<51>geait la Reine à prendre les plus grandes précautions pour que le Roi ne pût pas s'apercevoir de l'affront qu'il endurait. On assurait que pour être sûrs de n'être point interrompus dans ces tête-à-tête si scandaleux, la Reine et le médecin imaginèrent que, sous prétexte de donner des remèdes au Roi, on lui ferait prendre de l'opium, pendant l'action duquel le Roi était hors d'état de les troubler. L'usage trop fréquent de ces soporifiques altéra considérablement l'esprit de ce jeune prince : il eut des absences si considérables et si longues, que la Reine et le médecin s'emparèrent des rênes du gouvernement. Struensée fut créé premier ministre, et fut réellement roi de Danemark durant quelques mois. La honte du trône indigna la nation danoise. On découvrit enfin que le projet de la Reine et de son ministre était de faire déclarer le Roi incapable de régner, et, sous ce prétexte apparent, de s'emparer de la tutelle du royaume. Cela acheva de révolter les esprits.
On trouvait qu'on se couvrirait d'opprobre, si l'on exposait le royaume à tomber sous la domination d'une race bâtarde à laquelle un médecin allemand aurait servi de tige. Des gardes de la marine, qu'on avait voulu casser, parce que la cabale se défiait de leur fidélité, furent les premiers qui donnèrent le branle à la révolution. Deux généraux et le sieur d'Osten se rendirent en secret chez la reine Julie, belle-mère du Roi; ils lui représentèrent avec les couleurs les plus vives les périls où sa personne, celle de son beau-fils, et tout le royaume étaient exposés, et la conjurèrent de prendre, dans un moment aussi critique, un parti décisif; ils la déterminèrent qu'après un bal qui devait durer avant dans la nuit, elle se rendît par un escalier dérobé dans la chambre du Roi, pour l'avertir du péril imminent qui le menaçait, et l'obliger à signer incessamment un ordre par lequel les généraux étaient autorisés, l'un à arrêter la reine Mathilde, et l'autre à s'assurer du médecin premier ministre.
Ce projet s'exécuta comme il avait été médité : on enferma la Reine dans une forteresse, et le médecin, ainsi que ses adhérents, furent traduits devant la justice. La crainte des supplices leur fit avouer tous les attentats dont on les accusait; le mariage de la reine Mathilde fut cassé; le roi d'Angleterre obtint qu'on permît à cette princesse de sortir du Danemark pour se retirer dans l'élec-