198. A LA MÊME.
Berlin, 15 décembre 1747.
Ma très-chère sœur,
Lorsque j'apprends des nouvelles de votre bonne santé, je vous en passe bien d'autres; qu'on devienne fou à Baireuth, qu'on égratigne, qu'on boude, qu'on se noie ou se pende, peu m'importe, pourvu que vous vous portiez bien, et l'on enchaînera madame Meyer sans que cela m'altère. Ici, un bon et gros bourgeois s'est pendu de regret d'avoir perdu sa très-chère épouse. Ce bonhomme a donné une épreuve de quelle force l'amour conjugal est dans ce pays. C'est, en vérité, l'honneur de tous les maris, et je ne doute point qu'on ne le cite dans l'histoire comme un exemple de l'attachement le plus constant et le plus tendre qui se soit vu depuis la belle Hélène. La fureur de l'Abdérie a pris la place de la folie mélancolique de ce fidèle misanthrope. On dilate ici sa bile par les lazzi du sieur Thomassin, et on noie sa tristesse sous le masque et le domino couleur de rose de nos bals masqués. D'Argens vient d'arriver, et il sera incessamment suivi de toute la bande de Terpsichore.1_192-a Après vous avoir parlé <170>de ces bagatelles, vous vous imaginerez peut-être, ma chère sœur, que je n'ai l'esprit rempli que de balivernes; mais pour vous prouver le contraire, j'ose vous prier de faire rechercher dans vos archives de Plassenbourg si vous n'y trouverez point des anecdotes sur les premiers électeurs de la maison, et en ce cas je vous demande la permission de profiter des lumières que ces vieux documents peuvent répandre sur une histoire dont je tâche d'ébaucher l'essai.1_192-b
Je vous demande pardon, ma très-chère sœur, si je vous importune avec de pareilles billevesées; mais lorsqu'on écrit, il n'est pas indifférent de s'instruire. J'ajouterai cette reconnaissance à toutes celles que je vous ai déjà, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.
1_192-a Voyez t. XIX, p. 18 et suivantes.
1_192-b Voyez t. I. p. XXXV et suivantes. Frédéric écrivit à sa sœur, le 8 janvier 1748 : « Je vous rends mille grâces des étiquettes de vos archives que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Après les avoir bien examinées, je n'en ai trouvé aucune qui indiquât quelque pièce où il se trouvât les anecdotes que je désirais. » Il lui écrivit encore, le 14 février de la même année : « J'aurai l'honneur de vous envoyer notre volume de l'Académie, de l'année 1747, où vous verrez un essai sur l'histoire de Brandebourg jusqu'à Frédéric-Guillaume. Les autres pièces suivront successivement dans les volumes de 1748 et 1749. »