311. A LA MÊME.
Ce 26 (décembre 1755).
Ma très-chère sœur,
Vous avez raison de craindre que des maladies telles qu'en a eu notre chère mère ne puissent un jour lui être funestes. Cependant elle s'en remet parfaitement pour cette fois-ci; je trouve qu'elle reprend sa vivacité et son humeur ordinaire, ce qui sont de très-bons signes. Notre carnaval a commencé, mais, pour vous dire le vrai, il n'est guère animé jusqu'à présent. Il y a des années où cela va de soi-même, il y en a d'autres où l'on ne vient à bout de rien. Notre évêque est tout aussi espiègle qu'il l'a été <285>à Rome, et capable d'enfumer le sacré collége et le pape même; mais je le prie beaucoup d'assujettir ces heureuses dispositions aux dehors de l'hypocrisie, et de cacher sa gaîté sous un masque discret et plein de formalités. On prend les vices comme les vertus de son état; il faut qu'un ecclésiastique soit hypocrite, ou tout le monde lui jette la pierre. J'espère que l'on sera à présent assez sensé de ne plus faire parade de tremblements de terre; tous ceux qui se mettent à présent sur les rangs viennent trop tard, après celui de Lisbonne; il en faut avoir un pareil, ou se taire. Il n'y a que l'extrémité des excès en tout genre qui fasse du bruit, et ce n'est pas la peine de travailler ni de s'agiter pour faire des choses ordinaires. C'est pourquoi l'on parlera toujours d'un César, d'un Cicéron, d'un Érostrate, d'un Cartouche, d'un Socrate, d'un Trajan, et que les hommes et les accidents vulgaires s'oublient. Quoique je sois fort du nombre de ces derniers, j'espère bien, ma chère sœur, qu'en faveur de l'amitié vous voudrez bien ne point m'effacer de votre mémoire, et me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.