CHAPITRE VIII.
Campagne de 1758.
<184>Le prince Ferdinand de Brunswic fut, cette année, le premier qui ouvrit la campagne : il avait une forte tâche à remplir; il ne s'agissait pas de moins que de chasser quatre-vingt mille Français de la Basse-Saxe et de la Westphalie, avec trente mille Hanovriens qui, trois mois auparavant, avaient été près de mettre les armes bas et de signer un traité honteux. Il détacha un corps sur le Wéser, qui se rendit maître de Verden, et un autre sous le Prince héréditaire, qui marcha des deux côtés de cette rivière, arriva à Hoya, dont ce jeune héros s'empara par sa valeur et par sa bonne conduite. M. de Saint-Germain fut à peine instruit de ces progrès, qu'il évacua Brême, où il avait une garnison de douze bataillons. Il en attira à lui quatorze autres qui hivernaient dans le voisinage, avec lesquels il prit le chemin de la Westphalie. Tandis que le Prince héréditaire prenait Hoya, dont le pont sur le Wéser devenait important pour les alliés, le prince Ferdinand de Brunswic passait l'Aller avec le gros de ses troupes. M. de Beust,209-a qui faisait son avant-garde, surprit aux environs de Hanovre le <185>régiment de Poleretzky, et le fit prisonnier. Cet accident, joint à la marche du prince Henri, qui, par le Mansfeld et le Hildesheim, s'était approché de la ville de Brunswic, déconcerta les généraux français, et détermina M. de Clermont, qui venait de relever le maréchal de Richelieu, à évacuer Brunswic, Wolfenbüttel et Hanovre en même temps. L'armée du prince Ferdinand marcha droit à Minden, où s'étant jointe aux détachements du Wéser, elle assiégea d'abord cette ville. Le comte de Clermont, ayant passé le Wéser à Hameln, envoya M. de Broglie aux environs de Bückebourg, pour secourir Minden; mais ce général, ne trouvant pas l'occasion d'entreprendre contre les alliés, ne fut que spectateur de la prise de cette ville, dont la garnison se rendit prisonnière de guerre. Après cet événement, M. de Broglie tourna vers Paderborn, pour rejoindre le prince de Clermont. L'armée des alliés marcha à Bielefeld; sur quoi les Français, étourdis de cette révolution subite dans leurs affaires, évacuèrent Lippstadt, Hamm et Münster. Le comte de Clermont, qui n'avait plus de pied en Allemagne, repassa le Rhin à Wésel, et cantonna son armée à l'autre bord de ce fleuve. Le prince Ferdinand s'arrêta à Münster, et répandit ses troupes aux environs, pour leur donner le temps de se refaire des fatigues qu'elles avaient souffertes par des opérations continuelles dans une saison rude et peu avancée. Les alliés prirent onze mille Français prisonniers dans cette courte expédition, qui peut être comparée à cette belle campagne du maréchal de Turenne, lorsque, pénétrant par Thann et Belfort, il surprit les Impériaux répandus dans leurs quartiers en Alsace, et les força de repasser le Rhin.
Ce fut le 2 de juin que le prince Ferdinand passa ce fleuve avec son armée au-dessous d'Emmerich; il avait gagné des bateliers hollandais, qu'il ne put engager néanmoins à construire ce pont que sur le territoire de la République; de là il s'avança bientôt dans le pays de Clèves. Quelques troupes françaises furent surprises dans leurs quartiers; mais le gros joignit l'armée, qui s'était assemblée proche de Créfeld. Le prince Ferdinand occupa la ville de Clèves; il laissa quelques troupes aux ordres de M. d'Imhof pour couvrir son pont d'Emmerich, et avec l'armée alliée il remonta la rive gauche du Rhin, où il se trouva vers le 20 du <186>mois à une marche du comte de Clermont; il résolut d'attaquer l'armée française, dans l'espérance que s'il gagnait sur elle une victoire complète, il pourrait reprendre Wésel, et retransporter le théâtre de la guerre au delà du Rhin. Le prince se fit joindre pour cet effet par M. de Wangenheim, qui avait été du côté de Kayserswerth, et se porta sur Kloster-Kamp. A son approche, M. de Saint-Germain abandonna la ville de Créfeld, et se retira à un mille en arrière, pour se rapprocher du comte de Clermont, qui campait alors à Nuys; M. de Clermont le joignit à Vischeln.
Ce fut le 23 juin que le prince Ferdinand quitta son camp de Hüls et de Kempen pour attaquer M. de Clermont; il divisa son armée en trois corps, dont l'un, commandé par M. de Wangenheim, se présenta sur le front de l'ennemi pour le contenir, pendant que le gros des alliés, tournant la gauche des Français, se présenta sur leur flanc entre Vischeln et Anradt; il y avait dans cette partie, derrière un ruisseau, un boulevard ou Landwehr dont les Français avaient profité pour se poster; l'infanterie des alliés les en délogea après un combat assez rude. Les carabiniers français volèrent alors au secours de cette infanterie, et le comte de Gisors, qui les menait, attaqua vivement l'infanterie du prince Ferdinand; il y fut tué, et sa troupe découragée prit la fuite; alors le prince de Holstein211-a donna dessus avec les dragons prussiens, et acheva de la dissiper. Pendant ce choc, le Prince héréditaire avec une partie de la droite des alliés avait gagné sur les derrières de la position des Français; ce qui acheva de décontenancer le comte de Clermont, qui, se croyant sur le point d'être entamé sur son front par M. de Wangenheim, se voyant pris en flanc par le prince Ferdinand, et près d'être entièrement tourné par le Prince héréditaire, abandonna le champ de bataille; il se retira à Nuys, puis à Woringen, et ensuite à Cologne. Le prince Ferdinand, pour profiter de sa victoire, détacha le Prince héréditaire, qui prit Ruremonde par capitulation, et poussa des partis jusqu'aux portes de Bruxelles, tandis que M. de Wangenheim, qui avait été envoyé avec quatre bataillons dans le duché de Berg, assiégea Düsseldorf, où il y en avait huit, et la ville se rendit par <187>capitulation le 8 de juillet. On y trouva un magasin considérable, construit pour l'armée française. Cependant le prince Ferdinand, apprenant que l'ennemi rassemblait des forces contre lui, se fit rejoindre par le corps du Prince héréditaire au couvent de Saint-Nicolas, où il campait.
Le mauvais début de M. de Clermont engagea la cour de Versailles à le rappeler, et il fut remplacé par M. de Contades. Ce maréchal fit incessamment avancer l'armée, pour lui rendre la confiance qu'elle avait perdue; pendant ce temps-là, M. de Chevert, qui était à Wésel, où les Français avaient laissé une nombreuse garnison, sortit de cette place avec un corps considérable pour battre M. d'Imhof, qui gardait le pont des alliés proche d'Emmerich. Ce général en eut vent : il se mit avec tout son corps en embuscade sur le chemin que M. de Chevert devait tenir, le battit, et lui prit beaucoup de monde. Ces heureux succès du prince Ferdinand auraient empêché les Français de repasser le Rhin, et l'auraient enfin mené à la prise de Wésel sur la fin de la campagne, si une diversion ne l'avait obligé lui-même à repasser ce fleuve, pour redresser les affaires en Hesse et dans la Basse-Saxe.
Dès le 11 de juillet, M. de Soubise s'était mis en marche; il avait été joint à Hanau par quinze mille Würtembergeois. Le prince Ferdinand avait laissé en Hesse le prince d'Ysenbourg avec environ sept mille hommes; celui-ci se retira de Marbourg à l'approche de l'avant-garde française, commandée par M. de Broglie,212-a et passa la Fulde; les Français l'attaquèrent dans la position qu'il avait prise près de Sangerhausen, et il fut obligé de céder au nombre après un combat qui dura six heures; il se retira à Eimbeck, et s'établit dans les montagnes, se bornant à conserver sa communication avec Hanovre. Le prince de Soubise, ne trouvant nulle part aucune résistance, occupa en ce temps Nordheim, Münden et Göttingue. Cependant M. de Contades, qui jugeait <188>que la diversion de M. de Soubise en Hesse obligerait promptement les alliés à rétrograder, s'avança sur eux, et occupa même le poste de Brüggen, qui était sur leur gauche; mais le prince Ferdinand, qui ne pouvait souffrir ce voisinage dangereux, en fit déloger les Français par le Prince héréditaire; il résolut en même temps de se replier sur la Niers, pour s'approcher des secours qui lui venaient d'Angleterre. Les Français, qui firent la même marche, furent cependant prévenus par les alliés. Le prince Ferdinand, qui voyait que la seule façon de se soutenir au delà du Rhin était de battre M. de Contades, fit toutes les dispositions pour engager une affaire; M. de Contades ne trouva pas à propos de risquer le combat, et se retira à Dalen; sur quoi le prince Ferdinand se porta sur Wachtendonk; le Prince héréditaire, qui menait l'avant-garde, en chassa les Français, et toute l'armée repassa la Niers. Le prince Ferdinand, ne trouvant plus de possibilité à se soutenir avec son armée au delà du Rhin, retira à lui la garnison de Ruremonde, qui trouva le moyen de se dérober dans le temps même que l'ennemi sommait la place. Toute cette armée repassa le Rhin sur son pont de Griethausen entre le 8 et le 10 d'août. On fut obligé d'évacuer Düsseldorf en même temps, et M. de Hardenberg,213-a qui y commandait, se rendit en diligence à Lippstadt, pour mettre en défense ce poste important. Peu de jours après, les Français passèrent le Rhin, et s'étendirent jusqu'à Dorsten, en se couvrant de la Lippe.
Le 14, le prince Ferdinand fut joint à Bocholt par douze mille Anglais que lui amenait mylord Marlborough. M. de Contades fut joint en même temps dans son camp de Halteren par cinq à six mille Saxons que les Autrichiens avaient rassemblés en Hongrie, et dont le prince Xavier, second fils du roi de Pologne, avait pris le commandement. Le prince Ferdinand détacha en même temps M. d'Imhof à Coesfeld, et M. de Post à Dülmen; mais sur les mouvements que firent les ennemis vers Lünen, le Prince héréditaire fut détaché pour renforcer le corps de Dülmen. Le prince <189>Ferdinand le suivit promptement avec l'armée, et le Prince héréditaire repoussa les Français jusqu'à Halteren. Dans ces circonstances, on trouva bon de détacher M. d'Oberg avec un corps de neuf mille hommes, pour passer la Lippe et se porter dans l'évêché de Paderborn, tant pour interrompre la communication des deux armées françaises, que pour être à portée, dans le besoin, de pouvoir prêter la main au prince d'Ysenbourg.
Dans ces entrefaites, et pendant que le prince d'Ysenbourg s'était tenu près d'Eimbeck, M. de Soubise avait occupé Cassel, Göttingue, et quelques places sur la Werra; alors il forma le dessein de s'emparer de Hameln; mais il fut obligé de s'en désister lorsqu'il apprit que le prince Ferdinand avait repassé le Rhin; il évacua ensuite Münden, Göttingue, et tout ce qu'il avait occupé dans le pays de Hanovre, pour se renforcer sur la Diemel; il resta dans cette position jusqu'au 5 de septembre, et n'opposant à M. d'Oberg que M. Du Mesnil, qu'il laissa sur la Diemel, il s'avança successivement de Münden, Göttingue, à Nordheim. Le prince d'Ysenbourg fut obligé d'abandonner Eimbeck à l'approche des Français, et se retira à Coppenbrügge, où il fut joint par quelques régiments de l'armée des alliés; alors le prince d'Ysenbourg s'avança en même temps que M. d'Oberg sur Holzmünden. Ce mouvement fit craindre à M. de Soubise, qui était à Göttingue, qu'on ne le coupât de Cassel, et repliant aussitôt ses corps, il se rendit en diligence dans la Hesse. Les troupes des alliés et des Français arrivèrent presque en même temps devant Cassel, où elles se campèrent vis-à-vis les unes des autres. Ces mouvements de la Hesse n'avaient pas influé sur les opérations du prince Ferdinand; il suivait son objet, qui était d'observer l'armée de M. de Contades.
Les Français, ayant vainement tenté de surprendre le Prince héréditaire à Halteren, et y ayant été repoussés avec une perte considérable, tournèrent leurs vues d'un autre côté. M. de Contades détacha M. de Chevert avec vingt mille hommes, pour joindre M. de Soubise, et lui donner par ce renfort assez de supériorité pour qu'il pût accabler le prince d'Ysenbourg, et pour donner en même temps de l'occupation au prince Ferdinand, qui l'empêchât de faire des détachements pour la Hesse; il se porta <190>à Hamm avec son armée, et poussa M. de Chevreuse jusqu'à Soest. Sur ce mouvement, les alliés se replièrent sur Münster, d'où le Prince héréditaire fut détaché à Warendorf-sur-l'Ems, et le prince de Holstein, à Telgte. M. de Soubise ayant, sur ces entrefaites, reçu son renfort, ne perdit point de temps pour le mettre en œuvre. Le prince d'Ysenbourg, informé de l'arrivée de M. de Chevert, repassa la Fulde, et se retira successivement devant l'ennemi jusqu'à Lutterberg, pour ne point être coupé de Münden; les ennemis l'y attaquèrent avec une si grande supériorité, qu'il fut obligé de leur céder le champ de bataille, avec une perte de seize canons et d'environ deux mille hommes; il se retira par Dransfeld et Göttingue à Moringen. Cet événement obligea le prince Ferdinand à quitter Münster; il y laissa une bonne garnison, et arriva le 17 avec son armée à Lippstadt. Le Prince héréditaire marcha le lendemain pour surprendre M. de Chevreuse, qui était à Soest; la surprise n'eut pas lieu, parce que les Français furent avertis de la marche des alliés; néanmoins, après un léger combat, les Français se retirèrent, et abandonnèrent toutes les provisions qu'ils avaient amassées à Soest. Le prince Ferdinand prit incontinent son camp auprès de cette ville, ce qui engagea M. de Chevert à changer de route; il avait quitté M. de Soubise après l'affaire de Lutterberg, et ne put joindre M. de Contades qu'en prenant un grand détour. Aussitôt que M. de Chevert eut quitté l'armée de Hesse, M. d'Oberg passa le Wéser à Holzmünden, et poursuivant sa marche, il joignit le 21 d'octobre à Soest l'armée des alliés.
La position où se trouvait le prince Ferdinand interrompit la communication des deux armées françaises, et quelque supérieures qu'elles fussent en nombre à celles des alliés, cela n'empêcha pas que M. de Soubise ne crût sa position aventurée; il évacua en conséquence Cassel et toute la Hesse, et repassa le Main à Hanau avec toutes ses troupes. La campagne aurait été finie, si M. de Contades n'eût encore essayé de surprendre Münster; M. d'Armentières s'était approché de cette ville à la tête de quinze mille Français, et avait pris un camp proche de la place, pour ouvrir incessamment la tranchée; mais M. d'Imhof arriva le 26 octobre à Warendorf, étant suivi du duc de Holstein, en <191>même temps que M. de Wangenheim avec un gros détachement occupa le camp de Rhéda. Tous ces mouvements, dis-je, qui menaçaient de couper la communication de M. d'Armentières de Wésel, et une petite affaire qu'engagea le major Bülow, le firent résoudre d'abandonner son projet; il repassa la Lippe le 2 de novembre, et bientôt après, l'armée française prit le chemin de Wésel, pour entrer dans ses quartiers d'hiver à l'autre bord du Rhin. Il ne restait plus en Hesse que Marbourg où les Français eussent pied; le Prince héréditaire y fut envoyé, et il n'employa que peu de jours pour finir son expédition par la prise de cette place, après quoi les alliés, maîtres de toute la Westphalie et de la Basse-Saxe, entrèrent dans leurs quartiers.
Durant cette belle campagne du prince Ferdinand contre les Français, le Roi n'était pas demeuré oisif contre les Autrichiens, et il se préparait à tirer tout le parti possible de la bataille de Leuthen, et des suites que cette bataille avait eues. Dès le mois de janvier, M. de Werner avait été détaché dans la Haute-Silésie. Quelque supériorité qu'eût l'ennemi sur sa troupe, il l'avait contraint de se replier en Moravie, de sorte que les Prussiens occupaient dès lors Troppau et Jägerndorf. Le Roi jugeait cette avance nécessaire pour exécuter les projets qu'il méditait pour la campagne, de sorte que cette expédition, qui se fit au mois de janvier, ne parut à l'ennemi qu'une suite de la bataille de Leuthen, dont le Roi profitait pour nettoyer toute la Silésie des troupes autrichiennes.
Les choses en restèrent là jusqu'au 14 de mars, que l'armée se mit en marche pour commencer les opérations de la campagne. On était sûr que les ennemis n'étaient pas assez avancés dans leurs arrangements pour s'opposer aux desseins que le Roi formait, de sorte que ce temps fut jugé le plus propre à changer en siége régulier le blocus de Schweidnitz. Le Roi se mit à la tête de l'armée d'observation, et se cantonna de Landeshut jusqu'à Friedland; le prince Maurice eut le commandement de cette gauche, d'où il communiquait par Wüstengiersdorf à Braunau; et M. de Fouqué commandait le corps qui couvrait cette gorge de la Silésie. Le Roi établit son quartier général à Grüssau, qui était au centre de la position que ses troupes occupaient. Le gros de <192>l'armée ennemie était encore en cantonnements aux environs de Königingrätz et de Jaromircz; le maréchal Daun, qui en avait seul le commandement, avait poussé en avant le corps de Loudon à Trautenau, et celui de Beck à Nachod. Les armées étant dans cette position, M. de Treskow investit de plus près la ville de Schweidnitz. La tranchée ne put être ouverte que la nuit du 1er au 2 d'avril; l'attaque fut dirigée sur le fort de la Potence, comme l'endroit le moins bien fortifié, et le plus commode pour y conduire les munitions de guerre. Bientôt vingt-quatre canons, vingt mortiers et seize obusiers furent mis en batterie. Cet ouvrage, souvent dérangé par l'artillerie des assiégés, ne put être entièrement perfectionné que le 8, et dès le 10 on occupa une flèche que l'ennemi fut obligé d'abandonner; cette flèche, qui nous approchait à cent pas du fort de la Potence, donna lieu au coup de main qu'on tenta sur cet ouvrage pour terminer d'autant plus promptement le siége; les canons du fort de l'Eau et de celui de la Potence ayant été démontés dès le 15, on donna l'assaut à l'ouvrage le soir à minuit; on le tourna par la gorge, et mille grenadiers l'emportèrent, avec une perte si légère, qu'elle ne mérite pas d'être rapportée. Le commandant, décontenancé par une action aussi vigoureuse, battit la chamade; il se rendit prisonnier de guerre avec la garnison; le comte de Thierheim évacua la ville le 18, et sa troupe, forte de cinq mille hommes, fut répandue dans les différentes places de la Silésie et de la Marche électorale.
Ce siége si heureusement et si promptement terminé donnait au Roi la faculté d'exécuter de plus grands projets : son dessein était de pénétrer dans la Moravie et de prendre Olmütz, non pas pour conserver cette place, car on prévoyait dès lors la diversion que les Russes, qui s'étaient emparés de la Prusse, se préparaient à faire en Poméranie et dans les Marches de Brandebourg; mais afin d'amuser durant toute la campagne les Autrichiens dans cette partie éloignée des États du Roi, pour avoir le temps et l'aisance de s'opposer, en attendant, avec des forces considérables à l'armée russe. Pour exécuter ce projet, il fallait de nécessité en imposer au maréchal Daun, afin de gagner sur lui quelques marches et le temps de s'établir aux environs d'Olmütz avant son arrivée. Dans cette intention, l'armée du Roi se retira des montagnes dans les <193>plaines de Schweidnitz et de Reichenbach, sous prétexte d'y refaire les troupes des fatigues du siége, et d'attendre les recrues qui devaient la joindre. M. de Zieten avec un corps demeura dans les environs de Landeshut, d'où il tira un cordon jusqu'à Friedland, et M. de Fouqué entra dans le comté de Glatz, pour en garder tous les débouchés. Ces deux corps, qui masquaient les mouvements de l'armée derrière les montagnes, avaient encore l'utilité d'empêcher les Autrichiens de recevoir des nouvelles qui pussent les éclairer sur les desseins des Prussiens.
Pendant que ces dispositions donnaient le change à l'ennemi, l'armée du Roi marcha à Neisse, où elle se sépara en deux colonnes, dont une, où le Roi se trouvait en personne, prit le chemin de Troppau, et celle que conduisait le maréchal Keith, celui de Jägerndorf. Ces deux colonnes débouchèrent le 3 de mai dans les plaines d'Olmütz, l'une par Gibau, et l'autre par Sternberg; M. de Fouqué les suivit aussitôt qu'il remarqua que l'ennemi, ayant pris l'alarme, quittait les environs de Königingrätz pour se porter sur Hohenmauth. M. de Fouqué prit le chemin de Neisse, d'où il convoya nos munitions de guerre et de bouche pour le siége jusqu'à Olmütz. C'était le 12, et le même jour l'armée d'observation passa la Morawa à Littau, d'où le Roi s'avança jusqu'à Olschan : M. de Ville y campait avec sept régiments de cavalerie; il fut attaqué par le prince de Würtemberg, et poussé au delà de Prossnitz vers Wischau. Ce prince campa son corps à Prossnitz, et il y demeura pour observer l'ennemi du côté de Wischau et de Brünn, ayant sous lui quatre régiments de dragons, un de hussards et quatre bataillons.
Le maréchal Keith, ayant fait l'investissement d'Olmütz, ouvrit la tranchée le 27 de mai; il plaça de l'autre côté de la Morawa les dix escadrons de Baireuth, cinq cents hussards et quelques bataillons francs, qui se campèrent proche d'un village nommé Dolein. Pour que le maréchal Keith et l'armée du siége fussent plus en sûreté, on jugea à propos d'éloigner davantage M. de Ville; il pensa être surpris dans son camp, et ne crut trouver de sûreté qu'en se retirant proche des ouvrages de Brünn. L'armée d'observation occupa en même temps toutes les positions qu'on avait eu le temps de lui choisir; en conséquence de quoi le margrave <194>Charles prit le camp de Neustadt, le prince Maurice, celui de Littau, M. de Wedell, celui de Namiescht, et le Roi, ce côté des hauteurs qui règnent, entre Prossnitz et Olschan depuis Namiescht jusqu'à Studenetz.
M. de Puttkammer220-a arriva le 10 de juin à l'armée, sans être inquiété dans sa route, avec le convoi qu'il conduisait. M. de Zieten, qui fut attaqué à Grüssau par l'ennemi, le repoussa, et remarquant que toutes les forces des Autrichiens se tiraient vers la Moravie, il quitta les montagnes, et joignit, environ en même temps que M. de Puttkammer, l'armée du Roi.
Cependant les munitions de guerre et de bouche n'étaient pas suffisantes pour le siége; on fit préparer un nouveau convoi en Silésie, tant pour pousser les attaques que pour renforcer l'armée. Il y a apparence que ce siége aurait mieux réussi, si l'on n'avait pas ouvert les tranchées de trop loin, et qu'on n'eût pas été obligé d'abandonner les premières batteries, parce qu'elles tiraient sans effet, ce qui consuma beaucoup de munitions inutilement. Sur ces entrefaites, l'avant-garde du maréchal Daun, aux ordres de M. de Harsch, entra en Moravie, et se campa vis-à-vis du prince Maurice sur les coteaux d'Allerheiligen, non loin de Littau. M. de Harsch tenta, mais sans succès, de surprendre cette ville. Le maréchal Daun, qui le suivait, s'était porté sur Gewitsch, d'où il détacha un corps de six mille hommes, qui s'établit à Prérau. Cette position obligea le maréchal Keith à placer ses dragons à Wisternitz, et ses compagnies franches à Bistrowan et à Koschuschan.
Les vues du maréchal Daun allaient à jeter du secours dans la ville assiégée, sans se commettre à une action, dont la perte aurait entraîné la réduction d'Olmütz. Il fit attaquer de nuit le village de Koschuschan, défendu par un bataillon franc, et l'obligea de lui céder le terrain; les dragons de Baireuth, qui avaient passé la nuit au bivouac, par une négligence du colonel Meier,221-a qui les commandait, n'attendirent pas pour desseller le retour des <195>partis qu'ils avaient envoyés à la découverte; l'ennemi arriva en poussant leurs patrouilles avec impétuosité; il fondit sur leurs tentes, ne leur donnant pas le temps d'en sortir. Le régiment perdit trois cents hommes, et aurait été totalement ruiné, si le bataillon de Nimschöffsky ne fût arrivé à temps pour forcer l'ennemi à précipiter sa retraite. Ce succès des Autrichiens leur fit prendre goût aux expéditions nocturnes : ils attaquèrent trois fois le régiment de Zieten à Kosteletz, et furent toutes les trois fois repoussés avec une perte assez considérable. Les bataillons francs de Le Noble et de Rapin ne furent pas aussi heureux; le margrave Charles les avait envoyés à Sternberg, d'où ils devaient se rendre à Bährn pour couvrir un convoi qui arriva le 10; ils furent assez maltraités par les pandours, et perdirent cinq cents hommes dans cette action.
Mais revenons à des objets plus considérables : la position de l'armée autrichienne, surtout le corps qu'elle avait détaché à Prérau, exigeait que la ville d'Olmütz fût mieux enfermée au delà de la Morawa; il semblait que le corps du margrave à Neustadt n'y fût pas essentiellement nécessaire, et comme on n'avait aucunes troupes de trop, le margrave y marcha avec son corps, et se posta de la sorte que sa gauche tenait au pont que nous avions à Chomottau sur la Morawa, et sa droite, à notre pont de Holitz. Cependant, tandis que les Prussiens changeaient leur position, M. de Bülow, colonel autrichien, avait trouvé le moyen de se glisser dans la ville, et d'amener à M. de Marschall, qui en était gouverneur, un secours de douze cents hommes.
Le maréchal Daun vint, peu de jours après, déboucher dans la plaine, et se campa à Prödlitz, entre Prossnitz et Wischau; il y fut informé que les Prussiens attendaient un grand convoi, dont dépendait la réussite du siége, parce que les munitions commençaient à manquer. Ce convoi était couvert par huit bataillons et quatre mille convalescents, tant de la cavalerie que de l'infanterie, qu'on avait enrégimentés pour s'en servir durant cette marche. Le tout partit le 25 de juin de Troppau. Le maréchal Daun tourna ses vues sur ce convoi; il envoya M. de Janus à Bährn, et M. de Loudon à Liebau, pour l'intercepter. Sur cela, le Roi détacha M. de Zieten avec vingt escadrons et trois bataillons; il <196>rencontra ce convoi près de Gibau. Le général Loudon l'attaqua le lendemain; après un combat de cinq heures, il fut obligé de se replier. Le transport avançait très-lentement à cause des chemins rompus, et le maréchal Daun profita de ce temps pour renforcer MM. Janus et Loudon de huit mille hommes. Le 30, le convoi fut attaqué de nouveau entre Bautsch et Domstättl; à peine mille hommes de cavalerie, quatre bataillons et quatre cents chariots eurent-ils ouvert la marche et passé le défilé de Domstättl, que l'ennemi se porta avec toutes ses forces de Bährn et de Liebau sur ce convoi, de sorte que ces deux colonnes de l'ennemi, venant à se joindre, coupèrent l'avant-garde, qui venait de passer le défilé, du reste du corps qui suivait. M. de Zieten, qui était avec le gros du convoi, fit charger vigoureusement une des ailes de l'ennemi; mais le nombre était trop disproportionné pour qu'il pût réussir, de sorte qu'après avoir vaillamment combattu, il fut contraint de se retirer avec la plus grande partie de son monde sur Troppau; il y perdit le général Puttkammer222-a et huit cents hommes, sans compter tout le convoi et le trésor de l'armée, qui tomba entre les mains de l'ennemi. Ce malheur fut cause de la levée du siége. Si ce convoi eût pu arriver, la ville était prise en moins de quinze jours, parce que l'on avait achevé la troisième parallèle, et que l'on commençait d'en déboucher avec les sapes. Mais quelque apparentes que fussent ces espérances, il fallut y renoncer pour sauver l'armée, qui en prolongeant son séjour en Moravie aurait manqué de subsistances.
Il y avait deux chemins pour le retour : l'un qui mène en Haute-Silésie, par lequel l'armée était venue, et l'autre qui traverse la Bohême, et mène ou dans le comté de Glatz, ou, par Braunau, en Silésie. L'ennemi s'était préparé à rendre la première route difficile. Loudon, Janus et Saint-Ignon y étaient demeurés depuis l'affaire des convois; le maréchal Daun s'était porté même avec son armée à Tobitschau, de sorte qu'on pouvait s'attendre, en prenant ce chemin, d'avoir deux corps ennemis sur les flancs, et sans cesse le maréchal Daun derrière l'arrière-garde, pour la harceler. Enfin cette marche n'aurait été qu'une <197>bataille perpétuelle, dans laquelle l'armée aurait perdu l'artillerie du siége, ses équipages, ses blessés; et peut-être même y aurait-elle rencontré sa perte entière au passage de la Morawa, que l'ennemi pouvait lui rendre funeste. Ces considérations déterminèrent promptement le Roi à se tourner vers la Bohême, parce que l'ennemi n'étant pas préparé de ce côté-là, on pouvait gagner deux marches sur lui, ce qui était un article important pour l'artillerie et le bagage dont l'armée était chargée.
La nuit du 1er au 2 de juillet, le Roi quitta son camp, et partit avec toutes ses troupes partagées en deux colonnes. Le prince Maurice fit l'avant-garde de celle où se trouvait le Roi, qui passa par Konitz, Tribau, Zwittau, et vint à Leutomischl, où elle s'empara d'un dépôt des ennemis; la seconde, sous la conduite du maréchal Keith, en se retirant de ses tranchées n'abandonna que quatre mortiers et un canon, intransportables parce que les affûts en étaient cassés; elle prit le chemin de Littau, Müglitz et Tribau. Toute cette marche jusque-là se passa sans être inquiétée par l'ennemi, à cause que le maréchal Daun, ayant fait toutes ses dispositions pour les chemins de la Haute-Silésie, ne put pas retirer assez promptement ses troupes pour agir en force du côté de la Bohême; néanmoins M. de Lacy, qui campait à Gibau, voulut entreprendre sur l'arrière-garde. Elle était obligée de passer le défilé de Krenau pour marcher à Zwittau; Lacy se saisit de ce village avec ses grenadiers; mais il en fut promptement délogé par M. de Wied, et les troupes continuèrent leur chemin sans être inquiétées.
Le maréchal Keith avait partagé sa colonne en trois corps, dont celui de M. de Retzow, ayant traversé Hohenmauth, et s'approchant des collines de Holitz, trouva ces hauteurs occupées par l'ennemi; il se saisit d'une chapelle qui est sur une hauteur vis-à-vis de celle que l'ennemi tenait; on commença par se canonner réciproquement. M. de Retzow continuait à faire filer son convoi et son escorte en même temps. Le général de Saint-Ignon, qui commandait les ennemis, crut ce moment propre pour attaquer les Prussiens; il fondit avec onze cents chevaux sur le régiment de Bredow cuirassiers, qu'il replia; en même temps arriva un lieutenant avec cinquante hussards, que le Roi avait chargé de <198>dépêches pour le maréchal Keith; ce brave officier, nommé Kordshagen,224-a donna avec son peu de monde si à propos sur le flanc de M. de Saint-Ignon, qu'il ramena cette troupe; en même temps, la cavalerie prussienne accourut, et rechassa les Autrichiens avec perte de six officiers et de trois cents hommes. Le maréchal Keith arriva avec sa colonne précisément lorsque l'ennemi était en déroute; il fit prendre à revers l'infanterie ennemie, qui se maintenait encore sur les hauteurs; ce qui précipita sa fuite par des forêts épaisses qui protégeaient sa retraite.
Pendant que le maréchal Keith était occupé avec les ennemis et ses convois, le Roi, ayant pris les devants, était arrivé dès le 11 près de Königingrätz. M. de Buccow couvrait cette ville avec environ sept mille hommes, qu'il avait campés derrière l'Elbe, et dans des retranchements qui entouraient les faubourgs. Dès que les troupes furent arrivées, on plaça quelques bataillons vers Lhota-sur-l'Adler, et l'on y construisit une batterie, pour prendre à revers M. de Buccow dans ses retranchements; en même temps, un autre corps passa l'Adler plus haut : il fut destiné pour attaquer le lendemain, dès la pointe du jour, ce retranchement. On voulait en même temps faire passer l'Elbe à un gros corps de cavalerie, pour couper toute retraite aux Autrichiens; mais les ponts ne purent être achevés que le 13 au matin. M. de Buccow ne donna pas à cet ouvrage le temps d'être achevé : il évacua la nuit même ses retranchements et la ville, et se retira vers Chlumetz. Le même jour, le Roi, étant averti que M. de Retzow était attaqué à Holitz, y marcha avec un corps de cavalerie; mais l'affaire était déjà décidée, et le maréchal Keith conduisit heureusement jusqu'à Königingrätz toute l'artillerie du siége d'Olmütz, quinze cents blessés et malades, outre toutes les munitions de guerre et de bouche qui appartenaient à l'armée du Roi. Dès que toutes les troupes furent rassemblées, elles se campèrent au confluent de l'Adler et de l'Elbe, ayant devant leur front la ville de Königingrätz, occupée par six bataillons.
<199>Les premières attentions du Roi furent de se débarrasser du gros bagage qu'on avait traîné d'Olmütz à Königingrätz. Pour cet effet, M. de Fouqué fut commandé avec seize bataillons et autant d'escadrons, pour convoyer à Glatz l'artillerie, les blessés, et les chariots superflus. L'ennemi avait déjà quelque dessein de harceler les Prussiens dans ces passages, car le même jour, M. de Loudon s'était fourré avec quatre mille hommes dans le bois d'Opotschna. Comme on en était instruit, et que le Roi voulait assurer la marche de M. de Fouqué sur Neustadt, il prit quelques troupes avec lui, et marcha droit sur M. Loudon; l'Autrichien pensa être surpris; mais comme le bois favorisait sa retraite, on ne put lui enlever que cent Croates. Loudon se retira vers Holitz, et le Roi tint le poste d'Opotschna jusqu'à ce que M. de Fouqué eût paisiblement conduit à Glatz son convoi. D'abord après son arrivée, il détacha M. de Schenckendorff l'aîné226-a à Reinerz, M. de Goltz226-a au Hummelberg, et lui-même il occupa le camp de Nachod, pour couvrir le dos de l'armée.
La promptitude de la marche avait donné assez d'avance pour prendre tous ces arrangements avant que le maréchal Daun pût s'approcher de l'armée prussienne; il arriva le 22, et prit son camp sur les hauteurs de Chlum et de Libschan au delà de l'Elbe, en même temps que le Roi revint d'Opotschna rejoindre le gros de ses troupes. S'il ne se fût agi que des Autrichiens, on aurait poussé la campagne à sa fin sans quitter la Bohême, que pour prendre des quartiers d'hiver; mais la diversion dont les Russes menaçaient la Poméranie et la Nouvelle-Marche, obligeait le Roi de ramener ses troupes en Silésie, pour pouvoir de là porter des secours aux endroits qui en auraient le plus besoin. On fit entrer dans ce projet toutes les mesures qui pouvaient assurer les frontières de la Silésie; en conséquence de quoi on s'appliqua à en<200>lever tous les fourrages et les provisions du cercle de Königingrätz, pour empêcher le maréchal Daun, faute de magasins, d'agir dans cette partie contre la Silésie. Cela lui devint en effet impossible, parce qu'il avait été obligé, au commencement de la campagne, de diriger toutes ses subsistances du côté de Brünn; qu'ensuite l'armée prussienne lui avait enlevé dans sa marche tous les dépôts qu'il avait en Bohême, et qu'enfin on avait consumé les fourrages du cercle de Kônigingratz.
On quitta donc, la nuit du 25, le camp de Königingrätz. Les pandours attaquèrent les faubourgs de la ville dans le temps qu'on voulait l'évacuer; le général Saldern227-a et le colonel Blanckensee227-a y furent tués; on y perdit soixante-dix hommes. L'armée du Roi se replia par Kralowa-Lhota sur Rohenicz; MM. Loudon, Saint-Ignon et Lacy suivirent l'arrière-garde avec environ quinze mille hommes, et quoiqu'ils essayassent de l'entamer, ils ne purent point y réussir, et furent vigoureusement repoussés par les hussards de Puttkammer. Pour faire passer à l'ennemi l'envie de harceler les arrière-gardes, on prépara le lendemain une embuscade : ce fut au passage de la Mettau; on occupa avec dix bataillons et vingt escadrons un bois qui se trouve sur ce chemin, et qui tire de Jaromircz à la Mettau; après quoi l'armée se mit en marche, et ne présenta à l'ennemi qu'une faible arrière-garde de hussards; M. de Loudon, qui s'échauffait facilement, voulut donner dessus; alors la cavalerie, en sortant de l'embuscade, le prit à dos, à revers, dans tous les sens; il fut fort maltraité et y perdit trois cents hommes; après cette petite action, l'armée du Roi poursuivit paisiblement sa marche, et se campa entre Bohuslawitz et Jessenitz, et l'on détacha M. de Retzow pour couvrir la droite de l'armée à son passage des montagnes. M. de Retzow délogea M. Janus de Studnitz, et le Roi occupa le camp de Skalitz. Dans l'emplacement où l'armée était campée, il se trouvait une hauteur sur la droite, dont il fallait nécessairement être en <201>possession; le Roi y plaça les volontaires de Le Noble, comme un appât qu'il présentait à l'ennemi, et six bataillons, campés dans une espèce de ravin, avaient ordre de soutenir ce poste en cas d'attaque. Ce qu'on avait prévu arriva : M. Loudon vint de nuit pour surprendre Le Noble; il fut reçu d'une façon différente qu'il s'y attendait; on le mit en fuite, et, sans compter les morts et les blessés, il y perdit six officiers et soixante-dix hommes.
Le maréchal Daun avait, dans ce temps, fait longer à son armée le cours de l'Elbe, de sorte qu'elle s'étendait depuis Königingrätz jusqu'à Jaromircz, vers Königinhof. Le Roi se campa le lendemain à Wisoka, et M. de Retzow, à Starkstadt. La marche se poursuivit de Wisoka à Politz et Wernersdorf, sans qu'on fût suivi par les ennemis. Le 8, toutes les troupes reprirent le camp de Grüssau et de Landeshut.
La diversion à laquelle on s'était attendu de la part des Russes, se fit pendant ce retour de Bohême. M. Fermor s'était avancé, en plusieurs corps, de la Prusse sur les frontières de la Poméranie et de la Nouvelle-Marche; M. de Platen228-a avait observé les ennemis de Stolp, où il avait été tout l'hiver en détachement. Sur ces avis, le comte de Dohna228-b avait reçu l'ordre, dès le mois de juin, de lever le blocus de Stralsund pour s'approcher de l'Oder, afin de s'opposer aux Russes, de quelque côté qu'ils voulussent pénétrer dans les États du Roi. M. de Fermor s'était avancé de Posen à Königswalde, Méseritz et Kloster-Paradies, où il campait en trois corps. Le comte de Dohna détacha M. de Canitz à Reppen, pour observer l'ennemi, d'où M. de Malachowski228-c fit une course jusqu'à Sternberg, et en délogea les Russes. Le comte de Dohna, qui n'était pas assez en force pour s'éparpiller par des détache<202>ments, attira à lui M. de Platen, et se borna à disputer aux ennemis le passage de l'Oder; il se campa pour cet effet à Francfort.
La partie, cependant, n'était pas égale; comme le moindre échec qu'aurait souffert le corps du comte de Dohna devenait préjudiciable à l'État, et pouvait entraîner après soi la ruine totale de la Marche électorale, le Roi prit le parti de s'y rendre en personne avec un renfort assez considérable pour donner aux troupes prussiennes une espèce d'égalité avec celles des ennemis; ce renfort consistait en seize bataillons et vingt-huit escadrons. La plus grande partie de l'armée, aux ordres du maréchal Keith et du margrave Charles, demeura dans le camp de Landeshut, pour garder les frontières de la Silésie. Le Roi dirigea sa marche, par Rohnstock, Liegnitz, Heinzendorf, Dalkau, Wartenberg, Schertendorf, Crossen, Ziebingen, à Francfort, où il apprit que M. de Fermor, s'étant avancé par Landsberg à Cammin et à Tamsel, avait fait bombarder la ville de Cüstrin, qui avait été mise en cendres après avoir rejeté toutes les propositions de capitulation que le général Stoffel avait faites à M. de Schach, qui en était commandant. Ces entreprises de l'ennemi avaient engagé le comte de Dohna d'approcher son corps de cette forteresse pour la mieux soutenir. Ce fut dans ce camp près de Gorgast, le 22 août, que le Roi joignit le comte de Dohna.
Les Russes avaient établi leurs parallèles précisément au débouché de la chaussée qui conduit de Cüstrin à Tamsel, et leurs batteries étaient construites de manière que l'armée n'aurait pu déboucher de la place sans s'exposer à faire des pertes considérables, mais inutiles. Le Roi résolut cependant d'attaquer l'ennemi; il fallait se battre, afin de se débarrasser pour un temps d'une armée, et gagner celui de pouvoir se tourner d'un autre côté. Le Roi pouvait donc employer trois semaines dans cette expédition; mais comment la terminer si vite sans en venir aux mains? Le maréchal Daun, qu'on avait quitté à Jaromircz, pouvait dans cet intervalle se tourner ou vers la Silésie ou vers la Saxe, et il fallait pouvoir s'y rendre dans les différents cas, selon que le besoin le demanderait. Pour exécuter ce projet, le Roi jugea qu'il fallait en imposer à l'ennemi par de fausses démonstrations : on fit des batteries vis-à-vis de Dréwitz, et l'on occupa les digues de l'Oder, <203>comme si effectivement on avait dessein de passer cette rivière dans ces environs; en même temps, le Roi renforça la garnison de Cüstrin de quatre bataillons. Il avait envoyé M. de Canitz230-a à Wrietzen, pour amasser tous les bateaux qui se trouvaient dans cette partie sur l'Oder. Tandis que l'armée marchait, la nuit du 23,230-b en remontant la rivière jusqu'à Güstebiese, où elle fut jointe par M. de Canitz, qui amena suffisamment de bateaux pour la construction du pont, on se donna tant de soins pour l'achever, que toute l'armée l'eut passé à midi; elle continua sa marche jusqu'au village de Clossow, où elle se campa, et par cette position, elle coupa déjà le corps de M. de Fermor de celui de M. Romanzoff, qui était du côté de Schwedt, où il avait dessein de passer l'Oder.
Le 24, l'armée se campa à Dermietzel vis-à-vis de M. de Fermor, qui, sur les mouvements des Prussiens, avait levé le siége de Cüstrin, et s'était fait joindre par la division de M. Czernichew, avec laquelle et le gros de ses troupes il prit une position entre les villages de Quartschen et de Zicher, ayant un ruisseau marécageux devant son front; ces troupes campaient en carré, selon l'usage que le maréchal Münnich avait suivi en faisant la guerre aux Turcs dans la Petite-Tartarie. Le même jour que l'armée prussienne arriva, le Roi s'empara du moulin de Damm et du pont qui passe le ruisseau; son avant-garde prit possession de la forêt de Massin, par laquelle il fallait passer pour tourner le camp des ennemis.
Le lendemain, l'armée déboucha sur quatre colonnes dans la plaine, près du village de Batzlow; les ennemis avaient laissé entre ce village et Cammin le gros de leur bagage sous peu d'escorte; si l'on avait été moins pressé de s'expédier, on aurait pu le leur enlever sans peine, et les obliger par quelques marches à quitter le pays; mais il fallait en venir à une décision, dont on devait tout attendre, vu la disposition bizarre que l'ennemi avait donnée à sa bataille. La marche de l'armée se continua donc sur Zorndorf, où nous nous proposions d'attaquer la face opposée du <204>carré vis-à-vis de laquelle nous avions été à Dermietzel. Les Cosaques mirent le feu à Zorndorf, ce qui embarrassa un peu, parce que la grosse artillerie devait passer ce village pour former des batteries vis-à-vis de l'ennemi. La gauche, qui devait faire la première attaque, s'appuyait à un fond qui tire vers Wilkersdorf. M. de Manteuffel commandait la première attaque, consistant en dix bataillons; il était soutenu par la gauche de la première ligne, commandée par M. de Canitz, et par la seconde ligne de l'armée. On se servit de quelques ravins, à l'abri desquels on couvrit la cavalerie de la gauche contre l'artillerie de l'ennemi, et où toutefois elle était à portée d'agir dès que cela serait trouvé nécessaire. Les ordres du Roi portaient que la première attaque devait, en avançant constamment, s'appuyer à ce ravin, qui la conduisait directement sur la droite des Russes; mais, par des contre-temps et des mésentendus, il arriva qu'elle s'en écarta en approchant de l'ennemi, de façon que M. de Canitz, qui devait être derrière M. de Manteuffel, se trouva à sa droite. L'attaque fut repoussée, et l'infanterie revint en assez grande confusion; mais comme l'ennemi y était aussi, le Roi fit ordonner à M. de Seydlitz de le charger incontinent; il forma trois colonnes, qui percèrent en même temps le carré, et en moins d'un quart d'heure, tout le champ de bataille fut déblayé d'ennemis; ce qui se sauva de l'armée russe passa ce fond qu'elle avait à sa droite, et commença à se reformer vers Quartschen. Le Roi prit alors l'infanterie de sa droite, avec laquelle il fit un quart de conversion, et la forma vis-à-vis de ce fond. On voulut le faire passer aux <205>troupes à différentes reprises; mais elles revenaient après un court espace, sans que du commencement on en comprît la raison. La caisse de guerre des Russes et tout l'équipage de leurs généraux étaient dans ce fond; les troupes, au lieu de le passer, comme elles le pouvaient, s'amusaient à piller, et revenaient dès qu'elles étaient bien chargées de butin. La cavalerie ne pouvait pas agir dans cette partie, à cause des marais dont ce fond était rempli; cela réduisit les Prussiens à canonner l'ennemi, ce qu'ils continuèrent jusqu'à nuit close. La bataille avait commencé à neuf heures du matin, et ne finit qu'à huit heures et demie du soir. Les Russes se retirèrent dans le bois de Tamsel, où toutes leurs troupes se mirent en pelotons, la cavalerie au centre, entourée de l'infanterie. Les Russes ont perdu à cette action cent trois canons, vingt-sept drapeaux et étendards, quatre-vingt-deux officiers, parmi lesquels cinq généraux, environ deux mille prisonniers, et pour le moins quinze mille hommes qu'ils ont laissés sur la place, parce que la cavalerie ne leur fit point quartier. L'armée du Roi y perdit deux généraux, MM. de Froideville,232-a et Zieten232-a des cuirassiers, soixante officiers morts ou blessés, et environ douze cents hommes, avec vingt pièces de canon.
Le lendemain 26, l'armée du Roi prit une position très-proche de l'armée russe : on n'était qu'à douze cents pas les uns des autres. Si l'on avait eu suffisamment de munitions, on les aurait attaqués; on fut obligé de se contenter d'une canonnade, qui ne fut pas même aussi vive qu'on l'aurait désiré, à cause qu'il fallait ménager la poudre. Il n'y eut point de tentes de tendues de part et d'autre. Les dragons russes essayèrent d'attaquer l'infanterie prussienne; ils furent vivement repoussés par le régiment de Kreytzen. Pendant l'action de la veille et cette journée, c'était un spectacle affreux que de voir tous les villages voisins, auxquels les Cosaques avaient mis le feu, ce qui rassemblait dans ces environs toutes les calamités dont l'humanité peut être affligée. Cependant les canons prussiens tiraient avec succès, parce qu'il était presque impossible aux artilleurs de manquer la grosse masse en laquelle l'ennemi s'était mis; au lieu que les leurs tiraient sans le moindre effet. On reçut sur le soir quelque peu de munitions, dont les batteries firent un si bon usage, que la place devenant dès lors insoutenable pour les Russes, ils la quittèrent la nuit même, et allèrent se camper à Cammin. Le Roi les suivit; on fit encore quelques centaines de prisonniers sur leur arrière-garde, <206>et l'on se campa devant Tamsel, proche des ennemis. La perte de cette bataille obligea M. de Romanzoff d'abandonner en hâte les environs de l'Oder et de Stargard, pour accélérer sa jonction avec M. de Fermor, qui bientôt se retira à Vietz, puis à Landsberg, où il rassembla toutes ses troupes. Le Roi le poursuivit jusqu'à Blumberg.
Pendant que l'armée prussienne était occupée contre les Russes, M. Loudon avait traversé la Lusace dans l'intention de les joindre, et il l'aurait fait, s'il n'avait trouvé le prince François de Brunswic dans son chemin; le Roi l'avait détaché à Beeskow du camp de Tamsel. Ce prince, après lui avoir enlevé différents partis, obligea l'ennemi à se replier sur Lübben. Des raisons plus fortes que celle-là empêchèrent le Roi de pousser plus loin les avantages qu'il avait eus contre les Russes; il fallait accourir en Saxe au secours de S. A. R. le prince Henri. M. de Dohna, en conséquence de ce nouvel arrangement, resta vis-à-vis des Russes, et le Roi partit, pour se joindre au prince son frère, avec le même corps qu'il avait amené dans l'Électorat. L'éclaircissement des faits demande que nous rapportions succinctement ce qui s'était passé jusqu'alors en Saxe.
Dès le mois de juillet,234-a S. A. R. avait occupé le camp de Tschopa, pour s'opposer aux troupes des cercles, commandées par le prince de Deux-Ponts, auquel était joint un corps d'Autrichiens aux ordres de M. de Hadik. S. A. R. fit chasser un détachement des ennemis qui occupait le Basberg, et comme le gros corps des cercles ne s'était pas encore avancé, on se borna à la petite guerre, dans laquelle les Prussiens eurent l'avantage, faisant en différentes rencontres des prisonniers sur les ennemis, du nombre desquels M. de Mittrowsky, général des Autrichiens, fut le plus considérable. S. A. R., ayant des nouvelles de l'approche d'un corps d'ennemis, commandé par M. Dombasle, qui s'avançait sur Zwickau, détacha M. de Finck pour le déloger de la Saxe; ce qui réussit si bien, qu'on le replia sur Reichenbach. Bientôt après, la présence du prince devenant nécessaire aux environs de Dresde, à cause que le prince de Deux-Ponts prenait, par la Bohême, le chemin de Teplitz, l'armée marcha par Chem<207>nitz, et s'établit à Dippoldiswalda, tenant M. de Hülsen avec un détachement à Freyberg, et M. de Knobloch à Maxen. Pendant ce temps, un autre corps des cercles s'étant posté à Waldkirchen, il fut attaqué et battu par M. de Kleist.234-b Mais comme M. de Hadik s'avançait vers Cotta, S. A. R. changea sa position; elle prit le camp de Sedlitz, proche de Pirna, et garnit devant elle les villages de Zehista et de Zuschendorf; de là l'armée prit le camp de Gamig, qui lui était plus convenable. Bientôt le prince de Deux-Ponts parut; il occupa les hauteurs de Struppen, tenant à sa gauche M. de Hadik, qui s'étendait de Rottendorf234-c à Cotta. Il résolut de prendre le Sonnenstein, qui incommodait sa position; il y fit avancer quelques mortiers, et M. de Grape, qui y commandait, se rendit mal à propos, et fut fait prisonnier de guerre.
En même temps, le maréchal Daun s'était avancé en Lusace; il avait laissé un détachement de vingt mille hommes aux ordres de MM. de Harsch et de Ville, qui campaient entre Jägerndorf et Troppau. L'intention du maréchal était de se servir de ce corps pour faire le siége de Neisse, dès que l'éloignement de l'armée prussienne pourrait permettre de tenter cette entreprise; il avait espéré que l'invasion des Russes attirerait vers eux toutes les forces du Roi, et comme ses espérances se trouvèrent frustrées de ce côté-là, il s'avança en Lusace, pour y attirer les Prussiens, et donner à M. de Harsch le temps d'achever son siége. Il s'était d'abord avancé jusqu'à Königsbrück, où il apprit la défaite des Russes; sur quoi, abandonnant les desseins qu'il pouvait avoir sur Meissen ou sur Torgau, il se replia sur Stolpen. Bientôt il borda l'Elbe de différents détachements, dans l'intention de passer ce fleuve à Pillnitz, et de prendre à dos la position des Prussiens à Gamig, pendant que le prince de Deux-Ponts et M. de Hadik les entameraient de front. Le prince Henri, qui était informé de ces projets, en donna avis au Roi, ce qui occasionna sa marche rapide pour se joindre au prince son frère. D'abord le maréchal de Keith et le prince Charles eurent ordre de quitter la Silésie pour se joindre en Lusace aux troupes du Roi. M. de Fouqué de<208>meura à Landeshut, et on lui commit la garde des débouchés de la Bohême.
Le corps du Roi partit le 2 de Blumberg, et, passant par Mantschnow, Müllrose, Trebatsch, Lübben, Dobrilugk, Elsterwerda, arriva le 9 à Döbritz,235-a près de Grossenhayn, où le maréchal Keith et le margrave le joignirent. Ce corps avait passé par Hartmannsdorf, Pribus, Muskau, Spremberg, Senftenberg. MM. de Werner et de Möhring235-b avaient battu chemin faisant, l'un à Pribus et l'autre à Spremberg, deux détachements autrichiens, et leur avaient fait au delà de cinq cents prisonniers. L'armée se campa le 12 entre Boxdorf et Reichenberg, d'où le Roi s'aboucha avec le prince son frère, pour prendre ensemble les mesures convenables aux circonstances présentes. Le même soir, l'armée se mit en marche; il s'agissait d'occuper les hauteurs de Weissig avant l'ennemi. Les Autrichiens avaient au Cerf blanc un poste qu'il fallait déloger : le Roi y marcha tout droit, et M. de Wedell, par un chemin qui vient de Radeberg, et qui tourne cette position; les Autrichiens furent forcés de se retirer, et dès que les têtes de l'armée eurent gagné les hauteurs de Weissig, elles donnèrent sur des hussards et des dragons qui y étaient marchés dans l'intention de protéger le campement du maréchal Daun; celui-ci s'y était avancé pour y tracer la position des troupes. Tous ces corps furent repliés, et l'armée du Roi prit le camp de Schönfeld, vis-à-vis du camp du maréchal Daun, qui s'étendait de Lohmen par Stolpen vers Bischofswerda. On assura aussitôt la communication des deux armées prussiennes par des ponts sur l'Elbe. L'armée du Roi était arrivée à propos, car M. de Lacy était commandé avec tous les grenadiers autrichiens pour construire le pont de Pillnitz, et il faut avouer que le maréchal Daun aurait eu tout le temps d'exécuter ce dessein avant l'arrivée du Roi, s'il avait été dans son caractère d'agir avec plus de vivacité et de promptitude.
Le même jour que l'armée prit la position de Schönfeld, le <209>général de Retzow fut envoyé avec un détachement pour déloger M. Loudon de Radeberg; l'Autrichien se retira sur Arnsdorf et Fischbach. On résolut de l'entamer de nouveau dans ce poste; pour cet effet, le prince François236-a marcha avec quelques bataillons afin de se présenter sur son front; M. de Retzow le tourna par sa droite, et le Roi, par la gauche. Il est apparent que ce corps aurait été ruiné, si tous les ressorts eussent bien joué ensemble; mais il arrive d'ordinaire que de semblables projets ne réussissent qu'en partie : Loudon perdit cependant au delà de cinq cents hommes dans cette affaire; il se sauva par le bois, et occupa les monticules de Hartha, où il campa sous la protection du canon du maréchal Daun.
Quoique les Prussiens eussent de petits avantages, rien n'était néanmoins décidé pour les grandes choses. Un objet principal, dans les circonstances où se trouvaient les armées, c'était d'éloigner l'armée impériale des bords de l'Elbe. Il était difficile d'y réussir autrement qu'en lui donnant des jalousies sur les convois qu'elle tirait de Zittau, afin d'obliger le maréchal Daun à faire les mouvements qu'on désirait. Le Roi quitta son camp de Schönfeld, et se porta avec son armée sur Rammenau; par cette position, les Prussiens s'approchaient du flanc de l'ennemi, et pour lui causer plus d'inquiétude, M. de Retzow se rendit à Bautzen, et s'y établit avec son corps. Loudon occupait encore vis-à-vis de notre gauche, proche de Bischofswerda, une hauteur dont il fut résolu de se rendre maître. Pour cet effet, le prince de Würtemberg tourna les Autrichiens à dos, et le Roi se présenta sur leur front. M. Loudon n'attendit point que l'affaire s'engageât, mais il se replia en grande confusion au delà de Bischofswerda; nous occupâmes son camp et la ville. Le maréchal Daun craignit à son tour que la position des Prussiens ne lui portât préjudice; il avait renoncé dans ce moment aux projets qu'il avait formés sur l'armée du prince Henri; il fut obligé de se rapprocher de ses vivres, et se proposa en même temps de se choisir un terrain <210>assez avantageux, par lequel il pût couper les Prussiens de la Silésie, pour donner à M. de Harsch le temps d'assiéger et de prendre Neisse.
Ce fut enfin le 5 d'octobre que le maréchal abandonna les environs de l'Elbe, et que, passant par Kruste et Neukirch, il se campa, à Kittlitz, sur les hauteurs de Löbau jusqu'au Stromberg. Le prince de Durlach fut posté, avec sa réserve, de Reichenbach et Arnsdorf vers Döbschütz. Sur ce mouvement de l'ennemi, M. de Retzow fut envoyé occuper le Weissenberg. L'armée marcha à Bautzen, d'où M. de Wedell fut détaché, avec six bataillons et quelque cavalerie, pour s'opposer aux Suédois, qui s'étaient avancés jusqu'à Pasewalk. De Bautzen l'armée du Roi s'avança vers l'ennemi, et prit sa position entre Hochkirch et Kotitz, le quartier général à Rodewitz. L'armée se trouvait alors affaiblie par le départ du détachement de M. de Wedell, et par la grosse garnison qu'il fallait tenir dans Bautzen pour couvrir la boulangerie contre les entreprises de l'ennemi. Le projet du Roi était, en prenant le camp de Hochkirch, de cacher aux Autrichiens son véritable dessein, qui était de se joindre à M. de Retzow, posté à côté de notre flanc gauche, et de tomber conjointement sur le prince de Durlach du côté de Dobschütz, ce qui ne pouvait s'exécuter que la nuit du 14 au 15, à cause que l'approvisionnement des vivres pour l'armée ne pouvait pas être arrangé plus tôt. Cependant une partie du convoi nous joignit le 12. Le maréchal Keith, qui en était, fut attaqué en chemin par Loudon; l'ennemi fut repoussé avec perte de quatre-vingts hommes. Un prince de Lichtenstein, lieutenant-colonel au régiment de Löwenstein, fut du nombre des prisonniers. Après cette affaire, Loudon, ayant rassemblé ses troupes dispersées, s'établit avec elles dans un bois qui était à un gros quart de lieue d'Allemagne au delà de notre droite, vis-à-vis du village de Hochkirch; un fond marécageux séparait notre flanc droit de ces hauteurs.
La bataille dont nous allons parler incessamment, nous oblige d'entrer dans un détail plus circonstancié du terrain que les deux armées occupaient. Le village de Hochkirch, où s'appuyait la droite du Roi, est situé sur une éminence; un cimetière d'une maçonnerie épaisse, capable de contenir un bataillon, domine sur <211>toute la contrée; le village s'étend en long, et formait le flanc naturel de l'armée; il était garni de six bataillons; une batterie de quinze canons était construite à l'angle du front et du flanc; devant la ligne du front coule un ruisseau entre des bords de rochers; au pied de la hauteur de Hochkirch se trouvent un moulin et quelques cabanes, où l'on avait placé un bataillon franc pour défendre le passage, ce qui était d'autant plus sûr, qu'il se trouvait sous la protection de notre canon vers Rodewitz, où se trouvait le quartier général. Une partie du camp passait le ruisseau, à cause des hauteurs qu'il fallait nécessairement occuper, et de la communication avec le corps de M. de Retzow, qu'on assurait, et dont on abrégeait le chemin par cette position. La droite du maréchal Daun, comme nous l'avons dit, s'appuyait sur le Stromberg; son centre était sur des hauteurs inexpugnables; sa gauche tirait vers Jauernick et Sornsig. Il fit préparer en secret des chemins pour quatre colonnes, qui conduisaient au bois dont M. Loudon avait pris possession. Son projet était d'attaquer l'armée prussienne par quatre endroits à la fois, savoir : par le poste de Loudon, par le moulin qu'occupait le bataillon franc, par cette partie vers Kotitz qui se trouvait au delà du ruisseau, et la quatrième attaque devait se faire par le prince de Durlach sur le poste du Weissenberg, où commandait M. de Retzow.
Ce fut la nuit du 13 au 14 d'octobre que le maréchal Daun exécuta son dessein. L'attaque du moulin gardé par le bataillon franc fut la première; les ennemis l'emportèrent sans grande peine. En même temps, Loudon, ayant trouvé le moyen de se glisser avec ses pandours à dos de l'armée, mit le feu au village de Hochkirch, ce qui obligea les bataillons qui le gardaient à l'abandonner. L'ennemi se saisit, dans cette confusion, de la batterie qui était à la pointe du village; en même temps, le brave major Langen239-a se jeta avec un bataillon du margrave Charles dans le cimetière de Hochkirch. L'armée n'eut que le temps de prendre les armes, et non celui d'abattre les tentes. Le Roi entendit tirer le canon, et quoiqu'il ne fût averti de rien, il prit d'abord trois <212>brigades du centre, avec lesquelles il marcha à la droite; les ténèbres étaient si épaisses, qu'on ne voyait pas à un pas devant soi. On s'aperçut d'abord que l'ennemi était maître de notre grande batterie, parce que les boulets de canon volaient dans le camp, et qu'il aurait été impossible qu'ils eussent pu y parvenir des batteries de l'ennemi. Le village de Hochkirch en flammes fut le fanal qui éclaira nos dispositions. Le Roi prit par le derrière de son camp, pour tourner ce village; dans la marche, on donna sur un corps de grenadiers autrichiens, dont trois mille furent pris; mais dans la confusion du combat, n'ayant pas du monde de reste pour les garder, la plupart s'échappèrent. Notre infanterie tourna Hochkirch, et commençait à pousser les Autrichiens, lorsque quelques escadrons ennemis, qu'on ne pouvait pas distinguer dans l'obscurité, la ramenèrent; les gendarmes et le régiment de Vasold240-a firent une charge fort vive; tout ce qu'ils rencontrèrent, plia devant eux; mais ne pouvant pas se diriger dans l'obscurité, ils donnèrent sur de l'infanterie postée à ce bois que Loudon avait occupé dès la veille; tout le canon des Autrichiens y était, et l'infanterie, bien et avantageusement établie; ce canon tira à mitraille, ce qui força la cavalerie prussienne à se retirer auprès de son infanterie. D'un autre côté, le maréchal Keith et le prince Maurice d'Anhalt voulurent reprendre la batterie qui était perdue; ils se mirent à la tête de quelques bataillons, pour traverser le village de Hochkirch; le chemin qui passe le village est étroit; à peine sept hommes de front pouvaient-ils y tenir, et ils trouvèrent, en voulant déboucher de là, que les Autrichiens les débordaient si considérablement, qu'ils ne purent jamais se former pour mener leurs troupes à la charge; ils furent aussitôt contraints de se replier. Le maréchal Keith y fut tué, M. de Geist, mortellement blessé, et le prince Maurice, dangereusement.
Quoique à différentes reprises on tentât de passer le village, il n'y eut pas moyen de réussir; l'incendie était trop considérable, et la bataille fut perdue. Pour couvrir la retraite, le Roi envoya des ordres à M. de Retzow de le joindre incessamment. Ce général <213>avait repoussé le prince de Durlach à trois reprises. Ce prince ne pouvait venir à lui qu'en traversant un défilé; M. de Retzow y laissa défiler le nombre qu'il lui plut; après quoi il chargea l'ennemi et le culbuta, avec une perte considérable, dans le lieu d'où il avait débouché; cette manœuvre s'était répétée à trois reprises lorsqu'il fut obligé de rejoindre l'armée. Il arriva à propos à notre gauche. Le Roi avait été contraint de la dégarnir, pour porter des secours à sa droite; cependant il ne put pas arriver assez à temps pour empêcher que le bataillon de Kleist ne fût entouré par l'ennemi, et contraint de mettre les armes bas. La droite de l'armée se soutenait, quelque effort que fît l'ennemi pour dépasser le village de Hochkirch. La bataille avait commencé à quatre heures : à dix le cimetière fut emporté; le village et la batterie étaient déjà perdus; l'ennemi s'était trop bien établi pour qu'on pût le déloger; un gros corps de cavalerie venait à dos de l'armée; M. de Retzow avait abandonné le Weissenberg : dans ces circonstances, la position de l'armée n'était plus soutenable, et il ne restait d'autre parti à prendre que celui de la retraite. La cavalerie descendit la première des hauteurs dans la plaine, pour couvrir la marche de l'infanterie. La droite de l'infanterie prit alors le chemin de Doberschütz, où l'on marqua le camp, et le corps de M. de Retzow fit l'arrière-garde de l'armée. La cavalerie autrichienne attaqua la nôtre à différentes reprises; mais elle fut vigoureusement repoussée par M. de Seydlitz et par le prince de Würtemberg. Le camp que l'armée prit était bon, proche de Bautzen, entouré d'un double fossé marécageux, et sur des collines qui n'étaient dominées d'aucun côté. Le maréchal Daun retourna le même jour dans son ancien camp, et il ne parut pas qu'il eût gagné la victoire. Les Prussiens perdirent, comme nous en avons touché quelque chose, des personnes dignes par leur grand mérite d'être regrettées, le maréchal Keith, le prince François de Brunswic242-a et M. de Geist;242-a presque tous les généraux <214>eurent des contusions ou des blessures : le Roi, le margrave Charles, et tant d'autres qu'il serait trop long de nommer. Nous perdîmes trois mille hommes, la plupart d'infanterie, et il ne nous resta du nombre des prisonniers que nous avions faits sur l'ennemi, qu'un général, nommé Vitteleschi, et sept cents hommes.
Durant que tout ceci se passait en Lusace, MM. de Ville et de Harsch tenaient Neisse étroitement bloqué; on était informé qu'un train d'artillerie de cent canons et de quarante mortiers devait partir d'Olmütz pour se rendre en Silésie. En combinant avec ces préparatifs l'effet qu'une victoire gagnée produit sur l'esprit des Autrichiens, il était facile de prévoir que le siége de Neisse en serait la suite. Cette place était trop importante pour que le Roi n'employât pas tous les moyens imaginables pour la sauver; cependant on ne pouvait en faire lever le siége qu'en marchant en Silésie avec une armée. Le point de la difficulté était de ne point déranger les affaires d'un côté pour les redresser d'un autre. Enfin, sur la nouvelle que les Russes avaient abandonné Stargard, et dirigeaient leur marche par Reetz et Callies sur la Pologne, le Roi prit les mesures suivantes : il attira à lui le prince son frère avec dix bataillons et du canon pour remplacer celui que l'on avait perdu; le comte de Dohna reçut ordre de se rendre en Saxe, et de ne laisser en Poméranie qu'un corps sous M. de Platen, pour secourir Colberg, que M. de Palmbach assiégeait avec quinze mille Russes : le comte de Dohna fut instruit de diriger sa marche sur Torgau, pour pouvoir de là se tourner du côté qui aurait le plus besoin de sa présence; M. de Finck prit le commandement du reste du corps du prince Henri, qui tenait le camp de Gamig. Tandis que ces ordres partaient, le maréchal Daun s'avança, et vint se camper proche de l'armée du Roi. Un détachement couvrait son flanc à Buchwald; sa droite s'appuyait à Cannewitz, d'où la ligne prenait par Belgern, Wurschen, Drehsa, en forme de demi-cintre convexe, par Grubschütz et Strehla; sa réserve prit le poste de Hochkirch. Quelque formidable que fût l'aspect de ces troupes, les Prussiens en avaient <215>d'autant moins à craindre, qu'à peine les Autrichiens eurent-ils pris cette position, qu'ils se retranchèrent jusqu'aux dents.
Les deux points qui méritaient une attention sérieuse, étaient la conservation de Bautzen, où se trouvaient les vivres et la boulangerie de l'armée, et le moulin de Malschwitz, qui est sur une hauteur, dont il ne fallait pas souffrir que l'ennemi s'emparât. Le Roi garantit la ville de Bautzen contre les entreprises des Autrichiens par un corps intermédiaire, qu'il plaça entre cette ville et sa droite; et pour le moulin, à l'extrémité de la gauche, il n'y mit que des vedettes de hussards, pour que l'ennemi ne s'aperçût point de l'importance dont nous était ce poste. La raison d'en user ainsi était que le moulin se trouvait à la distance d'un quart de mille de la gauche, de sorte qu'en gardant la position de l'armée, on ne pouvait pas le soutenir à cause de son éloignement; et l'importance de ce moulin consistait en ce que, dans la marche que le Roi méditait de faire, il ne pouvait pas gagner Görlitz avant le maréchal Daun, si ses colonnes ne passaient au pied de ce moulin; de sorte qu'au cas que l'ennemi y eût placé des troupes, il fallait passer la Sprée derrière le camp et la repasser plus bas, ce qui faisait un circuit de deux milles de détour pour les troupes.
Le maréchal Daun, de son côté, supposait que le Roi, lorsqu'il apprendrait le siége de Neisse, n'aurait aucun autre expédient pour se rendre en Silésie que celui de l'attaquer, et ce fut la raison qui lui fit prendre cette position de Cannewitz et de Wurschen, et qui lui donna l'idée de se retrancher. Cela parut même par une lettre qu'il écrivit à M. de Harsch, dans laquelle il dit : « Faites votre siége tranquillement; je tiens le Roi; il est coupé de la Silésie, et s'il m'attaque, je vous en rendrai bon compte. » Il en arriva tout différemment que le maréchal se l'imaginait. Le prince Henri partit, avec son détachement, de Gamig; il passa par Marienstern, et arriva le 21 à l'armée du Roi, sans rencontrer d'ennemis sur sa route.
Tous les préparatifs de la marche ne purent être achevés que le 24, et le même soir l'armée se mit en marche. La garnison de Bautzen servit d'escorte aux vivres de l'armée; ce corps prit les devants dès la nuit précédente, et passa par Cummerau, Neudorf, Troben et Culmen. L'armée marcha sur deux colonnes. <216>On forma l'arrière-garde sur la hauteur du moulin à vent, d'où l'on prit par Leichnam, Jeschnitz, tournant entièrement la droite de l'ennemi; ensuite on se porta sur Weigersdorf, et de là sur Ullersdorf, où l'armée campa. M. de Möhring, qui avait eu l'avant-garde du bagage, surprit près d'Ullersdorf trois cents cavaliers autrichiens, dont peu se sauvèrent, et la colonne du Roi ayant donné proche de Weigersdorf sur un bataillon de pandours qui ne se croyait pas exposé à l'ennemi, ce bataillon fut totalement détruit.
Le lendemain 26, l'armée devança le jour, pour gagner Görlitz avant le maréchal Daun. L'avant-garde, composée de hussards et de dragons, y arriva la première; elle trouva d'abord un corps de cavalerie posté derrière un défilé du côté de Rauschwalda; il n'était pas possible de l'attaquer dans cette position avantageuse; on fit, en escarmouchant, ce que l'on put pour l'engager à combattre, mais inutilement. On apprit enfin par un transfuge que c'était le corps des carabiniers et grenadiers à cheval, commandé par un général espagnol, nommé d'Ayasassa, et sur cet éclaircissement, on résolut de choquer la fierté espagnole, pour engager ce général à passer le défilé et à se laisser battre; pour cet effet, des hussards lui montrèrent, en se tournant, des parties que la bienséance demande que l'on cache devant le public. A peine quelques hussards lui eurent-ils présenté ce spectacle, que, ne pouvant plus y tenir, il passa le défilé en fureur, et fondit sur ceux dont il se croyait insulté. Aussitôt les dragons le chargèrent, et culbutèrent sa troupe dans le même défilé qu'il avait passé avec tant d'imprudence. Il y perdit huit cents hommes, que les Prussiens firent prisonniers; d'Ayasassa se sauva sous la montagne de Landeskrone, où le prince de Durlach venait d'arriver avec la réserve qu'il commandait. L'infanterie de l'avant-garde prussienne arriva en même temps; on s'en servit pour s'emparer de Görlitz, qui se rendit sans grandes difficultés. L'armée du Roi y appuya sa gauche; sa droite fut poussée à Gierbigsdorf et Ebersbach. Ce flanc était couvert par un ruisseau bourbeux qui coule dans un fond dont le revers du côté des Prussiens était escarpé. Les Autrichiens arrivèrent l'après-midi; le maréchal Daun étendit son armée derrière la Landeskrone, d'Ossig vers <217>Markersdorf. Le Roi fut obligé de rester dans ce camp pour donner quelques jours à l'arrangement des vivres, de sorte que l'armée ne put se mettre en marche que le 30. Les troupes décampèrent de nuit, pour qu'elles eussent achevé de passer la Neisse avant que l'ennemi en pût être informé. On trouva M. Loudon embusqué dans le bois de Schönberg. Les Prussiens faisaient cette marche légèrement, parce que les bagages et les vivres avaient pris la route de Naumbourg-sur-le-Queis. L'arrière-garde fut toutefois attaquée proche de Schönberg, et ce ne fut qu'une bataille durant toute la route; M. Loudon y était encouragé par un renfort de douze mille hommes que le maréchal Daun lui avait envoyé; de son côté, S. A. R. le prince Henri, qui commandait cette arrière-garde, fit de si bonnes dispositions, soutint les brigades réciproquement, en posta d'autres si à propos pour recevoir celles qui se retiraient pour poursuivre leur chemin, qu'il n'y eut que du temps de perdu. A la vérité, M. de Bülow,246-a lieutenant-général, et environ deux cents soldats furent blessés; s'il y eut d'ailleurs quinze hommes de tués, ce fut le bout du monde. Arrivé à Lauban, il fallut préparer des ponts sur le Queis; ce qui fit perdre un jour.
Le 1er de novembre, l'armée prit la route de la Silésie; on se prépara surtout à bien recevoir l'ennemi à l'arrière-garde, car sa force se trouvait assez considérable pour mériter cette attention. Le camp prussien avait ses deux ailes sur deux croupes de montagnes qui aboutissaient chacune vers le Queis; plus on approchait de Lauban, plus les hauteurs dominaient celle du camp. On forma sur chacune de ces hauteurs une arrière-garde séparée. Le Roi se trouvait à la croupe de la droite, le margrave,246-b à celle de la gauche; des hussards furent placés dans le fond, entre ces deux corps d'infanterie, pour agir selon le besoin. Derrière ces premiers corps, des brigades d'infanterie et d'artillerie, en échelons, occupaient les hauteurs dominantes, pour que chaque corps qui <218>se repliait, pût se retirer sous la protection d'un autre. Au premier mouvement rétrograde que firent les troupes prussiennes, M. Loudon accourut plein d'ardeur, pour entamer cette arrière-garde; il ne s'en fallut de rien que les hussards ne le fissent prisonnier. Il voulut occuper le premier emplacement que le Roi venait de quitter; il y menait déjà son artillerie; mais le feu préparé des batteries prussiennes démonta son canon, mit son infanterie en désordre, et l'obligea de s'enfuir. Il tâcha de renouveler cette manœuvre à trois reprises : tout cela fut inutile; car des feux préparés de même que le premier lui firent essuyer un même sort. Les hussards de Puttkammer, embusqués dans un bois, donnèrent enfin sur son monde, et le dégoûtèrent pour ce jour d'inquiéter de nouveau la marche des Prussiens. S. A. R., qui s'était postée à l'autre bord du Queis, y reçut l'arrière-garde, après quoi le Roi et son frère se séparèrent : le Roi marcha, par Löwenberg, Pombsen, Jauernick et Girlsdorf, à Nossen; le prince Henri marcha à Landeshut, où il releva M. de Fouqué, qui vint joindre le Roi sur la route de Neisse.
M. de Harsch assiégeait Neisse depuis le 20 d'octobre. Son attaque était dirigée sur le fort de Prusse, du côté de Heidersdorf. La seconde parallèle, achevée, se trouvait à trente toises du chemin couvert, et toutes les batteries étaient montées. Quoique le maréchal Daun y eût envoyé des secours par le chemin de Silberberg, sur le bruit répandu de l'approche du Roi, les Autrichiens levèrent le siége. M. de Treskow, commandant de la place, saisit ce moment, et fit une sortie où l'ennemi perdit huit cents hommes; MM. de Harsch et de Ville se retirèrent en hâte, ils passèrent la Neisse, et se replièrent par Ziegenhals à Jägerndorf, en abandonnant aux environs de Neisse des amas considérables de munitions de guerre, qu'on ne leur donna pas le temps de transporter. M. de Fouqué suivit les ennemis dans la Haute-Silésie, et il s'établit à Neustadt, d'où il pouvait le mieux les observer.
A peine les troupes furent-elles arrivées près de Neisse, que le Roi se prépara à une nouvelle expédition. Après le départ des Prussiens de la Lusace, le maréchal Daun avait pris, le 4 d'octobre, le chemin de l'Elbe; le 7, il passa cette rivière à Lohmen, et prit le camp de Pirna; M. de Finck, qui était demeuré à Gamig <219>depuis l'absence de S. A. R., ne put tenir cette position contre un nombre aussi supérieur d'ennemis : il se replia sur le Windberg, et de là sur Kesselsdorf, pendant que le maréchal Daun détacha les troupes des cercles vers Eilenbourg, Torgau et Leipzig. Le comte de Dohna était en marche de ce côté-là.
Les Russes, comme nous l'avons dit, avaient pris le chemin de la Pologne, à l'exception de M. de Palmbach, qui, avec un détachement de quelques milliers d'hommes, avait entrepris le siége de Colberg. Ce général russe avait poussé ses travaux avec force; le 26 et le 27 d'octobre, il donna des assauts consécutifs au chemin couvert de la place, et fut chaque fois vigoureusement repoussé; il préparait un nouvel assaut pour le 29; les Russes avaient même préparé des bateaux, au moyen desquels ils se flattaient de passer le fossé capital, pour emporter la place d'emblée. Le comte de Dohna ayant envoyé M. de Platen au secours de Colberg, ce général battit auprès de Greifenberg un corps d'observation que les Russes y avaient placé; après quoi il s'avança jusqu'à Treptow. Son arrivée dégoûta M. de Palmbach de siéges et d'assauts, et il se retira, par Cöslin et par Bublitz, en Pologne. La tranchée fut ouverte le 3, et la place, dégagée le 29 d'octobre. Le sieur de Heyde,248-a commandant de la place, se distingua durant ce siége par ses bonnes dispositions, sa vigilance et sa fermeté.
Le comte de Dohna attira à lui M. de Wedell, qui avait servi contre les Suédois, qui les avait battus à Fehrbellin, poussés par Ruppin au delà de Prenzlow, qui avait enlevé le détachement entier de Hessenstein248-b dans la seigneurie de M. d'Arnim, et que la victoire avait suivi partout. M. de Manteuffel le releva avec moins de troupes, et pendant la marche de la Saxe, M. de Wedell conduisit l'avant-garde du comte de Dohna. Précisément lorsque M. de Hadik arriva près de Torgau, l'avant-garde prussienne y parut en même temps; M. de Hadik se replia par les bois <220>sur Eilenbourg; M. de Wedell le suivit à la trace, et quoique les ponts de l'Elster fussent rompus, la cavalerie prussienne passa la rivière à gué, et donna si à propos sur l'ennemi, que M. de Hadik perdit deux cents hommes et trois canons. Le comte de Dohna suivit M. de Wedell d'Eilenbourg; il s'avança vers Leipzig, que les cercles avaient investi. Le prince de Deux-Ponts, intimidé par l'échec que M. de Hadik venait d'essuyer, n'attendit pas l'approche des Prussiens; le siége fut levé; il se retira en hâte sur Colditz; de là il tourna vers Plauen, et alla prendre dans l'Empire des quartiers du côté de Hof et de Baireuth.
Pendant que le prince de Deux-Ponts et M. de Hadik fuyaient vers l'Empire, le maréchal Daun s'approchait de Dresde. Le corps prussien, trop exposé à Kesselsdorf, passa l'Elbe, et se campa au faubourg du Nouveau-Dresde, entre le Fischhaus et les Scheunen. M. de Schmettau, qui était commandant de Dresde, voyant que les Autrichiens se préparaient pour s'emparer du faubourg de Pirna, y fit mettre le feu. Le maréchal Daun ménageait la jeune cour, qui était dans la ville; il est à croire que sans elle il aurait été plus entreprenant; cependant les fossés de la place étaient bons. Le Roi avait quitté la Silésie; son avant-garde se trouvait au Weissenberg, de sorte que le commandant pouvait en toute sûreté attendre l'arrivée de ce secours. Le retour du Roi acheva de déranger les projets du maréchal Daun. Le comte de Dohna avait renvoyé l'armée des cercles; la saison avancée, et l'armée du Roi qui en trois marches pouvait être à Dresde, toutes ces considérations inspirèrent au maréchal Daun le dessein de se retirer. Il décampa le 15 de Grünau et de Leipnitz, et rentra en Bohême, où il mit ses troupes en quartiers d'hiver. Sur la nouvelle de son départ, le margrave Charles, qui était avec le gros de l'armée à Görlitz, reçut ordre de ramener les troupes en Silésie. Le Roi, qui était au Weissenberg, poussa à Dresde, où les arrangements se firent pour les quartiers d'hiver. Le comte de Dohna retourna dans la Poméranie et le Mecklenbourg; M. de Hülsen s'établit à Freyberg, sur les frontières de la Bohême; M. d'Itzenplitz commanda à Zwickau, et en Silésie on tira un cordon le long des frontières de la Bohême, de Greifenberg à Glatz; pour <221>M. de Fouqué, il occupa Jägerndorf, Léobschütz, Neustadt et les environs.
Nous n'avons fait qu'une légère mention de la campagne des Suédois, auxquels on n'avait opposé que des détachements de la garnison de Stettin, jusqu'à ce que le Roi y détacha M. de Wedell du camp de Rammenau en Lusace. Les prouesses des Suédois consistaient à pénétrer dans le plat pays lorsqu'ils n'y trouvaient aucune opposition; un faible détachement les réduisait à la défensive; et bien loin d'avoir fait des conquêtes, ils se trouvèrent trop heureux qu'on leur permît, l'hiver, de se cantonner aux environs de Stralsund. Nous avons également passé en silence quelques détachements que S. A. R.250-a fit, au commencement du printemps, vers Baireuth et Bamberg; MM. de Driesen et Mayr furent chargés de ces petites expéditions, dont le but était de ralentir les opérations de l'armée des cercles, et de répandre la terreur chez les princes d'Allemagne qui s'étaient déclarés contre le Roi.
Vous trouverez, en considérant le total de cette campagne, qu'elle se distingue des autres par la quantité des siéges qui furent levés : il n'y eut que deux places de prises, Schweidnitz par les Prussiens, et le Sonnenstein par les troupes de l'Empire. D'ailleurs, le Roi leva le siége d'Olmütz, les Russes, ceux de Cüstrin et de Colberg, les Autrichiens, ceux de Neisse et de Dresde, et les troupes des cercles, ceux de Torgau et de Leipzig.
Après la fin de cette longue et fatigante campagne, le Roi, ayant fait raser les ouvrages du Sonnenstein, retourna en Silésie, et établit son quartier général à Breslau.
209-a Le colonel Charles de Beust, commandeur des hussards noirs du général de Ruesch, no 5, avait alors sous ses ordres les trois escadrons de ce régiment que le Roi avait détachés pour le corps du duc Ferdinand. Il mourut le 25 décembre 1759.
211-a Ce prince de Holstein est le lieutenant-général George-Louis duc de Holstein-Gottorp.
212-a Victor-François duc de Broglie, frère aîné de celui dont il est fait mention ci-dessus, p. 115, et du comte François de Broglie qui fut mortellement blessé à Rossbach. Il devint duc en 1745, à la mort de son père : puis il fut créé maréchal de France le 16 décembre 1759, et dans la même année, prince du Saint-Empire.
213-a Chrétien-Louis de Hardenberg (père de Charles-Auguste, chancelier d'État prussien), né le 3 novembre 1700 et mort le 26 novembre 1781, devint en 1757 général-major, en 1759 lieutenant-général, en 1776 général de l'infanterie, et le 17 février 1778, feld-maréchal au service de Hanovre.
220-a Voyez ci-dessus, p. 135.
221-a Le 21 février 1757, Charles-Frédéric de Meier devint général-major, et commandeur en chef du régiment de Baireuth dragons, en remplacement du lieutenant-général Othon-Martin de Schwerin.
222-a Le général-major de Puttkammer, chef du régiment d'infanterie no 9, fut fait prisonnier par les ennemis. Voyez plus haut, p. 152.
224-a Jean-Christophe Kordshagen, lieutenant de hussards, était fils d'un paysan mecklenbourgeois. Il était capitaine au régiment des hussards de Zieten lorsqu'il fut anobli, le 13 mai 1769, et major à l'époque de sa mort arrivée en 1775. J.-J. Engel l'a pris pour héros de son drame Der dankbare Sohn.
226-a Balthasar-Rodolphe de Schenckendorff, né en 1699, général-major d'infanterie le 7 mars 1758, et lieutenant-général en 1766.
Charles-Christophe baron de Goltz, né en 1707, devint général-major le 15 février 1757, et après la bataille de Prague, chef du régiment d'infanterie no 24, qui avait appartenu auparavant au feld-maréchal comte de Schwerin. Le 5 février 1760, le Roi le nomma lieutenant-général; l'année suivante, il lui donna l'ordre de l'Aigle noir. Le baron de Goltz mourut le 30 juin 1761, à Zerbau, près de Glogau.
227-a Guillaume de Saldern, général-major d'infanterie en 1756.
Chrétien-Frédéric de Blanckenbourg (et non pas Blanckensee), né en Poméranie, depuis le 23 mai 1757 colonel et commandeur du régiment d'infanterie du général de Pannwitz, no 10 de la Stammliste de 1806; il était âgé de cinquante-huit ans lorsqu'il fut tué, le 26 août 1758, près de Königingrätz.
228-a Dubislas-Frédéric de Platen, né en 1714, depuis 1757 général-major et chef du régiment de dragons no 8 de la Stammliste de 1806. A la bataille de Zorndorf, il eut le malheur de perdre deux fils qui combattaient à ses côtés : l'un qui mourut sur le coup, l'autre mortellement blessé. Le 2 mars 1759, il devint lieutenant-général.
228-b Christophe comte de Dohna, né dans la province de Prusse en 1702, devint lieutenant-général d'infanterie en 1751, et au mois d'avril 1758, il remplaça le feld-maréchal de Lehwaldt dans le commandement de son corps d'armée.
228-c Paul-Joseph de Malachowski (t. III, p. 148), depuis 1753 chef du régiment de hussards no 7, devint général-major le 14 avril 1758, et lieutenant-général le 21 mai 1771.
230-a Hans-Guillaume de Canitz, né en 1693, devint lieutenant-général le 22 janvier 1758.
230-b La nuit du 22 au 23 août.
232-a Gabriel Monod de Froideville, général-major et commandeur du régiment de dragons no 6, mourut à Francfort-sur-l'Oder le 3 septembre 1758, à la suite de la blessure qu'il avait reçue à la bataille de Zorndorf. Les éditeurs de 1788 ont omis son nom.
Hans-Sigismond de Zieten, général-major et commandeur en chef du régiment de cuirassiers no 5, demeura sur le champ de bataille.
L'Auteur a oublié de mentionner le général-major Henning-Alexandre de Kahlden, chef du régiment d'infanterie no 3, qui, mortellement blessé à la bataille de Zorndorf, mourut à Berlin le 22 octobre 1758.
234-a 21 juin.
234-b Voyez ci-dessus, p. 162.
234-c Rothwernsdorf.
235-a Gross-Döbritz.
235-b Chrétien de Möhring, jusqu'alors lieutenant-colonel dans le régiment de Zieten, devint colonel le 27 mars 1758, et le 14 octobre de la même année, il fut nommé chef du régiment des hussards de Warnery, no 3.
236-a C'est le prince Charles de Brunswic-Bevern, et non le prince François, qui exécuta ce mouvement, comme on peut s'en assurer en lisant le rapport officiel de la gazette. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1758, no 113, p. 485.
239-a Sigismond-Maurice-Guillaume de Langen, depuis le 24 octobre 1756 major dans le régiment d'infanterie du margrave Charles, no 19, mourut à Bautzen, le 21 octobre 1758, des blessures qu'il avait reçues à la bataille de Hochkirch.
240-a Le régiment du colonel de Vasold est le régiment de cuirassiers no 6; le régiment des gendarmes est le régiment de cuirassiers no 10 de la Stammliste de 1806.
242-a Frédéric-François duc de Brunswic-Wolfenbüttel, né le 8 juin 1732, frère cadet du prince Albert qui fut tué à la bataille de Soor. Il était général-major, et depuis le 26 décembre 1745, chef du régiment d'infanterie no 39.
Charles-Ferdinand baron Hagen de Geist devint général-major le 3 janvier 1757. Voir t. III, p. 154.
En énumérant les pertes faites à la bataille de Hochkirch, le Roi a oublié de mentionner le général-major Hans-Gaspard de Krockow, chef du régiment de cuirassiers no 1, qui mourut de ses blessures à Schweidnitz, le 25 février 1759.
246-a Jean-Albert de Bülow, né en 1708, général-major d'infanterie depuis 1757, ne fut nommé lieutenant-général que le 6 février 1760; mais il est mentionné ici avec ce titre, parce qu'il l'avait lorsque le Roi écrivit l'histoire de la guerre de sept ans.
246-b Il est ici question du margrave Charles, qui fut nommé général de l'infanterie le 24 mai 1747.
248-a Le 15 janvier 1759, le Roi nomma colonel le major Henri-Sigismond von der Heyde, et lui donna l'ordre pour le mérite.
248-b Frédéric-Guillaume comte de Hessenstein, fils aîné de Frédéric roi de Suède et de la comtesse Taube, né en 1735, alors général-major, fut nommé prince de l'Empire en 1772, et promu l'année suivante au grade de feld-maréchal suédois. Il a réclamé contre ce récit. Voyez Berlinische Monatsschrift, 1789, t. XIII, p. 505.
250-a Le prince Henri.