<223>sans qu'on pût citer un exemple qu'elle eût jamais manqué à aucune personne. La plus tendre, la plus constante amitié unissait le Roi et cette digne sœur. Ces liens s'étaient formés dès leur première enfance; la même éducation et de mêmes sentiments les avaient resserrés; une fidélité à toute épreuve des deux parts les rendit indissolubles. Cette princesse, dont la santé était faible, prit si fort à cœur les dangers qui menaçaient sa famille, que le chagrin acheva de ruiner son tempérament. Son mal se déclara bientôt; les médecins reconnurent que c'était une hydropisie formée; leurs remèdes ne purent point la sauver; elle mourut le 14 d'octobre, avec un courage et une fermeté d'âme digne des plus intrépides philosophes. Ce fut le jour même que le Roi fut battu à Hochkirch par les Autrichiens. Les Romains n'auraient pas manqué d'attribuer à ce jour une fatalité, à cause de deux coups aussi sensibles dont le Roi fut frappé en même temps. Dans ce siècle éclairé, on est revenu au moins de cet abus de la superstition de croire les jours heureux ou sinistres. La vie des hommes ne tient qu'à un cheveu; le gain ou la perte d'une bataille ne dépend que d'une bagatelle. Nos destins sont une suite de l'enchaînement général des causes secondes, qui, dans la foule d'événements qu'elles amènent, en doivent nécessairement produire d'avantageux et de funestes.
La même année termina le pontificat du pape Benoît, le moins superstitieux et le plus éclairé des pontifes qui depuis longtemps eussent tenu le siége de Rome. Les factions française, espagnole et autrichienne lui donnèrent pour successeur le Vénitien Rezzonico, qui prit le nom de Clément XIII. La différence de génie de ces deux papes frappa d'autant plus le public, que Clément, peut-être bon prêtre, manquait des talents nécessaires aux souverains de Rome pour gouverner leurs États et l'Église universelle. Ses premiers pas, dès son avénement au pontificat, furent de fausses démarches; il envoya au maréchal Daun une toque et une épée bénites, pour avoir battu les Prussiens à Hochkirch, quoique de tels présents, selon l'usage de la cour romaine, ne se fassent qu'à des généraux qui ont vaincu des nations infidèles, ou dompté des peuples barbares. Cette démarche d'éclat le brouillait donc nécessairement avec le roi de Prusse, qu'il devait ménager à cause du