<28>pas répondu à leur attente; le Roi, qui leur avait fortement déconseillé cette levée de boucliers, avait par cela même acquis leur confiance. Les Turcs acceptèrent donc la médiation prussienne; mais ils avaient quelque répugnance pour celle de la cour de Vienne; on trouva pourtant moyen de la vaincre, à force de réitérer les mêmes représentations, fondées sur le poids décisif qu'une aussi grande puissance que celle de la maison d'Autriche pouvait donner à la négociation, pour la faire réussir.
Les Russes, sur l'esprit desquels les insinuations pacifiques n'avaient guère fait d'impression, continuaient, en attendant, de remporter les plus grands avantages sur les armées ottomanes : leur flotte, après avoir battu celle des Turcs, la détruisit presque totalement, si bien que la plupart des vaisseaux ennemis furent brûlés ou coulés à fond. Un coup aussi imprévu qu'inattendu obligea la Porte à partager son attention : elle ne savait si elle devait employer ses forces à défendre les passages de Sestos et d'Abydos, ou s'il fallait penser préférablement à la Moldavie. Cet état d'incertitude mêlée de terreur favorisa les opérations du maréchal Romanzoff, et contribua certainement à lui faire remporter la victoire à Kiab sur l'armée du grand vizir.b Il ajouta ainsi, dans une campagne, la conquête de la Valachie à celle de la Moldavie. En ce même temps, le comte Panin, frère du ministre, qui faisait le siége de Bender, emporta cette place après une vigoureuse défense de la part de l'ennemi.
Des succès aussi rapides, et souvent multipliés, éblouissaient la cour de Pétersbourg, et la rendaient comme ivre de sa fortune. Les hommes sont partout les mêmes. S'ils sont malheureux, ils sont humbles; sont-ils trop heureux, la prospérité les enorgueillit. Mais si l'on pensait à Pétersbourg à écraser la puissance ottomane, à Vienne les ombrages et les jalousies augmentaient à proportion des avantages des Russes; les Autrichiens, comparant la dernière guerre malheureuse qu'ils avaient faite contre les Turcs, aux
b Le Roi veut sans doute parler de la victoire décisive que le maréchal Romanzoff remporta sur le grand vizir, au bord du Kaghul, le 1er août 1770, nouveau style.