<141>colonies anglaises de l'Amérique, qui l'obligeaient à soutenir leur indépendance, et cela dans un moment où elle avait résolu de déclarer par mer la guerre à la Grande-Bretagne. Pour armer tant de vaisseaux, l'on travaillait dans tous les chantiers; à cause que par un article secret de la dernière paix de 1763, l'Angleterre avait fixé la marine française au nombre de douze vaisseaux de ligne, l'on était occupé à en construire soixante nouveaux. Tout l'argent que l'industrie pouvait ramasser, était destiné pour la flotte, et il ne restait rien pour d'autres opérations. Cet état d'impuissance n'empêchait pas le ministère de voir avec chagrin les pas téméraires et audacieux du jeune empereur pour s'acheminer au despotisme. Il faisait de la Bavière une galerie pour s'approcher de l'Alsace et de la Lorraine; il se frayait en même temps un chemin en Lombardie, projet dont le roi de Sardaigne appréhendait le contre-coup, et dont il portait des plaintes amères en France. Toutes ces différentes idées, tous ces motifs résumés mettaient le ministère de Versailles dans des sentiments favorables pour le roi de Prusse, parce qu'il était bien aise que quelque puissance que ce fût s'opposât à l'ambition démesurée d'un jeune prince qui pouvait pousser ses projets d'agrandissement bien loin, s'il n'était arrêté au commencement de sa course. La France demeurait dans une espèce d'apathie, et elle voyait en même temps les deux plus puissants princes d'Allemagne qui s'affaiblissaient réciproquement.
Telles étaient les dispositions de la cour de Versailles, sur lesquelles on pouvait compter. Il restait à pénétrer avec le même soin quelles étaient les vues et les sentiments de la cour de Pétersbourg. L'impératrice de Russie était l'alliée du roi de Prusse; mais elle se trouvait à la veille d'une nouvelle guerre avec la Porte, ce qui devait la gêner, en lui ôtant les moyens de remplir ses engagements envers la Prusse. Il était facile de prévoir que les Autrichiens mettraient la ruse, la fourberie et la corruption en œuvre pour accélérer les hostilités entre les Russes et les Turcs; c'était une diversion qui, en occupant ailleurs la cour de Pétersbourg, l'empêcherait de fournir des secours aux Prussiens, et donnerait par conséquent beau jeu aux vastes desseins de l'Empereur. Il était important pour les Prussiens de prévenir la cour