<120>œuvre pour agencer les choses de la sorte, et il fut assez heureux pour y réussir entièrement. Les princesses de Darmstadt passèrent par Berlin; elles arrivèrent à Pétersbourg; la seconde des filles du landgrave fut celle qui emporta la pomme, et le mariage fut solennellement célébré.b

La conduite de la nouvelle grande-duchesse ne fut pas telle qu'on le devait attendre d'une princesse de sa naissance. Elle était arrivée à Pétersbourg dans un temps d'intrigues et de cabales, et où toute la cour était agitée par les intrigues des ministres étrangers. Les ministres de France et d'Espagne mettaient tout en œuvre pour semer la zizanie entre la Russie, l'Autriche et la Prusse, entre lesquelles ils craignaient qu'une union trop étroite ne se formât. Pour remplir leurs vues, ils crurent devoir former un parti dont ils pussent disposer, et ils s'imaginèrent qu'en mettant la grande-duchesse dans leurs intérêts, le reste de l'ouvrage ne serait pas difficile. Pour s'acheminer à ce but, ils gagnèrent un certain prince Rasumoffsky, attaché à la personne du grand-duc. Celui-là, s'étant livré à leur direction, s'enhardit jusqu'à devenir l'amant de la grande-duchesse, auprès de laquelle les faveurs de son maître lui donnaient un libre accès. Cette princesse, imbue des sentiments de son amant, et suivant toutes ses impressions, s'était livrée sans réserve aux insinuations que le ministre d'Espagne lui faisait parvenir. Un an et demi après son mariage, elle devint grosse; mais tout le monde se disait à l'oreille que ce n'était pas de son époux. La cour de Berlin avait vent de toutes ces manigances et de ces dangereuses menées; et, de plus, il s'était élevé en même temps de nouvelles chicanes à Varsovie sur les possessions que les puissances copartageantes occupaient en Pologne. Les Sarmates, en jetant les hauts cris, accusaient les Autrichiens et les Prussiens d'avoir étendu les limites de leurs possessions beaucoup au delà de ce qui leur avait été accordé par les traités. Ces plaintes avaient fait impression sur l'impératrice de Russie, dont l'ambition s'applaudissait d'avoir donné des provinces à de grands souverains, et dont l'orgueil était encore plus flatté d'en fixer les limites.

Pour prévenir les suites que pourrait avoir le mécontentement de l'Impératrice, si on ne l'apaisait pas au plus tôt, le Roi résolut d'envoyer le prince Henri à Pétersbourg, sous prétexte de faire une visite à l'Impératrice, laquelle l'avait invité à se rendre à sa cour. Il faut ajouter à ceci que le Roi s'était concerté avec la cour de Vienne, de manière que les deux puissances conservassent leurs possessions intactes, en laissant crier les Polonais, et en tâchant en même temps d'apaiser la cour de Russie. Mais le prince Kaunitz, attaché à sa politique fallacieuse, dans l'intention de brouiller les cours de Berlin et de Pétersbourg, fit déclarer à cette dernière que l'Impératrice-Reine, par la seule envie d'obliger l'impératrice de Russie, avait résolu de rendre à la république de


b Voyez ci-dessus, p. 63.