<119>d'autres; mais le temps présent m'impose silence : l'éloge des uns humilierait l'amour-propre des autres.
Je prévois qu'on m'objectera peut-être que, pendant les guerres d'Italie, on a vu fleurir Pic de la Mirandole. J'en conviens; mais il n'était que savant. On ajoutera que, pendant que Cromwell bouleversait sa patrie et faisait décapiter son roi sur un échafaud, Tolanda publiait son Léviathan, et, peu après lui, Milton mit en lumière son Paradis perdu; que, même du temps de la reine Élisabeth, le chancelier Bacon avait déjà éclairé l'Europe et s'était rendu l'oracle de la philosophie, en indiquant les découvertes à faire, et en montrant le chemin qu'il fallait suivre pour y parvenir; que, pendant les guerres de Louis XIV, les bons auteurs en tout genre illustrèrent la France. Pourquoi donc, dira-t-on, nos guerres d'Allemagne auraient-elles été plus funestes aux lettres que celles de nos voisins? Il me sera aisé de vous répondre. En Italie, les lettres n'ont véritablement fleuri que sous la protection de Laurent de Médicis, du pape Léon X, et de la maison d'Este. Il y eut dans ces temps quelques guerres passagères, mais non destructives; et l'Italie, jalouse de la gloire que devait lui procurer la renaissance des beaux-arts, les encourageait autant que ses forces le permettaient. En Angleterre, la politique soutenue du fanatisme de Cromwell n'en voulait qu'au trône : cruel envers son roi, il gouverna sagement sa nation; aussi le commerce de cette île ne fut-il jamais plus florissant que sous son protectorat. Ainsi le Béhémoth ne peut se regarder que comme un libelle de parti. Le Paradis de Milton vaut mieux sans doute : ce poëte était un homme d'une imagination forte, qui avait pris le sujet de son poëme dans une de ces farces religieuses qu'on jouait encore de son temps en Italie; et il faut remarquer surtout qu'alors l'Angleterre était paisible et opulente. Le chancelier Bacon, qui s'illustra sous la reine Élisabeth, vivait dans une cour polie; il avait les yeux pénétrants de l'aigle de Jupiter pour scruter les sciences, et la sagesse de Minerve pour les digérer. Le
a Le Léviathan, qui parut en anglais à Londres, en 1651, in-folio, a pour auteur Thomas Hobbes, et non pas John Toland. Un peu plus bas, le Roi, ne voulant peut-être que répéter le nom du livre intitulé le Léviathan, nomme le Béhémoth, autre ouvrage de Hobbes, publié en 1679.