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V. LETTRE DE FRÉDÉRIC A CATHERINE II, IMPÉRATRICE DE RUSSIE. (22 AVRIL 1781.)[Titelblatt]

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A CATHERINE II, IMPÉRATRICE DE RUSSIE.3_351-a

Le 22 avril 1781.



Madame ma sœur,

Entre tant de merveilles qui signalent le règne de Votre Majesté Impériale, la publication du code maritime3_351-b qui protége le commerce contre toute piraterie n'en est pas une des moindres, et celle qui avait donné de si sages lois à la plus grande monarchie de l'Europe pouvait en donner, à d'aussi justes titres, à l'empire des mers. Témoin et admirateur d'aussi nobles entreprises, j'ai cru devoir profiter, pour le petit commerce de ce pays, de la protection que V. M. I. daigne si généreusement lui accorder. Elle me permettra de la remercier et de lui témoigner toute l'étendue de ma reconnaissance de ce qu'elle a consenti à mon accession à ce traité.3_351-c Elle peut être fermement persuadée que je ne relâcherai jamais les liens qui m'attachent à son auguste personne, ainsi qu'aux intérêts permanents de la Russie, et que je rechercherai constamment toutes les occasions qui pourront les resserrer davantage, comme aussi en prolonger la durée au delà de la fin de mes jours. Même quand mon temps sera passé, et que j'irai peut-être aux champs Élysées, je m'entretiendrai avec le czar Pierre le Grand, que j'ai vu dans ma jeunesse,3_352-a de tout ce qui <324>s'est passé depuis sa mort. Il entendra avec étonnement comment les flottes russes ont été victorieuses en Archipel, l'humiliation de Mustapha, le Pont-Euxin chargé de vaisseaux de la grande Catherine, l'indépendance du kan des Tartares, puis la paix de Teschen dictée par cette même Impératrice, l'Océan rendu libre par ses lois, la Hollande protégée par sa générosité, et, en même temps que ces grandes entreprises se passent aux yeux de l'Europe attentive, la Russie, dans son intérieur, devenant de jour en jour plus florissante sons la sage administration de son auguste souveraine. Pourvu, madame, qu'après ma mort je ne conserve qu'un soupçon d'âme, V. M. I. peut être sûre que cet entretien aura lieu tel que j'ai l'honneur de le lui tracer; et supposé que l'empereur Pierre Ier doutât de mon récit, j'appellerais Marie-Thérèse et Mustapha même comme les témoins de ce que j'ai avancé. Aucun d'eux ne pourrait me donner un démenti; Thérèse même avouerait que, indépendamment de certains arrangements qu'elle avait pris avec Mustapha, elle avait été obligée de céder à l'ascendant vainqueur de la grande Catherine. Mais je ne sais où je m'égare; il était bien question de parler, en vieux radoteur, des morts et des champs Élysées à celle qui rend sa vie si mémorable par les actions les plus signalées. Pardonnez-moi, madame, cette faiblesse de vieillard. Mais mon âge ni rien au monde ne m'empêcheront d'être avec persévérance de l'attachement le plus inviolable et avec la plus haute considération,



Madame ma sœur,

de Votre Majesté Impériale
le fidèle frère, admirateur
et allié,
Federic.


3_351-a Communiquée en copie par M. Nicolas Tourgueneff, à Paris.

3_351-b Déclaration du 28 février 1780.

3_351-c Frédéric accéda le 8 mai 1781 au traité de neutralité armée. Voyez la Convention pour le maintien de la liberté du commerce et de la navigation neutre conclue entre les cours de Prusse et de Russie, dans le Recueil des déductions, manifestes, etc., par M. de Hertzberg, t. I, p. 457 à 464.

3_352-a Pierre le Grand avait été cinq fois à Berlin : le 20 juillet 1697; du 11 au 13 octobre 1712, en allant au Carlsbad; du 27 novembre au 1er décembre de la même année, en revenant du Carlsbad; le 11 mars 1713, en revenant de Hollande; enfin du 19 au 28 septembre 1717. C'est à ce dernier séjour du Czar que Frédéric fait allusion. Voyez les Mémoires de la margrave de Baireuth. t. I, p. 40.