<150>il prit le Roi en pitié qu'il crût si légèrement cette accusation contre Brühl; il dit qu'il n'était pas naturel qu'un ministre du roi de Pologne, Saxon de naissance, voulût attirer de gaieté de cœur quatre armées dans les États de son maître, et les exposer à une ruine inévitable. Le Roi lui montra une lettre qui portait que dans deux jours le général Grünne arriverait avec son corps à Géra, pour joindre les Saxons à Leipzig; il lui produisit différentes lettres de la Silésie, qui constataient unanimement que les Saxons amassaient de gros magasins en Lusace pour les troupes du prince de Lorraine, qu'on y attendait dans peu; enfin il finit par lui dire qu'il lui confiait le commandement de cette armée qui s'assemblait à Halle. Le prince d'Anhalt persista dans son incrédulité; cependant on lisait sur son visage qu'il était flatté de se voir à la tête d'un corps qui pouvait lui fournir le moyen de rajeunir son ancienne réputation. Le comte Podewils entra un moment après. Le Roi le trouva tout aussi incrédule que le prince d'Anhalt; ce n'était point par esprit de contradiction, mais par timidité : ce ministre avait quelques fonds placés à la Steuera à Leipzig; il craignait de les perdre; homme d'ailleurs incorruptible, sa faiblesse seule éloignait de son esprit toute idée de rupture avec la Saxe comme un objet désagréable à ses yeux, et il croyait que tout le monde était aussi timide que lui; pour quoi il jugeait Brühl incapable d'un projet aussi hardi. Enfin, dans ce beau conseil, on discutait sur la fausseté ou la vérité du fait, et personne ne pensait à prévenir le mal qui était sur le point d'éclater. Le Roi fut obligé d'employer son autorité pour que le prince d'Anhalt fît les dispositions nécessaires à la subsistance de l'armée de Halle, et pour que le comte Podewils dressât les dépêches aux cours étrangères, pour les avertir des complots qui se tramaient en Saxe contre lui, et de la résolution où il était de les prévenir.

Et comme si ce n'en était pas assez de tant d'embarras, il en survint encore de nouveaux. L'envoyé de Russie vint déclarer au


a Les quatre principaux fonds des finances de la Saxe étaient alors : la Steuer, où l'on déposait le subside accordé par les états du pays; la Chambre du domaine électoral; le Fonds des accises et la Caisse générale de la guerre. Dès avant la guerre de sept ans, ces différentes caisses étaient en partie épuisées, et accablées de dettes.