« <21>votre tour; il n'est pas juste que les troupes de ma maîtresse agissent toutes seules. » Les Autrichiens n'obtinrent qu'avec peine de lui qu'il passât l'Oder à Francfort; toutefois ce fut à condition que M. de Hadik demeurerait dans son poste de Müllrose. Ce mouvement des Russes fit changer de position au Roi : il marcha d'abord à Madlitz, puis à Fürstenwalde, où il était maître du passage de la Sprée. C'était un objet important pour les circonstances d'alors. Les troupes des cercles venaient de prendre Torgau et Wittenberg;a on avait à craindre de leur part qu'elles ne tentassent une entreprise sur Berlin, et on en appréhendait autant de M. de Hadik; il n'avait qu'à longer la Sprée, qui lui servait à couvrir sa marche, tandis que M. de Soltykoff aurait contenu l'armée du Roi en s'avançant et en approchant d'elle. Les affaires des Prussiens étaient si mauvaises, si désespérées, qu'on aurait été bien embarrassé, dans le cas où l'on se trouvait, pour prendre un parti sage et conforme aux règles de l'art, Cependant, comme il fallait être préparé à tout événement, le Roi résolut de sacrifier plutôt jusqu'au dernier homme que de souffrir que l'ennemi s'emparât impunément de Berlin, et, pour cet effet, de tomber sur le corps du premier qui s'en approcherait, aimant mieux périr les armes à la main que d'être brûlé à petit feu. Ces embarras où le Roi se trouvait, furent encore augmentés par l'approche du maréchal Daun. Il était venu se camper à Triebel; il avait eu une conférence à Guben avec M. de Soltykoff. Le prince Henri ne pouvait pas empêcher la jonction des Autrichiens et des Russes, à plus forte raison arrêter les détachements qu'ils auraient voulu envoyer contre le Roi; et quel que fût de ces partis celui que le maréchal Daun prît, il était également funeste. Cependant les affaires prirent une meilleure tournure qu'on ne devait s'y attendre, parce que tout le mal, comme tout le bien qu'on prévoit, n'arrive point.
Depuis que le Roi avait quitté la Silésie, les choses y avaient pris une nouvelle face. M. de Ville se persuada que M. de Fouqué ne pourrait l'empêcher de pénétrer en Silésie; il ne tenta point
a Les troupes de l'Empire prirent Leipzig le 6 août 1759, Torgau le 14, et Wittenberg le 21; mais le général de Wunsch reprit Wittenberg le 28 août, Torgau le 31, et Leipzig le 13 septembre.