<191>dont cependant tout le monde ignore les circonstances. Ce qu'il y a de constaté, c'est que l'Empereur fut conduit à une terre du comte de Rasumoffsky; qu'un des conjurés, nommé Orloff, lui donna du poison, et sur ce que ce barbare s'aperçut que l'Empereur faisait des efforts pour le rendre, il l'étouffa entre deux matelas. Telle fut la fin tragique de ce prince, qui, ayant les vertus d'un citoyen, manqua de quelques qualités qu'on exige des monarques.

La perte de Pierre III fut un coup douloureux et sensible pour le Roi, qui estimait son admirable caractère, et qui l'aimait d'un cœur pénétré de reconnaissance. Sa fin causa d'autant plus de regrets, qu'ayant fait du bien à tout le monde, il n'avait pas mérité un sort aussi déplorable. On ne devait pas se flatter, d'ailleurs, de retrouver dans l'Impératrice des sentiments aussi favorables que l'avaient été ceux de son époux; bien loin de là, les nouvelles qui venaient de la Prusse ou de la Poméranie, annonçaient toutes que les troupes russes se préparaient à recommencer les hostilités. Il parut un ukase, ou édit, dans lequel le Roi était traité d'ennemi héréditaire et irréconciliable de la Russie. Déjà les commissaires de l'Impératrice s'étaient saisis derechef des revenus de la Prusse royale; enfin toutes les apparences annonçaient qu'on était à la veille d'une nouvelle rupture; mais, comme il arrive souvent, ces apparences se trouvèrent trompeuses. Les démarches de l'Impératrice roulaient sur de fausses suppositions : elle appréhendait que le Roi, en apprenant la détention de Pierre III, n'obligeât le corps de Czernichew à se déclarer pour l'Empereur, ou qu'en cas de refus, il ne le désarmât. Pour ne point être prise au dépourvu, l'Impératrice se saisit de la Prusse pour lui être garante de la conduite du Roi; elle donna en même temps des ordres à ses généraux de se tenir prêts à recommencer les hostilités aussitôt qu'elle le jugerait à propos. Voici en quoi ses suppositions étaient fausses. Si le Roi s'était déclaré pour l'Empereur, lorsque sa plus cruelle ennemie le tenait en prison, il hâtait sa mort; mais ce qu'il y avait de plus fort que cela, c'est que le crime était consommé, et que ce prince, ayant perdu la vie, n'était plus secourable. Le Roi ne s'opposa point au départ de M. de Czernichew : la seule complaisance qu'il exigea de lui, fut