<103>pour les lettres, les imitèrent. Le style et le goût de ces grands hommes se communiqua, depuis, à toute la nation. Mais souffrez que je vous arrête un moment pour vous faire remarquer qu'en Grèce, en Italie, comme en France, les poëtes ont été les premiers qui, rendant leur langue flexible et harmonieuse, l'ont ainsi préparée à devenir plus souple et plus maniable sous la plume des auteurs qui, après eux, écrivirent en prose.
Si je me transporte maintenant en Angleterre, j'y trouve un tableau semblable à celui que je vous ai fait de l'Italie et de la France. L'Angleterre avait été subjuguée par les Romains, par les Saxons, par les Danois, et enfin par Guillaume le Conquérant, duc de Normandie. De cette confusion des langues de leurs vainqueurs, en y joignant le jargon qu'on parle encore dans la principauté de Galles, se forma l'anglais. Je n'ai pas besoin de vous avertir que, dans ces temps de barbarie, cette langue était au moins aussi grossière que celles dont je viens de vous parler. La renaissance des lettres opéra le même effet sur toutes les nations : l'Europe était lasse de l'ignorance crasse dans laquelle elle avait croupi durant tant de siècles; elle voulut s'éclairer. L'Angleterre, toujours jalouse de la France, aspirait à produire elle-même ses auteurs; et comme pour écrire il faut avoir une langue, elle commença à perfectionner la sienne. Pour aller plus vite, elle s'appropria, du latin, du français, de l'italien, tous les termes qu'elle jugea lui être nécessaires; elle eut des écrivains célèbres; mais ils ne purent adoucir ces sons aigus de leur langue, qui choquent les oreilles étrangères. Les autres idiomes perdent quand on les traduit; l'anglais seul y gagne. Je me souviens à ce propos de m'être trouvé un jour avec des gens de lettres; quelqu'un leur demanda en quelle langue s'était énoncé le serpent qui tenta notre première mère. « En anglais, répondit un érudit, car le serpent siffle. » Prenez cette mauvaise plaisanterie pour ce qu'elle vaut.
Après vous avoir exposé comment chez d'autres nations les langues ont été cultivées et perfectionnées, vous jugez sans doute qu'en employant les mêmes moyens, nous réussirons également comme eux. Il nous faut donc de grands poëtes et de grands orateurs pour nous rendre ce service, et nous ne devons pas l'attendre des philosophes : leur partage est de déraciner des erreurs