, malgré votre bonne volonté, il ne faut pas vous jeter à la tête de ces gens, parce qu'il est plus sage de voir venir que de faire des avances. Je suis, etc.
381. AU MÊME.
Neisse, 21 août 1784.
Mon très-cher frère,
Je suis bien aise d'apprendre, mon cher frère, que vous vous amusez bien dans votre voyage. Je sais que M. Buffon sera quelque part sur votre chemin vers Lyon; il est, dans ce temps de disette, le meilleur écrivain français pour le style; mais en fait de philosophie, il consulte plus son imagination que son bon sens. Je n'ai point rencontré dans ma course de gens de lettres, mais bien M. Bouillé,576-a célèbre par maints débarquements, qui est un homme de mérite et, je crois, un des meilleurs militaires que la France possède actuellement. Je traîne ma vieille carcasse tant bien que mal; les forces sont épuisées, il ne me reste que la bonne volonté, et encore ce ne sera pas pour longtemps. Je m'arrête ici, mon cher frère; je suis entraîné par un tourbillon militaire, et par quantité de choses qu'il faut régler dans la province, qui absorbent tous les moments de ma journée. Je suis, etc.
<507>385. AU MÊME.
Le 6 septembre 1784.
Mon très-cher frère,
La capitale d'un grand royaume fournil pour tout homme curieux un spectacle aussi intéressant qu'instructif. Vous jouissez, mon cher frère, de cet agrément,577-a auquel je suis obligé de renoncer, enchaîné comme je le suis par les devoirs de mon emploi.577-b Je n'ai pas douté que vous n'eussiez lieu d'être content de la réception du roi et de la reine de France, d'autant plus que ce n'est qu'après l'invitation du Roi que vous avez entrepris ce voyage. Je suis bien aise d'apprendre de bonnes nouvelles de la santé du duc de Nivernois;577-c c'est un homme qu'il faut estimer quand on a fait sa connaissance. Il est certain que bien connaître Paris, c'est connaître tout le royaume; c'est le point de ralliement de toute la grande noblesse, le séjour des sciences, le centre du gouvernement, et j'ai pensé dire la glande pinéale de ce grand empire. Pour moi, mon cher frère, je commence à me refaire des fatigues du voyage; le seul qui me convienne, et que j'entreprendrai bientôt, est celui des champs Élysées; mais comme les courriers ne sont pas aussi bien établis de ce pays inconnu à celui-ci que l'est la correspondance de Paris à Berlin, il est apparent que les relations de ce voyage que je pourrais faire ne seront pas remises à leur adresse. Je souhaite, mon cher frère, que votre santé se conserve sans altération, et que j'aie ici le plaisir de vous embrasser en bonne santé, étant, etc.
<508>386. AU MÊME.
Le 13 septembre 1784.
Le public en France suit ce droit bon sens naturel qui voit les objets sans déguisement; mais les ministres ont bien d'autres réflexions à faire, dont la principale roule sur leur conservation. L'influence de la Reine les alarme et les contient, sans compter l'épuisement des caisses, le peu de crédit de la cour en finances, et l'étrange dépérissement de l'armée, qui est presque réduite à rien. Ajoutez-y l'incertitude et la crainte de prendre un parti décisif. Ces raisons jointes ensemble leur feront prolonger leur inaction le plus longtemps qu'ils pourront. D'autre part, l'impératrice de Russie ne veut point se brouiller avec moi; elle persiste à se plonger dans la plus profonde mélancolie; toutes les affaires reposent, et le grand-duc persiste à nous être fermement attaché, de sorte qu'il n'y a point jusqu'ici periculum in mora. Mais j'ose me flatter que votre séjour en France disposera les esprits en notre faveur, et que si la France voit enfin qu'elle est obligée de revirer de système, elle nous choisira comme son pis aller.
387. AU MÊME.
Le 27 septembre 1784.
Mon très-cher frère,
Je ne connais que de réputation les grands hommes dont vous avez la satisfaction de jouir. M. de Condorcet579-a est l'élève de d'Alembert; il marche sur ses traces, et sûrement il l'égalera un jour. Je ne connais pas même de réputation le poëte, mon cher frère, que vous m'avez nommé; toutefois je doute fort qu'il approche de Molière. Il y a un point de perfection en tous les genres, qu'il est difficile d'égaler, encore plus de surpasser. A l'égard du <509>médecin électrique, je le range hardiment dans la classe du médecin de la lune, qui naguère attira le concours de nos badauds.579-b Il n'y a aucune opinion dont on ne puisse soutenir le pour et le contre; toutefois je m'élèverai hardiment contre l'électricité animale, et l'influence de la lune, et de pareils charlatanismes, qui ne sont imaginés par des fripons qu'en vue de tromper le vulgaire imbécile et superstitieux. Toute ma tournée de cette année est achevée, et je commence à jouir de quelque repos, qui m'est d'autant plus nécessaire que mes forces se perdent d'année en année, et que l'âge impérieux m'avertit que mes beaux jours se sont écoulés. Marc-Aurèle dit : « Tu es une âme qui traîne un cadavre. »579-c Cela est très-vrai à mon âge; ni plus ni moins, il faut que le cadavre trotte. C'est en vous assurant du plus tendre attachement et de la plus haute estime que je suis, etc.
388. AU MÊME.
(27 septembre 1784.)
Il n'y aura rien à faire avec les gens où vous êtes, à moins que l'Empereur ne casse les vitres, et n'attaque les Turcs ou quelque allié de la France; et encore le crédit de la Reine gardera tant de prépondérance, qu'elle affaiblira le nerf des ministres, au cas qu'il s'en trouve un qui pense noblement. Tout cela bien considéré, il faut se borner à conserver cette cour dans de bonnes dispositions pour les Prussiens, mais il faut bien se garder de compter sur eux; ce serait compter sans son hôte. On mande de Pétersbourg que l'Impératrice est plongée dans la plus noire mélan<510>colie; elle ne fait rien, toutes les affaires sont en paralysie. Selon toutes les apparences, cela causera une révolution dans sa façon de penser, et peut-être le Grand Seigneur devra sa conservation à la mort de Lanskoi. Si la France s'énonçait d'un ton ferme, elle accommoderait bien vite les brouilleries de l'Empereur et des Hollandais; mais vous ne verrez dans le pays où vous êtes que les vestiges de la grandeur passée dont la France a joui sous le règne de Louis XIV.
P. S. On envoie chasser Louis XVI pour le soustraire à votre pénétration, et par ménagement pour la cour de Vienne.
389. AU MÊME.
Le 10 octobre 1784.
Mon très-cher frère,
Je ne vous ai point parlé de ma personne, mon cher frère, parce qu'un homme est un misérable individu en comparaison de l'espèce, et que c'est peu de chose dans l'Europe qu'un vieillard souffre des fatigues, ou qu'il les expédie lestement. J'ai fait ma tournée accoutumée; il m'en a plus coûté qu'à l'âge de quarante ans; mais enfin il ne faut pas se refuser aux devoirs de sa charge, mais tâcher de les remplir le moins mal que possible. Nous avons eu ici M. de Bouille, qui est un homme de mérite, parce qu'il a su allier au mérite d'un bon militaire tout le désintéressement d'un philosophe; et quand on est assez heureux de rencontrer des hommes pareils, il faut en tenir compte à toute l'humanité, parce que la vertu est rare, et que d'honnêtes gens ne sauraient qu'en relever le mérite. A présent tous nos étrangers ont disparu à la fin de nos manœuvres, et je vis retiré dans ma retraite philosophique. Je ne connais tous les gens de lettres dont vous me parlez que par réputation. M. de Condorcet est un élève de d'Alembert; il est à croire qu'il suivra les préceptes de son insti<511>tuteur, auquel il n'y aurait aucun reproche à faire, si ce n'est sa trop grande complaisance pour Diderot, qui l'a entraîné au delà des lois sages qu'il s'était prescrites. Vous voyez par là combien l'esprit humain est sujet à des séductions étranges, et que les plus sages se laissent quelquefois entraîner par ceux auxquels ils devraient imposer des lois. Voilà où les plus sages en sont réduits, ce qui diminue beaucoup, en ma façon d'envisager les choses, le mérite de notre espèce. Les plus sages font des fautes; à quoi ne sont pas réduits les plus ignorants! Tout ceci, mon cher frère, se ressent des réflexions d'un vieillard qui est presque mort au monde, et qui, dans le silence de toutes passions, raisonne sur ceux que les passions entraînent encore. Cela me fait souvenir du mot du maréchal de Broglie, gouverneur de Strasbourg, qui disait à de jeunes officiers débauchés de sa garnison : « Messieurs, faites comme moi, soyez sages. » Quelqu'un lui répondit : « Monsieur le maréchal, attendez que nous ayons atteint à votre âge. » Je suis, etc.
390. AU MÊME.
Le 17 octobre 1784.
Il est sûr que le monde est plongé dans un étrange chaos, en ce qui regarde la politique; mais ce ne sera pas nous Prussiens qui le débrouillerons; ce seront les deux cours impériales qui voudront chasser les Turcs de l'Europe, ou l'Empereur qui peut-être voudra attaquer les Hollandais, enfin quelque entreprise décisive qui force les autres potentats à se lier ensemble pour résister aux perturbateurs du repos public. L'impératrice de Russie commence à se montrer; mais, toujours affaissée par une sombre mélancolie, elle devient religieuse; l'on croit qu'il n'y aura plus de nouveau favori. Je regarde cela comme des nouvelles, et j'attends d'apprendre si son voyage de la Crimée aura lieu, ou si elle l'abandonne. Voilà ce qui nous éclairera le plus, et nous <512>fera voir si son ambition s'assoupit, ou si elle se réveille. Je ne m'attends pas à beaucoup du pays où vous êtes, par bien des raisons que vous devinez sans doute. Voici une chance qui s'offre : les Hollandais refusent net de souscrire aux usurpations du commerce de l'Escaut, que l'Empereur se veut approprier. Il se peut que d'un moment à l'autre il y ait en Flandre quelques hostilités commises, et dès lors la France se trouvera dans de grands embarras. Mais j'abrége tous mes raisonnements, dans l'espérance de vous revoir bientôt, de vous entendre et de vous expliquer mes réflexions de vive voix.
391. AU MÊME.
Le 17 octobre 1784.
Mon très-cher frère,
Quand on se trouve à Paris, mon cher frère, une foule de matières se présentent sous la plume; une ville prodigieusement peuplée, une nation industrieuse, sont des sources intarissables dans lesquelles on puise cent choses agréables, intéressantes et instructives. Je me trouve en cela fort arriéré, et hors d'état de vous rendre la pareille. Vous entretiendrai-je de mes vignes, qui ont produit des raisins fort médiocres, de nos arbres, que le froid dépouille de leurs feuilles, de mon jardin, que le froid m'obligera d'abandonner dans peu? Que vous dirai-je de la société? Je vis reclus comme les moines de la Trappe sur lesquels vous avez jeté un coup d'oeil; je travaille, je me promène, et je ne vois personne. Mais je m'entretiens avec les morts en lisant leurs bons ouvrages, ce qui vaut mieux que d'invoquer les mânes et de s'entretenir avec Sorbon et son mauvais génie, usage que la maçonnerie a mis en vogue, et que la superstition populaire adopte. Je vous prie, mon cher frère, de vous familiariser un peu avec les ermites gaulois, pour qu'en revenant vous puissiez vivre avec votre vieux frère, qui ne tient plus au monde que par <513>un fil. Quelle chute de quitter Paris, et de se trouver à Potsdam, chez un vieux radoteur qui a déjà envoyé une partie de son gros bagage prendre les devants pour le dernier voyage qui lui reste à faire.584-a Là, vous avez vu des bustes, on vous a lu des opéras, vous avez entendu déclamer de fameux académiciens; ici, vous verrez un vieux corps cacochyme, dont la mémoire est presque perdue, qui vous ennuiera par des propos usés et par les inepties de son bavardage. Mais songez cependant que ce vieillard vous aime plus que ne font tous les beaux esprits qui sont à Paris. Soyez persuadé de son tendre attachement et de la haute estime avec laquelle, etc.
392. AU MÊME.
Le 24 octobre 1784.
Nos lettres de Russie ne parlent point des écrits de l'Impératrice à son fils; au contraire, on dit qu'ils ne sont pas bien ensemble. Une étourderie de Cobenzl l'a brouillé avec la pantocratrice, et l'on croit que son chagrin mélancolique lui fait entièrement mettre de côté le projet de couronner son petit-fils à Constantinople. Vos Français sont de bien mauvais alliés, vu les conseils pusillanimes qu'ils ont donnés à leurs alliés les Turcs, et les honteux conseils que maintenant ils donnent aux Hollandais. Toutes les apparences sont que par la médiation de la France et de la Russie les chicanes que Joseph a suscitées aux Hollandais seront apaisées.
<514>393. AU MÊME.
Le 24 octobre 1784.
Mon très-cher frère,
Vous avez, mon cher frère, tous les jours de nouveaux objets qui vous occupent; vous passez vos jours à parcourir de chef-d'œuvre en chef-d'œuvre, et à voir encore les traces récentes des magnificences du règne de Louis XIV. Cela peut occuper plus longtemps qu'on ne le pense. Si vous retournez585-a pour être vers la fin du mois à Brunswic, j'espère que vous voudrez bien passer par chez moi, ce qui n'allonge votre chemin pour Berlin que de deux lieues. Je ne saurais pas vous mander d'ici la moindre chose, parce que nous ne faisons que végéter, tandis que toute la nation française danse, court, rit, chante, et se multiplie ou se produit toujours de nouveau. J'aime donc mieux, pour ne vous pas ennuyer, abréger ma lettre, et me contenter de vous assurer du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
394. AU MÊME.
Le 7 novembre 1784.
Mon très-cher frère,
Je viens de recevoir votre lettre du 24 octobre avec le chiffre. Je bénis le ciel, mon cher frère, de vous savoir délivré de vos coliques; mais dans cette arrière et mauvaise saison, je vous avoue que je crains pour votre retour, parce que l'air froid et les mauvais chemins peuvent facilement déranger votre santé, qui n'est pas des plus fortes. J'adresse cette lettre à Brunswic, où j'apprends que vous vous rendrez le 20 de ce mois. Je ne réponds point au chiffre, parce que j'espère que, sans que cela allonge votre voyage, vous viendrez à votre retour passer quelques <515>jours chez moi. Alors nous nous expliquerons verbalement, et en un quart d'heure nous aurons plus éclairci de choses que par vingt volumes d'écriture. Dans cet agréable aspect pour moi, j'attends à vous assurer de vive voix du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
395. AU MÊME.
Le 24 novembre 1784.
Mon très-cher frère,
J'ai reçu, mon cher frère, toutes vos lettres, mais sans pouvoir vous répondre, parce que vous avez été sans cesse en voyage. J'ai bien appréhendé que vous vous ressentiriez des mauvais chemins, et je suis toutefois charmé de vous savoir en bonne santé. Comme ma lettre vous trouvera à Brunswic, je puis vous écrire plus hardiment, et vous dire que je suis sûr que si la France prend un ton ferme, l'Empereur pliera, et que, au lieu de guerre, il y aura des négociations qui termineront cette affaire en annulant les injustes prétentions de l'Empereur. Je me réjouis beaucoup de pouvoir vous embrasser à votre retour ici, et je fais d'avance chauffer les chambres, pour que rien, mon cher frère, ne manque à vos commodités, étant, etc.
396. AU MÊME.
Le 28 janvier 1785.
Mon très-cher frère,
Je vous suis très-obligé, mon cher frère, des éclaircissements que vous daignez me communiquer touchant la cabale qui a <516>voulu précipiter M. de Vergennes. Ce qu'il y a d'heureux, c'est qu'elle a manqué. Quoique ce ministre ne soit pas des plus fermes, il pense pourtant en bon Français, et il s'est fait jusqu'à présent honneur par sa conduite. Toutes les nouvelles que je reçois sont aussi pacifiques que celles des passés huit jours étaient guerrières; l'Empereur ne forme point de magasins en Flandre, les Croates s'en retournent, et probablement quelques traits de plume décideront du sort de Mastricht et de l'Escaut. M. de Ségur doit, je crois, arriver aujourd'hui ici; je serai bien aise de le voir, et votre approbation, mon cher frère, y mettra le sceau le plus authentique. Les nouvelles de Pétersbourg disent qu'on veut à toute force donner un nouveau galant à l'Impératrice, mais qu'elle a les jambes enflées, et que son humeur est fort aigrie; on prétend qu'elle a abandonné ses plans de conquête, et qu'elle n'est plus guerrière du tout. On ajoute que cette levée de troupes n'est que pour rendre les régiments un peu moins incomplets qu'ils n'ont été; car quelques-uns comptent qu'ils ont perdu en Crimée et dans le Cuban trente-cinq mille hommes de différentes maladies. Voilà, mon cher frère, où nous en sommes à ce moment, et je vous avoue que cette perspective de pacification me fait grand plaisir. Je ne crains pas tant les projets de l'Empereur sur la Bavière : la France se déshonorerait en les tolérant. Mais l'Empereur tardera à mettre ce projet en exécution jusqu'à la mort de l'indigne Théodore; alors l'Europe verra éclore une nouvelle guerre, qui doit nécessairement devenir générale pour tout ce continent. Je souhaite de tout mon cœur, mon cher frère, d'avoir de bonnes nom elles de votre santé et de votre contentement; je m'y intéresse sincèrement, comme je le dois, étant, etc.
Voilà quelques paniers de raisins que je viens de recevoir de la Hongrie.
<517>397. AU MÊME.
Le 14 février 1785.
Mon très-cher frère,
J'admire avec quelle patience vous recevez, mon cher frère, tout le bavardage politique dont je vous ennuie. S'il s'agissait de bagatelles, je ne vous importunerais pas; mais il s'agit d'affaires de la plus grande conséquence pour les suites qu'elles peuvent avoir. Scipion disait qu'il pardonnerait bien des fautes à un général, excepté celle de dire, à l'occasion d'un événement : Je ne l'avais ni cru ni prévu.588-a Or, dans les affaires politiques, il faut nécessairement prévoir ce qui dépend de nous, et souvent joindre la défiance aux réflexions que font naître les différentes matières qui se présentent à notre examen. De plus, dans la situation où je me trouve, il faut souvent deviner l'avenir, parce que ni l'Empereur ni la Russie ne s'expliquent envers moi, et qu'il faut que j'observe la Fiance, que je la suive dans ses démarches, pour ne me point laisser entraîner en quelque faute par une crédulité aveugle. Pour en venir là, mon cher frère, je combine tous les faits qui se présentent en moi de cent façons différentes, pour essayer si mon imagination, leur donnant des formes différentes, pourra parvenir à deviner laquelle sera celle que les événements prendront : c'est le seul moyen qu'on ait pour prévoir l'avenir et pour s'y préparer d'avance. Vous saurez que l'électeur de Bavière m'a fait déclarer qu'il ne s'était lié par aucun traité avec l'Empereur; et si cela sort de la tête de M. Lehrbach, il paraît que la cour de Vienne ait intention de me rassurer. Mais pourquoi donc trente mille Russes marchent-ils par la Pologne? Pourquoi l'Empereur fait-il de gros emprunts à Francfort? Pourquoi construit-il des magasins à Fribourg? Un prince avare s'engagera-t-il à de telles dépenses à pure perte? Tous ces arrangements ne seraient-ils pas pris pour envahir la Bavière de force <518>et obliger la France, pour éviter la guerre, à consentir à ce troc? Je ne dis pas, mon cher frère, que mes soupçons soient des réalités; toutefois il s'y trouve de la vraisemblence, d'autant plus qu'on endort la France, et que, selon mes lettres d'aujourd'hui, on se flatte à Versailles de faire désister l'Empereur de ses vastes desseins. Je travaille à présent à former une ligue dans l'Empire de ce qu'on pourra réunir de princes, pour nous opposer unanimement à l'ambition démesurée du César d'Autriche, au cas que la France ne parvienne point à calmer la fougue de ses injustes entreprises. Par tout ce qui m'en revient, il paraît que les projets d'acquisitions que ce prince avait formés sur la Hollande ne servaient que d'avant-propos pour entamer plus sérieusement cette affaire du partage dont maintenant il est question. Nous sommes maintenant au fort de la crise, et ce ne sera tout au plus qu'à la fin de mars que ce chaos se débrouillera. Je vous avoue, mon cher frère, que ma vieillesse s'accommode très-mal de ces agitations perpétuelles que le turbulent Joseph imprime aux affaires politiques de l'Europe; déjà plus qu'à moitié hors du monde, il faut que je redouble de prudence et d'activité, et que j'aie la tête sans cesse remplie de tous les projets odieux que ce maudit Joseph enfante de nouveau chaque jour de l'année. Je suis donc condamné à ne jouir de quelque tranquillité qu'après qu'un peu de terre aura couvert mes ossements. Je suis, etc.
398. AU MÊME.
Le 11 décembre 1785.
Mon très-cher frère,
Mes incommodités sont, mon cher frère, un mélange de différents maux : c'est un commencement d'asthme,590-a des coliques hémorroïdales, un catarrhe presque continuel, une constipation presque continuelle, jointe à une atonie de boyaux, ce qui m'em<519>pêchera cette année de m'exposer à la vue du grand monde, mon corps me donnant tant d'occupation, qu'il me faut rechercher le repos et la solitude. Toutefois je serai toujours charmé de vous embrasser toutes fois et quantes ce sera à votre commodité. C'est ainsi, mon cher frère, qu'on s'affaiblit insensiblement, et que les maux destinés à retrancher la trame de nos jours se fortifient insensiblement, jusqu'à ce qu'enfin ils nous expédient tout à fait. Je suis, etc.
399. AU MÊME.
Le 15 décembre 1785.
Mon très-cher frère,
J'apprends avec bien du chagrin, mon très-cher frère, que vous êtes malade. Je fais des vœux fervents pour que votre convalescence soit prompte, et que ces maudites hémorroïdes vous respectent à l'avenir. Cette douloureuse incommodité me harcèle perpétuellement depuis quelque temps. Si l'âge prolonge nos jours, c'est pour livrer notre corps à d'innombrables souffrances, ce qui rend la mort plus désirable qu'une pareille vie. J'attendrai votre entière guérison, mon très-cher frère, pour avoir alors le plaisir de vous embrasser avec liberté de conscience. Je suis, etc.
400. AU MÊME.
Le 7 janvier 1786.
Mon très-cher frère,
Je suis très-sensible à votre cher souvenir, et je me mets en devoir de vous informer, mon cher frère, et de ma santé, et de ce <520>qui m'est revenu des nouvelles publiques. Depuis que vous m'avez quitté, j'ai passé la plupart des nuits sans dormir, accablé par la toux et des spasmes asthmatiques, ce qui m'affaiblit beaucoup. Jusqu'ici je n'ai point remarqué le moindre amendement de mes maux, ce qui me confirme dans l'opinion que je suis en grand train d'arriver bientôt aux champs Élysées; c'est où se terminent tous nos maux. A l'égard de la stérilité des nouvelles, je regarde cela comme un grand bien, car de vingt qu'on reçoit, à peine il y en a deux de passables contre dix-huit de mauvaises. La refonte de monnaies qui se fait en France, et qui en baisse le titre, est un de ces expédients désespérés auxquels les financiers ont recours quand toutes les autres ressources sont taries. Cela vaudra huit millions au Roi, et comme la perte n'est que de six pour cent, cela ne sera qu'un mal passager qui, la première année, causera des pertes, mais sans laisser de traces pour les suivantes, la balance du commerce étant trop avantageuse pour la France, qu'elle puisse en aucune façon en sentir, comme je l'ai dit, après l'écoulement de la première année.
On dit et annonce le cardinal de Rohan comme un homme perdu : on lui ôtera toutes ses charges, et ses infamies découvertes aux yeux du public le couvriront d'opprobre. Voilà ce qui se mande de Paris. Au lieu de nouvelles intéressantes, j'y supplée par quelques fruits que je vous prie de recevoir avec bonté, et d'être persuadé du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
401. AU MÊME.
Le 16 janvier 1786.
Mon très-cher frère,
Vous avez trop de bonté de vous intéresser autant que vous le faites à ma débile santé. J'ai fait venir le coryphée des médecins de Berlin. Après l'avoir mis au fait de mes différentes incommo<521>dités, il m'a condamné à un cautère à la jambe, pour y attirer les humeurs qui se dégageaient autrefois par cette jambe alors ouverte, mais qui, depuis quatre années, s'est fermée.593-a C'est une opération à laquelle je puis m'assujettir facilement, et d'ailleurs il veut me dépecer les entrailles par des sels ammoniacs et de la rhubarbe, à quoi j'ai promis d'obéir, si par ce moyen je puis regagner le sommeil et la protection de Morphée; car, depuis que j'ai eu la satisfaction de jouir de votre naissance,593-b je n'ai eu, mes meilleures nuits, que trois à quatre heures de sommeil tout au plus, et pour occupation qu'une toux perpétuelle, ce qui a presque exténué toutes mes forces. Reste à voir si le régime qu'il m'a prescrit sera assez efficace pour remédier aux maux dont je suis accablé. Je n'entrerais certainement pas dans ces détails, si l'amitié que vous daignez me témoigner ne m'en faisait un devoir.
Pour ce qui regarde l'archevêque de Strasbourg, les bruits qui courent dans le public semblent presque tous le condamner; il doit, dit-on, être jugé par le parlement. En attendant, le prince de Soubise a été expulsé du conseil, où il avait une place. Ceci n'influera en rien dans les délibérations, où il n'opinait que du bonnet. Les meilleures nouvelles que j'aie de France sont que j'espère de moyenner un accommodement entre les Hollandais et le prince-stadhouder. La France s'y prête. Je serai charmé de pouvoir rendre le service à notre chère nièce de la maintenir avec sa postérité dans le poste qu'ils occupent. Il faut que les choses aillent mal pour les Russes auprès du mont Caucase, comme dans le Cuban. Mes lettres de Constantinople assurent que l'on y prépare bien de la besogne à la pantocratrice. J'aime bien mieux que ces barbares s'occupent du Cuban que de la Prusse, Je verrai demain un comte Stolberg, au service de l'évêque d'Eutin. Il vient de Pétersbourg, et il est chargé pour moi de quelques commissions de la part du grand-duc. Comme les fruits <522>que je vous ai envoyés vous ont été agréables, vous voudrez bien accepter de même ceux qui accompagnent cette lettre, étant, etc.
402. AU MÊME.
Le 25 janvier 1786.
Mon très-cher frère,
Je vous fais mille remercîments des vœux que vous daignez faire au sujet de mon jour de naissance. Je l'ai très-mal passé, ayant eu une très-forte attaque d'asthme, et dont je ne suis pas encore entièrement quitte. Nous avons ici un M. Mirabeau,594-a que je ne connais point; il viendra aujourd'hui chez moi. Autant que j'en puis juger, c'est un de ces efféminés satiriques qui écrivent pour et contre tout le monde. On dit que cet homme va chercher un asile en Russie, d'où il pourra publier ses sarcasmes impunément contre sa patrie. Je vous prie, mon cher frère, de compter sur mon tendre attachement et sur la haute estime avec laquelle je suis, etc.
403. AU MÊME.
Le 27 janvier 1786.
Mon très-cher frère,
J'ai été fort fâché d'apprendre que vous avez été incommodé derechef de ces vilaines coliques hémorroïdales; mais j'espère, mon cher frère, que vous jouirez au moins d'un long intervalle de santé, pour que la nature ait le temps de reprendre ses forces. <523>Nous aurons aujourd'hui le duc de Weimar ici;595-a il s'en retourne chez lui, et j'avoue qu'il est bien supérieur à son père, à son grand-père, ainsi qu'à son bisaïeul; pour trouver un homme comme il faut dans sa famille, il faut remonter jusqu'au fameux Bernard de Weimar.595-b Dans ce moment, je reçois des raisins de Hongrie, arrivés ici assez bien conditionnés. Je vous prie, mon cher frère, d'accepter les ci-joints, en vous assurant du tendre attachement et de toute l'estime avec laquelle je suis, etc.
404. AU MÊME.
Le 6 février 1786.
Mon très-cher frère,
Depuis le temps que je n'ai pas eu la satisfaction de vous écrire, j'ai souffert comme un damné de l'asthme, qui empire chez moi journellement. Le médecin,596-a qui se mêle un peu de sorcellerie, m'a endiablé aujourd'hui par un démon nommé assa fœtida, qui, par le moyen d'une canule, m'est entré au ventre, et fait rage dans les boyaux. On dit que le diable est l'ennemi juré de mon mal, et qu'ainsi, à coup sûr, s'il l'emporte, je serai possédé par lui, ou, s'il perd sa cause, je continuerai d'étouffer sans cesse, jusqu'au moment qui terminera mes souffrances. S'il fallait choi<524>sir entre ces rivaux qui se disputent pour l'honneur de m'asservir, j'avoue que je préférerais le démon, car le drôle a de l'esprit, il a séduit notre première mère et bien d'autres; au lieu que l'asthme est un bourreau impitoyable qui vous étouffe sans cesse, et ne vous achève jamais. Voilà, mon cher frère, le tableau de ma chétive existence, et il me faudra passer encore quelques jours dans l'incertitude pour juger lequel de ces deux héros, en expulsant son rival, s'assurera de ma conquête. Je ne manquerai pas de vous en rendre compte, vous priant de compter sur toute ma tendresse, comme sur toute mon estime, étant, etc.
405. AU MÊME.
Le 22 février 1786.
Mon très-cher frère,
Puisque vous voulez savoir de mes nouvelles, j'ai l'honneur de vous dire, mon cher frère, que depuis six jours ma santé commence à aller mieux. Après avoir été six jours sans dormir, le démon de la Faculté m'a rendu le sommeil, et cela m'a beaucoup soulagé; et l'on prétend que cette médecine me guérira. Il en était temps, car si l'insomnie et le total épuisement de forces avaient continué, je n'aurais jamais gagné le printemps. La toux a diminué de même; il ne me reste encore qu'une extrême faiblesse, et je doute que je regagne mes forces perdues. Vous avez la bonté de me dire que vous vous prépariez à retourner à Rheinsberg, et que peut-être iriez-vous revoir votre vieux frère. Ce vieux frère sera toujours charmé de vous embrasser et de vous assurer de vive voix du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle il est, etc.
<525>406. AU MÊME.
Le 26 février 1786.
Mon très-cher frère,
Vous avez bien de la bonté de vous intéresser aux infirmités de votre vieux frère. J'avais chanté victoire trop vite. Voici deux jours que j'ai été obligé d'en rabattre, parce que l'asthme m'incommode souvent assez fort; alors l'haleine courte me rend la conversation difficile. Je devrais avoir honte de vous entretenir de telles misères. J'avoue que, en pensant à ce printemps, je suis fort embarrassé de ma personne, doutant beaucoup que j'aurai les forces à fournir aux voyages et à la carrière militaire qui va s'ouvrir dans peu. Je ferai ce qui sera dans mon pouvoir. On ne peut pas prétendre qu'un corps cacochyme agisse en Hercule; c'est au delà du pouvoir des hommes. Je verrai aujourd'hui M. d'Aguesseau, dont j'ai une idée avantageuse, parce que tous les gens de robe que j'ai connus mont paru plus instruits et mieux élevés que les autres. Je suis, etc.
407. AU MÊME.
Le 2 mars 1786.
Mon très-cher frère,
Loin que je me remette un peu, mes accidents empirent. Hier et aujourd'hui je souffre mort et martyre. Outre l'asthme et une toux très-tenace, j'ai des maux de tête qui m'ôtent presque la faculté de penser. Voilà ce qui m'oblige à finir ma lettre, en vous assurant du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
<526>408. AU MÊME.
Le 3 mars 1786.
Mon très-cher frère,
Rien ne pouvait m'être plus agréable que le plaisir que vous voulez bien me procurer, la semaine prochaine, de vous revoir et de vous embrasser, mon cher frère. Je vous prie en même temps de vouloir avoir quelque indulgence pour mes infirmités, qui me mettent hors d'état de faire tout ce que je voudrais. Je me réjouis d'avance sur mercredi prochain, en vous priant de me croire avec le plus tendre attachement et la plus haute estime, etc.
409. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 30 mars 1786.
Mon très-cher frère,
De toutes les situations la plus pénible pour moi est celle de savoir que vous souffrez, mon très-cher frère. Je voudrais au moins pouvoir vous soulager; je vous supplie de croire que si j'en étais capable, j'y ferais tous mes efforts. Cependant, pour peu que le beau temps continue, j'espère que si vous prenez l'air, insensiblement ce remède sera plus salutaire que toutes les médecines, et un exercice modéré, dans la belle saison, mettra en mouvement la matière qui embarrasse la poitrine, et qui se dégagera plus facilement. Vous me pardonnerez, mon très-cher frère, si je prends le langage d'un médecin. Dans ce moment, j'en voudrais être un, pour vous rendre service; au moins mes vœux, s'ils sont exaucés, vous rendront la santé.
Vous avez grande raison, mon très-cher frère, de dire que le règne des prophètes est passé; les imposteurs ne peuvent tromper longtemps, si même ils en imposent pendant quelque temps au peuple. Ce n'est que chez les Islandais, Groënlandais, et chez <527>quelques hordes de Tartares, qu'on trouve encore des sorciers. Ces sorciers sont prophètes chez eux, et leur en imposent par les moyens les plus simples. C'est là qu'on peut connaître ce que l'homme était avant que d'être éclairé, et la distance immense qui sépare l'homme sauvage de celui qui est civilisé. Il est vrai qu'on rencontre quelquefois chez ces derniers l'amour du merveilleux; mais si un charlatan cause de l'effervescence dans les esprits, c'est comme ces météores qui ne font que passer. Mais je ne dois point abuser de vos bontés, mon très-cher frère. C'est avec impatience que j'attends des nouvelles de votre santé; j'espère toujours que je les trouverai d'accord avec mes vœux, et conformes au tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
410. AU PRINCE HENRI.
Le 2 avril 1786.
Mon très-cher frère,
Je suis sensible comme je le dois à la part que vous daignez prendre au délabrement de ma santé. Depuis, mon cher frère, que j'ai eu l'honneur de vous voir, mes maux sont fort empires : je n'ai plus de sommeil les nuits, et les passe dans des inquiétudes continuelles, me traînant d'une place dans l'autre, sans trouver de repos. Mon asthme est fort augmenté, mes forces diminuent, et, à vous parler franchement, je ne compte que par jours. On m'a appliqué des vésicaloires; l'inflammation s'y est mise, et encore n'est-elle pas entièrement dissipée. Je vous écrirais volontiers davantage, mon cher frère; la matière ne me manque pas, mais bien les forces, et les fréquentes oppressions de l'asthme me font tomber la plume des mains. Que le ciel vous bénisse et vous conserve! Soyez persuadé que ce sont mes vœux, étant, etc.
<528>411. AU MÊME.
Le 10 avril 1786.
Mon très-cher frère,
Touché de votre amitié comme je dois l'être, je vous en témoigne, mon cher frère, toute ma reconnaissance. Jusqu'ici je souffre encore beaucoup, et je ne vois pas que la saison me soulage, mais bien la rhubarbe, à laquelle j'ai mon principal recours. Avec cela, les insomnies m'abîment, en me privant de mes forces. Toute cette combinaison de maux me met hors d'état de tirer avec quelque certitude le moindre pronostic de la tournure que prendra ma maladie. Au vrai, je ne m'attends pas à grand' chose, et j'ose croire que si la nature n'avait pas admis l'asthme parmi les ressorts destructifs de l'humanité, nous aurions moins de souffrances, et nous en payerions également le tribut à la nature. Je viens de voir un prince russe haut de deux pieds et demi; sa tête était ornée dans le goût du chapiteau corinthien. Il est chambellan de l'Impératrice; cependant je garantirais qu'il ne sera jamais associé avec ceux qui partagent les faveurs suprêmes. Je prends la liberté, mon cher frère, de vous présenter quelques fruits, vous assurant du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
412. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 14 avril 1786.
Mon très-cher frère,
L'intérêt que je prends à votre santé, mon très-cher frère, est tout naturel; il est réglé sur le devoir et l'attachement. C'est le sentiment par lequel je vous ai écrit. Il aurait été heureux pour moi d'apprendre au moins que vous vous trouvez soulagé; mais les insomnies dont vous me parlez, mon très-cher frère, me font <529>craindre le contraire. Nous n'avons eu jusqu'à cette heure qu'un printemps assez froid, des gelées de nuit, et quelques beaux jours; ce ne sera que lorsque le soleil aura toute sa force que vous sentirez, je l'espère, l'influence qu'il aura sur votre santé.
Vous me faites l'honneur de me dire, mon très-cher frère, que vous avez vu un Russe. Cette nation voyage beaucoup, et ce sont, quand on se trouve dans ce pays, les seuls avec lesquels on puisse parler. On dit dans toutes les gazettes que l'Empereur irait à Cherson; d'autres papiers assurent que l'Impératrice n'entreprendra point le voyage avant l'année prochaine : au moins, si ce voyage a lieu, ce sera le premier empereur d'Allemagne qui aura été dans ce pays éloigné.
Je forme les vœux les plus sincères pour votre conservation, mon très-cher frère, en vous rendant grâce pour les fruits que vous avez daigné m'envoyer, étant, etc.
413. AU PRINCE HENRI.
(17 avril 1786.)
Mon très-cher frère,
Je ne saurais vous dire grand' chose de ma personne, si ce n'est que la Faculté m'a fait promener en carrosse pour prendre l'air. Cela m'a fort affaibli, et ne m'aide de rien. Je suis bien loin de pouvoir monter à cheval. Ma faiblesse est une extinction de forces d'une machine usée qui s'affaisse. Si toutes ces promenades continuent à m'épuiser au lieu de me soulager, je me ménagerai ces choses, qui ne sont que des peines perdues. Ce sera, mon cher frère, au mois de janvier de 1787 que les cours impériales s'aboucheront à Cherson,603-a comme on me le mande; mais l'Impératrice marque peu d'empressement pour cette entrevue. Mon abattement, mon cher frère, m'empêche de vous en dire <530>davantage; je me borne à vous assurer du tendre attachement et de la haute considération avec laquelle je suis, etc.
414. AU MÊME.
(26 ou 27 avril 1786).604-a
Mon très-cher frère,
J'ai fait tous les essais que les médecins m'ont prescrits, mais il n'y en a pas un qui m'ait réussi. Nous avons le plus beau temps du monde, et mon asthme m'étouffe. Le mouvement du carrosse ne me fait ni bien ni mal, et je ne puis être qu'un moment à cheval, à cause que l'épine du dos ne peut me soutenir. Mes insomnies m'abîment, et, entre nous soit dit, je ne vois aucun jour à ma convalescence. Les médecins bavardent, mais je n'ajoute aucune foi aux balivernes qu'ils débitent. Pardonnez-moi mes courtes lettres; je n'ai pas les forces pour écrire.
Vous assurant du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.
415. AU MÊME.
Le 22 mai 1786.
Mon très-cher frère,
Ce sont chez moi, mon cher frère, toujours quelques nouveaux tours que ma maladie prend, qui m'arrivent tout à coup, quand je croyais toucher à la convalescence. A présent, c'est une inflammation à la jambe, où ils m'ont mis mouches cantharides et <531>vésicatoires. L'asthme de même, depuis quelques jours, m'incommode beaucoup. Ajoutez à cela le poids de l'âge et l'affaiblissement qui est une suite de mes infirmités, et vous ne trouverez pas étonnant qu'une vieille machine détraquée ne puisse reprendre la première consistance. Je vous remercie de la part obligeante que vous daignez prendre à mes infirmités, mais je crois n'en pas être débarrassé de sitôt. C'est en vous assurant de mon tendre attachement et de toute la considération avec laquelle je suis, etc.
416. AU MÊME.
Le 29 mai 1786.
Mon très-cher frère,
Je crois qu'il faudra un peu prolonger la patience pour attendre ma guérison, car, puisque vous voulez, mon cher frère, que je vous instruise de ma vieille patraque, je vous dirai que je suis, à la vérité, soulagé en quelques points, mais sans y gagner. Les maux ne font que changer; à présent, c'est l'asthme sec qui me moleste le plus. Dans quelques jours, j'essayerai de l'exercice à cheval; mais je doute que mes forces le soutiennent, et je me dis souvent à moi-même : On ne peut pas être et avoir été, et c'est au temps à emporter tout ce que la rouille des années a commencé à détruire en détail.605-a Si cependant la nature donnait encore quelque espérance, je ne manquerais pas de vous en rendre compte, étant, etc.
<532>417. AU MÊME.
(Sans-Souci, 28 juin 1786.)
Mon très-cher frère,
Vous voulez savoir de mes nouvelles, mon cher frère? Je vous dirai que les médecins précédents m'ont endiablé avec de l'assa fœtida, et que celui-ci606-a me leurre d'une herbe qu'on nomme dent-de-lion.606-b Ses effets ne se feront remarquer que dans un mois. Il faut donc avoir patience, et, dépourvu comme je le suis du don de la foi, je n'ai qu'une faible confiance dans ce remède. Souffrez que je vous embrasse et vous assure de toute la tendresse et la considération avec laquelle je suis, etc.606-c
418. AU MÊME.
Ce 4.
Mon cher frère,
Vous me remerciez pour Benda606-d comme pourrait faire un amant à qui on a fait ravoir sa maîtresse. Cela n'en vaut pas la peine, et quand vous aurez envie de l'avoir, vous n'avez qu'à me l'écrire, Benda et tout ce que j'ai étant fort à votre service, de même que celui qui a l'honneur de se dire, etc.
<533>APPENDICE.609-a
I. Ordre an meine Generale dieser Armee, wie sie sich im Fall zu verhalten haben, wenn ich sollte todtgeschossen werden.
Sollte die Bataille gegen Russen gewonnen werden, wie wir es alle hoffen, so muss der Feind mit aller Vigueur verfolget werden : alle Freibataillons mit einem Preussischen Grenadier-Bataillon und Kreytzen nebst Malachowski Husaren erstlich geschicket nach Driesen, um sie auszunistelen; darnach muss dieses Corps in Polen herein, um die Polen soviel mehr gegen die Russen zu animiren, und sich also der Weichsel nähern. Der General Dohna, mit seinem Corps und zwei Bataillons Pioniers und Burgsdorff, marschiret sogleich gegen Königsberg und Soldin, jaget die Russen aus Pommern und wendet sich über Stettin gegen die Schweden. Das Corps, was ich bei mir gehabt habe, nebst den zwei Cuirassier-Regimentern von meinem Bruder Heinrich, Kurssel und Bülow, marschiren sogleich wieder von Cüstrin nach Frankfurt, und so in die Lausitz, um dem Loudon Einhalt zu thun. Auf vier Wochen Mehl konnen sie aus Berlin auf dem Neuen Graben nachkriegen, und muss dieses Corps erstlich die Mark decken und nach den Umständen entweder zum Markgrafen oder Prinz Heinrich stossen. Es muss gleich nach meinem Tode die Armee in meines Neveu's Eid genommen werden, und da mein Bruder Heinrich Vormund desselben mit einer unbeschränkten Autorité ist, so muss die ganze Armee seine Befehle so respectiren, als die von dem regierenden Herrn.609-b Ich will, dass nach meinem Tode keine <534>Umstände mit mir gemacht werden; man soll mich nicht öffnen, sondern stille nach Sans-Souci bringen und in meinem Garten begraben lassen.610-a Dieses ist mein letzter Wille und hoffe, dass alle meine Generale und die Armee solchem stricte nachleben werden.
Im Lager bei Cüstrin, den 22. August 1758.
Friderich.
NB. Sollte die Bataille verloren gehen, so muss sich die Armee hinter Cüstrin setzen, von allen anderen Armeen Succurs an sich ziehen, und je eher je lieber dem Feind von Frischem wieder auf den Hals gehen.
Fch.
II. Ordre an den General-Lieutenant Grafen zu Dohna.610-b
Auf den Todesfall Sr. Majestät sollet Ihr die Armee sogleich, ohne weitere Ordre, Höchst Dero Neveu dem Prinzen von Preussen huldigen und schwören lassen, als meinem Nachfolger zur Krone und zur Regierung, sobald Ihr nur die gesicherte Nachricht von meinem Tode erhalten haben werdet.
Breslau, den 20. März 1759.
170-a Le colonel de Stille (voyez t. VII, p. 33-36, et t. X, p. 93 et 145-155), à qui le Roi avait confié l'éducation de ses frères cadets les princes Henri et Ferdinand, dit dans son premier rapport, du 3 septembre 1740, en faisant l'éloge de ses élèves, que le pasteur des Champs (t. XXI, p. 17), qui leur enseignait la logique, contribuerait beaucoup à leur donner sur toutes choses des idées nettes et justes. Voyez (König) Historische Schilderung von Berlin, t. V, IIepartie, p. 107.
171-a De la main d'un secrétaire.
171-b De la main du Roi.
173-a Voyez t. VII, p. 3-10; t. XVII, p. II, III, et 53-295.
177-a Ce mot est presque illisible dans l'autographe.
178-a Voyez t. IV, p. 12 et suivante.
179-a Le Roi en avait chargé le colonel Gaspard-Frédéric de Rohr, commandeur du régiment du prince Henri depuis le 14 mai 1747; il était général-major lorsqu'il fut blessé mortellement à la bataille de Leuthen. Dans sa lettre inédite à Frédéric, Berlin, 17 juillet 1749, le prince Guillaume dit que le prince Henri ne pouvait se consoler de ce que le Roi avait confié au colonel Rohr le soin de rétablir l'ordre dans son régiment.
180-a Le 26e, en garnison à Berlin. Le feld-maréchal Henning-Alexandre de Kleist mourut dans cette ville, le 22 août 1749.
180-b Le 35e, en garnison à Spandow.
180-c Il s'agit du bâtiment où se trouve, depuis 1809, l'université de Berlin.
181-a Le prince avait épousé, le 25 juin, la princesse Wilhelmine de Hesse.
183-a De la main d'un secrétaire.
183-b De la main du Roi.
183-c Le 28 juillet 1755. Voyez t. XXV, p. 303.
183-d Actes des apôtres, chap. IX, v. 3 et 4; chap. XXII, v. 6 et 7; et chap. XXVI, v. 13 et 14.
185-a Le prince Henri, légèrement blessé à Rossbach, était allé se faire soigner à Leipzig.
185-b Voyez t. IV, p. 164 et 165.
185-c Le lieutenant-général comte de Mailly, fait prisonnier à la bataille de Rossbach, avait demandé un congé pour aller quelque temps en France. Il se proposait de conseiller à sa cour de faire la paix avec la Prusse.
185-d Le général de Seydlitz, blessé à Rossbach d'un coup de feu au bras, s'était rendu à Leipzig, où l'on avait fait l'extraction de la balle.
185-e Depuis la bataille de Kolin, Frédéric, menacé du naufrage, était décidé à penser, vivre et mourir en roi, comme il s'exprime dans des vers célèbres qui rappellent la belle réponse d'Alexandre à Parménion. Voyez Militärischer Nachlass des General-Lieutenants Victor Amadeus Grafen Henckel von Donnersmarck, t. I, IIe partie, p. 235, 236, 246, 301, 308 et 319. Voyez aussi notre t. XII, p. 47 et 56-63; t. XIX, p. 49 et suivantes; t. XXIII, p. 10 et suivantes, et p. 15 et suivantes; ci-dessus, p. 137; voyez enfin la lettre de Frédéric à la margrave
186-a Voyez t. IV, p. 154.
188-a En chiffre.
188-b De la main du Roi.
188-c Racine, Mithridate, acte III, scène I.
189-a Cette partie de la lettre, à partir de « Vous avez très-bien fait, » est en chiffre.
192-a On n'a pas retrouvé ce billet.
194-a La femme du prince Ferdinand, et sa sœur cadette, femme du prince Frédéric-Eugène de Würtemberg. Voyez Dr. B. L. Tralles aufrichtige Erzählung seiner mit König Friedrich dem Grossen, etc. gehaltenen Unterredungen, Breslau, 1789, p. 39 et suivantes.
194-b Voyez t. XX, p. 57, et t. XXV, p. VIII, 303 et 341.
194-c Voyez t. XIX, p. 54, 55 et 56, nos 40 et 42.
195-a Ceci est relatif à la formation du régiment de Belling. Voyez t. V, p. 152, et ci-dessus, p. 144.
195-b Ces mots en italique sont soulignés dans l'autographe, ce qui est rare dans les Œuvres du Roi.
196-a L'Instruction pour le prince Henri, chargé du commandement de l'armée en Saxe, du 11 mars 1758, sera reproduite, d'après l'autographe, parmi les écrits militaires de Frédéric.
198-a Voyez t. X, p. 236.
200-a On conserve aux Archives de l'État la Disposition suivant laquelle je désire qu'on se règle après ma mort, faite à Berlin, le 20 avril 1758, et signée Guillaume. Le Prince de Prusse dit, à la fin de cette pièce : « J'établis mon frère Henri exécuteur du testament. »
201-a Voyez t. XXV, p. 275.
202-a Par ce mot, Frédéric désigne ordinairement dans ses lettres, par exemple dans celle du 1er juillet 1757 à sa sœur Wilhelmine, le chiffre qu'il emploie dans sa correspondance secrète.
205-a Voyez t. IV, p. 227 et 228.
205-b Ici le Roi avait mis dans le texte : « Le reste pour le chiffre, » indiquant par là que le reste de la lettre devait être chiffré.
207-a Tschicherzig; Frédéric, obligé de changer de route, passa l'Oder à Güstebiese, le 23. Voyez t. IV, p. 229 et 230.
207-b Nous donnons dans l'Appendice de cette correspondance l'Ordre de Frédéric à ses généraux, daté du camp de Cüstrin, le 22 août 1758; il en est parlé dans l'Avertissement de ce volume, et t. XXV, p. 353. Nous avons cité ci-dessus, p. 100, plusieurs autres dispositions testamentaires de Frédéric.
208-a Frédéric parle de la lettre que sa sœur de Baireuth lui avait écrite le 10 août.
208-b Le prince Henri avait écrit à Frédéric, le 2 août, que le major de Röell, du régiment des hussards de Székely, avait fait le général Mittrowsky prisonnier (le 29 juillet) près de Dippoldiswalda; et le 14 : « Le prince de Deux-Ponts m'a écrit une lettre très-obligeante pour me demander que le général Mittrowsky pût obtenir la liberté de prendre les bains de Teplitz, ou du moins de pouvoir aller en Moravie, sur ses terres, pour se soigner de la blessure qu'il a reçue lorsqu'il fut fait prisonnier. »
209-a Voyez t. XVI, p. V et VI, article II, et p. 21.
212-a Probablement le capitaine Wendessen, aide de camp du Roi; il fut blessé à mort à la bataille de Kunersdorf.
213-a Char de munition.
213-b Vraisemblablement la Wesenitz, ou Wessnitz.
215-a La reine de Suède.
215-b Voyez t. IV, p. 207, 208, 258 et 259; t. V, p. 42 et 121; t. XIX, p. 177, 184, 185 et 263.
216-a Les mots imprimés en italique sont soulignés dans l'autographe.
216-b Voyez t. XXV, p. 49.
217-a Voyez ci-dessus, p. 185 et 186.
217-b Voyez t. XIX, p. 255.
221-a En chiffre.
221-b Le prince Maurice d'Anhalt fut fait prisonnier à Hochkirch.
221-c De la main du Roi.
221-d Souligné dans l'autographe.
222-a Le prince Henri avait fait au mois de mai une expédition en Franconie et dans l'évêché de Bamberg, pour attirer les ennemis hors des États de la margrave de Baireuth. Voyez la correspondance de Frédéric avec cette princesse, année 1758.
222-b En chiffre.
224-a Le 10 décembre. L'aîné de ces princes, déclaré Prince de Prusse le 11 décembre, succéda à Frédéric sous le nom de Frédéric-Guillaume II; le second était le prince Henri, dont l'Éloge se trouve dans notre t. VII, p. 43-56.
224-b Le comte de Seckendorff vivait à Meuselwitz, près d'Altenbourg; il y fut en effet enlevé, et on le transporta à Magdebourg. Au mois de mai 1759, il fut échangé contre le feld-maréchal prince Maurice d'Anhalt-Dessau. Voyez Versuch einer Lebensbeschreibung des Feldmarschalls Grafen von Seckendorff (par Theresius baron de Seckendorff), 1792, t. II, p. 381 et suivantes. Voici ce que le biographe dit de son parent, p. 383 : « Er war seit dem Ausbruche des Krieges unermüdet, kriegerische und politische Entwürfe gegen die Preussen zu machen, und sie den Ministern und Generalen der Kaiserin zuzusenden. Er trug auch dadurch nicht wenig zu manchen Vortheilen bei, die die Oesterreicher erhielten. »
225-a Voyez la Conversation du maréchal d'Hocquincourt avec le P. Canaye, dans les Œuvres mêlées de M. de Saint-Évremond, t. II, p. 35. Le jésuite dit : « Remarquez-vous, monseigneur, remarquez-vous comme Satan est toujours aux aguets? Circuit quaerens quem devoret. Vous concevez un peu de dépit contre nos pères; il se sert de l'occasion pour vous surprendre, pour vous dévorer, pis que dévorer, pour vous faire janséniste. Vigilate, vigilate; on ne saurait être trop sur ses gardes contre l'ennemi du genre humain. » Voyez t. XIX, p. 17 et 357, et t. XXV, p. 211, où nous avons cité un autre mot du père Canaye.
225-b Voyez, t. IV, p. 138.
226-a Voyez, t. V, p. 3 et 4, le récit des expéditions du prince Henri en Bohême et en Franconie.
227-a Voyez t. V, p. 16 et 17.
228-a Celle de Kunersdorf. Voyez t. V, p. 20-22.
228-b Voyez l'Instruction donnée par le Roi au général de Finck le 12 août, immédiatement après la bataille de Kunersdorf, et sa lettre au ministre d'État comte de Finckenstein, de la même date. La première de ces pièces est imprimée dans J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. I, p. 450, et l'autre dans notre t. XXV, p. 340 et 341. La lettre au prince Henri à laquelle Frédéric fait allusion ne parvint pas à son adresse; elle n'a pas été retrouvée.
229-a Voyez t. XIX, p. 213.
230-a Voyez t. V, p. 29 et 30.
230-b Frédéric parle des affaires de Hoyerswerda et de Pretzsch, le 24 septembre et le 29 octobre 1759. Voyez t. V, p. 29, 30 et 31, et, quant au général de Gersdorff, même volume, p. 32.
232-a Plutarque, Vie de Pompée, chap. XXX et suivants.
232-b Voyez la Vie privée, politique et militaire du prince Henri, p. 83 et suivantes.
233-a On lit, au bas de l'autographe de cette lettre, la note suivante, de la main du prince Henri : « Cette lettre, laquelle, toujours accompagnée d'une lettre en chiffre, fut écrite le 14 de décembre, de Freyberg, où était le Roi, je la reçus à Unckersdorf, où était mon quartier. Je ne me fie nullement à ces nouvelles; elles sont toujours contradictoires et incertaines comme son caractère. Il nous a jetés dans cette cruelle guerre; la valeur des généraux et des soldats peut seule nous en tirer. C'est depuis le jour où il a joint mon armée qu'il y a mis le désordre et le malheur. Toutes mes peines dans cette campagne, et la fortune qui m'a secondé, tout est perdu par Frédéric. »
235-a Voyez t. XII, p. 143.
235-b Le prince héréditaire de Brunswic, qui vint voir le Roi à Freyberg le 26 décembre 1759. Voyez t. V, p. 35, et t. XII, p. 25-32, où se trouve l'Ode que Frédéric fit alors pour ce prince. Voyez enfin t. XIX, p. 137.
235-c Le prince Henri était à Unckersdorf.
236-a Le comte de Choiseul-Praslin fut nommé ambassadeur à Vienne, en 1758, lorsque le duc de Choiseul-Stainville, auquel il succédait, devint ministre des affaires étrangères.
238-a Chant Ier, v. 147 et 148.
238-b Voyez t. X, p. 89.
239-a Le manuscrit présente ici des lacunes.
239-b A Landeshut, le 23 juin.
239-c Le 17 juin 1760, le prince avait concentré toute son armée près de Francfort-sur-l'Oder, pour surveiller et arrêter les Russes. Voyez la Vie privée, politique et militaire du prince Henri, p. 90 et suivantes.
241-a Le mot c'est manque dans le manuscrit.
242-a Voyez t. V, p. 58 et suivantes.
242-b Il faut lire du Fischhaus (voyez t. V, p. 59 et 61); c'est la maison du garde forestier.
244-a De la main du Roi.
245-a Voyez t. V, p. 63 et suivantes.
246-a Ernest-Guillaume de Schlabrendorff, né le 4 février 1719 à Gröben, près de Ludwigsfelde, dans la Marche de Brandebourg, fut nommé ministre d'État et président des chambres de Silésie le 26 septembre 1755; il mourut à Breslau le 14 décembre 1769, chevalier de l'ordre de l'Aigle noir. Il occupe une place honorable sur le piédestal de la statue de Frédéric, par Chrétien Rauch.
247-a Les mots et où, omis dans le manuscrit, nous ont paru nécessaires au sens.
248-a Voyez t. V, p. 66.
249-a Le prince était déjà le 29 août à Breslau. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans la Vie privée, politique et militaire du prince Henri, p. 98 : « Il se retira d'abord à Breslau, sous prétexte de maladie; ensuite à Glogau, où il resta la plus grande partie de l'hiver, et où il paraît qu'il fut retenu moins par sa santé que par le mécontentement que lui causèrent de nouvelles injustices du Roi à son égard. » Le prince Henri partit de Glogau le 28 mars 1761 pour aller joindre le Roi à Meissen, et celui-ci lui confia, le 21 avril, le commandement de l'armée qui agissait en Saxe contre le maréchal Daun. Voyez t. V, p. 79, 124, et 154-156.
251-a Cette relation se trouve dans les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, du 15 novembre 1760, no 138, p. 559-562.
255-a Voyez t. V, p. 104, et t. XIX, p. 229 et 230.
256-a Guillaume comte d'Anhalt, lieutenant-colonel, né le 15 mars 1727 à Kleckewitz, dans le duché d'Anhalt-Dessau.
256-b De la main du Roi.
257-a Voyez t. XIV, p. X, XI, 138 et 139; t. XV, p. XXIII, 217 et 218.
258-a Voyez t. XXIII, p. 109, et t. XX, p. 187 et 318.
259-a Du 16 mai au 6 juillet, Frédéric avait eu son quartier général à Nieder-Kunzendorf près de Freybourg, village dont Hans-Ernest de Gellhorn et Prschiedrowitz était seigneur. Le 1er juin, il naquit à celui-ci une fille qui fut baptisée le même jour, et que Frédéric tint sur les fonts, mais qui mourut le lendemain.
259-b Personnages du roman de Candide, par Voltaire, auquel la fin de cette lettre fait allusion.
260-a Voyez t. VII, p. 119; t. IX, p. 105; t. XXV, p. 205.
261-a Ce fut le général de Zastrow, dont le Roi parle dans sa lettre au prince Henri, du 24 mai 1761, qui rendit Schweidnitz, le 1er octobre.
263-a Le quartier général du prince était à Schlettau. Voyez la Vie privée, politique et militaire du prince Henri, p. 100 et suivantes.
265-a Conseiller de guerre.
265-b Colberg.
266-a Henri-Guillaume d'Anhalt, né en 1734, alors major et adjudant. Voyez t. V, p. 115 et 239, et t. VI, p. 166.
266-b Le Roi espérait que les Turcs et les Tartares déclareraient la guerre à l'Autriche.
267-a Le baron de Warkotsch. Voyez t. XIX, p. 306 et 307.
267-b De la main du Roi.
270-a Ce n'est pas Molière qui parle des médecins Tant-pis et Tant-mieux, c'est La Fontaine, Fables, liv. V, fable 12, Les Médecins.
273-a Robert Keith, ministre d'Angleterre à Saint-Pétersbourg.
273-b Voyez t. V, p. 14, et t. XIX, p. 338.
277-a Le Prince de Prusse. Voyez t. VII, p. 46 et 47; t. IX, p. 39-45; t. XIX, p. 340, no 229; et ci-dessus, p. 123, 124, 125, 128, 129 et 224.
277-b Voyez t. IV, p. 242; t. XV, p. II; et ci-dessus, p. 221.
284-a Le margrave Charles; il mourut à Breslau le 22 juin.
284-b Voyez ci-dessus, p. 128, 129 et 277; et ci-dessous, p. 290.
285-a De la main du Roi.
286-a Voyez t. XXIV, p. 15 et 16.
287-a Voyez t. V, p. 214 et 215; t. XVIII, p. 170; t. XIX, p. 375; t. XXIV, p. 16.
287-b Le reste de cet alinéa, déchiffré par le prince Henri lui-même, est illisible dans l'autographe.
287-c De la main du Roi.
289-a L'affaire de Reichenbach, le 16 août.
289-b Loudon.
290-a Le 10 septembre 1762, Frédéric écrivit au bas d'un ordre de Cabinet adressé au major Lefebvre, qui faisait les fonctions d'ingénieur en chef au siége de Schweidnitz : « Le 12 sera, selon toutes les apparences, la fin de vos travaux; ce sont deux jours; ils s'écouleront comme les précédents, et vous vous verrez couronné de gloire, le fier Gribeauval à vos genoux, et le bruit de votre gloire retentira jusqu'à Paris, Madrid, Lisbonne et Rome. » Schweidnitz ne capitula que le 9 octobre. Simon Lefebvre, lieutenant-colonel du génie et membre de l'Académie des sciences de Berlin, mourut à Neisse en 1771. Voyez t. V, p. 229 et 230, et t. XIII, p. 61. Voyez aussi les Souvenirs d'un citoyen (par Formey), t. II, p. 142 et suivantes.
294-a Voyez t. XIX, p. 381 et suivantes.
295-a Le capitaine de Kalckreuth, né en 1737, créé comte depuis, et promu au grade de feld-maréchal le 3 juin 1807, mort en 1818.
296-a Le feld-maréchal comte de Kalckreuth dit dans ses Souvenirs : « Le Roi fit une critique amère de la campagne du prince, en partie assez fondée, ajoutant itérativement : Cela ne vous regarde pas; il n'y a pas de votre faute; je sais que vous faites tout ce que vous pouvez pour empêcher les mauvaises mesures. Je palliai ce que je pus, ordinairement en vain. Cette conversation assez pénible, dont jamais je n'ai fait un mot de mention au prince, quoique le Roi m'en répétât fréquemment l'ordre, dura une heure, au bout de laquelle le Roi me congédiait très-gracieusement, me conduisant jusqu'à la porte; et, me l'ouvrant, il me dit à l'oreille, quoiqu'il n'y avait personne dans la chambre : Je vous ai fait major. » Voyez Minerva, ein Journal historischen und politischen Inhalts, von Dr. Friedrich Bran. Jena, 1839, t. CLXXXIX, p. 360 et 361. Le passage des Souvenirs du comte de Kalckreuth que nous venons de citer a son correctif dans la Vie privée, politique et militaire du prince Henri, p. 146, et dans notre t. V, p. 230-239.
297-a Frédéric parle de l'affaire de Pretzschendorf, qui n'eut pas lieu le 26 septembre, comme il le dit ici, ni le 27, comme il le dit t. V, p. 233, mais le 29. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1762, no 121, p. 487 et suivantes.
301-a Après avoir vu avec son frère le champ de bataille de Freyberg, le 10 novembre 1762, Frédéric retourna à Meissen, d'où il expédia, le même jour, l'acte de la donation qu'il faisait au prince des deux bailliages de Wegeleben et de Westerbourg, situés dans la principauté de Halberstadt, et faisant partie de la succession du margrave Charles.
308-a Voyez t. XIX, p. 427 et 428.
309-a Allusion aux démêlés relatifs au duc de Courlande, dont il a été fait mention t. IV, p. 257, t. V, p. 256, t. XVIII, p. 250, et t. XXIV, p. 49.
309-b Voyez t. IV, p. 16-18; t. VI, p. 10; t. XVIII, p. 127; t. XX, p. 295.
310-a Il s'agit des Winterquartier-Douceur-Gelder (haute paye); voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. II, p. 319 et 321, et Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. II, p. 141-145, et t. V, p. 39 et 40, nos 42 et 43.
311-a Le prince Henri possédait en Silésie les bailliages d'Auras et d'Oels, qui avaient été ruinés par la guerre. Le 26 décembre 1757, Frédéric lui avait écrit de Striegau : « Comme je suis ici dans le voisinage de vos terres, je ferai ce qui dépendra de moi pour que vous n'en souffriez pas, et que vos intérêts pâtissent le moins possible des calamités générales. »
311-b Voyez t. XXIV, p. IV, 51, 186 et 193; et ci-dessus, p. 307, no 146.
314-a La princesse Amélie, qui se rendait aux bains d'Aix-la-Chapelle.
315-a Voyez t. VI, p. 81 et suivantes, et Leben Franz Balthasar Schönberg von Brenkenhoff, p. 40 et suivantes.
315-b Othon-Christophe comte de Podewils, seigneur de Gusow, né en 1719, mort en 1781. Il avait été envoyé extraordinaire de Prusse à la Haye de 1741 à 1745, et ministre plénipotentiaire à Vienne de 1746 à 1750. Voyez t. XXII, p. 151.
316-a Les princes Frédéric et Guillaume. Voyez t. V, p. 164; t. VI, p. 251; t. XIII, p. 6 et 137; et t. XXIV, p. 140.
317-a Voyez t. VI, p. 111, t. IX, p. 97, et, quant au jeune prince Henri, t. VII, p. 1 et suivantes, et p. 43-56.
317-b Voyez t. IV, p. 167, et ci-dessus, p. 140 et 141.
318-a Le lieutenant-colonel Hans-Auguste de Blumenthal eut la place. Il avait commandé la garde du corps de 1747 à 1757, époque où ses blessures l'avaient obligé de quitter le service.
318-b Voyez t. VI, p. 104.
318-c Voyez t. XVIII, p. 261; t. XX, p. 328; t. XXIV, p. XI, 418 et 419.
319-a Grégoire Guglielmi, né à Rome en 1714, mort à Saint-Pétersbourg en 1773.
319-b Le baron de Pöllnitz. Voyez t. XX, p. V et VI, et 83-119.
319-c Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. II, p. 346 et 347; et Karl Friedrich Christian Fasch von Karl Friedrich Zelter, Berlin, 1801, in-4, p. 49. Frédéric parle aussi de musique d'église dans notre t. XXIV, p. 224.
323-a Voyez t. XIII, p. 130.
323-b Voyez t. XXIV, p. 92.
323-c Feuille d'annonces de Berlin, intitulée Intelligenzblatt.
323-d Voyez t. XXIV, p. 46.
326-a Voyez t. XVIII, p. 263.
326-b Voyez t. XIX, p. 161.
326-c Voyez t. VI, p. 87, et t. XVIII, p. 268.
326-d Le palais de l'ordre de Malte, place Guillaume, à Berlin. Il appartient maintenant à S. A. R. Monseigneur le prince Charles de Prusse.
328-a Voyez t. XVIII, p. 146, et t. XXIV, p. 53.
331-a Adolphe-Frédéric IV, né le 5 mai 1738, et duc régnant depuis le 11 décembre 1752, mort le 2 juin 1794. Il n'avait jamais été marié.
332-a Voyez t. XIX, p. 178 et 330; t. XXIV, p.142 et 143.
332-b Voyez Molière, Tartuffe, acte I, scène V.
332-c Achmet-Effendi, envoyé turc. Voyez t. XX, p. 140, et, quant au mot mamamouchi, même volume, p. 34, et t. XXIII, p. 180 et 200.
333-a Voyez t. XX, p. 104 et 105, nos 25, 26 et 27.
335-a Stephanus-Laurentius Neale, né à Surinam en 1688, et négociant à Amsterdam, vint s'établir à Berlin en 1750. Il était immensément riche. Frédéric le nomma chambellan et comte. Il mourut à la Haye en 1762.
335-b Le mot nazarelles, comme le prince l'a écrit, nous est inconnu; il s'agit probablement des azarelles ou azaroles, fruit du Crataegus Azarolus L., que Frédéric aimait fort. La nèfle d'Amérique est une espèce du genre Crataegus.
336-a Le baron de Pöllnitz alla pour la première fois à Paris au commencement de l'année 1712. Pendant l'hiver de 1715, il y fut témoin de l'entrée de l'ambassadeur de Perse, et de l'audience qu'il eut de Louis XIV. Voyez Lettres et Mémoires du baron de Pöllnitz, troisième édition, Amsterdam, 1737, t. IV, p. 229, 342 et suivantes.
336-b Letters of Lady Mary Wortley Montague, written during her travels in Europe, Asia and Africa. Londres, 1763-1767, trois volumes in-12.
337-a Cette cérémonie eut lieu le 21 novembre 1763.
342-a Peut-être le Roi fait-il allusion à la scène VIII du premier intermède Au Malade imaginaire, par Molière, où Polichinelle, après avoir été battu, est obligé de payer les archers.
342-b Voyez t. VI, p. 12 et suivantes, et t. XXIV, p. 66 et 67.
344-a Voyez t. VII, p. V, VI, 123 et 141-147; t. XVIII, p. 283.
344-b Voyez t. XXIV, p. 123, 124 et 125.
346-a La marquise de Pompadour mourut le 15 avril 1764.
346-b Voyez t. XIX, p. 446 et 447; t. XXIV, p. 21 et suivantes, 100 et suivantes, et 438-440.
348-a Voyez t. VI, p. 18, et t. XXIV, p. 127 et suivantes.
350-a Il s'agit de la princesse Frédérique, fille du Prince de Prusse, née le 7 mai 1767.
351-a Datée de Berlin, 27 mai 1767.
351-b Le jeune prince Henri, mort le 26 mai. Voyez t. VII, p. 11, 43-56, et ci-dessus, p. 317 et 318.
351-c Voyez t. XII, p. 115; t. XXIII, p. 331; t. XXV, p. 54; et ci-dessus, p. 62.
351-d Il semble que le Roi ait pleuré en écrivant les dernières lignes de cette lettre, et que l'écriture encore fraîche de quelques mots ait été mouillée de ses larmes.
353-a Voyez t. XXIV, p. 159 et suivantes.
354-a Auguste-Frédéric Eichel était secrétaire de la chambre (Kammer-Secretär) à Halberstadt avant d'entrer dans le Cabinet de Frédéric-Guillaume Ier. Il mourut à Potsdam le 3 février 1768, dans sa soixante-dixième année, après avoir servi quarante ans la maison royale. Voyez t. XX, p. 308, et ci-dessus, p. 99 et 276.
355-a Le prince Henri arriva à Potsdam le 23, et en partit le 26 pour la Hollande.
355-b Pour inaugurer le Nouveau-Palais, Frédéric y fit exécuter, le lundi 18 juillet 1768, en présence de sa sœur la princesse Amélie, l'oratorio de Hasse, La conversione di Sant' Agostino, paroles de l'électrice Marie-Antonie de Saxe. Voyez ci-dessus, p. 319.
357-a Négociant d'Amsterdam. Sa collection de tableaux avait attiré en 1755 l'attention de Frédéric, qui voyageait alors incognito en Hollande, en se faisant passer pour un musicien du roi de Pologne.
358-a Voyez t. III, p. 31; t. VI, p. 25 et suivantes; et ci-dessus, p. 309.
358-b Voyez t. V, p. 176, et t. VI, p. 22 et 23.
358-c Voyez t. XX, p. 113, et t. XXIV, p. 190.
359-a Allusion aux tragédies de Phèdre et d'Iphigénie, par Racine.
359-b Voyez t. XIV, p. XVI, et t. XVIII, p. VIII et 305.
359-c Voyez t. XXIV, p. 498.
361-a Voyez t. VI, p. 26-28, et t. XXIV, p. 510.
361-b Voyez t. XIX, p. 284 et 360; t. XXIII, p. 137, 153 et 467; t. XXIV, p. 164, 436, 466 et 653; voyez enfin la lettre de Frédéric à sa sœur de Baireuth, du 10 décembre 1754.
364-a Frédéric, accompagné du prince Henri, partit le 12 de Charlottenbourg pour la Silésie.
366-a Voyez t. XXIV, p. VI, article IV, et p. 369; t. XVIII, p. 301.
367-a Voyez t. VI, p. 25; t. XX, p. 197; t. XXIV, p. 222 et 225.
368-a Nous ne savons ce que signifient les mots le St. Ver., que nous avons exactement copiés sur l'autographe.
369-a Jean-Frédéric-Henri baron de Cocceji, lieutenant-colonel et adjudant du Roi, nommé envoyé extraordinaire de Prusse à Stockholm le 17 novembre 1763, rappelé le 28 janvier 1771. Voyez t. V, p. 41.
369-b Le 3 septembre. Voyez t. VI, p. 31-33; t. XXIII, p. 191; t. XXIV, p. 226.
370-a Voyez t. XXV, p. 519.
371-a Voyez le Mémoire sur le roi de Prusse Frédéric le Grand, par Msgr. le P. de L...., p. 5 et 6. Noverre avait été au service du Roi de 1745 à 1747.
372-a Les mots qui étais sont omis dans l'autographe.
374-a Le mot sens manque dans l'autographe.
376-a Le prince Charles, duc de Sudermanie, second fils du roi de Suède. Il était né en 1748, il succéda en 1809, sous le nom de Charles XIII, à son neveu Gustave IV, et mourut en 1818.
377-a Voyez t. XVIII, p. 269; t. XXIII, p. 303 et 418; t. XXV, p. 210.
377-b Voyez t. XXIV, p. 148, 249 et 544.
379-a Ce dernier alinéa est en chiffre dans l'original.
381-a Colonel russe, commandant un corps en Pologne. Voyez t. XIV, p. 231.
382-a Voyez t. XVIII, p. VI, art. IV, et p. 183-185; t. XX, p. XIV, art. XII, et p. 217.
385-a Voyez t. XVII, p. 302 et 303.
385-b Il s'agit de la princesse d'Orange, qui accoucha d'une fille le 28 novembre.
386-a Voyez t. XXIII, p. 385, et t. XXIV, p. 313.
387-a Le major de Zegelin, nommé colonel le 30 mars 1776, à son retour de Constantinople, mort à Berlin le 8 février 1809. Voyez t. XIX, p. 221.
389-a Voyez t. XVII, p. VI, et 347-352.
392-a Voyez les Mémoires et actes authentiques relatifs aux négociations qui ont précédé le partage de la Pologne, tirés du portefeuille d'un ancien ministre du dix-huitième siècle (le comte de Goertz) (Tubingue) 1810, p. 107 et suivantes, et p. 129 et suivantes.
393-a Jacques-Frédéric de Rohd, né dans la province de Prusse, et envoyé extraordinaire à la cour de Vienne de 1763 à 1771.
396-a Exode, chap. XVI, v. 13 et 14.
398-a Les mots de l'empêcher sont omis dans l'autographe.
398-b Voyez J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. V. p. 183 et suivantes.
399-a Le prince Henri était alors à Rheinsberg. De retour de Saint-Pétersbourg à Berlin le 17 février, il avait séjourné à Potsdam du 18 au 24.
399-b Voyez t. XX, p. XVII.
399-c Ce passage semble indiquer que c'est le prince Henri qui donna au Roi la première idée de son Dialogue des morts entre le duc de Choiseul, le comte de Struensée et Socrate, que nous avons imprimé t. XIV, p. 273-283, et dont Frédéric parle en ces termes dans une lettre inédite au prince Henri, du 26 février 1772 : « J'aime quelquefois à m'égayer aux dépens des sots et des méchants dont ce malheureux monde abonde, et pour m'amuser j'ai fait un Dialogue des morts entre Socrate, Choiseul et Struensée. »
400-a Ce tableau fut en effet envoyé à Saint-Pétersbourg.
401-a Voyez t. II, p. 22.
406-a La duchesse de Brunswic, la reine douairière de Suède et la princesse Amélie.
406-b Frédéric-Guillaume Ier avait coutume de séjourner chaque année avec sa famille à Wusterhausen (Königs-Wusterhausen), de la fin du mois d'août au commencement de novembre, pour s'y livrer au plaisir de la chasse. Voyez (David Fassmann) Leben und Thaten des Königs von Preussen Friderici Wilhelmi, t. I, p. 886 et suivantes; Mémoires de la margrave de Baireuth, t. I, p. 99, 123 et 327-329; enfin, t. I, p. 181 et 182, et t. XXV, p. 550 et 551 de notre édition.
406-c Voyez t. XVIII, p. 162, 176 et 208; t. XIX, p. 348, 349 et 425; t. XX, p. 312, 326 et 327.
407-a La reine de Suède. Voyez t. IX, p. X, art. XIII, et p. 206 et 207; t. XIII, p. 86 et 91.
407-b Voyez t. XX, p. 141.
407-c Le Roi parle ci-dessus, p. 301, de la donation qu'il avait faite à son frère après la victoire de Freyberg.
410-a Voyez ci-dessus, p. 407.
415-a Voyez t. XXIII, p. 293.
415-b Frédéric-Guillaume de Seydlitz, né à Calcar le 3 février 1721, et baptisé le 5 dans l'église luthérienne de Rees, mourut à Ohlau le 7 novembre 1773. Voyez t. IV, p. 161 et 162, 166 à 168, 173, 174 et 231; t. V, p. 90 et 238; t. IX, p. 265; t. XIX, p. 134 et 221; et ci-dessus, p. 185, 189, 193, 213, 228, 257, 280, 295 et 347. Le Militair-Wochenblatt, 1833, nos 894, 896 et 897, renferme vingt-trois lettres écrites en allemand par Frédéric au général de Seydlitz, du 8 avril 1759 au 26 juillet 1773. Elles roulent sur les affaires de la guerre et sur la dernière maladie du général; les originaux en sont conservés aux archives de la ville de Landeshut.
418-a Voyez t. VI, p. 63, 134 et 135, et t. XXIV, p. 683.
418-b Le baron van Swieten, envoyé de la cour de Vienne à Berlin.
419-a Voyez t. V, p. 13, et t. XXV, p. 376.
421-a Voyez t. XXIII, p. 378, 379, 380 et 394; t. XXV, p. 25.
421-b Voyez t. VI, p. 128 et suivantes; t. XXIII. p. 387, 388, 389, 426 et 430; t. XXV, p. 24.
422-a Voyez t. I, p. 181 et suivantes, et t. II, p. 54.
423-a Voyez ci-dessus, p. 342.
423-b Voyez t. VI, p. 90 et 91; t. IX, p. 217; t. XX, p. 142.
424-a Voyez t. VI, p. 209 et 210.
426-a Voyez t. XXIII, p. 405.
426-b Le docteur Frédéric-Hermann-Louis Muzell, conseiller intime, mourut à Berlin le 7 décembre 1784.
427-a Voyez t. VI, p. 73 et 74.
427-b On n'a pas retrouvé la lettre du prince Henri à laquelle ces mots ont trait.
429-a La lettre du prince Henri à laquelle ces mots se rapportent manque, ainsi que sa réponse à cette lettre-ci.
430-a Le prince partait pour Saint-Pétersbourg, où il arriva le 13 avril.
431-a Envoyé russe à Varsovie. Voyez t. VI, p. 136 et 137.
433-a La grande-duchesse de Russie était morte le 26 avril, en accouchant d'un enfant mort. Voyez t. VI, p. 136 et 137.
433-b Voyez t. XX, p. XII, et 203-206.
435-a Voyez t. VI, p. 25.
437-a Ministre résident de Prusse à Varsovie depuis 1751 jusqu'au mois de novembre 1776.
439-a Elle eut lieu à Berlin, le 23 juillet.
440-a Van Swieten, dont le père était médecin.
440-b Voyez t. XXIII, p. 431; t. XXIV, p. 320-324; et ci-dessus, p. 50 et 51.
442-a Frédéric avait écrit au prince Henri, le 16 septembre : « J'ai été à Berlin voir ma sœur Amélie; l'on a été obligé de lui faire une opération à son mauvais oeil; il va mieux à présent, et l'oculiste assure qu'elle se rétablira entièrement. »
443-a Voyez t. VI, p. 133.
443-b Il faut évidemment lire de Constantinople.
444-a Le prince Henri était parti de Brunswic le 3 avril,
444-b Voyez t. XXV, p. 78.
444-c Ces dernières lignes se rapportent à une affaire sur laquelle on peut consulter C.-W. Böttiger, Geschichte des Kurstaates und Königreiches Sachsen, Hambourg, 1831, t. II, p. 399 et 400. Quant à l'électrice Marie-Antonie de Saxe, voyez notre t. XXIV.
445-a L'alliance entre la Prusse et la Russie, conclue en 1764 (t. VI, p. 13 et 14, et ci-dessus, p. 342), avait été renouvelée pour huit ans à Saint-Pétersbourg le 12 octobre (vieux style) 1769 (t. VI, p. 20 et 26). Le renouvellement dont il est question dans cette lettre eut lieu à Saint-Pétersbourg le 16 mars (v. st.) 1777, également pour huit ans. En 1781, l'Impératrice refusa de renouveler cette alliance. Voyez t. XXV, p. 350 et 351.
446-a Frédéric-Eugène-Henri, né le 21 novembre 1758, nommé lieutenant-colonel en 1777 et, le 21 mai 1801, général de cavalerie, mort en 1823.
447-a Voyez t. VI, p. 147 et 148, et t. XXV, p. 60.
448-a Voyez t. VI, p. 129 et suivantes, et t. XXV, p. 87.
449-a Le chevalier Hugues Eliott. Il eut sa première audience du Roi le 7 avril 1777. Voyez t. XXIV, p. 395.
450-a Voyez J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. IV, p. 278 et 279, no 33, a-c.
450-b Voyez t. XXIII, p. 85 et 90.
452-a Voyez ci-dessus, p. 49.
452-b Frédéric se faisait alors traiter par les deux chirurgiens-généraux Schmucker et Theden.
452-c Frédéric partit le 2 octobre de Polnisch-Neudorf, près de Breslau, et passa par Christianstadt, Forsta, etc. pour se rendre à Potsdam.
452-d Voyez t. IX, p. XI et XII, 221-240; t. XXIII, p. 456, 458 et 459; t. XXV, p. 97 et 101.
453-a Nous lisons marche, mais le mot est presque illisible dans l'autographe.
456-a Le baron van Swieten, rappelé par sa cour, eut pour successeur le comte de Cobenzl.
456-b M. de Pons, ministre de France à Berlin, fut remplacé en 1782 par le marquis d'Esterno (t. XXV, p. 266 et 269).
456-c Voyez t. XXIV, p. 683, et t. XXV, p. 87.
457-a Voyez t. VI, p. 131 et 132; t. XXV, p. 92.
458-a Voyez t. V, p. 173 et suivantes; t. VI, p. 129 et suivantes.
458-b Voyez t. VI, p. 153 et suivantes.
460-a Voyez ci-dessus, p. 369.
466-a M. de Maurepas.
470-a Le prince Henri disait un jour que les Autrichiens, contents de l'occupation de la Bavière, ne penseraient qu'à faire une guerre défensive; Frédéric paria cent bouteilles de vin vieux de Hongrie contre douze bouteilles de vin de Graves qu'il serait attaqué par les Autrichiens dès qu'il serait arrivé en Silésie. Voyez Militärischer Nachlass des General-Lieutenants Victor Amadeus Grafen Henckel von Donnersmarck, t. II, cahier II, p. 164.
471-a Théodore-Philippe de Pfau, né en 1727 à Francfort-sur-le-Main, fit, avec l'armée russe, les campagnes de 1769 et de 1770 contre les Turcs (voyez t. XXIII, p. 193). En 1778, il était quartier-maître dans l'armée du prince Henri. Promu au grade de général-major en 1789, il fut tué près de Tripstadt, le 13 juillet 1794, dans la guerre contre les Français.
472-a Voyez t. X, p. 110; t. XXI, p. 184; t. XXII, p. 206; t. XXIV, p. 145 et 596; t. XXV, p. 288.
473-a Le colonel de Marwitz, précédemment dans les gendarmes, avait été commissaire des vivres de l'armée du prince Henri dans sa campagne de 1760 contre les Russes.
474-a Frédéric arriva le 5 à Berlin, et en partit le 6 pour Breslau. Voyez t. VI, p. 160.
474-b Frédéric-Guillaume-Charles comte de Schmettau, capitaine et aide de camp du prince Ferdinand de Prusse, était né le 13 avril 1743, et fut tué à la bataille d'Auerstadt, le 14 octobre 1806; il était alors lieutenant-général. Il est auteur des Mémoires raisonnés sur la campagne de 1778, en Bohême, par l'armée prussienne aux ordres de S. M. le Roi, par F.-G.-C. comte de Schmettau, Berlin, 1789, in-4.
474-c Voyez t. IV, p. 189; t. V, p. 156; t. VI, p. 163.
475-a Les corps francs de Courbière (t. V, p. 127 et 128) et de Salenmon (ibid., p. 88 et 209) furent les seuls que le Roi conserva à la fin de la guerre de sept ans (t. VI, p. 103, et t. XIX, p. 430). En 1778, les chefs de ces corps reçurent l'ordre de les augmenter d'un bataillon chacun.
475-b Philippe-Charles d'Alvensleben, envoyé de Prusse à Dresde depuis l'année 1775; il devint plus tard ministre d'État et comte.
475-c Voyez t. I, p. 279.
477-a Voyez t. VI, p. 104 et 163.
477-b Jean-Frédéric Domhardt, né en 1712 à Alrode, dans le duché de Brunswic, gagna par son mérite l'entière confiance de Frédéric, qui le nomma en 1756 président de la chambre (Kammer) à Gumbinnen et, en 1763, président des deux chambres de la province de Prusse. Le 19 juillet 1771, le Roi l'anoblit, et, l'année suivante, il lui confia aussi la présidence des deux chambres de la Prusse occidentale, avec le titre de président supérieur (Ober-Präsident). Ce digne magistrat mourut à Königsberg le 20 novembre 1780. Voyez sa vie dans les Beiträge zur Kunde Preussens, Königsberg, 1818, t. I, p. 1-32. Voyez aussi J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. IV, p. 3-195, t. V, p. 183-234; et ci-dessus, p. 410.
477-c Train des équipages. Voyez ci-dessus, p. 157.
478-a Sur les hauteurs de Pischkowitz. Voyez t. VI, p. 160.
479-a Ce passage est fidèlement copié sur l'autographe.
479-b Voyez t. XI, p. 134, et t. XXIV, p. 120.
480-a Voyez t. VI, p. 205-207, et 208-210.
481-a Le prince Henri n'aimait plus la guerre; il craignait de compromettre la gloire qu'il avait acquise, et voulait vivre tranquillement à Rheinsberg. Voyez. Militärischer Nachlass des Grafen Henckel von Donnersmarck, t. II, cahier II, p. 175, 182, 186, 187, 189, 190, 199, 215 et 219.
484-a Le comte de Mercy, ambassadeur de l'empereur Joseph II à la cour de France.
484-b Évangile selon saint Matthieu, chap. XVII, v. 20, et chap. XV, v. 34-38.
485-a Voyez t. VI, p. 216 et suivantes.
487-a Voyez t. V, p. 209, et t. VI, p. 175.
489-a Voyez ci-dessus, p. 479.
497-a Voyez ci-dessus, p. 144 et 195.
497-b Charles de Podjurski naquit, en 1720, dans l'évêché de Varmie. En 1770, il devint chef du 4e régiment de hussards, et en 1775 il fut nommé général-major. Il mourut le 12 mars 1781, à Wartenberg, en Silésie.
498-a Voyez Militärischer Nachlass des Grafen Henckel von Donnersmarck, t. II, cahier II, p. 175.
498-b Dans une autre lettre (inédite) au prince Henri, du 6 août, le Roi accorde les récompenses demandées par son frère dans sa lettre (inédite) du 3, savoir : l'ordre de l'Aigle noir,
499-a Au lieu de Pococie il faut probablement lire Gallicie; c'est cette dernière province que le Roi nomme dans plusieurs lettres inédites au prince Henri. Il dit, par exemple, dans celle du 12 septembre 1778 : « Le général Stutterheim m'écrit que les troupes autrichiennes ont évacué la Lodomérie et la Gallicie; » dans celle du 16 septembre : « Les Russes vont marcher incessamment pour occuper la Lodomérie et la Gallicie. » Voyez de plus ci-dessous les lettres de Frédéric, du 26 août et du 16 septembre, et celle du prince Henri, du 15 septembre; voyez enfin t. VI, p. 183.
500-a Voyez t. VI, p. 26, 197, 232 et 233.
502-a Au lieu de ses bords, qu'on lit dans la minute autographe du prince, le texte déchiffré porte les rives. Il n'est pas rare de trouver de ces différences entre les minutes et les lettres déchiffrées.
503-a Voyez t. III, p. 172-175.
506-a Voyez t. IX, p. 212, et t. XXIV, p. 252.
508-a Frédéric parle probablement de sa retraite du mois de juillet 1757. Voyez t. IV, p. 153 et 154.
512-a Voyez t. VI, p. 175, et t. XXIII, p. 193.
513-a M. de Billerbeck fut placé le 7 novembre 1778, en qualité de capitaine en second, dans le 38e régiment (de Falkenhayn). Peu de temps après, il tomba malade, et se tua, à Dresde, le 2 décembre suivant, dans un accès de mélancolie.
513-b Nous ajoutons les mots la permission, omis dans l'original.
513-c Garde du feu.
514-a Ernest-Henri de Gillern, né en Silésie en 1730, et blessé à la bataille de Kunersdorf, fut nommé lieutenant-colonel le 7 septembre 1778, pour le brillant fait d'armes qu'il avait exécuté près de Lewin, dans la nuit du 1er au 2 septembre. Il parvint en 1781 au grade de colonel, et en 1789 à celui de général-major. La même année, il devint chef du 16e régiment d'infanterie. Il mourut en 1792.
514-b Voyez t. XX, p. XI, et 195-198; t. XXV, p. 655.
517-a Le général-major Charles-Auguste de Schwartz, né en 1715 à Hohenthurm, près de Halle, chef du 49e régiment d'infanterie, fut promu en 1783 au grade de lieutenant-général, et mourut en 1791 à Neisse, gouverneur de cette forteresse.
517-b Gottlieb-Louis de Béville, colonel du 36e régiment d'infanterie, fut décoré de l'ordre pour le mérite le 14 septembre 1778. En 1779, Frédéric le nomma gouverneur de Neufchâtel. Le 25 mars 1806, Frédéric-Guillaume III lui donna le titre de général d'infanterie. M. de Béville, né en 1734, mourut à Berlin le 8 avril 1810, chevalier de l'ordre de l'Aigle noir.
521-a Le Roi donne les mêmes éloges au Prince de Prusse t. VI, p. 173 et 176. Voyez aussi Militärischer Nachlass des Grafen Henckel von Donnersmarck, t. II, cahier II, p. 215, et F.-G.-C. comte de Schmettau, Mémoires raisonnés sur la campagne de 1778, en Bohême, par l'armée prussienne aux ordres de S. M. le Roi, Berlin, 1789, in-4, p. 190 et suivantes, 193, 194, 228 et 229. Le 1er juin 1779, le Prince de Prusse fut promu au grade de lieutenant-général d'infanterie. Nous avons cité dans ce volume, p. 277, plusieurs passages où il est question de lui. Voyez enfin ci-dessus, p. 284, 290, 299, 300, 301, 303, 311, 322 et 341.
522-a Henri-Jean Günther, qui plus tard fut fait baron, né à Ruppin en 1736, parvint au grade de lieutenant-général, et mourut à Tykoczin le 22 avril 1803. Voyez Erinnerungen aus dem Leben des General-Lieutenant s Freiherrn v. Günther, verfasst von H. v. Boyen. Berlin. 1834.
522-b Le général-major de Seelhorst était alors chef du 6e régiment de cuirassiers.
522-c Voyez Militärischer Nachlass des Grafen Henckel von Donnersmarck, p. 214 et 217.
524-a Nous n'avons pas trouvé la réponse à cette lettre.
527-a Le mot nous est omis dans l'autographe.
529-a Dittersbach. Voyez t. VI, p. 191.
529-b Le lieutenant-général Christophe-Frédéric de Rentzell, chef du 23e régiment d'infanterie, était mort à Frankenstein le 4 juin 1778, dans sa soixante-seizième année, et ce fut son successeur, le général de Thüna, qui défendit le village de Weisskirch, le 12 novembre.
529-c Ces derniers mots font allusion au passage suivant d'une lettre inédite du prince Henri à Frédéric, Gross-Sedlitz, 12 novembre 1778 : « Je ne suis nullement surpris que vous trouviez de grandes occupations à Breslau; c'est l'apanage de la royauté, laquelle sans doute a ses peines, qui sont couvertes par la gloire, la richesse et l'indépendance. »
534-a Voyez t. VI, p. 183 et suivantes. Le prince Repnin arriva à Breslau le 17 décembre au soir.
535-a Voyez t. XXIV, p. 350.
536-a Celle du général de Möllendorff. Voyez t. V, p. 74, et t. VI, p. 191.
537-a Voyez t. IV, p. 130 et suivantes, 162, 163 et 201.
540-a Voyez t. VI, p. 192, et p. 190.
541-a Le colonel Charles-Louis de Winterfeldt, né en 1726, était commandeur du régiment de Prusse infanterie (t. IV, p. 161). Il devint général-major en 1781, et mourut en 1784.
543-a Voyez t. VI, p. 196 et suivantes.
546-a Voyez t. XXIV, p. 523 et 527; t. XXV, p. 254 et 265.
546-b Voyez t. I, p. 236 et suivantes; t. XXIV, p. 530, 531 et 538; t. XXV, p. 447.
546-c Voyez t. XXV, p. 265 et 276.
547-a On trouve des jugements de Frédéric sur Luther dans ses œuvres historiques, t. I, p. 21 et suivantes, p. 236 et suivantes, et t. VII, p. 160 et suivantes. Voyez aussi t. XIV, p. 159, et t. XIX, p. 355.
547-b Voyez t. I, p. 22, et t. XXIV, p. 503 et 590.
547-c Voyez, t. I, p. 234, t. IX, p. 186, t. XXIII, p. 139, et t. XXIV, p. 559, 560 et 579, les éloges que Frédéric donne à la religion chrétienne à son origine et dans les premiers siècles. Voyez aussi la lettre de d'Alembert à Frédéric, du 30 novembre 1770, t. XXIV, p. 572, et la lettre de Frédéric au comte de Manteuffel, du 27 mars 1736, t. XXV, p. 482.
548-a Voyez t. XXIII, p. 101 et 322; t. XXIV, p. 298, 299 et 701.
549-a Voyez, t. XXV, p. 276 et 277.
550-a Voyez t. XXIII, p. 461.
550-b L. c., p. 462.
553-a Voyez t. XXIV, p. 224.
554-a Voyez t. IX, p. 216.
555-a Voyez t. IX, p. 212 et 213.
555-b Ce vers n'est pas d'Horace; mais il exprime fort bien certaines idées morales de ce poëte. Voyez par exemple Odes, liv. II, ode 16, v. 13 et 14 : Vivitur parvo bene, etc. : liv. III, ode 16, v. 17 et suivants; et le livre des Épodes, ode 2 : Beatus ille, etc.
557-a Voyez t. XXIV, p. 252, 490 et 519.
558-a Le mot leur manque dans l'autographe.
560-a Le prince Ferdinand de Brunswic venait voir la reine de Prusse.
560-b Voyez t. XXIII, p. 430, et t. XXV, p. 9, 10, 19, 20, 200 et 207.
561-a Voyez t. XXV, p. 350 et 351, no 18, et ci-dessus, p. 342, 358 et 397.
562-a Le prince Frédéric-Louis-Alexandre, général-major, et son frère le prince Frédéric-Eugène-Henri, colonel.
563-a Du 30 décembre 1758. Voyez t. IV, p. 255, 256, 260 et suivantes.
563-b Du 15 août 1761. Voyez t. V, p. 171 et suivantes.
564-a Voyez ci-dessus, p. 484, et l'Essai sur la vie du marquis de Bouille, p. 162 et 163.
565-a Voyez t. XXV, p. 276.
566-a Voyez t. XXV, p. 268 et 274.
566-b L. c., p. 271.
568-a Le mot Mummelack se trouve dans le dictionnaire allemand d'Adelung, à l'article Der Mummel.
568-b Voyez t. XXIII, p. 461, et ci-dessus, p. 550. En 1852, sur une population de 16,935,420 âmes, le nombre des arrêts de mort prononcés en Prusse a été de quarante-deux. Sur ce nombre total, deux des criminels ont été condamnés par contumace, un autre s'est tué, il en est mort un avant la décision royale, et Sa Majesté a signé quatorze arrêts sur les trente-huit qui ont été soumis à sa confirmation.
568-c Les préliminaires de la paix entre la France, l'Angleterre et l'Espagne furent signés à Versailles le 20 janvier 1783; la paix définitive y fut conclue le 3 septembre suivant.
569-a Voyez t. XXV, p. III-V, 318 et 329, nos 11 et 12.
570-a Voyez t. X, p. 185.
570-b Frédéric parle probablement de Charles de Linné, mort à Upsala le 10 janvier 1778. Voyez t. XXIV, p. 592.
570-c La margrave douairière Frédérique, morte le 4 février.
573-a Le marquis d'Esterno, envoyé de France à la cour de Berlin depuis le mois d'octobre 1782. Voyez t. XXV, p. 266, 267 et 269, et ci-dessus, p. 456.
573-b Voyez t. XIX, p. 217 et 218, p. 224 et 225, et p. 257.
574-a Grandson et Morat, le 3 mars et le 22 juin 1476.
574-b Voyez t. XXV, p. 627.
574-c L. c., p. 393.
576-a François-Claude-Amour marquis de Bouillé, né en 1789, se distingua dans la guerre de sept ans; il fut fait colonel en mars 1761, gouverneur général des îles du Vent pendant la guerre d'Amérique, et lieutenant-général en 1782. Il mourut à Londres en 1800. Les conversations qu'il eut avec Frédéric, en 1784 et en 1785, se trouvent dans l'Essai sur la vie du marquis de Bouille, p. 135 et suivantes, et p. 164 et suivantes.
577-a Le prince Henri était alors à Paris. Le but principal de son voyage était de voir si la France était disposée à se rapprocher de Frédéric; mais celui-ci, trouvant trop peu d'énergie dans le ministère de Louis XVI, conclut enfin, le 23 juillet 1780, la ligue entre les princes d'Allemagne, objet de ses méditations dès les premières années de son règne. Voyez t. II, p. 158 et 159; t. III, p. 27 et 34; t. VI, p. 237 et suivantes : t. XXV, p. 351; et ci-dessus, p. 421, 425 et 474.
577-b Voyez t. XXIV, p. 683; t. XXV, p. 87; et ci-dessus, p. 456.
577-c Voyez t. IV, p. 37; t. XIX, p. 356; t. XXV, p. 59.
579-a Voyez t. XXV, p. XI, art. IX, et p. 407-430.
579-b On trouve l'histoire de ce médecin de la lune, qui était un bonnetier nommé Weisleder, dans la Berlinische Monatsschrift, herausgegeben von F. Gedike und J. E. Biester, Berlin, 1783, t. I, p. 353-385. C'est en 1780 et en 1781 qu'il offrit au public de Berlin les secours de son art.
579-c « Tu es, comme disait Épictète, une âme qui promène un mort. » (Réflexions morales de l'empereur Marc-Antonin, avec des remarques de M. et madame Dacier, liv. IV, no XLIII.)
584-a Voyez t. XXIII, p. 407; t. XXIV, p. 297; t. XXV, p. 200.
585-a Le prince Henri partit de Paris le 2 novembre. Voyez t. XXV, p. 394.
588-a « Scipio vero Africanus turpe esse ajebat in re militari dicere non putaram : videlicet, quia explorato et excusso consilio, quae ferro aguntur, administrari oportere arbitrabatur. » (Valère Maxime, liv. VII, chap. 2.) Sénèque le philosophe (De ira, liv. II, chap. 31) attribue ce mot à Fabius.
590-a Voyez t. XXV, p. 404.
593-a Voyez Christian-Gottlieb Selle, Krankheitsgeschichte des Höchstseligen Königs von Preussen Friedrich's des Zweiten Majestät. Berlin, Mylius, 1786, p. 19 et suivantes. L'auteur de cet ouvrage est celui que Frédéric désigne, au commencement de cette lettre, sous le nom de coryphée des médecins de Berlin.
593-b Le Roi veut probablement dire de votre présence.
594-a Voyez t. XXV, p. VIII, IX, 282, 307, 359 et suivantes.
595-a Charles-Auguste, grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach, naquit à Weimar le 3 septembre 1757. Il succéda, le 28 mai 1758, à son père Ernest-Auguste-Constantin, sous la tutelle de sa mère, qui lui remit le gouvernement le 3 septembre 1775. Il épousa, le 6 octobre 1775, la princesse Louise de Hesse-Darmstadt, et mourut, le 14 juin 1828, à Graditz, près de Torgau, en retournant de Berlin chez lui. La duchesse Amélie sa mère était fille de la duchesse Charlotte de Brunswic, sœur de Frédéric. Celui-ci conféra à son petit-neveu l'ordre de l'Aigle noir le 19 janvier 1786. Déjà le 3 décembre 1762, à Weimar, et au mois de juin 1771, à Brunswic, Frédéric lui avait donné les éloges les plus flatteurs. Voyez les Historische und politische Denkwürdigkeiten des Grafen von Goertz. Stuttgart, 1827, t. I, p. 8.
595-b Voyez t. I, p. 52.
596-a C.-G. Selle. Voyez son ouvrage ci-dessus cité, p. 24..
603-a Cette entrevue n'eut lieu que le 23 mai 1787.
604-a Le prince Henri a écrit de sa main au bas de cette lettre : « Reçu le 27 d'avril 1786. »
605-a Voyez t. XXIV, p. 491 : t. XXV, p. 25 et 288; et ci-dessus, p. 583 et 584
606-a Zimmermann, qui arriva à Sans-Souci le 24 juin 1786. Voyez t. XXV, p. 433 et 434. Voyez aussi C.-G. Selle, Krankheitsgeschichte König Friedrich's des Zweiten, p. 46.
606-b Voyez über Friedrich den Grossen und meine Unterredungen mit Ihm kurz vor seinem Tode. Von dem Ritter von Zimmermann. Leipzig, 1788, petit in-8, p. 00 et 51.
606-c L'autographe de cette lettre, probablement la dernière de Frédéric à son frère, est d'une écriture fort tremblée.
606-d François Benda, violon et membre de la chapelle de Frédéric dès les temps de Rheinsberg, remplit depuis 1771 les fonctions de maître de concerts (Concertmeister). Il était né à Benatek, en Bohême, le 25 novembre 1709, et mourut à Potsdam le 7 mars 1786. Élevé dans la religion catholique, il se convertit au protestantisme.
609-a Voyez ci-dessus, p. 207.
609-b Voyez t. IV, p. 295 et 296, et ci-dessus, p. 206.
610-a Voyez t. VI, p. 243 et 244.
610-b Cet ordre est copié sur l'original que feu M. de Boyen, ministre de la guerre, nous a communiqué le 24 mars 1842. Quant au comte de Dohna, voyez t. IV, p. 228, 229, 248-250, et t. V, p. 14 et 15.