333. A LA MÊME.

Près de Weissenfels, 5 novembre (1757).



Ma très-chère sœur,

Enfin, ma chère sœur, je puis vous annoncer une bonne nouvelle. Vous saviez sans doute que les tonneliers,1_350-a avec leurs cercles,1_350-a voulaient prendre Leipzig. Je suis accouru, et les ai chassés au delà de la Saale. Le duc de Richelieu leur a envoyé un secours de vingt bataillons et de quatorze escadrons; ils se sont dits forts de soixante-trois mille hommes. Hier j'ai été pour les reconnaître, et n'ai pu les attaquer dans leur poste, ce qui les a rendus téméraires. Aujourd'hui ils ont marché en intention de m'attaquer, mais je les ai prévenus. C'était une bataille en douceur. Grâce à Dieu, je n'ai pas eu cent hommes de morts; le seul général mal blessé,1_351-a c'est Meinike.1_351-b Mon frère Henri et le <311>général Seydlitz ont de légères contusions aux bras. Nous avons tout le canon de l'ennemi; leur déroute est totale, et je suis en pleine marche pour les rejeter au delà de l'Unstrut. Après tant d'alarmes, voici, grâces au ciel, un événement favorable, et il sera dit que vingt mille Prussiens ont battu cinquante mille Français et Allemands. A présent je descendrai en paix dans la tombe, depuis que la réputation et l'honneur de ma nation est sauvé. Nous pouvons être malheureux, mais nous ne serons pas déshonorés. Vous, ma chère sœur, ma bonne, divine et tendre sœur, qui daignez vous intéresser au sort d'un frère qui vous adore, daignez participer à ma joie. Dès que j'aurai du temps, je vous en dirai davantage. Je vous embrasse de tout mon cœur. Adieu.


1_350-a Voyez t. XII, p. 80.

1_351-a Le Roi veut dire dangereusement blessé, schlimm blessirt, expression qu'il emploie entre autres dans sa lettre au prince Léopold d'Anhalt-Dessau, du 4 juin 1745.

1_351-b Voyez t. IV, p. 167, et t. XXVI, p. 140, 141 et 317.