<153>La situation du Roi était à peu près semblable à celle où il se vit avant la bataille de Hohenfriedeberg; il eut recours aux mêmes ruses, pour attirer les ennemis dans les mêmes pièges. On affecta de respecter scrupuleusement les frontières de la Saxe, et de borner son attention à gagner Crossen avant le prince de Lorraine : pour fortifier cette opinion, Winterfeldt fit punir quelques hussards qui avaient commis des désordres en Lusace; on prépara des chemins à Crossen, on amassa des vivres sur la route, si bien que les gens du pays, qu'il faut toujours tromper les premiers, crurent bonnement qu'on n'avait aucun autre projet. M. de Winterfeldt venait d'occuper Naumbourg-sur-le-Queis, et publiait qu'il n'était là que pour côtoyer l'ennemi en longeant cette rivière, et pour prévenir les ennemis à Crossen.

Le prince de Lorraine, qui croyait bonnement que les Prussiens se reposaient tranquillement dans leurs quartiers d'hiver, que leurs troupes étaient découragées, et qu'il n'avait à redouter qu'un corps de trois mille hommes qui l'observait, charmé de ces idées flatteuses, s'endormit dans une dangereuse sécurité, et ce même stratagème réussit pour la seconde fois. Tant il est vrai que la défiance est la mère de la sûreté,a et qu'un général sage ne doit jamais mépriser l'ennemi, mais veiller sur ses démarches, qui lui doivent servir de boussole dans toutes ses opérations. Pour empêcher autant qu'il était possible que les Autrichiens ne fussent instruits des mouvements de l'armée, le Roi avait fait border trois rivières qu'il avait devant lui : M. de Winterfeldt tenait le Queis, des troupes légères bordaient la Wüthende Neisse,b et d'autres détachements, le Bober. Tout ce qui venait de la Lusace avait le passage libre, mais il était interdit à tous ceux qui voulaient passer ces rivières pour aller en Saxe; de sorte qu'on se procurait des nouvelles, et qu'on empêchait l'ennemi d'en avoir.


a La Fontaine (livre III, fable 18) a dit :
     

Il était expérimenté,
Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.

b La Neisse de la Lusace.