<188>l'État : plein de ressentiment de ce que l'Empereur ne l'avait pas placé d'une manière plus convenable à son mérite, il envisagea cette conjuration comme un chemin qui le conduirait aux premières dignités de l'Empire, et il en embrassa le parti avec enthousiasme. M. de Panin s'ouvrit de ce dessein à la princesse Daschkoff, avec laquelle il était lié. Cette femme, d'un caractère romanesque, entra avec d'autant plus de facilité dans ses vues, qu'elle était jalouse de ce que l'Empereur lui préférait sa sœur, la comtesse de Woronzoff, dont il avait fait sa maîtresse. Cette offense imaginaire l'excita à une vengeance réelle. Elle travailla avec chaleur à grossir le parti. Elle gagna bientôt quelques officiers aux gardes, gens sans fortune, sans mérite, qui, cherchant leurs avantages particuliers dans les troubles publics, étaient pleins d'activité, et capables de tout entreprendre. Ils corrompirent à leur tour quelques soldats des gardes à la sourdine.
Cependant la conjuration n'était pas encore en état d'éclore, parce que les conjurés, voulant agir à coup sûr, se proposaient d'augmenter leur nombre. Un hasard en précipita l'exécution. L'Empereur était sur son départ pour se mettre à la tête de l'armée qui devait porter la guerre en Danemark. Il se trouvait depuis quelques semaines à son château d'Oranienbaum, où il se proposait, avant de quitter la Russie, de donner quelques fêtes à la noblesse. Il avait invité l'Impératrice à un opéra suivi d'un bal paré, dont les apprêts s'étaient faits avec faste et magnificence.
Le même jour, un soldat des gardes, que les conjurés avaient tenté de corrompre, dénonça ce qu'il savait du complot à M. de Korff, gouverneur de Pétersbourg. Ce général envoya sur-le-champ ce procès-verbal à l'Empereur, qui n'en tint aucun compte. Dès que l'Impératrice fut, le soir, de retour à Péterhof, où elle avait invité l'Empereur le lendemain pour une fête, elle y trouva la princesse Daschkoff, qui lui apprit que leur secret était découvert, en y ajoutant : « Madame, il n'y a point de temps à perdre. Ou il faut monter sur le trône, ou sur l'échafaud. » L'alternative était violente. L'Impératrice ne balança pas dans ce choix. Elle partit sur-le-champ incognito pour Pétersbourg, où elle se rendit aux casernes des gardes. Tous ceux qui étaient de la conjuration, officiers et soldats, se rangèrent autour d'elle. Elle convoqua