<124>L'Empereur n'avait pas assez de maturité pour savoir cacher et voiler ses vastes desseins. Sa vivacité le trahissait souvent, et il ignorait combien la dissimulation est nécessaire dans le maniement des affaires politiques. Pour en rapporter un exemple, il suffit de dire que vers la fin de l'année 1775, le roi de Prusse fut attaqué de quelques forts accès de goutte consécutifs. Van Swieten, fils de médecin, et ministre de la cour impériale à Berlin, supposa que cette goutte était une hydropisie formée, et flatté de pouvoir annoncer à sa cour la mort d'un ennemi qui longtemps avait été redoutable pour elle, il manda hardiment à l'Empereur que le Roi tirait vers sa fin, et qu'il ne passerait pas l'année. Voilà d'abord l'âme de Joseph qui s'exalte; voilà toutes les troupes autrichiennes en marche; leur rendez-vous est marqué en Bohême, et l'Empereur attend plein d'impatience à Vienne la confirmation de cette nouvelle pour pénétrer tout de suite en Saxe, et de là sur les frontières du Brandebourg, pour proposer au successeur du trône l'alternative, ou de rendre tout de suite la Silésie à la maison d'Autriche, ou de se voir écrasé par ses troupes avant de pouvoir se mettre en défense. Toutes ces choses, qui se firent ouvertement, s'ébruitèrent partout, et ne cimentèrent point l'amitié des deux cours, comme il est facile d'en être convaincu. Cette scène parut d'autant plus ridicule au public, que le roi de Prusse, n'ayant été atteint que d'une goutte ordinaire, en était déjà guéri avant que l'armée autrichienne fût rassemblée. L'Empereur alors fit retourner toutes ses troupes dans leurs quartiers ordinaires, et la cour de Vienne fut bafouée de son imprudente conduite.
L'année d'après, savoir en 1777, l'Empereur fit un voyage incognito en France. Le séjour qu'il fit à Paris et à Versailles, ne contribua pas à resserrer l'union des deux nations. Il avait beaucoup plus de monde et d'aménité que Louis XVI. Cela causa des jalousies au monarque français, qui s'en cachait à peine. Joseph voulut ensuite parcourir les provinces de la France, et peut-être que s'observant moins que dans la capitale du royaume, il laissa échapper des marques trop évidentes du chagrin qu'il éprouvait en voyant de bons établissements de manufactures ou de commerce, ou d'autres choses pareilles, qui étaient des monuments