VI. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE DUC FERDINAND DE BRUNSWIC. (8 OCTOBRE 1750 - 2 AVRIL 1762.)[Titelblatt]
<60><61>1. AU DUC FERDINAND DE BRUNSWIC.
Potsdam, 8 octobre 1750.
Mon cousin,
Je saisis avec bien de la joie l'occasion que vous me fournissez de pouvoir vous témoigner combien je suis prêt à condescendre à tous vos désirs. Je vous accorde bien volontiers la permission que vous me demandez, par votre lettre du 7 de ce mois, de pouvoir faire un tour à Brunswic pour le temps que vous vous prescrivez vous-même, quoique vous me feriez un plaisir bien réel de vous arranger de sorte que vous ne partiez d'ici que le 14 ou 15 de ce mois; et comme je suis tout à fait persuadé de vos sentiments tendres et sincères pour moi, vous pourrez aussi, à votre tour, être très-assuré de l'amitié inaltérable et sans bornes que je vous porte et porterai à jamais. Je vous regarde comme mon ami le plus intime et le plus estimable; point d'ennemi n'oserait ni ne pourrait altérer cette amitié ou vous noircir dans mon esprit; et, supposé que vous ayez des envieux, croyez fermement qu'aucun ne pourra jamais vous nuire, et que ma plus grande satisfaction sera toujours de vous témoigner combien je suis, etc.
2. AU MÊME.
Breslau, 2 janvier 1758.
Permettez-moi de vous parler franchement et de vous dire que je vois avec regret que votre expédition est manquée,2_66-a et que <62>vous vous êtes laissé séduire par le sieur de Schulenbourg et par d'autres Hanovriens. Il ne fallait point aller à Celle, mais sur Nienbourg. De pareilles opérations veulent être menées avec vigueur. A présent l'affaire est gâtée; celle de Lehwaldt en Poméranie ira mieux. Il fallait attaquer l'ennemi et lui tomber vertement sur le corps. Le temps que vous perdez, l'ennemi l'emploiera utilement à se renforcer, et ensuite vous aurez double peine et double risque. Voilà ce que c'est que d'avoir suivi de mauvais conseils.2_66-b
Rien ne pouvait venir plus mal à propos que ce que vous avez fait. Voilà tout ce que la douleur me permet de vous dire.2_66-c
3. AU MÊME.
Breslau, 26 janvier 1758.
Je suis obligé de me régler sur vous pour mon projet de campagne. Pour l'amour de Dieu, faites que vos coïons mordent bien. Le prince de Holstein2_67-a vous mène dix escadrons de dragons et cinq de hussards; mais ces gens en valent trente de l'ennemi. Le prince de Holstein est un excellent général de cavalerie, auquel vous pouvez confier tout ce que vous ne pouvez pas exécuter vous-même. Si ce que vous savez réussit, je pourrai, dès que je serai débarrassé des Suédois, vous épauler davantage. Mais vous devez comprendre que je me dois primo débarrasser de ces gens-là, pour n'avoir ni ne laisser rien à dos, ce qui serait très-imprudent.
<63>4. AU MÊME.
Breslau, 30 janvier 1758.
Vous m'accusez d'impatience. Ce n'est pas cela, mais je crains que, dans un mois, ce qui est facile ou possible aujourd'hui ne devienne impraticable. Je crains ce que pourraient faire vos ennemis, s'ils sont sages, et tout cela me fait juger qu'il n'y a pas un moment à perdre. Les Russes sont à Königsberg, autre belle nouvelle pour moi. Enfin je me persuade pourtant que si vous aiguillonnez vos pleutres, vous en tirerez parti, non pas par la bonté intrinsèque, mais par le nombre, la seule façon dont vous puissiez les mettre en œuvre.2_67-b
5. AU MÊME.
Grüssau, 4 avril 1758.
Vive mon cher Ferdinand! Cela va à merveille. Voyez-vous, l'offensive vaut mieux que la défensive.2_68-a Vous comblez de honte le Cumberland, qui, avec les mêmes troupes que vous commandez, n'a fait que des coïonneries. Vous aurez beau jeu des Français; mais, arrivé au Rhin, il faut que vous deveniez un Fabius pour les projets et les dispositions, et un Annibal pour les rodomontades.
<64>6. AU MÊME.
Opotschna, 21 juillet 1758.
Vous pouvez juger facilement de la douleur que me Cause la mort de mon frère.2_68-b Vous connaissez trop ma façon de penser pour en douter. J'ai ici cinq armées contre moi, et cela, de tous les côtés.
7. AU MÊME.
Liegnitz, 12 août 1758.
Vous sentez, mon cher, comme vous le devez nos pertes; je souhaite que vous n'en fassiez jamais d'aussi sensibles. Toutes les calamités fondent sur nous. Celles de la mort de nos proches sont irréparables; pour les autres, avec beaucoup de courage et de persévérance on en vient à bout, et l'on n'en a que les soins et la peine, choses qu'il ne faut pas mettre en compte lorsqu'il s'agit du bien et du salut de la patrie.
8. DU DUC FERDINAND DE BRUNSWIC.
Dülmen, 2 septembre 1758.
Votre Majesté a manifesté actuellement à presque tous ses ennemis sa valeur, sa prudence et son activité dans les manœuvres de la guerre, jointes à ce talent supérieur qu'elle possède au-dessus de tous les ennemis dans l'exécution de ses projets. Le ciel <65>combat visiblement pour elle, et embrasse sa juste cause. Elle ne veut être que le soutien et le libérateur de sa patrie, et elle s'est dignement acquis ces noms flatteurs. Le ciel daigne sans cesse verser ses plus précieuses bénédictions sur sa personne, et la combler de toutes les félicités imaginables! Sa valeur et sa persévérance opéreront à la fin ce salutaire ouvrage d'une paix générale et honorable. La défaite de ses barbares ennemis2_70-a doit avoir causé une perplexité très-grande parmi l'armée soubisienne.2_70-b Ut in litteris.
Ferdinand, d. d. B. et d. L.
9. AU DUC FERDINAND DE BRUNSWIG.
Elsterwerda, 8 septembre 1758.
Monsieur mon cousin,
J'ai vu par la lettre de Votre Altesse, du 2 de ce mois, que Sa Majesté Britannique vient de lui accorder une pension annuelle de deux mille livres sterling. J'ai été charmé de voir que la reconnaissance ait porté ce prince à s'acquitter par là en quelque sorte envers elle des obligations essentielles qu'il a à V. A., qui certes a bien mérité, par les services qu'elle a rendus à Sa Majesté Britannique, la susdite pension, et même une plus forte. Je lui en fais, en attendant, mon compliment, et je suis avec cette estime qu'elle me connaît pour elle, monsieur mon cousin, etc.
<66>10. AU MÊME.
Schönfeld, près de Dresde.
15 septembre 1758.
Monsieur mon cousin,
J'ai reçu la lettre de Votre Altesse, du 8 de ce mois, et tout ce qu'elle m'y marque touchant ma cavalerie qui se trouve actuellement auprès de son armée est bien fondé. Mais, d'un autre côté, elle voudra bien considérer la situation épouvantable dans laquelle je me trouve à présent, ayant partout des ennemis dans mon pays et devant moi, et que les Russes, quoique battus d'importance, ayant tiré à eux tout ce qu'ils pouvaient de troupes de la Pologne, se sont postés sur la frontière de la Nouvelle-Marche, s'y étant retranchés au possible, de façon que je suis obligé de laisser vis-à-vis d'eux le comte Dohna avec son armée pour les y observer de près. Les Suédois, d'autre part, ont pénétré par la Marche-Ukraine, qu'ils tâchent d'abîmer, faisant mine de vouloir marcher droit en avant sur Berlin, de sorte que je ne saurais me dispenser d'y détacher quelques troupes pour m'opposer à eux, pendant un temps où j'ai ici toutes les mains pleines à faire contre les Autrichiens. Je ne saurais donc rien changer, vu ma situation présente, à la déclaration que j'ai faite antérieurement à V. A., savoir, que, au cas qu'elle jugeât qu'il pourrait y avoir encore une bataille contre l'armée française qu'elle a devant elle, elle garde ma cavalerie pour s'en servir à ce but pendant la bataille, mais que, au cas qu'il ne puisse être question chez vous d'autre chose, sinon que les armées restent tranquilles l'une vis-à-vis de l'autre, elle ait la bonté de me renvoyer la cavalerie qui m'appartient, et dont j'ai moi-même un grand besoin; d'autant plus que V. A. ne saurait retirer aucun avantage de dix escadrons de dragons de plus ou de moins, pendant qu'on ne ferait que s'entre-regarder. Mais autre chose serait si V. A. était résolue de donner la bataille, et en ce cas ma cavalerie ne la quitterait qu'après ladite bataille. Vous pouvez compter que dès que je me serai débarrassé ici de mes ennemis les plus pressants, ce sera avec plaisir que je vous renverrai non seulement ladite cavalerie, <67>mais plus de troupes encore. Veuillez, en attendant, seulement prendre en considération ma situation présente.
Au reste, vous avez sagement fait de ne point entier en matière avec le commissaire français en question, puisqu'il ne se serait agi tout au plus que de chipotages incertains et de propositions vagues et captieuses. Je suis avec l'estime que j'ai vouée à V. A. à jamais, monsieur mon cousin, etc.
11. AU MÊME.
Landeshut, 21 avril 1739.
J'ai reçu, mon cher Ferdinand, votre lettre de Windecken. Je suis très-mortifié que vous n'ayez pas réussi autant que moi et tous les honnêtes gens l'avons souhaité. Mais que cela ne vous rebute pas; vous avez fait, selon ce que j'ai pu comprendre par le chasseur, des dispositions très-bonnes et excellentes; vous avez mené vos troupes en bon et brave général; le reste n'est pas votre faute, et il ne faut pas que cela vous décontenance en rien. Pour vous parler franchement, mon cher, la seule chose que je trouve à redire à votre armée, et à laquelle je vous conseille de penser sérieusement, c'est le gros canon; dans cette maudite guerre, il est impossible de réussir sans en avoir un grand train, ainsi que d'obusiers. Vous saurez les projets de mon frère; ainsi je ne vous en parle pas. Je ne sais pas non plus ce que vous méditez à présent : mais, s'il vous est impossible de prendre le magasin de Fridberg, je crois qu'avec un petit détachement vous pourriez faciliter à mon frère le moyen de chasser les cercles et les Autrichiens de Bamberg. Cela sera bon pour la Hesse et pour moi. Je crois que mon frère vous en écrira de même, car cette bataille2_73-a n'est qu'une affaire de bibus,2_73-b un village attaqué que l'on <68>n'a pas pu forcer. Il faut traiter la chose en bagatelle; alors elle le devient effectivement. Adieu, mon cher; je vous embrasse; il faut tenter fortune une autre fois sous de plus heureux auspices et avec du gros canon. Je suis avec bien de l'estime, mon cher Ferdinand, etc.
12. AU MÊME.
Reich-Hennersdorf, 26 juin 1759.
Nous sommes ici les bras croisés, tant qu'il plaira à cette bénite créature que j'ai vis-à-vis de moi; mais au premier mouvement, il y aura de bons coups de donnés. Adieu, mon cher; je vous embrasse.2_73-c
13. AU MÊME.
Le duc Ferdinand soumettait tous ses plans d'opérations à l'approbation du Roi, qui a mis les réponses suivantes au bas des projets du 27 et du 31 octobre 1760 :
(Novembre 1760.)
Tout cela est bien et conforme aux idées que je vous ai communiquées, et que j'ai approuvées parfaitement.
(Novembre 1760.)
J'en suis infiniment content; vous avez parfaitement saisi mes idées, et il n'y manque pas la moindre chose.
<69>14. AU MÊME
Breslau, 20 janvier 1762.
Vous serez déjà sans doute informé de la nouvelle peu attendue de la mort de l'impératrice de Russie, qui, selon mes lettres de Varsovie, est arrivée le 5 de ce mois. C'est toujours un grand événement pour moi, qui, de quelque façon que les choses tournent, ne saurait que m'être favorable. Quoique je ne saurais pas encore juger proprement sur la manière que cela se dénouera du côté de l'orient, j'ai, jusqu'à présent, toute espérance d'une bonne réussite, tant qu'on la saurait avoir, de sorte que, tout combiné et pris ensemble, je dois présumer que je saurais donner de bonnes nouvelles bientôt à V. A. à ce sujet.
Le ciel commence à s'éclaircir, mon cher; bon courage!2_75-a
15. AU MÊME.
Breslau, 17 février 1762.
L'empereur de Russie m'a demandé mon ordre; ce n'est certainement pas un signe de haine ni de prévention. J'en ai profité comme vous pouvez croire ....
<70>16. AU MÊME.
Breslau, 5 mars 1762.
J'espère que dans peu notre correspondance deviendra plus intéressante. Il y a apparence que j'aurai de bonnes nouvelles à vous donner. Le ciel nous assiste, mon cher, nous en avons encore grand besoin, et qu'il confonde les pèlerinages de Marienzell,2_75-b les reliques de Sa Majesté Catholique, et les p...... de Sa Majesté Très-Chrétienne!2_75-c
17. AU MÊME.
Breslau, 2 avril 1762.
Je vous confie sous le sceau du plus grand secret, même vis-à-vis de l'Angleterre, que nous allons faire une alliance avec la Russie, touchant le Holstein; tout sera conclu le 15 ou le 16 du mois d'avril. Si les Danois ont eu l'imprudence de prendre Lübeck, je donne passage aux Russes, qui nous en déferont à coup sûr; mais je ne crois pas que les Danois le tentent.
2_66-a Voyez t. IV, p. 198.
2_66-b De la main d'un secrétaire.
2_66-c De la main du Roi.
2_67-a George-Louis, duc de Holstein-Gottorp, lieutenant-général, né en 1719. Voyez t. IV, p. 211.
2_67-b Ce billet et le précédent sont des post-scriptum ajoutés par le Roi à des lettres officielles.
2_68-a Voyez t. IV, p. 210.
2_68-b Voyez t. XXVI, p. XI.
2_70-a A Zorndorf. Voyez t. IV, p. 229 et suivantes.
2_70-b L. c., p. 212 et suivantes.
2_73-a Il s'agit de l'action qui eut lieu près du village de Bergen. Voyez t. V, p. 2 et 3.
2_73-b Le duc Ferdinand a mis de sa main au bas de cette lettre : « Je ne connais ce terme sous-rayé. » - Le mot bibus signifie bagatelle.
2_73-c Post-scriptum ajouté par Frédéric à une lettre officielle.
2_75-a De la main du Roi.
2_75-b Voyez t. XV, p.136.
2_75-c L. c., p. 89.