<159>d'en disposer. Dans cette occasion, le hasard servit encore mieux le Roi que n'auraient pu faire les plus fines intrigues. Le comte Kaunitz prit ces ouvertures de travers; il soupçonna que le dessein de l'Angleterre était de commettre la cour de Vienne avec celle de Versailles, et il répondit au sieur Bute avec toute la hauteur et toute la morgue d'un ministre autrichien; il rejeta avec dédain et avec un mépris insultant des propositions qu'il jugeait être captieuses, en ajoutant que l'Impératrice-Reine était assez puissante pour se faire raison de ses prétentions, et qu'il était contre sa dignité d'accepter une paix, quelle qu'elle pût être, dont l'Angleterre se rendrait la médiatrice. Ainsi avorta ce projet, à la honte de celui qui l'avait formé.
Malgré tant d'événements heureux et de trames découvertes, le Roi n'était cependant pas exempt d'inquiétudes. Les lettres de Pétersbourg faisaient trembler pour la personne de l'Empereur; elles annonçaient toutes un germe de conspiration qui était prêt à éclore. Les personnes qu'on soupçonnait de ce complot, en étaient les moins coupables. Les véritables auteurs tramaient dans le silence, et se dérobaient avec soin à la connaissance du public. A peine l'Empereur parvint-il au trône, qu'il fit des innovations continuelles dans l'intérieur de ses États; il s'appropria les terres du clergé, selon le projet que Pierre Ier en avait fait; mais il s'en fallait bien que Pierre III fût aussi affermi, et aussi respecté de cette nation. Le clergé était d'autant plus puissant dans cet empire, que les peuples abrutis y croupissaient dans la plus profonde ignorance. Attaquer ces archimandrites et ces popes, c'était se faire des ennemis irréconciliables, parce que tout prêtre est attaché à ses revenus plus qu'aux opinions qu'il annonce. L'Empereur aurait sans doute pu attendre pour faire cette réforme, et encore aurait-il fallu y toucher d'une main délicate. Outre cette affaire, qui faisait crier, on lui reprochait encore de tenir les gardes Ismaïloff et Preobrashenskii sous une discipline trop rigoureuse, et de vouloir faire la guerre au Danemark, ce qui répugnait d'autant plus aux Russes, qu'ils disaient ouvertement que leur nation n'y était point intéressée. Des personnes malintentionnées répandaient ces griefs dans le public, pour rendre odieuse la personne de l'Empereur.