217. AU MÊME.
Le 12 novembre 1770.
Mon cher frère,
Il y a sans doute une distance immense qui nous sépare, et qui empêche, mon cher frère, qu'une correspondance si lointaine puisse être bien régulière. Il faut six semaines pour avoir des réponses; cela fait un grand tort à la correspondance, sans compter la lenteur de l'arrivée des nouvelles, et les changements qui, pendant cet intervalle, arrivent ailleurs dans le monde. Mais ce qui m'intéresse principalement, c'est votre santé, et je me réjouis infiniment qu'elle triomphe des fatigues du voyage et des rigueurs du climat. On ne peut sans doute pousser les attentions plus loin, mon cher frère, que l'impératrice de Russie daigne les avoir pour vous. Elle a daigné vous pourvoir de magnifiques pelisses; c'est assurément aussi obligeant que possible; mais si elle pense à tout, il ne faut pas s'en étonner, car, du grand jus<335>qu'aux petites choses, ses vues s'étendent et enferment tout dans leur immensité. Les Russes ont bien raison de célébrer ses grands succès. L'invention du ballet dont vous me parlez, mon cher frère, est ingénieuse; mais il faut du marbre et de l'airain pour transmettre ses grandes actions à l'immortalité. La modération que cette princesse met dans les conditions de la paix qu'elle impose aux Turcs couronne le tableau de tant de hauts faits, et y ajoute le dernier lustre; car il est beau de pardonner à ses ennemis, et plus beau encore de ne les point opprimer lorsqu'on les peut écraser. Ce sont des choses supérieures aux plus grandes victoires, car la gloire s'en partage entre bien des personnes, qui sans doute y ont contribué; mais la clémence, l'humanité, la générosité, partent du cœur du souverain; cette gloire est personnelle, et personne ne peut la lui disputer. Voilà ce qui rendit César le premier des Romains, son vaste génie et sa clémence; et je me réjouis de trouver les mêmes grandes qualités dans une impératrice dont je suis le fidèle allié. Je ne finirais point sur ce sujet, mon cher frère, la matière est inépuisable; mais comme vous trouvez en vous-même toutes les réflexions que ce sujet fait naître si naturellement, je me renferme cette fois dans les assurances de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.
J'ai perdu cet honnête et brave chancelier Jariges.382-a
382-a Voyez t. XVIII, p. VI, art. IV, et p. 183-185; t. XX, p. XIV, art. XII, et p. 217.