<129>La Suède, quoiqu'elle eût changé sa forme de gouvernement, n'avait point gagné des forces nouvelles. La balance de son commerce lui était défavorable; elle ne recevait point de subsides de la France : aussi avait-elle à peine les moyens de se défendre, et se trouvait-elle hors d'état d'attaquer personne; et elle était à l'égard des puissances de l'Europe encore moins que ces sénateurs de Rome qu'on nommait pédaires, parce qu'ils n'opinaient jamais, et qu'ils se contentaient de passer vers celui de l'avis duquel ils se rangeaient. Le Danemark avait une bonne flotte et trente mille soldats; mais sa faiblesse le mettait presque de niveau avec la Suède. Le roi de Sardaigne se trouvait comme garrotté par l'alliance de la France et de l'Autriche; il ne pouvait rien par lui-même; il ne pouvait figurer qu'avec le secours d'un allié puissant, de sorte que, dans l'état actuel des choses, on ne pouvait pas plus l'apprécier que la Suède et le Danemark. La Pologne, pleine de têtes remuantes mais légères, n'entretenait que quatorze mille hommes, et ses finances n'étaient pas même suffisantes pour mettre en action ce petit nombre de troupes. Le ministre de Russie gouvernait ce royaume au nom de l'Impératrice, à peu près comme autrefois les proconsuls romains gouvernaient les provinces de l'empire. Il ne s'agissait donc point réellement de ce qu'on pensait ou projetait à Varsovie; il suffisait de savoir ce qu'on avait résolu à Pétersbourg, pour porter son jugement sur la Pologne.
La Prusse avait joui de quelque tranquillité pendant cette paix; attentive aux projets que forgeaient ses voisins, mais ne se mêlant directement d'aucune affaire, elle s'était appliquée principalement à rétablir ses provinces ruinées. La population avait pris des accroissements considérables; les revenus de l'État se trouvaient augmentés de plus d'un quart de ce qu'ils étaient en 1756; l'armée était entièrement rétablie, et depuis l'année 1774, le Roi entretenait cent quatre-vingt-six mille hommes bien disciplinés et prêts à mettre en action d'un jour à l'autre. Ses forteresses étaient, pour la plupart, achevées et en bon état, ses magasins, remplis pour une campagne, et des sommes assez considérables, en réserve pour soutenir seul la guerre pendant quelques années.