<105>men : mettez un a au bout de ces terminaisons, et faites-en sagena, gebena, nehmena, et ces sons flatteront l'oreille. Mais je sais aussi que, quand même l'Empereur, avec ses huit électeurs, dans une diète solennelle de l'Empire, donnerait une loi pour qu'on prononçât ainsi, les sectateurs zélés du tudesque se moqueraient d'eux, et crieraient partout en beau latin : Caesar non est super grammaticos; et le peuple, qui décide des langues en tout pays, continuerait à prononcer sagen et geben, comme de coutume. Les Français ont adouci par la prononciation bien des mots qui choquent les oreilles, et qui avaient fait dire à l'empereur Julien que les Gaulois croassaient comme les corneilles.c Ces mots, tels qu'on les prononçait alors, sont, cro-jo-gent, voi-yai-gent. On les prononce à présent croyent, voyent; s'ils ne flattent pas, ils sont toutefois moins désagréables. Je crois que pour de certains mots nous en pourrions user de même.

Il est encore un vice que je ne dois pas omettre, celui des comparaisons basses et triviales, puisées dans le jargon du peuple. Voici, par exemple, comme s'exprima un poëte qui dédia ses ouvrages à je ne sais quel protecteur : « Schiess, grosser Gönner, schiess deine Strahlen, Arm dick, auf deinen Knecht hernieder.a Répands, grand protecteur, répands tes rayons gros comme le bras sur ton serviteur. » Que dites-vous de ces rayons gros comme le bras? N'aurait-on pas dû dire à ce poëte : Mon ami, apprends à penser avant de te mêler d'écrire? N'imitons donc pas les pauvres qui veulent passer pour riches; convenons de bonne foi de notre indigence; que cela nous encourage plutôt à gagner par nos travaux les trésors de la littérature, dont la possession mettra le comble à la gloire nationale.


c L'empereur Julien dit, au commencement du Misopogon : « N'ai-je pas vu moi-même avec quelle complaisance les barbares d'au delà du Rhin goûtent une musique sauvage dont les paroles aussi rudes que les airs ressemblent au cri de certains oiseaux? » Histoire de l'empereur Jovien, et traductions de quelques ouvrages de l'empereur Julien, par M. l'abbé de la Bletterie. A Amsterdam, 1750, in-8, t. II, p. 270.

a Comme ce passage ne se trouve dans aucun ouvrage imprimé, M. de Hertzberg aurait voulu que le Roi y substituât quelques vers de Gottsched analogues à ceux qu'il citait dans son manuscrit, et qu'il a néanmoins conservés.