<108>Ces lectures pourraient être suivies des belles oraisons funèbres de Bossuet et de Fléchier, du Démosthène et du Cicéron français, et du Petit Carême de Massillon, rempli de traits de la plus sublime éloquence. Afin de leur apprendre dans quel goût il faut écrire l'histoire, je voudrais qu'ils lussent Tite-Live, Salluste, Tacite; on leur ferait remarquer en même temps la noblesse du style, la beauté de leur narration, en condamnant toute fois la crédulité avec laquelle Tite-Live donne, à la fin de chaque année, une liste de miracles les uns plus ridicules que les autres. Ces jeunes gens pourraient ensuite parcourir l'Histoire universelle de Bossuet, et les Révolutions romaines, par l'abbé de Vertot; on pourrait y ajouter l'avant-propos de l'Histoire de Charles-Quint, par Robertson. Ce serait le moyen de leur former le goût et de leur apprendre comment il faut écrire. Mais si le recteur n'a pas lui-même ces connaissances, il se contentera de dire : Ici Démosthène emploie le grand argument oratoire; là, et dans la plus grande partie du discours, il se sert de l'enthymème; voilà une apostrophe, voici une prosopopée; en tel endroit une métaphore, dans l'autre une hyperbole. Cela est bon; mais si le maître ne relève pas mieux les beautés de l'auteur, et qu'il n'en fasse pas remarquer les défauts (parce qu'il en échappe même aux plus grands orateurs), il n'aura pas rempli sa tâche. J'insiste si fort sur toutes ces choses, à cause que je voudrais que la jeunesse sortît des écoles avec des idées nettes, et que, non content de leur remplir la mémoire, l'on s'attachât surtout à leur former le jugement, afin qu'ils apprissent à discerner le bon du mauvais, et que, ne se bornant pas à dire, Cela me plaît, ils pussent à l'avenir donner des raisons solides de ce qu'ils approuvent ou de ce qu'ils rejettent.

Pour vous convaincre du peu de goût qui, jusqu'à nos jours, règne en Allemagne, vous n'avez qu'à vous rendre aux spectacles publics. Vous y verrez représenter les abominables pièces de Shakspeare, traduites en notre langue,a et tout l'auditoire se pâmer d'aise en entendant ces farces ridicules et dignes des sauvages


a Les comédiens allemands de la troupe ambulante de Döbbelin jouèrent à Berlin, en 1775, Othello, en 1777 Hamlet, en 1778 Macbeth et Lear.