<179>D'autre part, on peut reprocher aux Prussiens que leur armée de Saxe a manqué de nerf et d'activité, en laissant échapper une occasion unique qui se présenta, quand le prince Henri était à Niemes, et le Roi, proche de Hohenelbe. Une marche sur l'Iser suffisait pour faire décamper l'Empereur. Ce prince, en se retirant, ne pouvait, en pareil cas, trouver de bon poste pour son armée qu'en se plaçant derrière les étangs de Bohdanetz, ou peut-être en prenant le poste de Kuttenberg. Mais en ce cas, la moitié de la Bohême était perdue pour lui, et les Prussiens gagnaient pour cette campagne une supériorité décidée sur leurs ennemis.
Mais telle est la destinée des choses humaines, que l'imperfection s'y rencontre partout. Le sort de l'humanité est de se contenter des à peu près. Que résulte-t-il donc de cette guerre qui a pensé mettre toute l'Europe en mouvement? Que, pour cette fois, l'Allemagne a été garantie du despotisme impérial; que l'Empereur a essuyé une espèce d'humiliation, en rendant ce qu'il avait usurpé. Mais quel effet cette guerre produira-t-elle pour l'avenir? L'Empereur en deviendra-t-il plus circonspect? Chacun pourra-t-il cultiver son champ avec tranquillité? La paix en sera-t-elle plus assurée? Nous ne pouvons répondre à ces questions qu'en pyrrhoniens. Dans l'avenir, tout événement est dans la possibilité des choses. Nos yeux sont trop bornés pour pénétrer les contingents futurs; il ne nous reste qu'à nous en remettre à la Providence ou bien à la fatalité, qui régleront l'avenir, de même qu'elles ont arrangé le passé et cette immensité de temps qui s'est écoulée avant que la nature nous ait produits.
Fait à Potsdam, ce 20 juin 1779.
Federic.