<119>effet, on déguisa un officier et trois hussards qui savaient un peu de russe, en Cosaques, et ils se glissèrent de grand matin dans le camp de Jauer, sous prétexte qu'ils s'étaient égarés à la reconnaissance, faute de bien savoir les chemins. L'officier autrichien qui était de garde, leur fit toutes sortes de civilités, et leur dit qu'ils étaient d'un détachement de six mille hommes sous les ordres de M. Brentano, commandés pour couvrir l'artillerie autrichienne que M. Loudon avait fait avancer dans ce lieu pour l'avoir plus à portée de s'en servir au cas que les Prussiens attaquassent les Russes; et que, dès que cela arriverait, les Autrichiens se mêleraient de l'affaire, où assurément le roi de Prusse, accablé par deux armées impériales, serait obligé de succomber.
M. de Buturlin décampa le jour suivant; il passa près de Liegnitz, et prit une position près du village de Klein-Eike. M. de Loudon crut avoir fourni au Roi l'occasion d'attaquer les Russes en marche. Le mouvement de M. de Buturlin se faisait à la portée de l'armée, et par un terrain qui ne paraissait pas difficile; mais il ne fallait pas s'écarter de ses principes. Les Russes ne furent point attaqués, on ne harcela pas même leur arrière-garde. Après le mouvement qu'ils firent, il devint impossible de s'opposer à leur jonction avec les Autrichiens. Ceux-ci s'étaient tenus sur leurs gardes; pour ne point donner de prise sur lui, M. Loudon n'avait pas quitté le pied des montagnes de toute la campagne, et il avait eu l'adresse d'exposer dans toutes les occasions les alliés de la maison d'Autriche aux marches, et aux entreprises les plus hasardées.
Le parti le plus avantageux que le Roi pût prendre dans cette situation, fut de gagner les hauteurs de Kunzendorf par une marche forcée, parce que, si l'on pouvait occuper cette position avant M. Loudon, on coupait l'armée autrichienne de ses magasins, et les Russes, qui ne pouvaient subsister que par les vivres que l'Impératrice-Reine leur fournissait, se seraient vus obligés, faute de pain, de se rapprocher des amas qu'ils avaient laissés en Pologne; de sorte que ce projet, heureusement exécuté, aurait changé pour cette campagne toute la face des affaires en Silésie. L'armée du Roi se mit aussitôt en marche, et le margrave, pour gagner du temps, détacha d'abord M. de Knobloch pour se saisir