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CHAPITRE XIV.

Révolution d'Ecosse, qui fait quitter Hanovre au roi d'Angleterre, et ralentit les négociations de paix. Dessein des Autrichiens et des Saxons sur le Brandebourg découvert, Contradictions dans le conseil des ministres. Projets de campagne. Le prince d'Anhalt rassemble son armée à Halle. Le Roi part pour la Silésie. Expédition de Lusace. Le prince d'Anhalt marche à Meissen. Bataille de Kesselsdorf. Prise de Dresde. Négociation et conclusion de la paix.

Si durant l'année 1745 les négociations des Prussiens eussent eu autant de succès que leurs armes, ils auraient pu s'épargner, à eux comme à leurs ennemis, une effusion de sang inutile, et on aurait eu la paix plus tôt; mais plusieurs incidents auxquels on ne pouvait s'attendre, rendirent les bonnes intentions du Roi impuissantes.

A peine le roi d'Angleterre eut-il signé, presque malgré lui, la convention de Hanovre, que la rébellion d'Ecosse venant à éclater, l'obligea de hâter plus qu'il ne voulait son retour à Londres. Un jeune homme, c'était le fils du Prétendant, passe furtivement en Ecosse, accompagné de quelques personnes fidèles; il se tient caché dans une île vers le nord des côtes, pour donner à ses partisans le temps d'assembler et d'armer leurs paysans, d'ameuter les montagnards d'Ecosse, et d'assembler une milice qui pût au moins représenter l'ombre d'une armée. Par cette diversion, la France armait l'Angleterre contre l'Angleterre; et un enfant, débarqué en Ecosse sans troupes et sans secours, force le roi George <147>à rappeler ses Anglais qui défendaient la Flandre, pour soutenir son trône ébranlé. La France se conduisit sagement dans ce projet, et elle dut à cette diversion toutes les conquêtes qu'elle fit depuis en Flandre comme en Brabant. Du commencement, le roi d'Angleterre et ses ministres méprisèrent le jeune Édouard,164-a son faible parti, et cette rébellion naissante : on disait à Londres que c'était la saillie d'un prêtre jacobite, par lequel on désignait le cardinal Tencin, et l'équipée d'un jeune étourdi. Cependant ce jeune étourdi battit et chassa le général Cope, que le gouvernement avait envoyé contre lui avec ce qu'on avait pu en bâte rassembler de troupes. Cet accident ouvrit les yeux au Roi; il lui apprit que dans un gouvernement aristocratique une étincelle peut allumer un incendie. Les affaires de l'Ecosse absorbèrent toute l'attention de son conseil; les négociations étrangères tombèrent en langueur : les alliés de l'Angleterre la croyant aux abois, n'eurent plus pour elle la même considération. Ce qu'il y avait de fâcheux, c'est que la convention de Hanovre commençait à transpirer : les Autrichiens et les Saxons l'avaient ébruitée, et cela pouvait produire un mauvais effet chez les Français, qui étaient cependant les seuls alliés qu'eût la Prusse. Il arriva donc que la diversion que le jeune Édouard164-a faisait en Ecosse, en devint une pour la reine de Hongrie, en ce qu'elle lui procura la liberté de faire contre le roi de Prusse les derniers efforts, malgré le roi d'Angleterre, dont alors à Vienne on méprisait les conseils.

Le Roi, qui se trouvait à Berlin, épuisait tous les expédients pour trouver des fonds pour continuer la guerre.164-b Les revenus de la Silésie ne s'étaient pas perçus comme en temps de paix; les deux tiers en avaient manqué : il fallait chercher des ressources, et il était bien difficile de s'en procurer. Cet embarras était grand; les dangers que les ennemis préparaient à l'État, étaient bien plus terribles. Voici comme le Roi en fut informé. Depuis le mariage <148>du prince successeur de Suède avec la princesse Ulrique, sœur du Roi, les Suédois étaient en partie portés pour les intérêts de la Prusse. M. de Rudenskjöld, ministre de la Suède à la cour de Berlin, et M. Wulfwenstierna, ministre de Suède à Dresde, étaient particulièrement attachés à la personne du Roi. Wulfwenstierna était bien dans la maison de Brühl, il faisait la partie de jeu du ministre : Brühl n'était pas aussi circonspect en sa présence qu'un premier ministre, dépositaire des secrets de son maître, doit l'être généralement envers tout le monde. Wulfwenstierna, sans qu'il lui en coûtât de peine, découvrit que le plan de la cour de Vienne et de Dresde était d'envoyer l'armée du prince de Lorraine par la Saxe, et que, joint aux troupes saxonnes, il devait pendant l'hiver marcher droit à Berlin : il fit part de sa découverte à Rudenskjöld, qui en avertit le Roi le 8 de novembre, jour même qu'on suspendait dans les églises les trophées de Friedeberg et de Soor.165-a Rudenskjöld ajouta que ce projet avait été fait par Brühl, corrigé par Bartenstein, amplifié par Rutowski, envoyé par Saul165-b à Francfort à la reine de Hongrie; que Brühl était convaincu qu'on écraserait la Prusse par ce coup, et que c'était cette ferme espérance qui avait empêché la cour de Vienne et celle de Dresde d'adhérer aux sentiments pacifiques du roi d'Angleterre; qu'on avait de plus partagé les dépouilles de la Prusse de façon que le roi de Pologne aurait les évêchés de Magdebourg, de Halberstadt, avec Halle et son territoire, et que l'Impératrice reprendrait la Silésie. Il apprit de plus au Roi la cause de la haine que Brühl lui portait : il avait été outré d'un manifeste que le Roi avait fait publier, et surtout de ces passages : " Pendant que tant d'horreurs se commettaient en Silésie, et que le ciel, juste vengeur des crimes, se plaisait à les punir d'une façon si palpable, si éclatante et si sévère, on soutenait froidement à Dresde que la Saxe n'était point en guerre avec la Prusse; que le duc de Weissenfels et les troupes qu'il <149>avait sous ses ordres n'avaient point attaqué les États héréditaires du Roi, mais seulement de nouvelles acquisitions. Le ministère de Dresde se berçait avec ces sortes de raisonnements captieux, comme si de petites distinctions scolastiques étaient des motifs assez puissants pour justifier l'illégalité de ses procédés. Rien de plus facile que de réfuter, etc. " Et de celui qui suit : " Il paraît que c'était enfin ici le terme de la patience et de la modération du Roi; mais Sa Majesté ayant compassion d'un peuple voisin, innocent des offenses qu'elle a reçues, et connaissant les malheurs et les désolations inévitables qu'entraîne la guerre, suspendit encore les justes effets de son ressentiment, pour tenter de nouvelles voies d'accommodement avec la cour de Dresde. Il y a lieu de présumer, après ces nouveaux et derniers refus qu'elle vient de recevoir, que la confiance du roi de Pologne a été surprise par l'indigne perfidie de ses ministres : les représentations les plus pathétiques et les offres les plus avantageuses ont été prodiguées en pure perte. " Il faut avouer que Brühl était vivement attaqué dans ces passages, et que personne ne pouvait s'y méprendre; car les ministres, qu'on nommait au pluriel, étaient plutôt ses commis que ses égaux. Ce rapport parut d'autant plus vrai, que le Roi connaissait le caractère du comte de Brühl et l'arrogante fierté de l'Impératrice-Reine. Si le projet des Saxons était dangereux pour la Prusse, il n'était pas moins hasardeux pour la Saxe : mais les passions, et surtout le désir de la vengeance, aveuglent si fort les hommes, qu'ils sont capables de tout risquer dans l'espérance de se satisfaire.

Mais cette crise violente demandait un prompt remède. L'armée du prince d'Anhalt reçut ordre de s'assembler sans perte de temps à Halle; et comme il s'agissait de prendre un parti décisif, le Roi crut que, sans déroger à son autorité, il pouvait assembler un conseil, écouter la voix de l'expérience, et suivre ce qu'il y aurait de sage dans l'avis de ceux qu'il rassemblait : quiconque est chargé des intérêts d'une nation, ne doit rien négliger de ce qui peut en procurer le salut. Le prince d'Anhalt fut un des premiers auxquels le Roi fit l'ouverture du projet de Brühl. Ce prince était un de ces gens qui, prévenus d'eux-mêmes, abondent en leur sens, et sont pour la négative lorsque les autres affirment : <150>il prit le Roi en pitié qu'il crût si légèrement cette accusation contre Brühl; il dit qu'il n'était pas naturel qu'un ministre du roi de Pologne, Saxon de naissance, voulût attirer de gaieté de cœur quatre armées dans les États de son maître, et les exposer à une ruine inévitable. Le Roi lui montra une lettre qui portait que dans deux jours le général Grünne arriverait avec son corps à Géra, pour joindre les Saxons à Leipzig; il lui produisit différentes lettres de la Silésie, qui constataient unanimement que les Saxons amassaient de gros magasins en Lusace pour les troupes du prince de Lorraine, qu'on y attendait dans peu; enfin il finit par lui dire qu'il lui confiait le commandement de cette armée qui s'assemblait à Halle. Le prince d'Anhalt persista dans son incrédulité; cependant on lisait sur son visage qu'il était flatté de se voir à la tête d'un corps qui pouvait lui fournir le moyen de rajeunir son ancienne réputation. Le comte Podewils entra un moment après. Le Roi le trouva tout aussi incrédule que le prince d'Anhalt; ce n'était point par esprit de contradiction, mais par timidité : ce ministre avait quelques fonds placés à la Steuer167-a à Leipzig; il craignait de les perdre; homme d'ailleurs incorruptible, sa faiblesse seule éloignait de son esprit toute idée de rupture avec la Saxe comme un objet désagréable à ses yeux, et il croyait que tout le monde était aussi timide que lui; pour quoi il jugeait Brühl incapable d'un projet aussi hardi. Enfin, dans ce beau conseil, on discutait sur la fausseté ou la vérité du fait, et personne ne pensait à prévenir le mal qui était sur le point d'éclater. Le Roi fut obligé d'employer son autorité pour que le prince d'Anhalt fît les dispositions nécessaires à la subsistance de l'armée de Halle, et pour que le comte Podewils dressât les dépêches aux cours étrangères, pour les avertir des complots qui se tramaient en Saxe contre lui, et de la résolution où il était de les prévenir.

Et comme si ce n'en était pas assez de tant d'embarras, il en survint encore de nouveaux. L'envoyé de Russie vint déclarer au <151>Roi, au nom de l'Impératrice, qu'elle espérait que le Roi s'abstiendrait d'attaquer l'électorat de Saxe, parce qu'une telle démarche l'obligerait à envoyer son contingent au roi de Pologne, comme elle y était tenue par son alliance avec ce prince. Le Roi lui fit répondre que Sa Majesté était intentionnée de vivre en paix avec tous ses voisins; mais que si quelqu'un d'eux couvait quelque dessein pernicieux contre ses États, aucune puissance de l'Europe ne l'empêcherait de se défendre et de confondre ses ennemis.

Cependant toutes les lettres de la Saxe et de la Silésie confirmaient les avis de M. de Rudenskjöld. Pour être encore mieux informé des mouvements du prince de Lorraine, le Roi forma un corps de troupes mêlées, cavalerie, infanterie et hussards, avec lequel M. de Winterfeldt s'avança vers Friedland sur les frontières de la Bohême et de la Lusace, avec ordre que si le prince de Lorraine entrait en Lusace, il devait le côtoyer, et longer le Queis, qui coule sur la frontière de la Silésie. Le dessein du Roi était de tomber sur les Saxons de deux côtés à la fois, savoir : le prince d'Anhalt, sur Leipzig, Wurzen et Torgau; l'armée de Silésie devait agir contre celle du prince de Lorraine, la surprendre, s'il se pouvait, dans ses cantonnements en Lusace, ou la combattre pour la rechasser en Bohême.

Dans ce danger qui mettait toute la ville de Berlin en alarme, le Roi affecta la meilleure contenance possible, pour rassurer le public. Son parti était pris; la déclaration des Russes ne l'inquiétait point, car cette puissance ne pouvait agir que dans six mois, et c'était plus de temps qu'il n'en fallait pour décider du sort des Prussiens et des Saxons : les choses en étaient à cette extrémité, qu'il fallait vaincre ou périr. Le Roi appréhendait l'incrédulité et la lenteur du prince d'Anhalt; il craignait aussi que le corps de Grünne, qui était effectif de sept mille hommes, ne marchât tout droit à Berlin. Pour pourvoir autant qu'il était possible à la sûreté de cette capitale, le général Hacke y était resté avec une garnison de cinq mille hommes; mais comme l'enceinte a deux milles de circonférence et qu'il était impossible de la défendre, M. de Hacke devait aller au-devant de l'ennemi et le combattre, avant qu'il approchât de la ville. Cette précaution était à la vérité insuffisante; mais les moyens ne permettaient pas d'en entreprendre de <152>meilleure. On prit des mesures, en cas de malheur, pour transporter la famille royale, les archives, les bureaux, les conseils suprêmes à Stettin, pour leur servir d'asile au cas que la fortune abandonnât les armes prussiennes. Le Roi écrivit encore une lettre pathétique au roi de France, dans laquelle il lui faisait une vive peinture de sa situation, et lui demandait instamment les secours qu'il lui devait selon les traités. On n'attendait rien de cette lettre, elle n'était que pour la forme.

Il serait bien difficile de deviner par quelle raison le prince d'Anhalt tâcha de dissuader le Roi de prendre le commandement de l'armée de Silésie : il poussa ses représentations jusqu'à l'importunité; enfin le Roi lui dit qu'il avait résolu de se mettre à la tète de ses troupes, et que lorsque le prince d'Anhalt entretiendrait une armée, il pourrait en donner le commandement à qui bon lui semblerait; après quoi, il fut obligé de se rendre à Halle, et le Roi partit le 14 de novembre pour la Silésie,170-a laissant Berlin dans la consternation, les Saxons dans l'espérance, et toute l'Europe attentive à l'événement de cette campagne d'hiver.

Le Roi arriva le 15 à Liegnitz; il y trouva le prince Léopold, et le général Goltz, qui avait l'inspection des vivres. Des lettres du général Winterfeldt, arrivées en même temps, apprirent que six mille Saxons qui faisaient l'avant-garde du prince de Lorraine, étaient entrés en Lusace par Zittau, et que les troupes autrichiennes allaient les suivre. Le prince Léopold convenait en tout des opérations que le Roi avait projetées. L'armée de Silésie était effectivement de trente mille hommes, tous vieux soldats d'élite, accoutumés à vaincre; ils s'étaient refaits par quatre semaines de repos : ils étaient disposés à tout entreprendre. Il y avait cependant des précautions nécessaires à prendre avant de quitter la Silésie : on ne pouvait pas abandonner la ville de Schweidnitz, où il y avait des magasins, et qui alors n'était pas fortifiée; il fallut donc que M. de Nassau quittât la Haute-Silésie, pour aller vers Landeshut s'opposer au corps de M. de Hohenembs, qui avait ordre de sa cour de faire une invasion dans la Basse-Silésie, du côté de Hirschberg.

<153>La situation du Roi était à peu près semblable à celle où il se vit avant la bataille de Hohenfriedeberg; il eut recours aux mêmes ruses, pour attirer les ennemis dans les mêmes pièges. On affecta de respecter scrupuleusement les frontières de la Saxe, et de borner son attention à gagner Crossen avant le prince de Lorraine : pour fortifier cette opinion, Winterfeldt fit punir quelques hussards qui avaient commis des désordres en Lusace; on prépara des chemins à Crossen, on amassa des vivres sur la route, si bien que les gens du pays, qu'il faut toujours tromper les premiers, crurent bonnement qu'on n'avait aucun autre projet. M. de Winterfeldt venait d'occuper Naumbourg-sur-le-Queis, et publiait qu'il n'était là que pour côtoyer l'ennemi en longeant cette rivière, et pour prévenir les ennemis à Crossen.

Le prince de Lorraine, qui croyait bonnement que les Prussiens se reposaient tranquillement dans leurs quartiers d'hiver, que leurs troupes étaient découragées, et qu'il n'avait à redouter qu'un corps de trois mille hommes qui l'observait, charmé de ces idées flatteuses, s'endormit dans une dangereuse sécurité, et ce même stratagème réussit pour la seconde fois. Tant il est vrai que la défiance est la mère de la sûreté,171-a et qu'un général sage ne doit jamais mépriser l'ennemi, mais veiller sur ses démarches, qui lui doivent servir de boussole dans toutes ses opérations. Pour empêcher autant qu'il était possible que les Autrichiens ne fussent instruits des mouvements de l'armée, le Roi avait fait border trois rivières qu'il avait devant lui : M. de Winterfeldt tenait le Queis, des troupes légères bordaient la Wüthende Neisse,171-b et d'autres détachements, le Bober. Tout ce qui venait de la Lusace avait le passage libre, mais il était interdit à tous ceux qui voulaient passer ces rivières pour aller en Saxe; de sorte qu'on se procurait des nouvelles, et qu'on empêchait l'ennemi d'en avoir.

<154>Bientôt, sur ces nouvelles qu'on eut de l'ennemi, l'armée s'avança en cantonnant sur la Wüthende Neisse.171-c Le Roi prit son quartier à Hohlstein; c'était le 22 de novembre, et il n'était qu'à un mille de Naumbourg. On fit construire quatre ponts sur la rivière, pour pouvoir la passer rapidement sur quatre colonnes. Le dessein du Roi était de se laisser dépasser par les Impériaux, puis de leur venir à dos, pour les couper de leurs vivres, et les forcer ainsi, ou bien à se battre, ou bien à s'enfuir honteusement vers les frontières de la Bohême. Mais pour suivre le projet qu'on avait une fois adopté, on s'était interdit d'envoyer des partis en Lusace, et l'on ne pouvait avoir des nouvelles que par des espions, qui ne sont jamais aussi sûres que celles que rapportent les troupes; de plus l'expédition était si importante, qu'il fallait préférer le plus sûr au plus brillant.

M. de Winterfeldt qui était instruit des projets que le Roi avait formés, l'informa que les ennemis avançaient par cantonnements, mais qu'ils s'étendaient si fort, que leur gauche était à Lauban et leur droite à Görlitz; il ajouta qu'ils marcheraient le lendemain, selon l'avis de ses espions, et qu'il croyait que le moment d'agir était arrivé. Sur cela, l'armée marcha le 23 sur quatre colonnes; chaque colonne était conduite par un lieutenant-général. Le rendez-vous de ces colonnes était à Naumbourg; ce fut là que le Roi leur donna les dispositions ultérieures. Il s'éleva ce matin un brouillard d'autant plus favorable, qu'il cachait à l'ennemi jusqu'au moindre mouvement de l'armée. A Naumbourg, il y a un pont de pierre sur le Queis; à côté, il y avait deux gués pour la cavalerie : on fit en hâte un pont pour la seconde colonne d'infanterie. Tout cela étant arrangé, les conducteurs des colonnes, je veux dire les généraux, se rendirent à Naumbourg, et eurent ordre de passer incessamment le Queis. On leur donna des guides pour les conduire à Catholisch-Hennersdorf,172-a avec ordre de se seconder mutuellement, selon qu'une colonne qui donnerait sur les quartiers de l'ennemi, aurait besoin de cavalerie ou d'infanterie pour réussir dans son opération; car on manquait d'informations assez exactes des lieux où l'armée du <155>prince de Lorraine séjournait, pour faire des dispositions plus détaillées. Le brouillard tomba au moment que les colonnes eurent passé le Queis. Les colonnes de la droite et de la gauche étaient de cavalerie, les deux du centre étaient d'infanterie; un régiment de hussards précédait la marche de chaque colonne, pour éclairer et avertir à temps les généraux de ce qui se passait devant eux. Le Roi était à la tête de la première colonne d'infanterie; elle avait pour guide un garçon meunier, qui la mena à un marais où les bestiaux paissaient en été, mais qui n'était guère praticable dans l'arrière-saison. On eut de la peine à se tirer de là; mais, à force de chercher, on trouva un chemin qui côtoyait un bois, et par lequel on pouvait passer.

Pendant que les troupes défilaient, les hussards de Zieten donnèrent dans le village de Catholisch-Hennersdorf, et avertirent qu'il était garni de deux bataillons et de six escadrons de Saxons; ils ajoutèrent qu'ils amuseraient assez longtemps l'ennemi pour donner à la colonne le temps d'arriver. On fit à l'instant avancer deux régiments de cuirassiers de la quatrième colonne, qui était la plus proche; et M. de Rochow emmena les régiments de Gessler et de Bornstedt : M. de Polentz fut commandé avec trois bataillons de grenadiers pour les soutenir. C'était ce soi-disant marais, qu'on croyait impraticable, qui avait trompé les Saxons : ils n'avaient aucune garde de ce côté-là, ce qui donna moyen de les surprendre. Le village de Hennersdorf a un demi-mille de longueur : l'action commença à quatre heures, vers la partie orientale, et finit à six heures, vers le bout qui donnait vers le couchant. Polentz prit les Saxons à revers; Rochow les attaqua de Iront; et Winterfeldt leur vint sur le flanc. Les régiments de Gotha, de Dallwitz, et la plus grande partie de celui d'O'Byrn furent faits prisonniers; le général Buchner, le colonel O'Byrn et trente officiers furent de ce nombre : en tout, les Saxons perdirent six canons, onze cents hommes, deux paires de timbales, deux étendards et trois drapeaux; leurs équipages tombèrent en partage aux hussards,173-a qui avaient bien mérité cette petite récompense.

<156>L'armée campa à Catholisch-Hennersdorf, et l'on avertit les troupes que si l'on était obligé de les fatiguer pendant quelques jours, c'était pour leur épargner des batailles. Quoique la moitié de l'armée manquât de tentes, que plusieurs régiments n'eussent que des culottes de toile, ils se prêtèrent tous de bonne grâce à ce qu'ils voyaient que la nécessité exigeait d'eux. Cet heureux début fit augurer que le prince de Lorraine ne tiendrait pas contre les Prussiens. On se proposa de profiter de la consternation que l'enlèvement d'un de ses quartiers devait causer dans son armée, et de la talonner tout de suite, pour ne lui pas laisser le temps de revenir à lui-même.

Le lendemain 24, le temps était si obscur et le brouillard si épais, qu'on fut, pour la sûreté, obligé d'avancer en tâtonnant. On se campa derrière le village de Léopoldshayn; et, pour plus de sûreté, l'on plaça quinze bataillons dans ce village. Les coureurs rapportèrent que l'ennemi se retirait partout; qu'on ne trouvait dans les chemins que chariots dételés, bagages renversés, chariots de poudre abandonnés, en un mot, tout ce qui attestait et servait de témoignage de leur fuite. Les déserteurs, qui arrivaient en grand nombre, disaient que la confusion s'était mise dans leurs troupes à cause que, les deux derniers jours, on leur avait donné vingt ordres différents ou contradictoires.

Toutefois on apprit, le 25 de bon matin, que le prince de Lorraine avait rassemblé son armée à Schönfeld,174-a à une lieue du camp du Roi. Le Roi ne balança pas : le jour était serein, il se mit incontinent en marche, dans le dessein d'attaquer les ennemis. En approchant de Görlitz, ses partis lui rapportèrent que les ennemis avaient décampé à petit bruit, et qu'ils avaient pris le chemin de Zittau. L'armée prussienne se campa auprès de Görlitz, qui se rendit par composition; soixante officiers et deux cent cinquante hommes y furent faits prisonniers de guerre : parmi ces officiers il y en avait de malades, et quelques-uns qui, ayant été <157>blessés à Catholisch-Hennersdorf, avaient trouvé le moyen de se sauver. On trouva un magasin à Görlitz, qui fut d'un grand secours pour faciliter cette expédition.

Le 26, l'armée se porta en avant sur le couvent de Radmeritz, et l'on mit les troupes en cantonnement. MM. de Bonin et de Winterfeldt furent commandés avec soixante-dix escadrons et dix bataillons, pour longer une petite rivière qu'on nomme la Neisse. Ce mouvement, qui menaçait l'ennemi qu'on le coupât de Zittau, fît que le prince de Lorraine abandonna son camp d'Ostritz, pour gagner Zittau avant les Prussiens. Comme cette retraite se faisait à la hâte, les hussards prussiens firent des prises considérables sur les bagages des Autrichiens.

Le Roi s'avança à Ostritz le 27, et envoya M. de Winterfeldt à Zittau; l'arrière-garde du prince de Lorraine défilait précisément par cette ville. M. de Winterfeldt donna dessus, et fit trois cent cinquante prisonniers. Ils perdirent tous leurs bagages, et mirent eux-mêmes le feu à leurs chariots, pour les empêcher de tomber entre les mains de ceux qui les poursuivaient.

Cette expédition ne dura que cinq jours. Les Autrichiens y perdirent des magasins, leurs bagages, et rentrèrent en Bohême plus faibles de cinq mille hommes qu'ils n'en étaient sortis.

On laissa dix bataillons et vingt escadrons dans le voisinage de Zittau, pour garder ce poste important; et M. de Winterfeldt fut obligé de retourner en Silésie avec cinq bataillons et cinq escadrons, pour tomber sur les flancs de M. de Hohenembs, tandis que M. de Nassau se préparait à l'attaquer de front. Cette expédition réussit si heureusement, qu'en moins de vingt-quatre heures il ne resta plus d'Autrichiens en Silésie. Les dragons de Philibert furent défaits par les hussards de Wartenberg, et M. de Hohenembs ne le céda au prince de Lorraine, ni par la promptitude de sa retraite, ni par la perte de ses bagages.

Les troupes prussiennes qui étaient en Lusace, se mirent en quartiers de rafraîchissement aux environs de Görlitz, à l'exception de M. de Lehwaldt, qui fut détaché avec dix bataillons et vingt escadrons pour Bautzen, avec ordre de pousser de là une pointe vers l'Elbe pour donner aux Saxons des inquiétudes pour leur capitale, afin de faciliter par là les opérations du prince <158>d'Anhalt. Le colonel Brandeis, qui avec deux bataillons était demeuré à Crossen, s'empara de Guben, où il prit un gros magasin aux Saxons.

Durant cette expédition de Lusace, on n'eut aucune nouvelle du prince d'Anhalt; mais les Saxons divulguaient que M. de Grünne avait passé l'Elbe à Torgau, et marchait à Berlin. Pendant que ces bruits donnaient lieu à d'étranges réflexions, un officier vint de Halle, qui apprit que le prince d'Anhalt s'était mis en marche le 30 novembre; qu'il s'était préparé à attaquer les Saxons dans leurs retranchements de Leipzig, mais qu'il les avait trouvés abandonnés; que Leipzig s'était soumis, et que les Saxons fuyaient vers Dresde. Le Roi fit d'abord retourner cet officier pour presser le prince d'Anhalt de gagner Meissen le plus tôt qu'il le pourrait, et pour l'avertir que le corps de Lehwaldt n'attendait que son arrivée pour le joindre. Lorsqu'on apprit à Dresde que le prince de Lorraine avait été si vitement expédié, la consternation fut si grande, qu'on fit sur-le-champ rebrousser chemin au corps de Grünne, et que le comte de Rutowski fut obligé de ramener son armée pour couvrir Dresde.

Pendant que le prince d'Anhalt était en marche pour se rendre vers Meissen, et que l'armée du Roi demeurait en panne, ce prince employa ce temps pour renouer avec les Saxons une négociation tant de fois rompue, et que la complication des conjonctures paraissait éloigner plus que jamais. Le Roi écrivit pour cet effet à M. de Villiers, ministre d'Angleterre à la cour de Dresde,177-a en lui déclarant que malgré l'animosité que ses ennemis venaient encore de manifester si ouvertement contre lui, et malgré les avantages qu'il venait de remporter sur eux, il persévérait dans la résolution qu'il avait une fois prise de préférer la modération aux partis extrêmes; qu'il offrait la paix au roi de Pologne, avec l'oubli du passé, en posant la convention de Hanovre pour base de cette réconciliation.

Ce parti n'avait été pris qu'après de mûres réflexions, parce qu'on peut faire la paix lorsque les armes sont heureuses; mais si l'on a du dessous, l'ennemi ne se trouve guère dans des dispositions de se réconcilier. La paix pouvait épargner le sang de tant <159>de braves officiers, qui allaient le sacrifier pour remporter la victoire. Il fallait considérer que quelque heureuse que fût la guerre en Saxe, c'était un incendie dans la maison du voisin, qui pouvait se communiquer à la sienne; il fallait outre cela, le plus promptement que possible, terminer cette guerre, pour empêcher la Russie de s'en mêler. Le Roi n'avait rien à espérer des secours de la France; et si l'on ne mettait fin à ces troubles pendant l'hiver, on devait s'attendre au printemps que la reine de Hongrie rappellerait du Rhin son armée, qui maintenant lui devenait inutile, pour la joindre à celle de la Bohême, ce qui lui aurait donné une grande supériorité; enfin le prétexte de la guerre ne subsistait plus depuis la mort de Charles VII. Ajoutez encore que la récolte de l'année ayant été mauvaise, elle avait rendu les blés aussi rares que chers, et l'entier épuisement des finances : la paix était donc le seul remède à tous ces maux.

On s'étonnera peut-être que le Roi parût si modéré dans les conditions qu'il proposait pour la paix; mais qu'on observe qu'il était dans une situation qui rengageait à calculer toutes ses démarches, et à ne rien hasarder légèrement. Premièrement, il soutenait les principes de désintéressement qu'il avait annoncés dans des manifestes de l'année 1744 et 1745 :178-a s'il avait extorqué quelque cession au roi de Pologne, il aurait confondu les intérêts de ce prince avec ceux des Autrichiens, et il serait devenu l'artisan d'une union que la bonne politique exigeait qu'il dût dissoudre. Ensuite, l'Europe n'était que trop jalouse de l'acquisition que le Roi avait faite de la Silésie : il fallait effacer ces impressions, et non les renouveler. Ajoutez encore que le moyen le plus court de parvenir à la paix, était de rétablir in statu quo l'ordre des possessions, et sur le pied où elles étaient avant la dernière guerre. Comme les conditions proposées n'étaient ni dures ni <160>onéreuses, elles pouvaient procurer une paix d'autant plus stable, qu'elle ne laissait ni semence d'animosité, ni de jalousie. Ces principes servirent de loi, et l'on verra dans la suite que, malgré les succès qui couronnèrent les entreprises de ce prince, il ne s'en départit jamais. Qui n'aurait cru que des propositions aussi raisonnables n'eussent été bien accueillies par le roi de Pologne? Il en fut tout le contraire cependant. Le comte Brühl n'avait que son projet en tête. Dans cette vue il avait fait revenir en Saxe le prince de Lorraine, dans l'intention de joindre cette armée à celle de Rutowski et au corps du comte de Grünne : fier de ce nombre, il se proposa de commettre le sort de son roi et le salut de sa patrie à la fortune d'un combat, sacrifiant ainsi tous les intérêts qui sont sacrés à la plupart des hommes, pour satisfaire sa vengeance particulière.

Villiers se rendit à la cour avec le visage d'un homme qui annonce une bonne nouvelle; il demanda audience, et ajouta aux propositions dont il était chargé, les exhortations les plus pathétiques, pour porter Auguste à éviter les malheurs qui menaçaient ses peuples et sa personne. Le Roi lui répondit sèchement qu'il aviserait à ce qu'il y aurait à faire. Brühl s'expliqua plus clairement avec le ministre anglais : il fit sonner fort haut le secours qu'il attendait des Russes; il parla avec emphase des grandes ressources de la Saxe, et finit par lui dire que, par déférence pour le roi d'Angleterre, il ferait délivrer au sieur Villiers un mémoire contenant les raisons auxquelles le roi de Pologne pourrait se résoudre à faire la paix. Le lendemain, 1er de décembre, le roi de Pologne partit pour Prague, et les deux princes aînés, pour Nuremberg. Quel contraste de hauteur et de faiblesse! Après le départ de la cour, un des conseillers saxons remit au sieur Villiers ce mémoire, qui contenait en substance : " Que le roi de Pologne accéderait à la convention de Hanovre, à condition qu'au moment même les Prussiens feraient cesser toute hostilité, n'exigeraient plus de contributions, bonifieraient celles qu'ils avaient reçues, évacueraient la Saxe sans plus différer, et payeraient tous les dommages avenus et à venir par la retraite des troupes. " Villiers augura mal d'une paix dont la Saxe dictait les conditions avec hauteur. Il envoya ce mémoire au Roi, en l'assurant des bonnes <161>intentions du roi d'Angleterre, et il ajouta qu'il ne garantissait pas la déclaration des ministres de Saxe; c'était en dire assez. Le Roi fut informé en même temps que le prince de Lorraine avait passé l'Elbe à Leitmeritz, et qu'il dirigeait sa marche vers Dresde. En combinant le mouvement de cette armée et la fuite précipitée du roi de Pologne et de ses enfants, il en résultait évidemment que Brühl ne voulait point la paix. Pour être donc plus à portée d'anéantir les projets d'ennemis aussi acharnés, le Roi transporta son quartier à Bautzen, et M. de Lehwaldt se porta sur Königsbrück, à un mille de Meissen. En attendant, Sa Majesté répondit au sieur Villiers : " Qu'elle avait fait venir le comte Podewils auprès de sa personne, pour faciliter tout ce qui pourrait contribuer à la paix; qu'elle se flattait que le roi de Pologne voudrait bien également nommer un de ses ministres, pour qu'on pût mettre la dernière main à cet ouvrage salutaire, et que les préliminaires signés mettraient fin aux hostilités; que pour l'article des fourrages et des contributions qui devaient être indemnisées, le Roi pourrait évaluer également les dégâts que les troupes saxonnes avaient faits en Silésie, mais que le plus sûr serait de rayer entièrement cet article. " Le Roi ajouta qu'il espérait que les ministres de Russie et de Hollande voudraient bien se rendre les garants de ce traité de paix, et se plaignit du départ du roi de Pologne comme d'une démarche peu amiable, et injurieuse à sa façon de penser, et de mauvais augure pour la négociation entamée. Brühl avait conduit son maître à Prague, pour l'obséder davantage, pour l'empêcher de voir les malheurs de la guerre et d'entendre crier la voix de sa patrie : il voulait le retenir par les Autrichiens dans les dispositions où il était de continuer la guerre. Ainsi Brühl sacrifiait tout aux intérêts de la reine de Hongrie.

Le Roi vit bien qu'il ne fallait désormais négocier que par des victoires. Il était temps de reprendre avec ardeur les opérations de la campagne. La Lusace était conquise; tout devait rouler sur les entreprises que l'armée du prince d'Anhalt pourrait exécuter. Il y avait huit jours que le Roi n'avait reçu des lettres de ce prince : cette incertitude l'embarrassait d'autant plus, qu'il n'y <162>avait pas un moment à perdre pour être à portée d'agir de concert. Le pont de Meissen était de la dernière importance, il fallait s'en saisir avant que l'ennemi ne pensât à le ruiner; mais M. de Lehwaldt ne pouvait s'emparer de la ville, située sur la rive gauche de l'Elbe, qu'à l'aide du prince d'Anhalt. Faute de nouvelles, le Roi supputa les jours de marche de ce prince, et il calcula qu'il pourrait arriver à Meissen le 8 ou le 9 de décembre au plus tard. Lehwaldt s'y rendit ce jour; le prince d'Anhalt n'arriva point : la rivière, qui justement charriait des glaces, empêcha M. de Lehwaldt d'y construire son pont avec ses pontons. Tous ces incidents retardèrent donc cette expédition.

Le sieur de Villiers, qui était à Prague, expédia un courrier au Roi, dont les dépêches contenaient que le roi de Pologne n'enverrait aucun ministre avec des pleins pouvoirs; que, bien loin de là, il attendait de nombreux secours de ses alliés, avec lesquels il se vengerait, dans l'électorat de Brandebourg, des dégâts qu'il prétendait que les Prussiens avaient faits en Saxe; qu'il pensait avoir dû quitter Dresde, s'attendant à être moins ménagé encore dans une guerre ouverte, qu'il ne l'avait été dans les écrits qui l'avaient précédée. On voit qu'il s'agit bien plus de Brühl dans ce dernier article, que du Roi même. Le Roi répondit en substance au sieur Villiers : " Qu'il admirait la hauteur et l'inflexibilité du roi de Pologne; que, sans avoir d'animosité contre ce prince, il était impossible de nourrir une armée de quatre-vingt mille hommes dans un pays, sans qu'il éprouvât quelques calamités; que si les ennemis avaient eu la fortune propice, comme elle leur était contraire, ils n'auraient pas usé d'autant de modération dans le Brandebourg que le Roi en usait en Saxe; qu'ils auraient tout pillé, brûlé, abîmé, comme on en avait des exemples en Silésie : mais puisque le roi de Pologne voulait la guerre, on la lui ferait plus vive et avec plus de feu que jamais. "

Le 9 arrivent des dépêches du prince d'Anhalt, datées de Torgau. Il mandait qu'il avait fait deux cents prisonniers dans cette ville, et rejetait la lenteur de sa marche sur les difficultés d'amasser des vivres et des chariots. C'étaient des prétextes pour excuser ses délais : il employa neuf jours à faire neuf milles. Sa conduite était d'autant moins excusable, qu'il avait un magasin à sa dis<163>position à Halle, qu'il en avait pris un aux ennemis à Leipzig, qu'il n'avait point d'ennemi devant lui, et que par conséquent il était maître des fourrages, des vivres, des chevaux et des livraisons du pays. Sa lenteur ne peut s'attribuer qu'à son esprit de contradiction et à son âge : il n'aurait pas été fâché de faire passer l'expédition de Lusace pour l'heureuse étourderie d'un jeune homme; il affectait un air de circonspection et de sagesse, qui, joint à sa longue expérience, devait former un contraste avec le feu que le Roi mettait dans ses opérations. Le prince d'Anhalt ne fut point loué de sa lenteur : le Roi lui écrivit qu'elle était très-préjudiciable au bien de son service, parce qu'il avait donné aux Autrichiens le temps de se joindre aux Saxons, et de pouvoir détruire le pont de Meissen, ce qui rendrait la jonction des deux armées autant qu'impossible; il lui enjoignit d'user de toute diligence pour s'approcher le plus promptement possible. Le Prince promit dans sa réponse qu'il serait le 12 décembre à Meissen. Sur cela, tous les quartiers furent rassemblés. Le Roi ne laissa que quatre bataillons et quelques hussards à Zittau, un bataillon à Görlitz, et deux à Bautzen. Ces troupes se joignirent le 13 à Camenz, à l'exception de M. de Lehwaldt, qui était déjà vis-à-vis de Meissen; le prince d'Anhalt y arriva le 12 : mais la garnison saxonne s'en était sauvée par une poterne, et avait regagné le gros de l'armée. Pendant que l'infanterie du Prince entrait à Meissen, la cavalerie, qui avait un chemin creux à traverser, ne le passait qu'un à un. Les deux derniers régiments, savoir : les dragons de Röell et de Holstein, mirent pied à terre pour attendre leur tour; Sibilski s'en aperçut : il se glissa avec ses Saxons dans un bois épais, d'où il fondit à l'improviste sur les dragons prussiens, leur enleva deux paires de timbales, trois étendards et cent quatre-vingts hommes. D'autres escadrons montèrent à cheval, et rechassèrent l'ennemi; mais l'affront était reçu, et le remède vint trop tard. Il en coûta la vie au général Röell,182-a qui était malade, et qui suivait la colonne en carrosse. Il faut con<164>venir que le froid était excessif; que la cavalerie avait été douze heures à cheval; mais qu'ils péchèrent en passant un bois qu'ils n'avaient pas fait fouiller d'avance : les moindres fautes à la guerre sont punies, car l'ennemi ne pardonne pas.

Le 12 fut employé à réparer le pont de l'Elbe, et le 13 le général Lehwaldt se joignit au prince d'Anhalt. C'était ce pont de Meissen pour lequel on craignait tant, que les Saxons auraient dû détruire : mais le ministère saxon, qui dominait les généraux, ne comprenait pas qu'un pont peut contribuer à la perte d'un pays. Ce pont était en partie de pierre de taille; il avait coûté cent cinquante mille écus à construire : il ne voulut jamais consentir qu'on le démolît, Ce conseil était composé d'un mélange de pédants et de gens parvenus : Hennicke, qui était à leur tête, avait été élevé par la fortune de valet de pied au grade de ministre. Il joignait au talent d'un financier l'art de fouler méthodiquement les sujets : son économie fournissait aux prodigalités du Roi comme aux dissipations de son favori. Avec ce crédit, il gouvernait la Saxe en subalterne sous le comte Brühl : de lui émanaient les ordres à l'armée; il en dirigeait les opérations; et c'est à son incapacité qu'il faut attribuer les foutes grossières des généraux saxons dans cette campagne d'hiver.

L'armée du Roi arriva le 14 à Königsbrück; à force d'aiguillonner le prince d'Anhalt, il s'avança le même jour à Neustadt, où les troupes furent obligées de camper malgré le froid perçant qu'il faisait alors. Le prince de Lorraine était arrivé le 13 décembre avec son armée auprès de Dresde. Hennicke, qui réglait tout, étendit si fort les quartiers des Autrichiens, qu'il leur aurait fallu vingt-quatre heures pour se rassembler. Le prince de Lorraine fit des représentations convenables pour qu'on changeât cette disposition; mais Hennicke, accoutumé à donner la loi aux fermiers et aux traitants, n'en tint aucun compte. Le prince de Lorraine, qui prévoyait que le comte Rutowski allait être attaqué, le pria de l'avertir à temps s'il avait besoin de lui, parce qu'il lui fallait du temps pour rassembler ses troupes dispersées : le comte Rutowski lui répondit qu'il n'avait pas besoin de secours; qu'il était assez en force dans le poste qu'il occupait, et que ja<165>mais les Prussiens n'auraient l'audace de l'attaquer. Depuis la bataille de Fontenoi, que le comte de Saxe avait gagnée par la supériorité de son artillerie, on vit beaucoup de généraux qui voulurent suivre cette méthode. La disposition des Autrichiens à la bataille de Soor en devait être une copie, et le poste que le comte Rutowski avait à Kesselsdorf était de même modelé sur celui de Fontenoi :184-a la différence du comte de Saxe à ses imitateurs, mit de la différence dans leurs succès.

Cependant les deux armées prussiennes se mirent en marche : celle du prince d'Anhalt, pour s'approcher des ennemis, et celle du Roi, pour passer l'Elbe à Meissen. Le Roi fit entrer quatorze bataillons dans cette ville : le reste de l'infanterie et de la cavalerie était cantonné à la rive droite de l'Elbe : de sorte que s'il était nécessaire, en rassemblant ses troupes, le Roi pouvait secourir le prince d'Anhalt; et en cas que les Autrichiens eussent passé l'Elbe à Dresde, le Roi leur pouvait faire tête de ce côté.

Le Roi reçut, en arrivant à Meissen, une lettre de M. Villiers, qui lui apprenait que le délabrement extrême des affaires d'Auguste III, et la nécessité où il était réduit, l'avaient enfin déterminé à donner les mains à un accommodement; que Saul, le Mercure du comte de Brühl, allait partir pour Dresde avec des instructions et des pleins pouvoirs pour les ministres, afin qu'ils pussent travailler avec les ministres prussiens au rétablissement de la paix; que la reine de Hongrie voulait y accéder aussi, moyennant quelques adoucissements à la convention de Hanovre; que lui, Villiers, se rendrait au plus tôt à Dresde, pour intervenir entre les parties au cas qu'il en fût besoin, et rendre leur réconciliation plus facile.

Le Roi avait à peine achevé de lire cette lettre, qu'on vint l'avertir que du côté de Dresde toute l'atmosphère paraissait embrasée, et qu'on entendait le bruit d'une canonnade terrible. Le Roi se douta bien que le prince d'Anhalt était engagé avec les ennemis : il fit incontinent seller la cavalerie; l'infanterie eut ordre de se mettre sous les armes, et le Roi courut avec une centaine de hussards sur le chemin de Dresde. Il envoya de petits <166>partis de tous côtés; l'un d'eux lui amena six fuyards du corps de Sibilski, qui assurèrent que les Saxons étaient battus : ce qui fit ajouter foi à leurs discours, c'est qu'on ne vit paraître aucun Prussien, ce qui arrive d'ordinaire lorsque les affaires vont mal. Mais la nuit, qui survint, obligea le Roi de retourner à Meissen, pour ne pas s'exposer à quelque affront, satisfait d'avoir toutes les probabilités de la victoire de ses troupes. Si la fortune n'avait pas secondé le prince d'Anhalt, le Roi s'était décidé à rassembler ses troupes sur les hauteurs de Meissen; aller au-devant des troupes battues; de les mettre en seconde ligne, son armée dans la première; d'attaquer de nouveau les ennemis, et de les vaincre à quelque prix que ce fût. Mais le prince d'Anhalt lui épargna cette peine; le soir même un officier de cette armée arriva, et rendit compte au Roi des circonstances suivantes de cette glorieuse bataille.

Le prince d'Anhalt avait décampé le 15 de grand matin, et avait pris par Wilsdruf le droit chemin sur Dresde. Ayant passé Wilsdruf, ses hussards donnèrent sur un gros d'uhlans, qu'ils poussèrent devant eux jusqu'à Kesselsdorf, où ils aperçurent toute l'armée saxonne rangée en ordre de bataille; ils en avertirent incontinent le prince d'Anhalt. Un profond ravin, dont en certains endroits le fond est marécageux, couvrait le front des ennemis : sa grande profondeur est du côté de l'Elbe; il va toujours en s'aplanissant vers Kesselsdorf, et se perd entièrement au delà, vers la forêt du Tharand. Les Saxons avaient appuyé leur gauche à Kesselsdorf : le terrain y était, comme je l'ai dit, entièrement uni; ce village était défendu par tous les grenadiers de leur armée, et par le régiment de Rutowski; une batterie de vingt-quatre pièces de gros canon en rendait l'abord meurtrier. Le corps de Grünne était à l'aile droite de cette armée, qui s'appuyait à Bennerich, proche de l'Elbe : ce lieu était inattaquable, à cause des rochers et des précipices qui en interdisent l'abord. Avant la bataille, la cavalerie saxonne était à la gauche de Kesselsdorf, rangée en ligne avec le reste de l'armée, la gauche vers le Tharand : on ne sait pourquoi le comte Rutowski la déplaça, et la mit en troisième ligne derrière son infanterie.

<167>Comme le prince d'Anhalt arriva sur les lieux avec la tête de son armée, il jugea d'abord que le succès de cette journée dépendait de la prise du village de Kesselsdorf, et il fit ses arrangements pour l'emporter. Il commença par former ses troupes vis-à-vis celles de l'ennemi : l'infanterie, destinée pour donner sur le village, fut mise sur trois lignes, et les dragons de Bonin formèrent la quatrième. Dès que ses troupes furent ainsi disposées, trois bataillons de grenadiers, avec les trois de son régiment, attaquèrent le village de front; M. de Lehwaldt le prit par le flanc : vingt-quatre canons chargés de mitraille, les grenadiers saxons et le régiment de Rutowski firent reculer les assaillants. La seconde attaque ne fut pas plus heureuse, car le feu était trop violent; mais le régiment de Rutowski sortit du village, et voulut poursuivre les Prussiens; il se mit donc devant ses batteries, qu'il empêchait de tirer. Le prince d'Anhalt profita de ce moment : il ordonna au colonel Lüderitz, qui commandait les dragons, de charger; alors celui-ci fondit sur les Saxons en pleine carrière. Tout ce qui résista, fut passé au fil de l'épée; le reste fut pris; l'infanterie s'empara en même temps du village, y entra de tous les côtés, et prit la batterie qui avait rendu ce poste si formidable. Le général Lehwaldt mit le comble à cette victoire : il obligea toutes les troupes qui avaient défendu le village à mettre les armes bas. Le prince d'Anhalt profita de ce premier succès en habile capitaine : il gagna sans perte de temps le flanc gauche de l'ennemi; la cavalerie de sa droite renversa d'un seul choc la cavalerie saxonne, et la dissipa à ne pouvoir se rallier. Tout prit la fuite avec tant de promptitude, qu'ils échappèrent à des troupes accoutumées à conserver l'ordre et à ne point se débander.

La gauche des Prussiens, sous les ordres du prince Maurice, se canonna avec l'ennemi jusqu'à ce que le village de Kesselsdorf fut emporté; mais impatiente alors d'avoir part à la gloire de cette journée, elle marcha aux Saxons, en bravant tous les obstacles : des rochers à gravir, des neiges qui rendaient le terrain glissant, la difficulté du terrain, et des ennemis qui combattaient pour leurs foyers, tout céda au courage des vainqueurs. Les <168>Saxons et les Autrichiens furent chassés des rochers escarpés de Bennerich. Les Prussiens ne purent conserver ni l'ordre des bataillons ni même des pelotons formés, tant ces hauteurs qu'ils escaladaient étaient escarpées; la cavalerie ennemie les attaqua ainsi éparpillés. Il est certain que si les Saxons avaient été valeureux, l'infanterie prussienne aurait dû être taillée en pièces; mais cette cavalerie attaqua si mollement et fut si mal soutenue, qu'après quelques décharges que les Prussiens firent sur elle, elle disparut, et céda le champ de bataille aux vainqueurs. La cavalerie de la gauche des Prussiens n'avait pas pu agir pendant tout le combat, à cause des précipices impraticables qui la séparaient des ennemis; le prince d'Anhalt l'envoya à la poursuite des fuyards, sur lesquels M. de Gessler fit encore un bon nombre de prisonniers. Le prince d'Anhalt donna dans cette action de véritables marques de son expérience et de sa capacité. Les généraux, les officiers et les soldats, tous s'y distinguèrent : leur succès justifia leur témérité. De la part des Saxons, il resta trois mille morts sur la place; on fit prisonniers deux cent quinze officiers et six mille cinq cents soldats; ils perdirent de plus cinq drapeaux, trois étendards, une paire de timbales et quarante-huit canons. Les Prussiens eurent quarante et un officiers et seize cent vingt et un soldats de tués, et le double de blessés.187-a

<169>Si nous examinons les fautes commises des deux parts dans cette bataille, nous trouvons premièrement que le comte de Rutowski n'avait pensé dans son poste qu'à la sûreté de sa gauche;188-a pour la droite,188-a elle était en l'air, et l'on pouvait tourner le village de Kesselsdorf. Si les Prussiens avaient plus pris par leur droite, le prince d'Anhalt aurait pu tourner entièrement le village, et l'emporter à moins de frais; mais il ne faisait que d'arriver, et n'ayant pas eu le temps de reconnaître le terrain, cela seul peut lui servir d'excuse. La plus grande faute des Saxons fut sans doute de sortir du village; car ils empêchèrent leur propre canon d'agir contre les Prussiens, et c'était leur meilleure défense. Une faute non moins considérable fut que cette infanterie postée de Kesselsdorf à Bennerich, n'était pas sur la crête des hauteurs, mais en arrière de plus de cent pas, de sorte qu'ils ne défendirent pas avec les petites armes le passage du précipice, et le laissèrent escalader, se contentant de tirer quand l'ennemi aurait vaincu la plus grande difficulté du combat. Mais de telles remarques peuvent avoir lieu sur la plupart des actions des hommes : ils font tous des fautes, parce qu'aucun d'eux n'est parfait; et si nous résumons celles qui se sont commises dans cette bataille, c'est pour que la postérité apprenne à n'en pas faire d'aussi grossières que celles des Saxons.

Le comte Rutowski et toute son armée arrivèrent à Dresde en pleine course; ils y trouvèrent le prince de Lorraine occupé à rassembler ses troupes éparpillées. Il offrit au comte d'attaquer le lendemain les Prussiens conjointement avec lui; mais le Saxon en avait de reste. Il allégua pour excuse que son infanterie était presque détruite; qu'il avait perdu dix mille hommes; qu'il manquait d'armes et de munitions; et que ses soldats n'étaient pas encore revenus de leur terreur : il ajouta que le roi de Prusse allait se joindre au prince d'Anhalt; que Dresde manquait de provisions de bouche et de munitions de guerre; que pour sauver les débris de Kesselsdorf, il fallait se sauver à Zehista, village au pied des montagnes qui versent en Bohême. Ce projet fut exécuté : les Saxons évacuèrent Dresde, et n'y laissèrent <170>que des milices; le 16, ils se campèrent auprès du Königstein, et renvoyèrent leur cavalerie en Bohême, faute de moyens pour la nourrir plus longtemps sur le territoire saxon. L'armée du Roi avança le 16 jusqu'à Wilsdruf; et le 17, ses troupes formèrent la première ligne, et se portèrent sur le ruisseau de Plauen.

L'heureux succès de cette expédition fit oublier la lenteur que le prince d'Anhalt avait affectée à son début : la journée de Kesselsdorf avait jeté un beau voile sur cette faute. Le Roi lui dit les choses les plus flatteuses sur la gloire qu'il s'était acquise, et n'omit rien de ce qui pouvait cajoler son amour-propre. Ce prince mena le Roi sur le champ de bataille : l'on fut moins surpris des difficultés, quoique grandes, que les troupes avaient eu à surmonter, et du nombre considérable des prisonniers, que de voir toute cette campagne couverte de bourgeois de Dresde, qui venaient avec des visages sereins à la rencontre des Prussiens. Lorsque le Roi traversa la Saxe en 1744, le duc de Weissenfels avait jeté dix bataillons dans Dresde; on y élevait des batteries; on faisait des coupures dans les rues; on mettait des palissades en tous les lieux où un pieu pouvait entrer en terre; aucun Prussien n'osait mettre le pied dans cette capitale : et en 1745, que le Roi entrait en Saxe à la tête de quatre-vingt mille hommes, que leurs troupes venaient d'être battues, les portes de Dresde restèrent ouvertes, et les enfants cadets de la famille royale, les ministres, les conseils suprêmes du pays, tout se rendit à discrétion. Telles sont les contradictions dont l'esprit humain est capable, quand il n'agit pas systématiquement, et que ceux qui le gouvernent, ont une mauvaise dialectique. Il paraît vraisemblable que la ville était dépourvue de provisions, et que les délibérations confuses, et la consternation qui régnait parmi les principaux ministres du roi de Pologne, causèrent cet abandon général. Les princes pouvaient se sauver, les ministres également : il n'y avait qu'à faire quatre milles pour gagner la Bohême. Une chose non moins étonnante est que ces Saxons qui voulaient abandonner Dresde, y jetèrent six mille hommes de leurs miliciens, dont ils auraient pu se servir pour recompléter leurs troupes.

<171>Bientôt le Roi fit occuper le faubourg de Dresde. Le commandant fut sommé de se rendre : il répondit que Dresde n'était point une place de guerre; et les ministres envoyèrent un mémoire qui devait tenir lieu d'une espèce de capitulation. Le Roi en régla les conditions selon son bon plaisir. Le 18, les Prussiens entrèrent dans la ville. La milice fut désarmée, et servit à recruter les troupes : on y prit quatre cent quinze officiers et quinze cents blessés de la bataille de Kesselsdorf. Le Roi établit son quartier à Dresde avec l'état-major des deux armées. On divulgua dans le monde les bruits les plus injurieux au sujet des intentions du Roi sur cette capitale : on disait que le prince d'Anhalt avait demandé le pillage de Dresde pour son armée, lui ayant promis le sac de cette ville pour l'encourager pendant faction. Le penchant des hommes pour la crédulité peut seul accréditer de telles calomnies : jamais le prince d'Anhalt n'aurait osé faire au Roi une proposition aussi barbare; et d'ailleurs ces sortes de promesses peuvent se faire à des troupes indisciplinées, et non à des Prussiens qui n'ont combattu que pour l'honneur et pour la gloire : le principe de leurs succès doit s'attribuer uniquement à l'ambition des officiers comme à l'obéissance des soldats.

A peine le Roi fut-il à Dresde, qu'il rendit visite aux enfants du Roi, pour calmer leur crainte et les rassurer entièrement. Il tâcha d'adoucir leur infortune, en leur faisant rendre scrupuleusement tous les honneurs qui leur étaient dus; la garde du château fut même soumise à leurs ordres. Le Roi répondit ensuite au sieur Villiers : " Qu'il avait été assez étonné de recevoir des propositions de paix un jour de bataille; que pour abréger les négociations, il s'était rendu lui-même à Dresde; que la fortune qui avait secondé sa cause, l'avait mis en situation de ressentir vivement les mauvais procédés, la duplicité et la perfidie dont le comte de Brühl avait fait usage dans toutes ses négociations : mais que bien éloigné d'avoir une façon de penser aussi basse, il offrait, mais pour la dernière fois, son amitié au roi de Pologne; qu'il attendait que les sieurs de Bülow et de Rex eussent reçu leurs pleins pouvoirs, pour qu'on pût finir avec eux sans <172>autre délai; qu'enfin il ne se départirait en rien des engagements qu'il avait pris avec le roi d'Angleterre par la convention de Hanovre; que pour lui, loin d'être aveuglé par la fortune, il ne hausserait ni ne baisserait ses prétentions, et qu'ainsi la reine de Hongrie ne devait pas s'attendre à lui faire changer de résolution. " Le Roi finit en recommandant à M. de Villiers de lui rapporter exactement le dernier mot du roi de Pologne, afin que dorénavant rien ne mît de nouveaux empêchements à la pacification de l'Allemagne et du Nord. Bientôt le Roi fit inviter chez lui tous les ministres saxons : il récapitula tout ce qui s'était passé; il leur exposa avec vérité ses sentiments, et les conditions de paix modérées qu'il offrait à ses ennemis : il fut assez heureux pour les convaincre que ces conditions étaient telles qu'ils les auraient pu souhaiter ou dicter eux-mêmes, et que leur roi n'avait d'autre parti à prendre que de les signer.

On prit en même temps des mesures pour que les troupes observassent le meilleur ordre : le Roi mit dans ses procédés toute la douceur possible, afin que cette province voisine et malheureuse ne se ressentît que légèrement des fléaux d'une guerre dont le peuple était innocent. Pour s'accommoder à la coutume, on chanta dans les églises le Te Deum, sous la triple décharge de l'artillerie de la ville; et le soir on fit représenter l'opéra d'Arminius. On ne rappelle ces bagatelles que relativement aux anecdotes où elles tiennent. Jusqu'à l'opéra tout devenait entre les mains de Brühl un ressort pour gouverner l'esprit de son maître : il avait fait représenter la Clémence de Titus au sujet de la disgrâce de Sulkowski et des prétendus crimes que le Roi lui pardonna; Arminius parut pendant cette dernière guerre : cette histoire devait servir d'allégorie au secours qu'Auguste III donnait à la reine de Hongrie contre les Français et les Prussiens, qu'on accusait de vouloir tout subjuguer. Les louanges flatteuses de la poésie italienne, rehaussées du charme de l'harmonie, et rendues par le gosier flexible des châtrés, persuadaient au roi de Pologne qu'il était l'exemple des princes et un modèle d'humanité. Les musiciens supprimèrent un chœur de l'opéra, qu'ils n'osèrent produire en présence des Prussiens, parce que les paroles pouvaient <173>être justement rétorquées après ce qui venait d'arriver en Saxe; les voici :

Sulle ronine altrui alzar non pensi il soglio,
Colui che al sol' orgoglio riduce ogni virtù.192-a

Les chœurs des opéras d'Auguste valaient les prologues de ceux de Louis XIV.

Pendant qu'on chantait à Dresde des Te Deum et des opéras, M. de Villiers, qu'on y attendait avec impatience, arriva de Prague avec les pleins pouvoirs et toutes les autorisations nécessaires aux ministres saxons pour conclure la paix. Il lut suivi par le comte Frédéric Harrach, qui venait de la part de l'Impératrice-Reine pour la même intention.

Pendant que tout se préparait à Dresde à pacifier les troubles de l'Allemagne, le Roi reçut cette réponse de Louis XV à la lettre touchante qu'il lui avait écrite de Berlin pour lui demander son assistance. Cette réponse avait été minutée par ses ministres, le Roi n'avait prêté que sa main pour la transcrire; la voici :



Monsieur mon frère,

Votre Majesté me confirme, dans sa lettre du 15 de novembre, ce que je savais déjà de la convention de Hanovre du 26 d'août. J'ai dû être surpris d'un traité négocié, conclu, signé et ratifié avec un prince mon ennemi, sans m'en avoir donné la moindre connaissance. Je ne suis point étonné de vos refus de vous prêter à des mesures violentes et à un engagement direct et formel contre moi; mes ennemis doivent connaître Votre Majesté : c'est une nouvelle injure d'avoir osé lui faire des propositions indignes d'elle. Je comptais sur votre diversion; j'en faisais deux puissantes en Flandre et en Italie; j'occupais sur le Rhin la plus grosse armée de la reine de Hongrie. Mes dépenses, mes efforts ont été couronnés des plus grands succès. Votre Majesté en a fort exposé les suites par le traité qu'elle a conclu à mon insu. <174>Si cette princesse y avait souscrit, toute son armée de Bohème se serait subitement tournée contre moi; ce ne sont pas là des moyens de paix. Je n'en ressens pas moins l'horreur du péril que vous courez; et rien n'égalera l'impatience de vous savoir en sûreté, et votre tranquillité fera la mienne. Votre Majesté est en force, et la terreur de nos ennemis, et a emporté sur eux des avantages considérables et glorieux; l'hiver avec cela, qui suspend les opérations militaires, suffisait seul pour la défendre. Qui est plus capable que Votre Majesté de se donner de bons conseils à elle-même? Elle n'a qu'à suivre ce que lui dictera son esprit, son expérience, et par-dessus tout son honneur. Quant aux secours, qui de ma part ne peuvent consister qu'en subsides et en diversions, j'ai fait toutes celles qui me sont possibles, et je continuerai par les moyens qui assurent le mieux le succès : j'augmente mes troupes; je ne néglige rien; je presse tout ce qui pourra pousser la campagne prochaine avec la plus grande vigueur. Si Votre Majesté a des projets capables de fortifier mes entreprises, je la prie de me les communiquer, et je me concerterai toujours de grand plaisir avec elle, etc.

Au premier aspect de cette lettre, elle paraît douce et polie : mais quand on considère les circonstances fâcheuses où se trouvait le roi de Prusse, et les différentes négociations avec la France qui l'avaient précédée, on y remarque un ton d'ironie d'autant plus déplacé, que l'on n'était pas convenu de remplir par des épigrammes les engagements réciproques contractés par le traité de Versailles. Dépouillons cette lettre de tout verbiage, et examinons ce qu'elle dit réellement : " Je suis fort fâché que vous ayez conclu le traité de Hanovre sans m'en avertir, car le prince de Lorraine reviendrait en Alsace, si la reine de Hongrie l'acceptait. Ne voyez-vous pas que la guerre d'Italie et de Flandre que je soutiens, est une diversion que je fais en votre faveur? car je n'ai nul intérêt à la conquête de la Flandre, et l'établissement de mon gendre Don Philippe en Italie me touche peu. Conti contient si bien les forces principales de la reine de Hongrie en Allemagne, qu'il a repassé le Rhin, laissé faire un Empereur à qui l'a voulu; <175>que Traun a pu détacher Grünne pour la Saxe, et peut-être le suivre avec le reste de ses troupes, si la reine de Hongrie trouve; à propos de l'employer contre vous. J'ai fait de grandes choses cette campagne : on a aussi parlé de vous. Je plains la situation dangereuse où vous vous êtes mis pour l'amour de moi : on n'acquiert de la gloire qu'en se sacrifiant pour la France : témoignez de la constance, et souffrez toujours; imitez l'exemple de mes autres alliés, que j'ai abandonnés, à la vérité, mais auxquels j'ai donné l'aumône lorsqu'on les avait dépouillés de toutes leurs possessions. Prenez conseil de votre esprit, et de la présomption avec laquelle vous vous êtes ingéré quelquefois à me donner des avis : vous aurez sans doute assez d'habileté pour vous tirer d'embarras; d'ailleurs le froid de l'hiver engourdira vos ennemis, et ils ne pourront vous combattre. Si cependant il vous arrivait malheur, je vous promets que l'Académie française fera l'oraison funèbre de votre empire, que vos ennemis auront détruit. Votre nom sera placé dans le martyrologe où se trouve le nom des fanatiques qui se sont perdus pour le service de la France, et des alliés qu'elle a daigné abandonner. Vous voyez que j'ai fait des diversions; je vous ai offert jusqu'à un million de livres de subsides. Espérez avec ferveur dans la belle campagne que je ferai l'été prochain, pour laquelle je prépare tout dès à présent, et comptez que je me concerterai avec vous sur tous les sujets où vous voudrez suivre aveuglément mes volontés, et vous conformer à tout ce qui s'accorde avec mes intérêts. "

Dès que les négociations de la paix furent assez avancées pour qu'on fût sûr de leur réussite, le Roi répondit à cette lettre du roi de France, par une autre dont nous rapporterons le contenu, parce que la matière dont il s'agit était aussi importante que délicate.



Monsieur mon frère,

Après la lettre que j'avais écrite à Votre Majesté en date du 15 de novembre, je devais m'attendre de sa part à des secours réels. Je n'entre point dans les raisons qu'elle peut avoir d'abandonner ses alliés aux caprices de la fortune. Pour cette fois, la <176>valeur seule de mes troupes m'a tiré du pas scabreux où je me trouvais. Si le nombre de mes ennemis m'eût accablé, Votre Majesté se serait contentée de me plaindre, et j'aurais été sans ressources. Comment une alliance peut-elle subsister, si les parties contractantes ne concourent pas avec une même ardeur à leur conservation commune? Votre Majesté me dit de me conseiller moi-même : je le fais, puisqu'elle le juge à propos. La raison me dit de mettre promptement fin à une guerre qui n'a plus d'objet, depuis que les troupes autrichiennes ne sont plus en Alsace, et depuis la mort de l'Empereur : les batailles qu'on donnerait désormais, ne produiraient qu'une effusion de sang inutile. La raison m'avertit de penser à ma propre sûreté; de considérer le grand armement des Russes, qui menace le royaume du côté de la Courlande; l'armée que M. de Traun commande sur le Rhin, qui pourrait aisément refluer vers la Saxe; l'inconstance de la fortune; et enfin, que, dans la circonstance où je me trouve, je ne puis m'attendre à aucun secours de la part de mes alliés. Les Autrichiens et les Saxons viennent d'envoyer ici des ministres pour négocier la paix; je n'ai donc d'autre parti à prendre que de la signer. Après m'être donc acquitté ainsi de mon devoir envers l'État que je gouverne et envers ma famille, aucun objet ne me tiendra plus à cœur que de pouvoir me rendre utile aux intérêts de Votre Majesté. Puisse-je être assez heureux que de servir d'instrument à la pacification générale! Votre Majesté ne pourra confier ses vues à personne qui lui soit plus attaché que je le suis, ni qui travaille avec plus de zèle à rétablir la concorde et la bonne intelligence entre les puissances que ces longs démêlés ont rendues ennemies. Je la prie de me conserver son amitié, qui me sera toujours précieuse, et d'être persuadée que je suis etc.

C'était se congédier honnêtement, et alléguer des raisons si valables, qu'il aurait été impossible au Français d'y répondre.

Cependant les Autrichiens et les Saxons étaient encore aux environs de Pirna; il fallait les éloigner davantage, pour travailler plus tranquillement à la paix. Dans cette vue, M. de Retzow fut détaché avec cinq bataillons et quelque cavalerie du côté de Frey<177>berg; la jalousie qu'il donnait de ce côté, accéléra la retraite des alliés en Bohême. Les troupes saxonnes faisaient à peine quinze mille hommes : le roi de Pologne, dénué de ses revenus, n'avait plus d'argent pour les payer; il ne pouvait pas attendre jusqu'au printemps que les Russes se missent en mouvement : il sentait la nullité de ce secours; enfin la nécessité du moment le forçait à consentir à la paix.

Dans ces entrefaites, le comte de Harrach arriva à Dresde. Il supposait que, fier de ses succès, à l'instar des Autrichiens, le Roi en rehaussant ses prétentions les rendrait excessives; mais bientôt détrompé de ce préjugé, il remercia même ce prince de la facilité avec laquelle il se prêtait à cette négociation. Le Roi lui répondit que la cause de la guerre ayant cessé par la mort de Charles VII, il avait été depuis ce moment dans les mêmes dispositions où il le voyait aujourd'hui. M. de Harrach jeta en avant quelques propositions sur une entrevue entre le Roi et la reine de Hongrie, qui furent éludées par l'exemple de l'inutilité et des mauvaises suites qui en étaient résultées; mais le Roi mêlant adroitement à ces refus des louanges de cette princesse, le comte s'en contenta, et laissa tomber l'affaire.

La paix fut signée le 25 décembre 1745. L'accession de la reine de Hongrie à la convention de Hanovre n'est qu'un renouvellement pur et simple de la paix de Breslau. Les Saxons promirent de ne jamais accorder de passage par leur pays aux ennemis du Roi, sous quelque prétexte que cela put être. On convint de troquer le péage de Fürstenberg contre quelques terres de la même valeur. Le roi de Pologne garantit le payement d'un million de contributions auquel l'Électorat s'était engagé; il renonça par le même article à toute indemnisation des frais de la guerre. Le Roi promit en revanche de faire cesser les contributions du jour de la signature, et de retirer incessamment ses troupes de la Saxe, à l'exception de Meissen, où était l'hôpital prussien; ce qui lui fut accordé jusqu'à la guérison des blessés.

Ainsi finit cette seconde guerre, qui dura en tout seize mois; qui se fit de part et d'autre avec une ardeur et un acharnement extrême; où les Saxons découvrirent toute la rage qu'ils avaient <178>contre les Prussiens, et l'envie que leur inspirait l'agrandissement de cette puissance voisine; où les Autrichiens combattaient pour l'Empire et pour la prépondérance; dans laquelle les Russes voulurent se mêler, pour influer sur les troubles germaniques; à laquelle la France devait s'intéresser, et qu'elle négligea; où l'on vit la Prusse exposée à des dangers imminents, et dont elle triompha par la discipline et la valeur héroïque de ses troupes. Cette guerre ne donna pas lieu à ces grandes révolutions qui changent la destinée des empires; mais elle empêcha que de tels bouleversements n'arrivassent alors, en obligeant le prince de Lorraine d'abandonner l'Alsace. La mort de Charles VII fut de ces événements qu'on ne saurait prévoir : cette mort dérangea le projet d'arracher pour jamais la dignité impériale à la nouvelle maison d'Autriche. Ainsi, en appréciant les choses à leur juste valeur, on est obligé de convenir qu'à certains égards cette guerre causa une effusion de sang fort inutile, et qu'un enchaînement de victoires ne servit uniquement qu'à confirmer la Prusse dans la possession de la Silésie. Si nous n'envisageons cette guerre que relativement à l'accroissement ou à l'affaiblissement des puissances belligérantes, nous trouvons quelle coûta aux Prussiens huit millions déçus, mais qu'à la signature de la paix il leur restait pour toute ressource quinze mille écus198-a pour la continuation de la guerre. Les Prussiens firent dans ces deux campagnes quarante-cinq mille six cent soixante-quatre prisonniers sur leurs ennemis : à savoir : douze mille hommes à Prague; dix-sept cent cinquante par de petits partis; deux cent cinquante aux affaires de Plomnitz et de Reinerz du général Lehwaldt; sept mille cent trente-six à la bataille de Friedeberg; trois mille à la prise de Cosel, et cinq mille en différentes occasions par le général Nassau; deux cent cinquante par les hussards de Zieten; deux mille trente à la bataille de Soor; quatre cents par les troupes du margrave Charles dans la Haute-Silésie; quatre cent vingt-sept par les partis de la garnison de Glatz; treize cent quarante-deux par le général de Win<179>terfeldt; deux cent soixante-onze par le major Warnery; treize cent quatre-vingt-douze à Catholisch-Hennersdorf; six mille six cent cinquante-huit à la bataille de Kesselsdorf, et trois mille sept cent cinquante-huit à la prise de Dresde.

Voici ce que prirent les Autrichiens : le régiment de Kreytzen à Budweis, quatorze cents hommes; un bataillon de pionniers à Tabor, sept cents, et de plus quatre cents malades de l'armée; trois cents hommes à la sortie de Prague; trois cents à Cosel, et treize cent quarante dans toutes sortes de petites affaires. Somme totale : quatre mille quatre cent quarante; nombre bien inférieur aux pertes qu'ils avaient faites. La Haute-Silésie souffrit le plus de cette guerre, et quelques parties de la Basse voisines de la Bohême, comme les cercles de Hirschberg, de Striegau et de Landeshut : mais c'étaient de ces maux qu'une bonne administration répare facilement. La Bohème et la Saxe se ressentirent également du séjour de grandes armées; cependant rien n'y était totalement ruiné. La reine de Hongrie fut obligée d'employer tout son crédit pour se procurer des ressources qui la missent en état de continuer cette guerre; elle tirait à la vérité des subsides que la nation anglaise lui payait, mais qui n'étaient pas suffisants pour l'indemniser des sommes que lui coûtaient les opérations de ses armées en Flandre, sur le Rhin, en Italie, en Bohême et en Saxe. La guerre coûta au roi de Pologne au delà de cinq millions d'écus. Il paya ses dettes en papiers, en créa de nouveaux; car Brühl possédait l'art de ruiner méthodiquement son maître.

Le roi de Prusse porta ses premiers soins au rétablissement de son armée : il la recompléta en grande partie de prisonniers autrichiens et saxons, dont il avait le choix. Les troupes furent ainsi recrutées aux dépens des étrangers, et il n'en coûta que sept mille hommes à la patrie pour réparer les pertes que tant de batailles sanglantes avaient occasionnées. Depuis qu'en Europe l'art de la guerre s'est perfectionné, depuis que la politique a su établir une certaine balance de pouvoir entre les souverains, le sort commun des plus grandes entreprises ne produit que rarement les effets auxquels on devrait s'attendre : des forces égales des deux côtés et l'alternative des pertes et des succès, font qu'à la <180>fin de la guerre la plus acharnée les ennemis se trouvent, chacun de leur part, à peu près dans l'état où ils étaient avant de l'entreprendre. L'épuisement des finances produit enfin la paix, qui devrait être l'ouvrage de l'humanité et non pas de la nécessité. En un mot, si la considération et la réputation des armes méritent qu'on fasse des efforts pour les obtenir, la Prusse en les gagnant a été récompensée de cette seconde guerre qu'elle entreprit; mais voilà tout ce qu'elle y acquit, et cette fumée encore lui suscitait des envieux.

Corrigé à Sans-Souci ce 20 juillet 1775.

Federic.


164-a Charles-Édouard. Voyez ci-dessus, p. 48.

164-b Allusion à l'envoi fait à la monnaie par le Roi des meubles d'argent massif de son château de Berlin. Voyez (Friedrich Nicolai) Freimüthige Anmerkungen über des Herrn Ritters von Zimmermann Fragmente über Friedrich den Grossen. Berlin, 1791, 1er partie, p. 58 et 70, et Neue Berlinische Monatschrift, t. XII, p. 299.

165-a D'après les gazettes de Berlin, les trophées des victoires de Hohenfriedeberg et de Soor furent suspendus dans l'église de la garnison de Berlin, non pas le 8, mais le 11 novembre 1745, entre midi et une heure.

165-b Ferdinand-Louis de Saul, conseiller de légation saxon. Voyez ci-dessus, p. 95.

167-a Les quatre principaux fonds des finances de la Saxe étaient alors : la Steuer, où l'on déposait le subside accordé par les états du pays; la Chambre du domaine électoral; le Fonds des accises et la Caisse générale de la guerre. Dès avant la guerre de sept ans, ces différentes caisses étaient en partie épuisées, et accablées de dettes.

170-a D'après les deux gazettes de Berlin (no 138, 18 novembre), le Roi partit le 16 à sept heures du matin, se rendant en Silésie par Crossen.

171-a La Fontaine (livre III, fable 18) a dit :
     

Il était expérimenté,
Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.

171-b La Neisse de la Lusace.

171-c Le Queis.

172-a Hennersdorf près de Lauban, autrefois Nieder-Hennersdorf.

173-a Ce sont les hussards de Zieten, no 2, et les hussards noirs du colonel de Ruesch, no 5. Voyez ci-dessus, p. 69. Hans-Joachim de Zieten, né dans le Brandebourg le 18 mai 1699. Le 16 mai 1741, il devint lieutenant-colonel, et au mois de juin colonel et chef du régiment de hussards, dans lequel il avait servi jusqu'alors, et qui porta son nom tant que ce héros vécut. Il fut nommé général-major le 3 octobre 1744. Voyez t. II, p. 125.

174-a Schönberg.

177-a Voir F Appendice, à la fin de ce volume.

178-a L'Exposé des motifs qui déterminèrent le Roi à envoyer des troupes auxiliaires à l'empereur des Romains (Gazette privilégiée de Berlin, 13 août 1744, no 97), se termine ainsi : " En un mot, le Roi ne demande rien, et il ne s'agit point de ses intérêts personnels; mais Sa Majesté n'a recours aux armes que pour rendre la liberté à l'Empire, la dignité à l'Empereur, et le repos à l'Europe. "
     Le manifeste de l'année 1745 paraît faire allusion aux dépêches du comte de Podewils adressées aux cours étrangères, et mentionnées plus haut, p. 168.

182-a Frédéric-Alexandre de Röell, lieutenant-général et chef du régiment de dragons no 7. Il était âgé de soixante-neuf ans lorsqu'il fut tué le 13 décembre 1745.

184-a Voyez ci-dessus, p. 108.

187-a C'est sans doute par oubli que le Roi ne rappelle pas ici les noms des héros morts à Kesselsdorf. Dans la première rédaction de son ouvrage, il dit au dernier chapitre, p. 28 : " Nous eûmes quarante et un officiers et seize cent vingt et un soldats de tués; et à peu près le double de blessés; on trouva le général de Hertzberg et le colonel d'Assebourg parmi les morts. " Le général-major Hans-Gaspard de Hertzberg et le colonel des cuirassiers du corps, Henri-Charles d'Assebourg, ont eu également le malheur d'être passés sous silence dans l'Épître à Stille (Œuvres de Frédéric, publiées du vivant de l'Auteur. T. IV, p. 111), qui célèbre les officiers tombés ou blessés dans les deux premières guerres de Silésie. Le Roi a encore élevé un monument à ses héroïques soldats dans L'Art de la guerre (l. c., p. 349-419).
     Hans-Gaspard de Hertzberg, général-major et chef du régiment d'infanterie no 20, était né en Poméranie en 1685.
     Samuel de Polentz, général-major et chef du régiment d'infanterie no 13, naquit dans la province de Prusse le 24 janvier 1698, et mourut de ses blessures à Meissen le 28 janvier 1746.

188-a Voyez ci-dessus, p. 185 et 186.

192-a Arminio, opéra de Hasse, chœur final; ce dernier morceau fut composé par Graun. (Ms. in-fol., no 272, de la Bibliothèque royale de Berlin, section musicale).

198-a Dans le manuscrit original il y a très-distinctement : " 15/m écus : " les éditeurs de 1788 avaient substitué à ce chiffre celui de " cent cinquante mille écus. "