<120>génie de Bacon est comme ces phénomènes rares qu'on voit paraître de loin en loin, et qui font autant d'honneur à leur siècle qu'à l'esprit humain. En France, le ministère du cardinal de Richelieu avait préparé le beau siècle de Louis XIV. Les lumières commençaient à se répandre; la guerre de la Fronde n'était qu'un jeu d'enfant. Louis XIV, avide de toute sorte de gloire, voulut que sa nation fut la première pour la littérature et le bon goût, comme en puissance, en conquêtes, en politique et en commerce. Il porta ses armes victorieuses dans les pays ennemis. La France se glorifiait des succès de son monarque, sans se ressentir des ravages de la guerre. Il est donc naturel que les Muses, qui se complaisent dans le repos et dans l'abondance, se fixassent dans son royaume. Mais ce que vous devez remarquer surtout, monsieur, c'est qu'en Italie, en Angleterre, en France, les premiers hommes de lettres et leurs successeurs écrivirent dans leur propre langue. Le public dévorait ces ouvrages, et les connaissances se répandaient généralement sur toute la nation. Chez nous, c'était tout autre chose. Nos querelles de religion nous fournirent quelques ergoteurs qui, discutant obscurément des matières inintelligibles, soutenaient, combattaient les mêmes arguments, et mêlaient les injures aux sophismes. Nos premiers savants furent, comme partout, des hommes qui entassaient faits sur faits dans leur mémoire, des pédants sans jugement, des Lipsius, des Freinshemius, des Gronovius, des Graevius, pesants restaurateurs de quelques phrases obscures qui se trouvaient dans les anciens manuscrits. Cela pouvait être utile jusqu'à un certain point, mais il ne fallait pas attacher toute leur application à des vétilles minutieuses, par conséquent peu importantes. Ce qu'il y eut de plus fâcheux, c'est que la vanité pédantesque de ces messieurs aspirait aux applaudissements de toute l'Europe : en partie pour faire parade de leur belle latinité, en partie pour être admirés des pédants étrangers, ils n'écrivaient qu'en latin; de sorte que leurs ouvrages étaient perdus pour presque toute l'Allemagne. De là il résulta deux inconvénients : l'un, que la langue allemande, n'étant point cultivée, demeura chargée de son ancienne rouille; et l'autre, que la masse de la nation, qui ne savait pas le latin, ne pouvant s'instruire, faute d'entendre une langue morte, continua de crou-