<10>des causes qui contribuèrent le plus à maintenir le traité que l'Empereur, la France et l'Espagne avaient conclu à Versailles. La maison d'Autriche en retirait sans doute le plus grand avantage, parce qu'étant assurée de la France, elle n'avait rien à craindre ni pour la Flandre ni pour l'Italie, et qu'ainsi elle était maîtresse d'employer toutes ses forces contre la Prusse, si le besoin le requérait. D'autre part, la France, n'ayant rien à redouter de la maison d'Autriche, voyait ses frontières à l'abri de toute insulte; et n'étant point à prévoir qu'une guerre de terre ferme pût avoir lieu, la France, dis-je, pouvait tourner toute son attention à rendre formidable sa flotte, qui, jointe un jour à celle de l'Espagne, pouvait en imposer à la marine anglaise. Ces vues de prévoyance étaient fondées sur de bonnes raisons : on avait précipité la conclusion de la paix d'Aix-la-Chapelle; bien des points qui devaient être clairement énoncés, n'étaient qu'ébauchés, comme celui de la pèche accordée aux Français sur les bancs de Terre-Neuve, la rançon de la Manille, que l'Angleterre demandait à l'Espagne, et autres choses, à la vérité de peu d'importance, mais qui suffisent et fournissent des prétextes à des têtes inquiètes qui veulent embrouiller les affaires.
Ces raisons de convenance réciproque n'étaient pas les seules qui unissaient les deux maisons de Bourbon à la maison de Habsbourg renouvelée : le caractère et la façon de penser des ministres qui gouvernaient à Vienne et à Versailles, n'y contribuait pas moins. Le prince Kaunitz, d'un caractère haut, arrogant et impérieux, envisageait le traité de Versailles comme le chef-d'œuvre de sa politique; il s'applaudissait d'avoir désarmé les anciens ennemis de la maison d'Autriche, et de les avoir engagés assez avant pour servir l'Empereur contre le roi de Prusse. Le duc de Choiseul était né Lorrain; son père, le comte de Stainville, avait été ambassadeur de la cour de Vienne à Paris, de sorte que M. de Choiseul, se croyant encore vassal de l'Empereur, était intérieurement plus attaché à l'Autriche qu'à la France. Il n'est donc pas étonnant que la prévention de ces deux premiers ministres pour cette alliance la maintînt, et qu'elle continue à durer tant que ses promoteurs conserveront leur crédit sur l'esprit de leurs maîtres.