<126>plus qu'il faut connaître les projets de son ennemi, si l'on veut s'y opposer.

Il résulte des différents faits que nous venons d'exposer, que la paix de l'Europe était menacée de tous les côtés : le feu couvait sous les cendres, un rien pouvait en exciter les flammes. La Russie croyait d'un moment à l'autre d'être attaquée par les Turcs. La guerre n'était point déclarée, mais les hostilités se commettaient de part et d'autre. La dernière guerre avait occasionné des dépenses énormes à l'Impératrice; la Russie en était presque épuisée, surtout si l'on y ajoute les ravages de Pugatscheff le long du Jaïk, dans la province de Kasan, et la ruine des mines qui sont dans ces contrées, et dont le rapport est très-considérable. Cette situation n'était pas des plus avantageuses : l'armée était mal entretenue, l'artillerie, négligée; peu d'argent, peu de crédit; enfin tout faisait craindre que si la Porte lui faisait la guerre, l'empire de Russie ne devait pas s'attendre à des succès aussi brillants que ceux dont il s'était glorifié dans les temps passés.

A Vienne, c'était un jeune empereur dévoré d'ambition, avide de gloire, qui n'attendait qu'une occasion pour devenir le perturbateur du repos de l'Europe. Il avait deux généraux, Lacy et Loudon, qui s'étaient acquis de la réputation dans la guerre précédente. Son armée était mieux entretenue et sur un meilleur pied qu'elle ne l'avait jamais été. Il avait augmenté le nombre des canons de campagne, et l'avait porté jusqu'à deux mille. Ses finances, qui se ressentaient encore des prodigieuses dépenses qu'avait coûté la dernière guerre, n'étaient pas sur un pied tout à fait solide. On évaluait les dettes de l'État à cent millions d'écus, dont on avait réduit le dividende à quatre pour cent; mais le peuple était surchargé des plus durs impôts, et chaque jour on en ajoutait de nouveaux; et malgré tout l'argent qu'à force de presser les provinces on rassemblait à Vienne, en déduisant la dépense fixe et couchée sur l'ordre du tableau, il ne restait à l'Impératrice-Reine que deux millions dont elle pût disposer. Ainsi il n'y avait d'autre fonds que celui de quatre millions d'écus que le maréchal de Lacy avait ramassés par ses lésines sur l'entretien de l'armée; mais par l'exactitude de la banque de Vienne à payer les intérêts des capitaux que la cour avait empruntés, elle avait