<71>sentez de difficultés d'avance, et moins vous serez surpris de les rencontrer en exécutant. De plus, vous avez déjà à tête reposée pensé à ces obstacles, et vous avez avisé de sang-froid aux moyens de les éluder, de sorte que rien ne pourra vous étonner. Telle à peu près était l'expédition de Louis XIV contre les Hollandais, l'année 1672. L'entreprise aurait été glorieusement terminée, si les Français s'étaient d'abord rendus les maîtres des écluses de Naarden et de Muiden, ce qui les aurait rendus les maîtres d'Amsterdam, et si l'armée française ne s'était point affaiblie par le nombre de garnisons qu'elle mit jusque dans les plus petites places.

Les projets de campagne par lesquels on se propose d'attaquer l'ennemi par deux, trois ou plus d'armées sont plus sujets à ne pas réussir que ceux où une armée seule agit; il est plus difficile de trouver trois bons généraux que d'en trouver un. De plus, si vous vous proposez de faire de grands efforts dans une province, l'ennemi, qui est libre, se propose d'en faire sur une autre de ses frontières; il arrive donc souvent qu'une de vos armées battues vous oblige de lui envoyer des secours; vous êtes obligé d'affaiblir votre armée principale, et dès lors tout votre projet d'offensive se réduit à rien; vous vous trouvez sur la défensive à l'endroit où vous vouliez frapper les plus grands coups, et vous êtes nécessité de renforcer un général battu dans une province où votre intérêt n'exigeait point que vous fissiez des efforts. Il n'y a qu'à relire les projets de la cour de Versailles qui se trouvent à la tête de chaque campagne dans l'Histoire militaire de Louis XIV, par Quincy,a pour se convaincre de cette vérité : aucune des campagnes ne répond aux projets que les ministres et les généraux avaient formés. Mais d'où cela venait-il? car les fautes des autres nous doivent servir d'avertissement pour n'y point tomber. C'est de s'être trop flatté du succès, c'est pour n'avoir pas assez pensé aux moyens de l'ennemi, aux démarches qu'exigeait son intérêt, enfin aux entreprises les plus dangereuses contre les intérêts de la France que ces ennemis pouvaient exécuter. Voilà pourquoi je recommande si fort de ne point être superficiel, mais d'examiner et d'imaginer tout ce qu'il est pos-


a Voyez, t. XXVIII, p. 112 et 113.