<155>l'Europe, et renverse tant de plans et de desseins arrangés avec tant de soin et laborieusement combinés. Cette princesse, dont la santé avait été chancelante les dernières années, fut subitement emportée par un crachement de sang, le 5 de janvier 1762. Par sa mort, le trône était dévolu au grand-duc son neveu, qui s'y plaça et régna sous le nom de Pierre III.
Le Roi avait cultivé l'amitié de ce prince dans le temps où il n'était encore que duc de Holstein, et, par une sensibilité rare parmi les hommes, plus rare encore chez les souverains, il en avait conservé un cœur reconnaissant; il en avait même donné des marques dans cette guerre, car ce fut lui qui contribua le plus à la retraite du maréchal Apraxin en l'année 1757, lorsqu'après avoir battu le maréchal Lehwaldt, il se replia en Pologne. Durant tous ces troubles, ce prince s'était même abstenu d'aller au conseil, où il avait place, pour ne point participer aux mesures que l'Impératrice prenait contre la Prusse, et qu'il désapprouvait. Le Roi lui écrivit une lettre de félicitation sur son avénement au trône, dans laquelle il lui témoigna sans déguisement l'envie qu'il avait de vivre en bonne harmonie avec lui, et l'estime qu'il conserverait toujours pour sa personne.
M. Keith, ministre d'Angleterre à la cour de Russie, ne tarda pas à informer le Roi des espérances qu'il pouvait fonder sur les bonnes intentions du nouveau monarque. Peu après, M. Gudowitsch, favori de l'Empereur, fut envoyé en Allemagne sous prétexte de complimenter son beau-frère le prince de Zerbst; mais ses instructions secrètes lui prescrivaient de prendre, à son retour, par Breslau, où le Roi avait son quartier, pour l'assurer des sentiments d'estime et d'amitié de l'Empereur. L'occasion était trop belle pour la laisser échapper. Le Roi s'ouvrit cordialement à M. Gudowitsch : il lui déduisit sans peine qu'il n'y avait aucun sujet réel de guerre entre les deux États, que les troubles présents n'étaient qu'une suite des artifices de la cour de Vienne, qui ne travaillait que pour ses intérêts, et que rien n'était plus aisé que de rétablir la bonne intelligence entre les deux cours par une paix solide; en même temps il ajouta, comme par manière d'acquit, qu'il se promettait de l'équité de l'Empereur qu'il n'exigerait pour la paix aucunes conditions contraires à la gloire d'un souverain,