« <42>négociation par le roi de Prusse; il vient de recevoir un courrier de Vienne, où on l'instruit de tout ce qui se passe ici. » Cette scène indécente n'avait pour but que de se saisir des papiers de M. d'Edelsheim, où M. de Choiseul supposait trouver des instructions du Roi, qui lui donneraient des éclaircissements sur ses desseins. Il n'y trouva qu'un créditif, dont l'émissaire n'axait pas trouvé l'occasion de faire usage. Honteux de cette découverte stérile, ce ministre en fut pour ses mauvais procédés; il fit relâcher M. d'Edelsheim le lendemain, avec ordre de prendre la route de Turin pour sortir du royaume. Peut-être trouvera-t-on que nous avons détaillé ce fait trop amplement. Sa singularité nous y a porté en partie, mais surtout la manière dont il caractérise la façon de penser que la cour de Versailles avait alors; quand on observe avec quelle précaution elle évitait de donner des soupçons à la cour de Vienne, on se persuadera facilement de l'espèce d'assujettissement où la tenaient les Autrichiens.

Les tentatives que le Roi fit à Pétersbourg n'eurent pas un meilleur succès. On y employa un gentilhomme holsteinois,a qui n'eut pas même occasion d'expliquer de quoi il était chargé. Il fut cependant plus doucement renvoyé par les Russes que M. d'Edelsheim ne l'avait été par les Français. L'esprit de l'impératrice Élisabeth était trop rempli de préjugés et trop aigri contre le Roi pour qu'on pût la désabuser facilement sur son sujet. Elle était gouvernée par son favori, qui l'était par la cour de Vienne. Tous ses entours étaient à la dévotion de la France et de l'Autriche. Cette princesse, flattée d'ailleurs par l'acquisition du royaume de Prusse, qu'elle envisageait comme annexé à la Russie, aurait cru perdre tous ses avantages, si elle était entrée dans la moindre négociation avec le Roi; aussi trouva-t-on tous les canaux bouchés pour les insinuations qu'on aurait voulu lui faire parvenir.

Pendant qu'on frappait ainsi à toutes les portes, le Danemark témoigna quelque disposition pour seconder le Roi. Le roi de Danemark craignait l'accroissement de puissance de la Russie, et encore plus son voisinage. On savait qu'elle se préparait à faire cette année le siége de Colberg, et, cette ville prise, elle dominait sur toute la Baltique. Si les desseins présents de la Russie étaient opposés aux intérêts du Danemark, les suites pour l'avenir offraient un danger plus grand encore, à cause des prétentions du grand-duc de Russie sur le Schleswig, que ce prince, devenu empereur, pouvait faire valoir, à quoi ce voisinage lui donnait la plus grande facilité; au lieu que, lorsqu'une puissance comme la Prusse se trouve établie entre la Russie et le Danemark, le projet d'une guerre dans le Holstein devient presque impossible dans l'exécution pour un empereur russe, quelque puissant qu'il soit. Ces considérations solides portèrent le ministère de Copenhague à faire quelques ouvertures à l'envoyé du Roi à cette cour. Il commença par offrir des secours pour la défense de la Poméranie; il s'en repentit bientôt par timidité et par incertitude; ensuite, effrayé du pas qu'il avait fait, il ne pensa qu'à s'en tirer de bonne manière, et pour rompre cette négociation sans que le roi de Prusse pût y trouver à redire, le ministère danois mit ses secours à un si haut prix, qu'il était moralement sûr qu'on ne les accepterait pas.

Tant de différents essais de négociations, dont aucun n'avait réussi, persuadèrent le Roi de plus en plus que, dans les conjonctures présentes, il ne fallait s'attendre à rien des cours de l'Europe. La violence des passions exerçait sa puissance sur les esprits, et les agitations qu'elles causaient, étaient encore trop impétueuses pour qu'on pût les calmer. Il ne restait donc au Roi que deux alliés, la valeur et la persévérance, par le secours desquels il pût sortir honorablement de cette funeste guerre.

Toutes ces intrigues du cabinet ne regardaient pas les armées; aussi n'empêchèrent-elles pas les ennemis de former différentes entreprises durant l'hiver. Les Russes, dont une partie avait des quartiers aux environs de Neu-Stettin, formèrent le dessein de


a Le Roi veut parler de M. de Pechlin à Kiel, ci-devant colonel au service du duc de Holstein qui devint grand-duc de Russie en 1742. Il avait été recommandé à Frédéric par le baron de Rangstädt, envoyé russe au cercle de la Basse-Saxe. Les instructions données au colonel J.-B. de Pechlin pour ce voyage à Saint-Pétersbourg sont datées du 6 mars 1760. Au mois de décembre de la même année, le Roi envoya en Russie le conseiller Badenhaupt, pour tâcher de gagner Iwan Schuwaloff, le favori de l'Impératrice. Les Russes l'arrêtèrent à Mitau.