<29>succès brillants des Russes, ne pouvaient pas dissimuler à quel point leur amour-propre en était humilié; outre cela, ils craignaient qu'une aussi grande puissance ne devînt leur voisine, si elle conservait, comme elle l'avait faite, la conquête de la Moldavie et de la Valachie. Pour obvier à ces appréhensions, ou plutôt pour s'opposer ouvertement à la Russie, les Autrichiens venaient de renforcer les troupes qu'ils avaient en Hongrie; ils y formèrent des magasins, et préparèrent toutes choses pour se mettre en état d'agir, si les circonstances l'exigeaient. Ils ne s'en cachaient point, et disaient à qui voulait l'entendre, que si la guerre ne finissait pas promptement, l'Impératrice-Reine serait obligée d'y prendre part.
La seconde entrevue du Roi et de l'Empereur fut au camp de Neustadt en Moravie. On ne rencontrait aucun Autrichien qui ne laissât échapper quelque trait d'animosité contre la nation russe. L'Empereur parut au Roi tel qu'il en avait porté son jugement la première fois qu'il le vit à Neisse. Le prince Kaunitz, qui se trouvait aussi à Neustadt, eut de longues conférences avec Sa Majesté Prussienne. Cet homme, avec un sens droit, avait l'esprit rempli de travers : l'interrompre quand il parlait, c'était l'outrager; au lieu de converser, il dissertait, aimant mieux s'entendre discourir lui-même que d'écouter ce que les autres lui répondaient. Il était arrivé à l'Impératrice-Reine de demander à ce ministre quelque explication sur une matière qu'il épluchait gravement; le prince Kaunitz, au lieu de lui répondre, lui tira sa révérence, et sortit brusquement de la chambre du conseil. Dans les conférences qu'il eut avec le Roi, il étala avec emphase le système de sa cour, et le présenta comme un chef-d'œuvre de politique, dont il était l'auteur; il insista ensuite sur la nécessité de s'opposer aux vues ambitieuses de la Russie, et déclara que jamais l'Impératrice-Reine ne souffrirait que les armées russes passassent le Danube, ni que la cour de Pétersbourg fît des acquisitions qui la rendissent voisine de la Hongrie. Il ajouta que l'union de la Prusse et de l'Autriche était l'unique barrière que l'on pût opposer à ce torrent débordé qui menaçait d'inonder toute l'Europe.
Quand il eut achevé de parler, le Roi répondit qu'il tâcherait