<164>ment et de méfiance. Il faut avouer qu'ils en avaient quelque lieu; car ils avaient été importunés par les pressantes sollicitations du ministre prussien pour les porter à la rupture avec la Russie, et tout d'un coup ce ministre, changeant de langage, leur offrait les bons offices du Roi son maître pour aplanir certains différends qu'ils avaient pour leurs limites avec la cour de Pétersbourg, et ce ministre n'insistait plus que pour les animer à rompre la trêve qui durait encore avec l'Impératrice-Reine. Cela donnait lieu aux Turcs de raisonner ainsi : Certainement, ces Prussiens sont la nation la plus inconstante et la plus légère de l'univers : tantôt ils voulaient nous brouiller avec la Russie, aujourd'hui ils veulent nous raccommoder avec elle; et s'ils nous incitent à présent à déclarer la guerre à la reine de Hongrie, qui nous répondra que dans six mois ils ne seront pas en alliance avec elle, de même qu'ils le sont à présent avec les Russes? Gardons-nous d'entrer trop promptement dans les mesures qu'ils nous proposent, ou notre facilité nous rendra le jouet de leur inconséquence et la risée des nations européennes.
Leurs réflexions ne s'en tenaient pas là; et comme ils avaient d'ailleurs conçu quelque ombrage de l'alliance que le Roi venait de faire avec la Russie, pour dissiper ces soupçons, Sa Majesté, par l'interposition de ses bons offices, parvint à terminer les différends qu'il y avait entre le kan de la Crimée et les Russes au sujet du fort Sainte-Anne; elle porta de plus l'empereur Pierre III à faire déclarer par son ministre à Constantinople qu'il ne se mêlerait en aucune manière des discussions que la Porte pourrait avoir avec la maison d'Autriche, et qu'au cas que les Turcs lui fissent la guerre, l'Impératrice-Reine n'aurait aucun secours à attendre de sa part. Cette déclaration formelle fit une grande impression sur les Turcs; elle ébranla même le Grand Seigneur, qui, selon toutes les apparences, aurait pris un parti décisif, si de nouvelles révolutions, que nous rapporterons en leur lieu, n'eussent renouvelé ses incertitudes et réveillé ses méfiances.
En rapprochant tous les événements que nous venons de rapporter, ils nous représentent la Prusse aux abois à la fin de la dernière campagne, qui, perdue au jugement de tous les poli-