304. AU PRINCE HENRI.
Frankenstein, 10 (avril 1778).
Mon cher frère,
Je viens de recevoir la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire. Je dois vous avouer d'avance que j'ai perdu ma gageure, et que je vous la payerai : l'Empereur ne partira que le 20 pour son armée, de sorte que, si même il voulait agir d'abord, il ne pourrait gagner les frontières de la Saxe au plus tôt que le 28; mais je sais en même temps qu'il manque encore de bien des choses. Son projet a été de pénétrer par la Lusace; mais s'il l'a à présent, je me mettrais à ses trousses pour lui couper ses magasins, ce qui le mettrait dans l'impuissance de poursuivre sa pointe. Tout mon corps est rassemblé ici, et j'aurai tout ce qui me manque encore d'artillerie et de chevaux pour les munitions de bouche au plus tard le 18. Vous ferez bien de presser la marche des régiments de Prusse, qui sont bien lents selon mes vues. Stutterheim477-a ne sait point s'aider. J'ai écrit encore aujourd'hui à lui et à Domhardt.477-b Les régiments passeront la Vistule le 7 ou le 8, mais le gros canon et le Proviant-Fuhrwesen477-c n'y sont pas encore. Les Autrichiens veulent laisser Nadasdy avec des insurgents pour couvrir la Lodomérie et la Gallicie, signe qu'ils craignent les Russes; leurs régiments de Flandre restent encore, à l'exception de deux escadrons qu'ils ont envoyés dans le Brisgau. Je sais de bonne part qu'ils se méfient des Français. Tout cela me fait croire que vous pourrez en sûreté gagner le mois de <420>mai. S'il se passe ici la moindre chose qui en vaille la peine, je vous l'écrirai d'abord. Pour Marwitz, s'il veut avoir le titre de général-major des vivres, il l'aura. Je vais demain à Glatz pour m'accommoder un camp sur le Hochwald,478-a et je vous réponds que j'y pourrai attendre en toute sûreté la jonction des troupes de la Marche, qui ne peuvent être ici que le 1er mai; celles de Prusse ne viendront que le 7; mais pour moi, je ne m'en embarrasse pas, car j'en ai même à présent suffisamment pour la défensive. Les Autrichiens ne pourront avoir ma réponse que vers le 24 de ce mois; ainsi, quand même ils voudraient déclarer la guerre, cela ne pourrait avoir lieu avant le 1er de mai. Tout ce que j'apprendrai d'intéressant vous sera incessamment communiqué; mais par ma position actuelle je puis toujours faire avorter sûrement le projet sur la Lusace, car il n'est pas possible de fourrager encore de deux mois, et si je coupe par derrière les vivres à cette armée, elle sera obligée de rebrousser chemin plus vite qu'elle n'est venue. Dans ce moment, j'apprends que les Autrichiens forment un magasin à Reichenberg, sur les frontières de la Lusace; mais je crois qu'ils changeront d'avis quand ils apprendront notre assemblée. Je suis, etc.
477-a Voyez t. VI, p. 104 et 163.
477-b Jean-Frédéric Domhardt, né en 1712 à Alrode, dans le duché de Brunswic, gagna par son mérite l'entière confiance de Frédéric, qui le nomma en 1756 président de la chambre (Kammer) à Gumbinnen et, en 1763, président des deux chambres de la province de Prusse. Le 19 juillet 1771, le Roi l'anoblit, et, l'année suivante, il lui confia aussi la présidence des deux chambres de la Prusse occidentale, avec le titre de président supérieur (Ober-Präsident). Ce digne magistrat mourut à Königsberg le 20 novembre 1780. Voyez sa vie dans les Beiträge zur Kunde Preussens, Königsberg, 1818, t. I, p. 1-32. Voyez aussi J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. IV, p. 3-195, t. V, p. 183-234; et ci-dessus, p. 410.
477-c Train des équipages. Voyez ci-dessus, p. 157.
478-a Sur les hauteurs de Pischkowitz. Voyez t. VI, p. 160.