189. A LA MÊME.
Sans-Souci,a 26 juillet 1747.
Ma très-chère sœur,
Je suis charmé d'apprendre par vous-même que les eaux de Carlsbad vous ont fait du bien. C'est ce qui m'intéresse principalement, par la part que je prends à tout ce qui vous regarde. J'espérais que ma lettre précédente vous aurait encore trouvée aux bains, et que peut-être l'envie vous aurait pris de pousser outre et de venir jusqu'ici. Je me représente parfaitement les originaux de toute espèce qui ont été aux bains. Pour ces femmes à plusieurs maris, ce sont, ne vous déplaise, les plus prudentes du sexe; elles se pourvoient de bonne heure, pour ne point être exposées à la viduité après la mort de celui de leurs maris dont elles portent le nom. Vous autres dragons de vertu, à peine pouvez-vous soutenir l'idée de coucher avec un mari; mais ces femmes aguerries étendent la sphère de leur activité, et elles servent à beaucoup, au lieu que vous ne vous fixez scrupuleusement qu'à une seule personne. Ces dames ont encore un avantage comme philosophes : elles veulent s'assurer de la connaissance de la nature par plusieurs expériences faites sur divers sujets, et c'est, sans contredit, la bonne manière pour s'instruire; au lieu que, se bornant à une simple expérience, on n'ose décider sur aucun cas. C'est un crépuscule entre l'ignorance et le savoir, un état non décidé, et je m'étonne comment cette espèce de vertu a pu pénétrer de la zone glaciale jusqu'en la zone tempérée où nous vivons. Je vous demande pardon, ma chère sœur, de soutenir un sentiment aussi contraire au vôtre; je prêche la morale d'Épicure, et vous pratiquez celle de Zénon. J'attends avec impatience le retour de Finette; elle sera bien questionnée, je vous en réponds, m'intéressant toujours tendrement à ce qui vous regarde, et étant avec une parfaite estime, ma très-chère sœur, etc.
a Frédéric avait inauguré ce palais le 1er mai 1747, et il en a fait la description dans son Épître à d'Argens, t. XI, p. 49-55. Voyez aussi t. X, p. v et VI; t. XXII, p. 226; t. XXVI, p. 80 et 635.