<79>destin des trônes et des nations. Vous pourrez lire dans l'histoire de ses campagnes ce que je me contente de vous indiquer ici en peu de mots. Ce héros voulut surprendre Crémone, qui était le quartier général des Français; il pénétra dans la ville, mais il ne put s'y soutenir, parce que des détatachements qui devaient contribuer à cette surprise arrivèrent trop tard. Le coup manqua; mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Examinons quelle suite aurait eue la prise de Crémone, si le prince Eugène avait pu la conserver. Premièrement, il aurait fait toute la généralité française prisonnière; personne n'aurait été en état de donner des ordres aux troupes dispersées en cantonnements. Il serait fondu sur cette armée éparpillée, l'aurait détruite en détail, et le reste, fugitif, aurait été trop heureux de regagner les Alpes par bandes, pour se sauver en France. Ainsi un seul quartier de l'armée française enlevé purgeait toute la Lombardie de troupes françaises, et remettait le Mantouan, le Milanais et le Parmesan sous la domination autrichienne. Il n'est encore point né d'homme dont tous les projets aient réussi; si vous n'en concevez que de petits, vous ne serez jamais qu'un homme médiocre, et si de dix grandes entreprises où vous vous engagez il ne vous en réussit que deux, vous immortalisez votre nom. Mais si le prince Eugène manqua son coup sur Crémone, il s'en dédommagea bien dans la suite par cette belle et savante marche qu'il fit sur Turin, laissant derrière lui des détachements de l'armée française, pour forcer M. de La Feuillade dans ses retranchements de Turin et purger l'Italie par ce seul coup des Français, qui, au commencement de la guerre de 1701, en étaient les maîtres. Un projet à peu près semblable fut celui d'attaquer les Français et les Bavarois à Höchstadt, où ils lurent battus. La perte de cette bataille les força d'abandonner la Bavière et la Souabe, et ils ne se crurent en sûreté qu'après avoir repassé le Rhin. Je vous cite toujours le prince Eugène comme le plus grand guerrier de ce siècle. Suivez-le en Hongrie, voyez-le entreprendre le siége de Belgrad, voir son armée assiégée par les Turcs, attendre patiemment qu'ils eussent en partie passé un petit ruisseau qui les séparait de son armée, marcher alors à eux, et remporter une victoire décisive qui obligea le Grand Seigneur à faire la paix en cédant de belles provinces à l'Empereur.