321. A LA MÊME.
( Leitmeritz) 1er juillet (1757).
Ma très-chère sœur,
Je suis sensible autant qu'on peut l'être au tendre intérêt que vous daignez prendre à ce qui me regarde. Vous n'avez rien à craindre pour moi, ma chère sœur; les hommes sont toujours sous la main de ce qu'on nomme le destin. Beaucoup de personnes à qui il arrive des accidents à la promenade, dans leurs chambres, dans leur lit; beaucoup qui échappent aux périls de la guerre; ces périls sont moins fréquents pour un général qui commande une armée que pour les autres officiers. J'aurai de l'occupation, mais je ne la crains pas; j'aurai des fatigues à souffrir, mais les médecins disent que l'exercice est sain. Il arrivera donc de tout ceci ce qui plaira au ciel. Je vous rends mille grâces de tout ce que vous avez la bonté de me dire d'ailleurs. Je crois que si, pour le commencement, vous voulez bien faire passer vos lettres par la Hesse, ce n'en sera que mieux, et n'envoyer quelqu'un que dans une occasion bien importante. Je pense au moyen d'avoir quelqu'un à moi, à Gera, qui pourrait m'envoyer des paquets dans les grandissimes crises. Je prends la liberté en même temps de vous envoyer un petit grimoire;1_333-a on pourrait s'en servir, le faire écrire par une main inconnue, sans souscription, sceller d'un cachet ordinaire, et la personne sur laquelle je ne suis pas encore d'accord moi-même, et qui se trouverait à Gera, pourrait l'apporter elle-même, de sorte que personne ne saurait de qui il vient, ni d'où vient la lettre. Je ne manquerai pas de vous communiquer cette adresse, dès que cela sera arrangé. L'Allemagne est à présent dans une terrible crise; je suis obligé de défendre seul ses libertés, ses priviléges et sa religion; si je succombe, pour le coup, c'en sera fait. Mais j'ai bonnes espérances, et, quelque grand que soit le nombre de mes ennemis, je me confie sur ma bonne cause, sur l'admirable valeur des troupes, et sur la bonne volonté qu'il y a depuis les maréchaux jusqu'au moindre soldat. Je vous demande mille pardons si, <295>pour cette fois, je ne vous en dis pas davantage; je suis obligé de travailler beaucoup pour finir tous mes arrangements. Je vous embrasse de tout mon cœur, en vous priant de me croire avec le plus sincère attachement et la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.
1_333-a Voyez t. XXVI, p. 202 et 208.