<122>rerait le plus cet illustre étranger. Mais nous ne devons pas passer sous silence le jugement que les connaisseurs portèrent du caractère de ce jeune prince. Il parut altier, haut et violent; ce qui faisait appréhender à ceux qui connaissent la Russie, qu'il n'eût de la peine à se soutenir sur le trône, où, devant gouverner une nation dure et féroce, et gâtée par le gouvernement mou de quelques impératrices, il aurait à craindre un sort pareil à celui de son malheureux père.

On ne croyait point à Vienne que le grand-duc viendrait à Berlin. Le prince Kaunitz, confiant dans le succès de ses ruses et de ses manigances, était persuadé que sa cour ayant été la première à restituer quelques terrains envahis aux Polonais, il avait, par cette complaisance, irrémissiblement brouillé les cours de Berlin et de Pétersbourg; et au moment qu'il pensait préparer son triomphe, il apprend que le grand-duc est à Berlin, qu'il épouse la princesse de Würtemberg, et que l'intimité entre la Prusse et la Russie est mieux resserrée que jamais. Mais si ce ministre avait manqué son coup en Russie, il s'en était dédommagé aux dépens des Turcs; car la cour de Vienne, sous prétexte de régler les limites qui séparent la Hongrie et la Valachie, s'était emparée du district de la Bukowina, qui s'étend jusqu'à un mille de Chotzim. Les Turcs avaient été assez ignorants, ou, pour mieux dire, assez stupides pour consentir à ce démembrement de leurs États, sans qu'il y eût une raison valable pour l'autoriser, et sans se plaindre. Les autres puissances ne pensaient pas ainsi. La Russie avait raison d'être jalouse de l'acquisition de la cour de Vienne vers le Dniester, parce que cette possession, en l'approchant si près de Chotzim, mettait les Autrichiens en état de disputer aux armées russes le passage du Dniester, toutes les fois qu'elles voudraient pousser leurs conquêtes, soit en Moldavie, soit en Valachie; et même, s'ils laissaient passer leurs troupes, les Autrichiens, maîtres de la Bukowina, pouvaient les couper de leurs subsistances, ou du moins tenir la balance dans les guerres entre les Russes et les Turcs, selon qu'ils le jugeraient convenable à leurs intérêts. D'autre part, les Autrichiens intriguaient sans remise à Constantinople, afin d'entretenir l'aigreur que la dernière paix avait laissée entre la Porte et la Russie, et d'occasionner de