<142>Pendant que les deux armées étaient engagées ensemble, les hussards impériaux pillaient le camp prussien, la gauche et le centre n'ayant pas eu le temps d'abattre les tentes. Nadasdy et Trenck s'en prévalurent; le Roi et beaucoup d'officiers y perdirent tous leurs équipages; les secrétairesa du Roi furent même pris, et ils eurent la présence d'esprit de déchirer tous leurs papiers. Mais comment penser à ces bagatelles, lorsque l'esprit est occupé des plus grands objets d'intérêt, devant lesquels tous les autres doivent se taire, de la gloire et du salut de l'État? M. de Lehwaldt, attiré par le bruit du combat, vint encore à temps pour sauver les équipages de la droite, et mettre fin aux cruautés affreuses que ces troupes de Hongrois effrénés et sans discipline exerçaient sur quelques malades et sur des femmes qui étaient restées dans le camp. De telles actions révoltent l'humanité, et couvrent d'infamie ceux qui les font ou qui les tolèrent. Il faut dire à la louange du soldat prussien, qu'il est vaillant sans être cruel, et qu'on l'a souvent vu faire des actions de grandeur d'âme qu'on ne devrait pas attendre de gens de basse condition.
La postérité verra peut-être avec surprise qu'une armée, victorieuse dans deux batailles rangées, se retire devant l'armée vaincue, et ne recueille aucun fruit de ses victoires : les montagnes qui entourent la Bohême, les gorges qui la séparent de la Silésie, la difficulté de nourrir les troupes, la supériorité de l'ennemi en troupes légères, et enfin l'affaiblissement de l'armée, fournissent la solution de ce problème. Supposé que le Roi eût voulu établir ses quartiers d'hiver dans ce royaume, voici les difficultés qui se présentaient : tout le pays était fourragé radicalement; on trouve dans ces contrées peu de villes, encore sont-elles petites, et ont-elles la plupart de mauvaises murailles : il aurait fallu, pour la sûreté, entasser dans ces trous les soldats les uns sur les autres, ce qui aurait ruiné l'armée par des maladies contagieuses; à peine avait-on des chariots pour les farines, comment en aurait-on trouvé pour amener le fourrage à la cava-
a D'après les lettres de Frédéric à Fredersdorff (Friedrich's II. eigenhändige Briefe an seinen geheimen Kammerer Fredersdorff, Leipzig, 1834, p. 7), les deux conseillers de Cabinet Eichel et Müller furent faits prisonniers par hasard près de Soor.