<160>L'amitié, la reconnaissance, l'estime que le Roi avait pour les excellentes qualités de ce prince, le portèrent à lui écrire et à entamer cette matière scabreuse. Il y avait à ménager l'extrême délicatesse que tous les souverains ont de vouloir qu'on croie leur autorité affermie; et il fallait s'expliquer avec une réserve infinie au sujet de ce qui touchait les Danois. Pour le dissuader d'entreprendre d'abord la guerre contre le Danemark, le Roi lui détaillait toutes les raisons pour en renvoyer l'exécution à l'année prochaine; il insistait, sur toutes choses, sur ce qu'avant que l'Empereur sortît de ses États et s'engageât dans une guerre étrangère, il devait se faire couronner à Moscou, pour rendre par son sacre sa personne d'autant plus inviolable aux yeux de sa nation, à plus forte raison parce que ses prédécesseurs avaient tous religieusement observé cette cérémonie. Il faisait ensuite mention des révolutions arrivées en Russie durant l'absence de Pierre Ier; mais il ne faisait que glisser sur cette matière, et il finissait en conjurant l'Empereur, d'une manière affectueuse, de ne point négliger des précautions essentielles pour la sûreté de sa personne, en lui protestant que l'intérêt sincère qu'il prenait à sa conservation, était le seul motif qui lui avait fait prendre la plume. Cette lettre fit peu d'impression sur l'Empereur; il y répondit en propres termes : « Ma gloire exige que je tire raison des outrages que les Danois ont faits à ma personne, surtout à mes ancêtres. Il ne sera pas dit que les Russes font une guerre pour mes intérêts où je ne me trouve pas à leur tête; d'ailleurs, la cérémonie de mon couronnement exige une trop grande dépense; cet argent sera mieux employé contre les Danois. A l'égard de l'intérêt que vous prenez à ma conservation, je vous prie de ne vous en point inquiéter : les soldats m'appellent leur père; ils disent qu'ils aiment mieux être gouvernés par un homme que par une femme; je me promène seul, à pied, dans les rues de Pétersbourg; si quelqu'un me voulait du mal, il y a longtemps qu'il aurait exécuté son dessein; mais je fais du bien à tout le monde, et je me confie uniquement à la garde de Dieu; avec cela je n'ai rien à craindre. » Cette réponse n'empêcha pas que le Roi ne continuât à travailler pour éclairer ce prince sur les dangers qui le menaçaient. MM. de Goltz et de Schwerin eurent ordre de