<275>vie autant d'histoire qu'il en tient dans votre petit doigt. Je pars dans deux jours pour les camps de la Silésie. Recevez, de grâce, mes excuses sur le peu de régularité de ma correspondance; mais, ma chère sœur, je suis si prodigieusement chargé de travail dans ces tournées, qu'à peine me reste-t-il un moment pour manger un morceau. Daignez me conserver vos bontés, dont je fais tout le cas qu'Oreste faisait du cœur de Pylade, et soyez persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.
303. A LA MÊME.
Le 21 septembre 1755.
Ma très-chère sœur,
A mon retour de Silésie, j'ai été réjoui par deux de vos chères lettres. Je suis charmé de vous savoir en bonne santé, et je me flatte que cela continuera malgré l'hiver et la dureté des saisons. Vous me marquez vos craintes pour la guerre; mais, ma chère sœur, il y a bien loin de la rivière d'Ohio à la Sprée, et du fort de Beau-Séjour à Berlin. Je parierais bien que les Autrichiens ne marcheront pas sitôt en Flandre. La guerre voyage en grande dame; elle a commencé en Amérique; à présent elle est arrivée dans l'Océan et dans la Manche; elle n'a pas débarqué encore, et si elle prend terre le printemps qui vient, elle pourrait peut-être, pour plus grande commodité, cheminer en litière, de sorte qu'on la verra venir de loin; et, après tout, on est exposé à tant de hasards dans le cours commun de la vie, que la guerre n'y ajoute qu'un petit degré de plus. Nous ne pouvons ni faire ni détruire les conjonctures; nous autres animaux politiques, nous ne sommes faits que pour en profiter, si nous sommes sages. A présent, tout ne pense ici qu'aux noces de Ferdinand; cela se fera à Charlottenbourg, parce que la Reine douairière l'a désiré. Je donnerai des fêtes, et Ferdinand poussera souche; vous allez voir toute une peuplade sortir de ce lit nuptial; il n'y a que du bien, car nous