<55>Noire. Ces écrits, répandus de tous côtés, firent enfin quelque impression : la fougue anglaise en fut promptement animée, et, sans savoir pourquoi, la nation jeta les hauts cris, en disant que le port de Danzig allait ruiner le commerce de la Grande-Bretagne.
Il n'est pas nécessaire de rapporter ici tous les désagréments auxquels ces clameurs donnèrent lieu; mais il est indispensable de rapporter que les Anglais s'adressèrent aux Russes, et qu'ils exigèrent de l'Impératrice que son ministre, conjointement avec celui d'Angleterre, donnassent la loi au roi de Prusse dans ses propres États, qui lui apparvenaient à aussi bon droit que les provinces que les deux autres puissances venaient d'envahir, pour qu'il sacrifiât son intérêt à leurs caprices. Les Russes n'entrèrent pas entièrement dans ces idées extravagantes des Anglais : la guerre avec les Turcs durait encore; le Roi payait des subsides; ils devaient donc le ménager. Il y eut quelques négociations vagues avec la cour de Pétersbourg, touchant les douanes et les péages de la Vistule et touchant le port de Danzig; et après quelques explications de part et d'autre, et après avoir remontré à cette cour que chacun, étant maître chez soi, ne devait point être inquiété dans l'administration de ses finances, les Russes trouvèrent ces raisons valables, et les choses restèrent sur le pied où elles étaient.
Le projet des Français et des Anglais était plus artificieux que nous ne l'avons représenté : leur vue était de brouiller la Prusse et la Russie au sujet du port de Danzig; et quoique l'événement n'eût pas répondu à leur attente, les Anglais ne laissèrent pas de témoigner à la cour de Pétersbourg à quel point ils étaient jaloux et envieux du commerce de la mer Noire que les Russes avaient intention d'exercer; mais la rupture du congrès de Bucharest leur fit perdre pour lors leurs appréhensions.
Nous avons parlé, il n'y a pas longtemps, de la disgrâce du comte Orloff. Un comte Potemkin avait succédé à cet ancien favori. Cet événement, ou, si l'on veut plutôt, cette intrigue de cour pensa causer une révolution dans le ministère de Pétersbourg. Le comte Orloff, quoique exilé, n'avait pas entièrement perdu l'ascendant qu'il avait eu sur l'esprit de l'Impératrice. Il trouva le moyen de se faire rappeler, et quoiqu'il ne pût renouer