<60>où il le trouverait. Le maréchal avait quelque répugnance à commettre sa réputation dans une entreprise aussi hasardeuse; il en représenta les difficultés : le Danube large d'un mille dans ces contrées, l'impossibilité d'y faire des ponts, le danger de débarquer à l'autre bord sous le feu de l'ennemi. Il ajouta qu'on ne trouverait aucun établissement dans la Romélie, et qu'on devait craindre d'exposer l'armée dans des circonstances pareilles à celles où Pierre Ier s'était trouvé au bord du Pruth.

Ces représentations furent vaines : les raisons de guerre cédèrent à l'impatience de l'Impératrice; M. de Romanzoff fut contraint de passer le Danube avec son armée, forte de trente-cinq mille hommes. Il repoussa et défit un corps d'observation que les Turcs avaient poussé vers les bords du fleuve; il marcha ensuite sur Silistria, qu'il avait intention de prendre. Cette ville est située dans une gorge; elle n'a point d'ouvrages qui la défendent, mais les montagnes qui l'environnent de deux côtés, étaient bien fortifiées; trente mille Turcs y campaient, et l'armée du grand vizir, postée sur le mont Hémus, était à portée de la secourir. Le maréchal Romanzoff, approchant de Silistria, résolut de prendre cette ville d'emblée : il partagea son armée en différents corps, les uns pour soutenir les batteries qui tiraient sur le camp des ennemis, d'autres pour attaquer la ville par l'endroit où la gorge des montagnes s'ouvrait le plus; et le reste demeura comme en réserve, soit pour soutenir les attaques, soit pour protéger la retraite. Les Turcs attaquèrent avec leurs spahis cette réserve et les corps qui couvraient les batteries, en même temps qu'ils prirent à dos les détachements qui étaient à la vérité entrés dans Silistria, mais qui furent obligés de s'en retirer avec une perte assez considérable. Le grand vizir, informé de ce qui se passait, détacha promptement un gros corps de troupes à dos de l'armée russe, pour garnir un défilé par lequel il fallait qu'elle repassât pour pouvoir regagner les bords du Danube. Si le grand vizir avait su profiter de l'occasion, il n'aurait pas laissé échapper celle qui alors se présentait à lui. S'il eût donc engagé sans perte de temps une affaire d'arrière-garde avec l'armée de M. de Romanzoff, qui se retirait, il y a toute apparence qu'il aurait détruit toute cette armée russienne qui avait passé le Danube. Mais les destinées